Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, à RTL le 28 avril 1998, sur le projet de loi réformant le statut des polices municipales et l'application des mesures de reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle : Aujourd’hui les députés débattent de votre projet de loi sur les polices municipales qui restreint les missions de nuit et pose le principe de l'interdiction de l'armement de ces policiers municipaux. Ne croyez-vous pas qu'ils jouent un rôle crucial contre la délinquance ?

J.-P. Chevènement : Non. C'est une présentation qui n'est pas bonne. Je crois que les polices municipales peuvent jouer un rôle tout à fait utile dans la sécurité de proximité. D'ailleurs, le projet de loi que je vais présenter au Parlement vise à étendre · dans certains domaines leurs attributions. Par ailleurs, le principe du non-armement est posé, mais aussitôt, un tempérament est apporté, sauf lorsque certaines missions l'exigent aux yeux du maire et dans le cadre d'un règlement de coordination.

O. Mazerolle : L'armement se fera donc au coup par coup ?

J.-P. Chevènement : Non. Disons qu'il y a une situation où à peu près un tiers des polices municipales sont armées. D'abord, je voudrais rappeler qu'il y a 120 000 policiers nationaux et 12 500 à 13 000 policiers municipaux. Cela montre à quel point la polémique est artificielle et, disons, politicienne. Le fond de l'affaire, c'est que nous voulons qu'il y' ait une bonne coordination entre tous les acteurs de la sécurité. Mais moi, non seulement je ne nie pas, mais je crois sincèrement que les polices municipales peuvent jouer un rôle quand les maires le décident, -parce qu'elles sont facultatives. Je voudrais simplement vous rappeler que seules 25 villes ont une police municipale dont l'effectif excède 50 : sur 3 000 polices municipales, 2 500 ont moins de 5 agents. Donc, ramenons ce problème à ses justes proportions.

O. Mazerolle : Pour revenir sur la question de l'armement, est-ce que cette autorisation sera donnée au coup par coup ou bien est-ce une autorisation permanente ?

J.-P. Chevènement : Disons que ceux qui sont armés aujourd'hui et qui tiennent à le rester le pourront dès lors que le règlement de coordination le précisera correctement. Je suis naturellement prêt à écouter ce que suggéreront les députés. Nous trouverons - j'en suis absolument convaincu – les formulations adéquates.

O. Mazerolle : Pourquoi avoir relancé ce débat sur les polices municipales ?

J.-P. Chevènement : Ce n'est pas moi qui l'ai relancé. Je vous rappelle que l'avant-projet a été publié dans les colonnes du Figaro.

O. Mazerolle : Vous avez reçu récemment un rapport .de J. Genthial, inspecteur général de la police en retraite, qui dit que dans le fond, il n’y a eu que quatre à cinq bavures en 17 ans parmi les polices municipales.

J.-P. Chevènement : Justement. C'est moi qui ai demandé ce rapport à J. Genthial. C'est un rapport utile qui d'ailleurs pose le principe du non-armement, principe auquel j'apporte le correctif que je viens de dire, sauf si le règlement de coordination prévoit que pour certaines missions elles peuvent être armées. Mais le rapport Genthial souligne globalement que les polices municipales font bien leur travail, malgré certaines dérives exceptionnelles, il est vrai, enregistrées ici et là. Chacun se souvient de telle ville du sud-est où on avait pu l'observer.

O. Mazerolle : Les procureurs peuvent agir, ainsi que les préfets.

J.-P. Chevènement : C'est difficile quand une situation de fait s'est créée. Prenons le cas de policiers municipaux qui, à Vitrolles, ont tabassé des camionneurs en grève, puisque c'est le fait auquel je pensais : on peut toujours intervenir, naturellement, mais c'est a posteriori. Or il vaut mieux que les choses soient clarifiées dès le départ ; c'est l'objet de ce projet de loi qui fait, suite à un projet de loi Quilès, à un projet de loi Pasqua, repris par J.-L. Debré. Donc, je dirais qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil !

O. Mazerolle : M. Genthial vous dit aussi une chose qui a da vous secouer un peu : les polices municipales font de la proximité, elles sont sur le terrain, ce que ne fait plus la police nationale, malgré les slogans qu'on nous assène.

J.-P. Chevènement : La politique du Gouvernement a été clairement fixée à Villepinte par le Premier ministre : nous avons une politique qui s'énonce en trois mots : citoyenneté, proximité, efficacité de la coopération avec la justice. La proximité : toute la police nationale a pour mission d'être plus proche de la population. C'est ainsi que la réforme de la préfecture de police à Paris a été lancée il y a quelques semaines. Partout ailleurs, l'affectation d'adjoints de sécurité permet de renforcer les départements les plus sensibles.

O. Mazerolle : Hier, vous avez annoncé un redéploiement. Mais quand en verra-t-on les effets ? Quand va-t-on voir les policiers et les gendarmes dans les quartiers où on reçoit sans arrêt des coups de fil qui nous disent « Ils ne viennent pas quand on les appelle ! » ?

J.-P. Chevènement : Permettez-moi de vous dire que cela prend forcément du temps, parce que ce redéploiement géographique va permettre de libérer 5 000 policiers et 1 200 gendarmes à échéance de trois ans. Mais c'est un élément dans une politique d'ensemble qui vise à affecter les moyens là où ils sont nécessaires. C'est le principe du service public. Je pense que les polices municipales ne doivent pas porter atteinte au principe du service public qui est l'égalité de tous les citoyens devant la sécurité, le droit à la sécurité, qu'on appelait sûreté sous la Révolution française. Eh bien, tous les efforts sont faits pour développer cette sécurité de proximité à travers notamment l'ilotage pédestre, le contact de la police et de la population, car l'évolution des polices vers une très grande spécialisation en soi est une bonne chose. Mais il ne faut pas que cela retire les moyens d'avoir ce contact privilégié avec la population qui, en dernier ressort, fait aussi l'efficacité de l'action de la police.

O. Mazerolle : Les immigrés en situation irrégulière : on a finalement appris qu'un accord était intervenu avec Air France. Vous avez négocié avec Air France pour que la compagnie nationale rapatrie ces immigrés en situation irrégulière ?

J.-P. Chevènement : Non. Tout cela, c'est une bulle médiatique, parce que le matin, on annonce qu'il y a un accord ; l'après-midi, qu'il est suspendu, ou le contraire, je ne sais plus !

O. Mazerolle : Il n’y a pas eu d'accord ?

J.-P. Chevènement : Non, absolument pas. Tout cela ne tient pas la route. Je voudrais simplement rappeler qu'aucun pays ne se dispense d'une législation sur le séjour. Tout individu qui, après l'expiration de son visa de trois mois, voudrait s'installer indéfiniment sur le territoire national se trouve en situation irrégulière, sauf à obtenir une carte de séjour. Cela, il n'y a pas un pays au monde qui n'ait pas cette législation. Il n'y a qu'en France où cela semble poser problème.

O. Mazerolle : Dans vos propos, vous dites qu’il y a en quelque sorte une provocation visant à ce qu'on fasse autre chose. Voulez-vous dire par là que, de toute façon, vous choisiriez plutôt les charters que de ne pas appliquer les mesures de reconduite ?

J.-P. Chevènement : Je voudrais pointer l'inconséquence de ceux qui, en s'opposant à des reconduites sur des vols réguliers - dont je voudrais vous dire que les trois quarts se font sans escorte policière, simplement avec de la bonne volonté... Si on ne peut pas prendre des vols réguliers, on sera· amené à utiliser des affrètements spéciaux.

O. Mazerolle : Vous serez amené à le faire ?

J.-P. Chevènement : C'est la logique de cette obstruction. De la même manière, je m'efforce d'assouplir le régime des visas en provenance de toute une série de pays du Maghreb, d'Afrique noire et d'ailleurs. Mais chacun comprend bien qu'on ne peut pas doubler, voire tripler le nombre des visas si, en même temps, il n'y a pas une politique ferme sur le plan du droit au séjour. Par conséquent, il faut que les gens se mettent dans la tête que quiconque le veut n'a pas un droit imprescriptible à s'installer durablement sur le territoire national. C'est quand même le bon sens.

O. Mazerolle : Dernier sujet : l'euro, qui va être adopté ce week-end. Vous avez récemment dit que l'euro c'est le Titanic. Alors, on coule ce week-end ?

J.-P. Chevènement : Non. C'était d'ailleurs avant que l'Assemblée nationale ne se prononce. J'ai fait cette comparaison devant mes amis le 5 avril. J'ai dit que nous étions embarqués, que nous allions quitter Southampton ou Cherbourg, mais que nous n'avions pas rencontré la glace et qu'il fallait donc l'éviter, et qu'il valait mieux pour cela se tenir près du gouvernail pour pouvoir donner le coup de barre salvateur, ou à la proue du navire pour distinguer dans l'obscurité s'il n'y avait pas un obstacle à l'horizon.

O. Mazerolle : Vous êtes toujours à la proue, la vigie qui dit « Attention ! » ?

J.-P. Chevènement : Voilà. Nous sommes solidaires de l'équipage. Nous sommes les plus vigilants.