Interviews de M. Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, à Europe 1 le 8 août 1996, à France Inter le 14, dans "Les Echos" du 19 et à France 3 le 28, notamment sur la rentrée sociale et l'annonce d'une mobilisation des salariés pour la défense de l'emploi et des salaires.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Journal de 19h - Energies News - Les Echos - Europe 1 - France 3 - France Inter - Les Echos - Télévision

Texte intégral

Europe 1 - jeudi 8 août 1996

Europe 1 : Votre sentiment, après la publication de ces grandes lignes directrices du budget 1997 ?

L. Viannet : Je crois que le premier constat que l’on peut faire, c’est que le fossé s’élargit entre les choix et les priorités du Gouvernement et les besoins et les aspirations du pays ! On parle beaucoup de réduction des dépenses publiques, mais en fait, ce sont des dépenses utiles qui sont frappées, telles que les crédits consacrés au logement, des crédits consacrés à la relance de l’activité, la suppression de 7 000 emplois pourtant nécessaires dans la fonction publique. Ça va donner quoi, tout ça ? Ça va donner des retombées lourdes sur la consommation et l'activité économique, et ça va contribuer à aggraver le chômage dans une situation qui est déjà largement très préoccupante. En plus, je dis que le choc en retour sur les rentrées fiscales prépare manifestement de nouvelles ponctions. C'est une aggravation que le Gouvernement prend le risque de mettre en route."

Europe 1 : Vous ne pensez pas que le Gouvernement sera capable de tenir sa promesse de baisser les impôts sur les salaires 96 ?

L. Viannet : Je crois surtout que le Gouvernement prend le risque d'ouvrir la voie à une récession encore beaucoup plus grave et à une aggravation de la situation du monde du travail dans son ensemble. Qu'il s'agisse des actifs ou des retraités, des précaires, ou des sans-emploi. C'est vers cela que l'on va. Et je dois dire que ça prépare des rendez-vous sociaux agités.

Europe 1 : Justement, FO et la CFDT, du moins les fédérations de fonctionnaires de la CFDT, parlent déjà de l'organisation d'une riposte à la rentrée, essentiellement pour la défense des emplois dans la fonction publique. Que prévoit de faire la CGT ?

L. Viannet : Je pense que l'idée d'une riposte nécessaire à la rentrée, elle est dans la tête de tout le monde et pas seulement des syndicalistes. Le problème c'est, d'une part, de la construire avec le souci d'efficacité et d'autre part, de créer les conditions pour rassembler largement tout le monde, le plus de monde possible, ce qui dépasse largement le cadre des seuls fonctionnaires, même si ces derniers, premiers visés et premiers alertés, ont d'ores et déjà envisagé des conditions pour la riposte. Pour ce qui nous concerne, nous sommes décidés à tout faire pour favoriser l'unité de toutes les organisations de façon à construire quelque chose de très fort car vraiment, c'est nécessaire !
Europe 1 : Rendez-vous, donc, en septembre ?

L. Viannet : Oui, et peut-être même avant.


France Inter - mercredi 14 août 1996

A. Ardisson : Vous vous êtes beaucoup impliqué dans l'affaire des sans-papiers. Cette affaire, c'est la contestation même d'une législation. C'est sa force et sa faiblesse ?

L. Viannet : Il faut prendre en compte ce que cette action exprime. Si la CGT s'est impliquée, elle l'a fait d'abord par devoir de solidarité à l'égard de gens qui sont des victimes et non des coupables. A mon avis, cette donnée est trop sous-estimée par la plupart des commentaires qui sont faits autour de ce dossier, qui est humainement insupportable. J'ai rendu visite à ces hommes et à ces femmes qui sont dans l'Eglise Saint-Bernard et, au-delà des problèmes de la grève de la faim, cela fait mal de voir les conditions dans lesquelles ces hommes et ces femmes vivent dans cette église. Alors, la question qui est posée, c'est la question des objectifs que poursuit le Gouvernement. Le ministre de l'Intérieur essaie de faire croire que les charters, les expulsions, visent à mettre un terme au travail clandestin. J'affirme qu'en définitive il ne s'agit pas de cela. Le Gouvernement ne s'attaque pas à la racine du mal. Je ne conteste pas que l’immigration clandestine, le travail illégal, posent des problèmes. Mais ce n'est pas à cela que le Gouvernement s'attaque. Le Gouvernement s'acharne sur des travailleurs qui sont restés en France à l'appui d'un permis de séjour, qui, pour la plupart, y sont depuis des années, qui ont un travail, qui ont un domicile, et qui se trouvent dans une situation illégale de par l'application de lois dont il s'avère bien que ce sont des lois absolument scélérates par rapport à ce que doit être notre conception des Droits de l'Homme.

A. Ardisson : Certains clandestins – ce n'est pas une injure – sont entrés illégalement.

L. Viannet : Je parle de ceux qui ont décidé de s'afficher, comme le font les sans-papiers.

A. Ardisson : Est-ce une affaire individuelle à régler au cas par cas, ou est-ce une affaire de contestation d'ensemble de la législation en vigueur ?

L. Viannet : Il y a les deux. Il y a contestation de l'ensemble de la législation en vigueur, et en particulier des lois Pasqua, avec en plus le fait que – et cela on ne l'a jamais vu dans notre pays – on donne à ces lois un effet rétroactif ! On place en situation illégale des hommes et des femmes qui, en toute bonne foi, étaient en droit de se considérer en pleine légalité. Ensuite, il y a là des clins d'œil évidents aux thèses du FN. On tente d'accréditer cette idée que l'expulsion des immigrés pourrait régler le problème du chômage, comme si l'immigration était responsable du chômage. Là, on est en présence d'un comportement et d'une démarche complètement inadmissible.

A. Ardisson : Il y a une disproportion entre la grève de Nice et ses conséquences, et les revendications des grévistes – 75 francs par mois de plus.

L. Viannet : Il faut rétablir les chiffres. Ils imposent une prime de 1 000 francs – 100 francs d'augmentation par mois –, la révision d'un certain nombre de carrières. Il y a plusieurs façons d'approcher ce problème. C'est vrai que la grève a été marquée par la fermeté des intéressés. Mais la question qu'on peut se poser, c'est la question de la responsabilité de la direction qui n'a pas hésité à mettre en cause les passagers, alors qu'au bout de trois jours elle accepte des revendications dont on admet – vous venez de le faire – qu'elles n'étaient pas exagérées. Ce qui veut dire que c'est un conflit qui aurait pu ne pas avoir lieu, qui aurait dû ne pas avoir lieu si véritablement des négociations sérieuses s'étaient engagées dès le début et si au niveau du Gouvernement et des directions d'entreprise on accepte de prendre en compte ce qu'est devenue la situation des salariés aujourd'hui. Cette fermeté que vous soulignez à propos de ce conflit d'Air France, on va le retrouver dans d'autres situations. Le problème des salaires est aujourd'hui tel que les gens ne peuvent plus accepter la situation qui leur est faite. Cela ne vous parait pas extraordinaire que les chiffres qui viennent de tomber à propos des prix fassent apparaitre deux mois de suite de baisse des prix ? Il n'y a pas un seul commentateur qui s'est amusé à présenter cette nouvelle comme une bonne nouvelle, parce que tout le monde a souligné qu'il y avait à la fois baisse des prix et baisse de la consommation. Cela donne une idée de la situation dans laquelle, aujourd'hui, se trouve le pays.

A. Ardisson : Quand on se bat pour des caisses de fruits, c'est le même type de phénomène ?

L. Viannet : Moi, je pense que cela doit faire réfléchir tout le monde, le fait qu'il y ait eu cet afflux d'hommes et de femmes autour d'une distribution de fruits gratuite, qui était annoncée, et que cette distribution n'ait pas pu avoir lieu tellement la force et la violence des gens présents ont été importantes. Il faut quand même prendre en compte que pour l'essentiel, c'était quand même des hommes et des femmes qui voulaient des fruits gratuitement, parce qu'ils n'ont pas d'argent pour en acheter !

A. Ardisson : Je ne vous demande pas si la rentrée sera chaude – parce qu’elle sera chaude – mais à quel degré ?

L. Viannet : Moi, personnellement, je ne me laisse pas impressionner par les prédictions quelles qu'elles soient d'ailleurs – qu'elles soient tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Mais moi, je dis avec beaucoup de force qu'il est effectivement indispensable, urgent, que les salariés prennent des dispositions pour se faire entendre. En tout cas, la CGT fera tout pour créer les conditions les meilleures, à savoir les conditions de rassemblement, les conditions d'unité, les conditions de mobilisation, les conditions de convergence, parce que c'est indispensable.

A. Ardisson : Pardon, mais là vous ne répondez pas à ma question !

L. Viannet : Moi, personnellement, je pense que les signes tels que ceux que l'on constate dans ce mois d'août, avec ce qui est quand même caractéristique, à savoir des luttes qui non seulement n'ont pas faibli mais ce sont durcies, avec des succès qui ont été remportés – parce que l'on parle du conflit d'Air France mais il y a le succès remporté par les salariés de chez Myris qui normalement, aujourd'hui, auraient dû déjà voir s'appliquer le plan de licenciement et qui en ont fait, dans un premier temps, repousser l'échéance puis, dans un deuxième temps, qui ont créé les conditions pour que des repreneurs se manifestent. Autrement dit, je pense que ce qui est en train de se produire, c’est non seulement une volonté très forte de ne plus se laisser faire mais c’est la prise de conscience qu'en définitive ; si on s'y met ensemble, on a les moyens de se faire respecter et d'imposer d'autres choix que ceux qui, aujourd'hui, entraînent le pays dans des difficultés grandissantes.

A. Ardisson : Dernière chose, on voit une croissance nulle de l'emploi sur ces dix derniers mois. Il y avait des aides octroyées par le Gouvernement, aides qu'il a décidé de rogner alors est-ce qu'il a raison puisque cela ne sert à rien ?

L. Viannet : Je crois qu'il y a deux choses. Depuis le début, la CGT a dit très nettement que la conception qu'avait le Gouvernement de ce qu'il appelle les aides à l'emploi – et qui ne sont pas des aides à l'emploi mais des aides aux entreprises – c'est de l'argent que l'on met à la disposition des entreprises. Depuis le début, nous avons dit que cela n'aurait pas d'incidence réelle sur le niveau de création d'emplois dans ce pays. On est en train de le vérifier. La véritable question qui est posée est : est-ce que oui ou non, le Gouvernement est décidé à utiliser cet argent pour favoriser la relance économique avec une certaine relance de la consommation et une redynamisation de l’ensemble des mécanismes économiques de ce pays ? Parce que là est la véritable question.


Les Échos - 19 août 1996

Les Échos : Pendant l'été, Marc Blondel (FO) et vous-même êtes intervenus sur des sujets, respectivement l'amiante et les sans-papiers, où l'on n'attend pas, habituellement, les syndicats. En ce qui vous concerne, cela correspond-il à une stratégie particulière ?

Louis Viannet : Notre engagement sur le dossier sensible des sans-papiers est conforme aux valeurs de solidarité qui ont marqué l'histoire du syndicalisme CGT. Elles s'expriment aujourd'hui envers des hommes et des femmes qui ne sont pas des coupables, mais des victimes. Cet acharnement contre des travailleurs qui, pour la plupart d'entre eux, ont eu un permis de séjour et ont un emploi, un logement est insupportable. Le gouvernement fait beaucoup d'efforts pour légitimer son comportement par sa volonté de lutter contre l'immigration clandestine, le travail illégal. Il ne s'agit pas de cela. Il s'agit d'hommes et de femmes qui se retrouvent dans une situation que le gouvernement veut présenter comme illégale à partir d'une application rétroactive des lois Pasqua. À plusieurs reprises, nous avons transmis au gouvernement des dossiers sur de grandes entreprises qui bénéficient du travail clandestin ; or rien n'a été fait, aucune mesure n'a été prise.

Les Échos : En commentant, récemment, les orientations du gouvernement sur les dépenses budgétaires, vous avez annonce des « rendez-vous sociaux agités » pour la rentrée. Qu'entendez-vous précisément par là ?

Louis Viannet : J'observe que le gouvernement a inversé ses priorités puisqu'on est passé du développement de l'emploi à la réduction des déficits publics. D'abord, c'est une fuite en avant qui se fait par une politique. Ensuite, c'est une gageure parce que ces choix vont continuer de freiner la consommation et l'investissement ; c'est la politique du chien qui cherche à se mordre la queue. Il est aujourd'hui certain que les salariés n'accepteront pas les conséquences des orientations que fixe le gouvernement.

Les Échos : La CGT appellera à une mobilisation en septembre ?

Louis Viannet : Tout à fait, et nous allons le faire avec le souci de favoriser toutes les convergences entre les secteurs et l'unité d'action syndicale.

Les Échos : Force ouvrière a prévu un rassemblement national le 21 septembre. Pourriez-vous vous joindre à cette initiative ?

Louis Viannet : Ce n'est pas forcément le meilleur moment, mais ce peut être une étape, un tremplin. Nous étudierons avec les salariés comment nous situer par rapport à cette perspective. Il y a, déjà, d'autres rendez-vous fixés, notamment la réunion, début septembre, des fédérations des finances. Et un mouvement se dessine dans l'Éducation nationale. Cela peut créer les conditions d'une riposte plus générale du secteur public au sens large, car les cheminots, les salariés d'EDF-GDF et bien d'autres ne vont sûrement pas rester les deux pieds dans le même sabot ; ni d'ailleurs ceux du privé.

Les Échos : Lors du mouvement social de novembre et décembre derniers vous aviez échoué à fédérer les revendications du public et du privé. Espérez-vous, cette fois, y parvenir ?

Louis Viannet : Je ne parlerais pas d'échec. En novembre et décembre, nous avons été confrontés à un décalage de prise de conscience entre le secteur public, qui était déjà en alerte, et le privé. Aujourd'hui, tous les salariés se rendent compte que l'absence de réaction collective ne fait qu'ajouter aux difficultés. En tout cas, la CGT fera tout pour faire converger les actions du public et du privé.

Les Échos : Pour la fonction publique, le gouvernement a nettement révisé à la baisse ses objectifs de réduction d'effectifs. Vous n'êtes pas sensible à ce geste ?

Louis Viannet : Le gouvernement a pris conscience des conséquences que cela risquait d'entraîner. Mais de 6 500 à 7 000 suppressions de poste, cela reste inacceptable, parce que cela repose sur une démarche d'ensemble dangereuse.

Les Échos : Le gouvernement a entamé un tri dans les aides à l'emploi. Quelle appréciation portez-vous sur cette réforme ?

Louis Viannet : Ce ne sont pas des aides à l'emploi mais des aides aux entreprises. Elles reposent sur le postulat selon lequel le coût du travail, en particulier non qualifié, est à l'origine du chômage. Pour l'essentiel, elles ont eu des effets pervers et personne n'est en mesure de démontrer qu'elles ont permis de créer des emplois supplémentaires.

S'il s'agit simplement de supprimer des aides qui existent sans imaginer d'autres pistes, sans sortir des sentiers battus, ce sera un coup d'épée dans l'eau et la situation continuera de s'aggraver.

La vraie question, c'est l'utilisation de l'argent. Il faut approfondir la piste de la réduction de la durée du travail, mais en mettant toutes les cartes sur la table. Actuellement, l'objectif numéro un du patronat n'est pas de réduire la durée mais d'aménager le temps de travail pour développer la flexibilité, assouplir encore plus les conditions d'utilisation des salariés et multiplier le temps partiel. Or, le temps partiel, c'est du chômage partiel qui ne veut pas dire son nom, c'est une forme perverse de réduction imposée de la durée du travail que l'on fait payer aux salariés.

De toute manière, le gouvernement et le patronat n'échapperont pas à une mobilisation sur les salaires. À ce sujet, j'ai été très sensible à la manière exemplaire dont, à Nice, les salariés d'Air France ont conduit leur action. Elle illustre la détermination des salariés et les tensions qui vont se développer avec un patronat décidé à maintenir bec et ongles ses orientations.

Les Échos : Vos positions sur le temps de travail ne risquent-elles pas de vous mettre en marge d'accords qui pourraient être passés ?

Louis Viannet : On ne s'en sortira pas avec des demi-mesures. La preuve est faite, désormais, et l'histoire sociale le démontre amplement, qu'une réduction significative de la durée du travail nécessite une disposition législative et qu'elle ne peut être seulement le produit d'une discussion entre patronat et syndicats.

Jamais le patronat n'acceptera de plein gré une réduction de la durée du travail.

Les Échos : Précisément, comment jugez-vous la loi Robien qui favorise la réduction du temps de travail comme moyen d'assouplir des plans sociaux ? C'est, d'ailleurs, une piste expérimentée actuellement dans certains cas, tels que [mot illisible] et Moulinex ?

Louis Viannet : Tout ce qui peut aider à refréner les tendances à la cause de l'emploi que l'on voit se manifester doit être étudié. Mais cette loi ne vise pas à une réelle réduction de la durée du travail. Globalement, on reste dans une volonté de rechercher par tous les moyens des réductions d'effectifs.

Les Échos : La présidence de l'Unedic, renouvelable en septembre, est l'enjeu d'une rivalité entre FO et la CFDT. Comment jugez-vous cette compétition et quelle position la CGT, qui siège au conseil d'administration, prendra-t-elle ?

Louis Viannet : Comme pour les présidences des caisses de Sécurité sociale, je remarque que tout le monde trouve normal que le patronat soit le maître du jeu.

L'essentiel n'est pas de savoir qui va présider l'Unedic, mais si l'on va continuer à faire des économies sur le dos des chômeurs ! Je rappelle que les excédents de l'Unedic sont le résultat des mesures de réduction des indemnités et du champ de couverture décidées il y a deux ans. La CGT se situera en fonction de ses conceptions et des positions des uns et des autres.

Les Échos : La convention Unedic doit être renégociée avant la fin de l'année. Demanderez-vous la remise en cause de l'allocation dégressive ou, moins radicalement, des aménagements du dispositif ?

Louis Viannet : Nous restons opposés, aux mesures pénalisantes qui ont été prises, mais il faudra aussi apprécier la situation en fonction du contexte ; ces négociations vont s'ouvrir alors que la situation de l'emploi va, à nouveau, se détériorer, et le problème des ressources de l'Unedic va donc se poser. Nous sommes bien décidés à demander des comptes au patronat.

Les Échos : Êtes-vous partisan de l'utilisation des excédents de l'Unedic pour étendre le dispositif « pré-retraite contre embauche » ?

Louis Viannet : Nous sommes favorables à une extension du champ d'application de ce dispositif, notamment afin de faire sauter certains verrous que peuvent mettre les employeurs. Nous ne sommes pas fermés à l'idée d'une utilisation des excédents pour étendre l'accord « pré-retraite contre embauche ». Les droits des chômeurs doivent être rétablis en priorité.

Je demande à voir ce que sera la situation financière de l'Unedic dans trois mois. Ces pistes ont été élaborées à une époque où l'on tablait sur une régression du chômage et il ne faudrait pas que, quelques mois plus tard, on demande une augmentation des cotisations chômage pour financer l'élargissement du dispositif.

Les Échos : Un débat aura lieu, cet automne, sur le financement de la Sécurité sociale. Comment comptez-vous l'aborder, au regard, notamment, du projet du gouvernement de transférer une partie de la cotisation maladie des salariés sur un prélèvement à assiette plus large intégrant des revenus de l'épargne ?

Louis Viannet : Le gouvernement a essayé de faire croire qu'il allait résoudre le déficit de la Sécurité sociale en s'attaquant aux dépenses, alors que celle-ci est confrontée à un problème de recette, dû au niveau du chômage et à l'insuffisance des salaires. On avait déjà essayé de nous faire avaler la contribution sociale généralisée (CSG) en nous expliquant qu'on ferait participer des revenus du capital.

Mais la CSG, c'est du pâté d'alouette : à plus de 90 %, elle repose sur les revenus des travailleurs. Si le gouvernement veut nous refaire le coup avec une prétendue réforme du financement, il doit s'attendre à des réactions très fortes. Il ne faudrait pas croire que les objectifs du mouvement de novembre et décembre derniers appartiennent au passé ; c'est une bataille qui continue.


France 3 - mercredi 28 août 1996

France 3 : Pensez-vous que les bonnes résolutions du Gouvernement suffiront à apaiser le climat de la rentrée ?

L. Viannet : Vous savez, quand on est dans une situation comme celle que nous connaissons aujourd'hui, la méthode Coué, ça ne marche pas. Lorsque le Premier ministre appelle les ministres à passer à la vitesse supérieure, ce qui m'intéresse, c'est de passer à la vitesse supérieure pour faire quoi ? Si c'est comme l'a indiqué le Président de la République et répété le Premier ministre, pour maintenir le cap, alors il faut poser la question : ce cap nous emmène où ? Où dans le domaine de l'emploi ? Puisque nous sommes maintenant à un taux de chômage qui retrouve des niveaux inquiétants que nous avions quittés depuis déjà un certain nombre d'années. Et nous sommes à la veille où vont tomber ce que l'on appelle des plans sociaux qui ne sont rien d'autre que des plans de suppression d'emploi et de licenciement qui nous font dire que d'ici la fin de l'année, le nombre de suppressions d'emplois industriels va dépasser les 100 000, si rien n'est fait pour stopper ce processus. Je dis très sérieusement : casse-cou. Parce que nous avons des régions où la suppression d'un emploi industriel va se traduire par deux, trois, quatre emplois périphériques.

France 3 : Quand vous parlez de rentrée sociale agitée, est-ce que vous ne criez pas aux loups avant que quoi que ce soit ne se soit passé ?

France 3 : Il y a effectivement des moments où on peut être tenté de crier plus fort que l'on a mal. Il y a des moments où je considère et c'est le cas en ce moment, où l'on crie moins fort que représentent les dégâts pour les salariés les mesures gouvernementales.

France 3 : Vous parlez de mobilisation ou même d'action, quel genre, dans quel genre de secteur ? Il faut être concret ?

L. Viannet : Oui, mais il ne faut pas écrire l'histoire avant qu'elle se déroule. Je pars d'abord du constat suivant : les mois d'été que nous venons de traverser n'ont pas été des mois sereins du point de vue social. Le nombre de luttes qui se sont déroulées aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé, sont complètement inhabituels pour une saison comme celle-là. Et des luttes qui font grandir la confiance parce qu'elles ont permis – je pense à Myris – d'empêcher des plans de licenciement et de fermeture de se réaliser. Elles ont permis au personnel d'Air France d'imposer des satisfactions en matière de salaire. Bref, elles donnent confiance. Elles montrent que l'action collective paye. Elles montrent que si on se prend par la main et que si on se met ensemble, que si on tape ensemble sur la table, on peut se faire écouter.

France 3 : Est-ce que vous êtes prêt à mener une action commune avec FO et la CFDT ?

L. Viannet : Il n'y a pas encore eu de rencontre entre les grands syndicats.

France 3 : Mais vous la souhaitez ?

L. Viannet : Non seulement je la souhaite mais je pense que le syndicalisme est aujourd'hui au pied du mur. Il y va de sa crédibilité. Si devant des dossiers aussi lourds, avec des perspectives aussi graves pour les salariés, les syndicats ne font pas l'effort pour dépasser les divergences ou les différences d'approche et ne pas rechercher à se rassembler et se réunir sur les points sur lesquels ils sont d'accord, alors je pense que le syndicalisme y perdra de son crédit. Mais je dois vous dire que pour ce qui concerne la CGT et pour ce qui me concerne personnellement, je ferai tout pour que nous puissions travailler ensemble à la constitution d'un mouvement social qui oblige et le Gouvernement d'un côté et les employeurs, les directions d'entreprise de l'autre, à écouter ce que disent aujourd'hui les salariés. Et ce que disent aujourd'hui les salariés, c'est que ça ne peut plus durer comme ça.