Texte intégral
J.-P. Elkabbach : Pour la presse, J. Chirac a plutôt réussi son opération : l'Européen, c'est moi. Et M. Chirac dit : les peurs face à l'Europe sont infondées et excessives, est-ce que le Président vous a rassuré ?
J.-P. Chevènement : Je constate que le Président de la République a recouvert du manteau de Noé, enfin du drapeau européen si vous préférez, les divisions de son camp...
J.-P. Elkabbach : Et peut-être même du vôtre ?
J.-P. Chevènement : … l’implosion de la droite. Non, je pense qu'il n'y a rien de comparable entre ce qui se passe à droite et je dirais un débat bien connu à gauche qui n'entame nullement la solidarité fondamentale de toutes les composantes de la gauche. Non, je crois, J. Chirac n'a pas toujours été de l'avis qu'il a exprimé hier, je rappelle que le 3 avril 1990, il manifestait son opposition à la monnaie unique. Il faut bien, disait-il, que les Français sachent les conséquences, cela veut dire que nous n'aurions-plus de politique budgétaire nationale, notre Budget serait en réalité géré par les bureaucrates de Bruxelles, nous n'aurions plus de politique sociale indépendante, nous n'aurions plus de RMI par exemple, nous n'aurions plus de politique de défense indépendante. C'est non.
J.-P. Elkabbach : C'était il y a huit ans.
J.-P. Chevènement : C'était il y a huit ans.
J.-P. Elkabbach : Et maintenant il est au pouvoir, il pense qu'il peut faire comme vous, faire avancer les choses et les faire avancer dans le sens qui est plus favorable aux intérêts de la nation, de la République en France. Non et… ?
J.-P. Chevènement : On a le droit de changer, mais à ce moment-là, il aurait mieux valu qu'il cita J. Monnet plutôt que le Général de Gaulle.
J.-P. Elkabbach : La presse allemande cite une phrase que vous avez dite : « l'euro c'est le Titanic ». Vous vouliez dire quoi ?
J.-P. Chevènement : Ecoutez, c'est une conversation à déjeuner il y a quelques jours avec un journaliste allemand auquel j'ai fredonné la mélodie que jouait l'orchestre sur le Titanic, « Plus près de Toi mon dieu. »…
J.-P. Elkabbach : Je ne m’en souviens pas, c'est comment ?
J.-P. Chevènement : … Plus près de Toi mon Dieu, plus près de Toi... Et ça illustre si vous voulez une foi européenne certes respectable comme toute foi, mais on aimerait que des dirigeants républicains argumentent et expliquent très exactement pourquoi l'Europe progresserait vers la croissance, l'emploi grâce à l'euro. Alors l'image du Titanic, nous sommes dessus, ça veut simplement dire qu'à partir du moment où nous avons levé l'ancre, nous devons être particulièrement vigilants. Et j'ai même eu l'occasion de dire qu'il fallait se tenir en vigie près de la proue du navire pour scruter l’obscurité, discerner dans l’ombre…
J.-P. Elkabbach : C'est-à-dire que c'est un Titanic qui éviterait les icebergs et qui arriverait à bon port !?
J.-P. Chevènement : Il vaudrait mieux en effet être plus vigilant que ne l'ont été le commandant, le pilote, le constructeur qui - je vous le rappelle - ont en quelque sorte fait marcher le Titanic à toute vapeur pour arriver avant l'heure prévue, ce qui ne lui a pas donné le temps de la manœuvre. Le principe de précaution s'applique aussi en matière européenne. Calmos.
J.-P. Elkabbach : Si l'Europe continue de progresser, vous restez à bord du Titanic dans le Gouvernement Jospin ou non, ou alors vous l'ouvrez et cette fois toute grande ?
J.-P. Chevènement : Soyons clairs. Je fais confiance au bon sens et à l'intégrité de L. Jospin. Je pense qu'il faut éviter de faire des promesses comme celles qui ont été faites lors de la campagne présidentielle de 1995 pour, six mois après, donner un coup de barre en sens inverse.
J.-P. Elkabbach : Donc vous restez ?
J.-P. Chevènement : Donc je pense qu'il vaut mieux peser de l'intérieur, je le crois, c'est préférable pour éviter que le navire rencontre la réalité, en l'occurrence, ce sera l'iceberg.
J.-P. Elkabbach : Et l'eau est trop froide si on plonge comme ça du Titanic. Le mode de scrutin pour les prochaines élections européennes pourrait être modifié, on sent qu'il va être modifié vous êtes prêt ?
J.-P. Chevènement : Je ne vois pas tellement l'avantage de faire une proportionnelle dans des régions, petites ou grandes. Je pense que si on veut changer le mode de scrutin, autant aller vers 87 circonscriptions.
J.-P. Elkabbach : Vous pensez qu'il y a motif ou pas il référendum, ou que les Français participent déjà normalement au débat ?
J.-P. Chevènement : Non, Ils ne participent pas réellement au débat Je pense que tout ce qui permettrait de fonder la construction européenne sur le débat populaire, l'échange d'arguments serait bon.
J.-P. Elkabbach : La Corse : vous avez félicité hier la police qui a donc arrêté G. Georges, le tueur de jeunes femmes à Paris. Elle l'a trouvé au milieu de 11 millions d'habitants. La police ne pourrait pas arrêter parmi 220 000 Corses les assassins du préfet Erignac ?
J.-P. Chevènement : G. Georges a pu être arrêté grâce à des empreintes génétiques dont on avait conservé la trace. Ça a été un travail remarquable de la police judiciaire, je tiens aussi à saluer les deux policiers qui l'ont arrêté à la station de métro Place blanche. C'est du beau travail et il s'est passé quand même six ans entre le premier assassinat qu'a commis G. Georges et son arrestation.
J.-P. Elkabbach : C'est-à-dire que vous vous donnez 2004 pour arrêter...
J.-P. Chevènement : Non, non, il faudra faire le maximum. Le travail de police est un travail systématique qui...
J.-P. Elkabbach : Vous êtes sur des pistes ?
J.-P. Chevènement : … demande le dépouillement de milliers, de dizaines de milliers, de centaines de milliers de données. Oui, nous sommes sur des pistes.
J.-P. Elkabbach : Lesquelles ?
J.-P. Chevènement : Ah, ça je ne peux pas vous le dire. Je vous le dirai quand les assassins seront démasqués.
J.-P. Elkabbach : Ils sont en Corse ou sur le continent ?
J.-P. Chevènement : Ils voyagent !
J.-P. Elkabbach : Donc ils peuvent être sur le continent aujourd’hui ?
J.-P. Chevènement : Ça peut arriver.
J.-P. Elkabbach : Y a-t-il des complices qui les protègent en Corse ?
J.-P. Chevènement : Il y a des complices, c'est évident.
J.-P. Elkabbach : Mais qui les protège.
J.-P. Chevènement : Nous les ferons parler.
J.-P. Elkabbach : Vous avez les moyens comme on dit.
J.-P. Chevènement : Je pense que l'Etat, s'il a la volonté, a des moyens. L'Etat doit inscrire son action dans la durée. Il prend d'ailleurs les moyens d'une politique ferme. Je crois qu'il s'agit de faire en sorte que, en Corse comme ailleurs, s'applique les lois de la République. En Corse comme en Dordogne, comme dans le Morbihan il faut que la loi républicaine soit respectée, donc il faut qu'il y ait une mise à plat Il faut bien comprendre que le but n'est pas de faire quelque amalgame que ce soit entre nos concitoyens corses et un certain nombre de groupes politico-mafieux, mais c'est de faire que cessent un certain nombre de pratiques inacceptables.
J.-P. Elkabbach : Et vous irez jusqu'au bout, c'est-à-dire que s'il y a des réseaux liés à des politiques connus, on les coupera ?
J.-P. Chevènement : Ce n'est pas une affaire ni de droite ni de gauche. N'attendez pas de moi que je ne politise jamais ce dossier. Je pense que ce dont la Corse a besoin c'est de règles simples et claires, c'est ce qu'attendent nos concitoyens de Corse. La Corse en a besoin pour son propre développement.
J.-P. Elkabbach : Donc on peut s'attendre, même si c'est une action continue, à de nouvelles mutations, à de nouvelles nominations ?
J.-P. Chevènement : C'est la marche normale de l'Etat et je veux préciser que des fonctionnaires, qui ont tout à fait bien servi peuvent trouver une autre affectation sans que cela entraine aucun désaveu de la part des pouvoirs publics. Donc il y a une nécessité, à un certain moment, de faire des mutations, de resserrer les boulons, et de repartir du bon pied.
J.-P. Elkabbach : A propos des sans-papiers, l'opération de régularisation se terminant dans 13 jours, vous accepterez de la prolonger de quelques semaines ou de donner une sorte de sursis ou de moratoire ?
J.-P. Chevènement : Oui bien sûr, compte tenu du retard qui a été pris dans les préfectures les plus chargées, on peut se donner quelques semaines supplémentaires, disons jusqu'à la fin du mois de mai. Là encore je veux préciser qu'il faut des règles, des règles simples, claires, humaines. On n'a pas dit ce qu'étaient les avancées de projet de loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers ; qu'il s'agisse du droit de vivre en famille, de la parfaite égalité des droits sociaux avec les citoyens français ; qu'il s'agisse de la suppression de toute une série de tracasseries inutiles, par exemple le certificat d'hébergement dont on a entendu beaucoup parler au moment de la loi Debré. Tout cela, la loi le réalise. Il y a en même temps des régularisations qui se font sur la base de critères qui ont été définis, admis, estimés souhaitables en 1996-1997 par les médiateurs de Saint-Bernard, par la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Pourquoi ce qui était bon il y a un an, deviendrait mauvais aujourd’hui ?
J.-P. Elkabbach : Sur différents plans on voit bien que l'idéalisme abstrait ne vous convient pas pensez-vous qu'une des digues contre le Front national c'est aussi le ministère de l’intérieur ?
J.-P. Chevènement : Mais je pense que, en effet, c'est l'affirmation de la loi républicaine. Ce n'est pas en foulant au pied la loi qu’on peut contenir les peurs plus ou moins raisonnables, plus ou moins irraisonnées, mais de couches populaires qui se sentent à l'abandon. Je pense que notre peuple a besoin de règles humaines mais fermes, claires, en tout domaine ; qu'il s'agisse de la sécurité, qu'il s'agisse de l'immigration, qu'il s'agisse de la protection sociale, qu'il s'agisse de l'identité nationale, telle que nous la comprenons, la France étant une communauté de citoyens.
J.-P. Elkabbach : Les Anglais ouvrent aujourd'hui une prison réservée aux mineurs délinquants. Est-ce une solution pour le ministre de l'Intérieur Chevènement ?
J.-P. Chevènement : Non, ce que je peux en voir m'amène à penser que la prison pour les adolescents n'est pas une bonne solution. Je suis partisan de solutions d'éloignement pour les multirécidivistes.'
J.-P. Elkabbach : Vers où les éloigne-t-on ?
J.-P. Chevènement : Par exemple on peut ouvrir ou rouvrir certains internats, y compris de l'Education nationale, dans les villes éloignées. Je pense que la vraie sanction c'est un éloignement pour une période assez longue des cités où un certain nombre de petits caïds croient pouvoir faire la loi. Ça je crois que ça sera beaucoup plus efficace que la prison.
J.-P. Elkabbach : Et ça peut être fait rapidement ?
J.-P. Chevènement : Et ça peut être fait très rapidement.