Déclaration de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, sur l'activité des institutions de prévoyance, dans le cadre de la réforme de la protection sociale et la proposition de loi sur les fonds d'épargne retraite, Paris le 3 avril 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Forum Prévoyance Entreprise organisé par la groupe Altedia à Paris le 3 avril 1997

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames,
Messieurs

Dès avant la Seconde guerre mondiale, des entreprises ont mis en place une couverture sociale pour le personnel. Leurs dirigeants souhaitaient ainsi dépasser, par leur initiative ou par la négociation, l’antagonisme souvent présenté comme irréductible entre employeurs et salariés.

À la Libération, la création de la Sécurité sociale a permis d’institutionnaliser la solidarité et d’assurer à l’ensemble de la population une couverture satisfaisante contre les divers risques sociaux.

Peu à peu, sur ce socle solide, nous avons bâti un édifice de plus en plus ambitieux, et nous avons cherché à combler les lacunes ou les insuffisances de notre protection sociale.

I. – Au cœur du paritarisme, les institutions de prévoyance peuvent maintenant exercer leur activité dans un cadre rénové.

La modernisation du cadre légal dans lequel se développent les institutions de prévoyance a été inspirée par le souci de mieux assurer les droits des assurés.

La loi du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, encore appelée loi Évin, a renforcé la protection des droits des affiliés par la définition de principes prudentiels stricts.

La loi du 8 août 1994 sur les institutions de prévoyance a permis de franchir une nouvelle étape. Désormais, l’institution de prévoyance est dotée d’un véritable statut d’organisme assureur paritaire, habilité à couvrir des risques et à prendre des engagements :
    - dans les différents domaines de l’assurance de personnes ;
    - sur l’ensemble du territoire européen.

Cette loi de transposition des directives européennes « assurance non vie » et « assurance vie » a aussi consacré le principe de la séparation des activités de retraite complémentaire, de retraite supplémentaire et de prévoyance. Ces trois types d’activités sont désormais spécialisés et gérés par des personnes morales différentes.

C’est la transposition du principe, posé par les directives européennes, qui interdit de gérer au sein d’une même entité juridique des opérations de capitalisation (notamment d’assurance vie) et de répartition.

Mais les règles techniques, nécessaires à la protection des intérêts des affiliés, doivent rester des instruments au service de l’institution de prévoyance. Celle-ci a toujours pour objet d’assurer une solidarité entre ses membres.

En aucun cas, ces techniques assurantielles ne sauraient banaliser la forme paritaire, alors que la dimension européenne des institutions de prévoyance leur permet aujourd’hui d’établir de synergies avec d’autres structures paritaires.

Je tiens à souligner que la forme paritaire ne se résume pas au strict respect d’obligations légales, mais qu’elle renvoie à une véritable morale sociale, qui doit avoir valeur d’exemple dans le secteur de la protection sociale complémentaire. Les termes de solidarité, de rigueur de gestion et de transparence de l’activité et des comptes doivent caractériser la gestion paritaire.

Les partenaires sociaux, gestionnaires des institutions paritaires, ne doivent surtout pas renoncer à cette éthique qui, bien plus que le cadre juridique dans lequel ils interviennent, fait leur spécificité.

À l’écoute des besoins de leurs affiliés, les institutions de prévoyance ont pris des initiatives intéressantes en matière de retraite. Les partenaires sociaux jouent, en ce domaine, un rôle pédagogique. Ils peuvent et ils doivent démontrer qu’il est possible d’intégrer le souci de la solidarité dans les techniques assurantielles et financières.

La gestion d’un régime de retraite supplémentaire par une institution de prévoyance suppose que ces techniques soient mises au service d’objectifs clairement définis par les partenaires sociaux. Ces derniers, bénéficiant de l’expérience acquise depuis un demi-siècle dans la retraite complémentaire obligatoire, sont les mieux à même d’exercer un contrôle dans l’intérêt de leurs mandants sur des engagements viagers à long terme.

Les institutions de prévoyance ont naturellement vocation à gérer les futurs plans d’épargne retraite.

Partenaires à part entière dans tous les domaines de la protection sociale complémentaire, les institutions de prévoyance ont développé également une activité importante en matière d’assurance complémentaire maladie. À cet égard, je voudrais souligner que la réforme de l’assurance maladie ne sera pas sans incidence sur la gestion de la protection complémentaire.

Pour être pleinement efficace, cette réforme suppose une coopération pleine et entière entre les différents acteurs de la santé et, dans ce domaine sensible entre tous, je sais que je peux également compter sur vous. Dans cette perspective, je vous confirme que les institutions de prévoyance seront représentées au sein du Conseil de surveillance de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés.

II. – La nouvelle architecture des responsabilités de la Sécurité sociale repose sur un paritarisme adapté aux nouvelle réalités

Un rôle nouveau est reconnu au Parlement

Jusqu’à présent, l’intervention du Parlement en matière de Sécurité sociale était ponctuelle. Nous avons souhaité que le Parlement se prononce chaque année sur les orientations de la politique de Sécurité sociale et de la politique de santé, et qu’il approuve les déterminants de l’équilibre financier de la Sécurité sociale. Le Parlement est aussi associé à la gestion courante de la Sécurité sociale, à travers la présidence des conseils de surveillance des caisses.

Cette réforme, qui a nécessité de réviser la Constitution, et qui s’est concrétisé à travers une « première loi de financement de la Sécurité sociale », n’a pas pour autant remis en cause le rôle des partenaires sociaux dans la gestion de la Sécurité sociale. Bien au contraire.


Le paritarisme est renouvelé, au travers d’une relance de la dynamique contractuelle.

La responsabilisation des gestionnaires de la Sécurité sociale s’appuie sur la rénovation du paritarisme, principe fondamental de la Sécurité sociale auquel le gouvernement et les partenaires sociaux sont légitimement attachés.

Les lois de financement doivent être déclinées avec les caisses, au travers de conventions pluriannuelles, qui clarifient les responsabilités et les engagements de chacun des acteurs, en termes d’objectifs, de moyens et d’indications.

Les conseils d’administration des caisses se sont vu également reconnaître, par l’ordonnance d’avril 1996 relative à l’organisation de la Sécurité sociale, de nouveaux pouvoirs : donner des avis, notamment au niveau national sur le projet de loi de financement, proposer des modifications de nature législative ou réglementaire, auditionner toute personne ou organisation.

La protection complémentaire n’est certes pas absente de ce dispositif rénové. C’est le cas de la mutualité. C’est aussi vrai, indirectement, pour d’autres acteurs, grâce aux personnalités qualifiées qui apportent leur expérience aux gestionnaires des caisses : le président de la Caisse nationale d’assurance vieillesse vient d’ailleurs de s’en féliciter.

III. – Le paritarisme est plus que jamais nécessaire

La constitution de grands groupes de protection sociale témoigne de l’étendue et de l’importance acquise par la protection sociale complémentaire, ainsi que du dynamisme de la négociation collective dans notre pays.

Je sais que je m’adresse à de nombreux chefs d’entreprise : c’est pourquoi je saisis l’occasion qui m’est offerte, pour leur dire à quel point j’estime importants la concertation et le dialogue social au sein de l’entreprise. Ce sont nos entreprises qui créent la richesse. Elles seront d’autant plus performantes que ceux qui y travaillent auront le sentiment de partager un projet et d’avoir un avenir.

Sans méconnaître l’importance de la négociation interprofessionnelle, ni le rôle des conventions collectives, je crois profondément que la négociation doit se développer au sein des entreprises, quelle que soit leur taille. La vigueur de la négociation d’entreprise depuis quelques années, autour du thème traditionnel des salaires, et surtout grâce à la dynamique de l’aménagement et de la réduction du temps de travail, incarne un mouvement de fond que je souhaite encourager.

Nombre de nos difficultés, à commencer par la lutte contre le chômage, trouveront des solutions privilégiées à travers le dialogue social dans l’entreprise, grâce à la responsabilisation des partenaires sociaux qui se trouvent au plus près des réalités économiques.

C’est le dialogue social décentralisé qui a permis d’élargir à l’ensemble d’une branche, et parfois à tout le pays, le bénéfice de dispositifs négociés à la base, sur le terrain, par ceux qui connaissent les capacités des entreprises et les besoins des salariés.

Dans le respect de cette approche, l’intervention de l’État peut cependant être bienvenue, voire nécessaire. À titre d’illustration, je voudrais évoquer le succès rencontré par l’épargne salariale.

Le Conseil supérieur de la participation m’a récemment communiqué un rapport intitulé « Épargne salariale-épargne retraite », qui rappelle que, chaque année, les mécanismes d’épargne salariale permettent d’attribuer aux salariés 23 milliards de francs. Il est clair que cette démarche répond aux attentes des salariés comme des entreprises. La participation des salariés à la vie de l’entreprise se traduit ainsi par une incitation financière pour les salariés et par un atout économique pour les entreprises.

Il incombe à l’État de définir le cadre ; il revient à la négociation collective de le remplir. Il devrait en être ainsi pour les fonds d’épargne retraite, puisque la proposition de loi actuellement en discussion au Parlement prévoit que la mise en place résultera d’une négociation collective.

J’ajoute que les partenaires sociaux ont prouvé qu’ils savent trouver des solutions à des dossiers particulièrement difficiles.

Ainsi, ils ont adopté des mesures courageuses pour adapter les régimes de retraite complémentaire à l’évolution démographique. Je citerai évidemment les accords du 25 avril 1996 : ces accords vont contribuer à renforcer les groupes de protection sociale, qui constitueront désormais une famille économique à part entière.

De même, l’accord UNEDIC intervenu en décembre dernier a permis d’aménager, efficacement et de manière équilibrée, le régime d’indemnisation du chômage. Les intérêts des différentes parties ont été pris en compte et les partenaires sociaux ont su trouver une réponse au problème particulier des salariés qui, après une longue carrière, peuvent se retrouver au chômage quelques années avant leur retraite. En l’occurrence, ce sont les partenaires sociaux qui montrent le chemin à l’État, puisque le projet de loi sur le renforcement de la cohésion sociale que je vais présenter au Parlement comporte un dispositif destiné à améliorer la situation des personnes qui ne relèvent pas du régime d’assurance chômage, tout en affichant 40 ans d’assurance.

Je souhaite donc que les partenaires sociaux négocient, dans les branches, dans les entreprises, pour conclure des accords précisant les modalités de mise en œuvre des fonds d’épargne retraite, dont le Parlement vient de définir le cadre. La retraite supplémentaire doit devenir un sujet à part entière du dialogue social.

Il s’agit, je le rappelle, de compléter les retraites servies par les régimes de retraite par répartition, en aucun cas de les concurrencer. Vous le savez : le gouvernement a donné son accord à l’amendement déposé au Sénat pour inclure dans l’enveloppe actuelle de déductibilité sociale les versements effectués par les entreprises au titre de l’abondement des fonds d’épargne retraite.

Pour conclure, je voudrais souligner que les partenaires sociaux gestionnaires ne doivent surtout pas renoncer à l’éthique qui fait leur spécificité.

L’homme est et doit rester au cœur de nos projets.

La démarche paritaire et solidaire est plus que jamais nécessaire au développement des institutions sociales.

Ces institutions ont su répondre aux attentes des salariés et des entreprises dans les domaines de la retraite, de la prévoyance complémentaire et de l’épargne salariale. Je ne doute pas qu’elles sauront prendre en compte les nouveaux besoins sociaux.

Le paritarisme a un avenir prometteur, j’en suis convaincu.

C’est la raison pour laquelle, à l’occasion de la réforme de la protection sociale, le gouvernement a renouvelé sa confiance à cette forme de la démocratie sociale, à laquelle les Français restent profondément et légitimement attachés.