Interviews de M. René Monory, président du Sénat, dans "Le Figaro" et à RTL le 22 avril 1998, et article dans "La Nouvelle République du Centre Ouest" du 29, sur les propos de Lionel Jospin traitant de la réforme du scrutin et décrivant le Sénat comme "une anomalie parmi les démocraties".

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Circonstance : Interview de M. Lionel Jospin dans "Le Monde" du 20 avril 1998

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission L'Invité de RTL - La Nouvelle République du Centre Ouest - Le Figaro - RTL

Texte intégral

Le Figaro, 22 avril 1998

Le Figaro : Avez-vous été choqué par les petites phrases de Lionel Jospin accusant le Sénat d'être « une anomalie parmi les démocraties », « une survivance des chambres hautes conservatrices » ?

René Monory : M. Jospin s'est laissé emporter par des considérations politiques qui ne correspondent pas à celles d'un Premier ministre. Le fait que les sénateurs soient majoritairement dans l'opposition et obligent à un dialogue démocratique plus approfondi l'irrite visiblement. Pourtant, le premier devoir d'un Premier ministre est de faire vivre les institutions, toutes les institutions, dans le respect de la Constitution.

Le Figaro : Lionel Jospin veut réformer le mode d'élection des sénateurs en renforçant la proportionnelle et en modifiant le mode de désignation des grands électeurs. Êtes-vous carrément hostile à cette proposition ou prêt à en débattre ?

René Monory : Nous ne l'avons pas attendu pour nous réformer nous-mêmes. Cela fait longtemps que nous y réfléchissons. Après les prochaines élections sénatoriales, nous ferons nos propres suggestions. Tout le monde doit savoir évoluer. Le mode de scrutin des sénateurs pose des questions de fond qui concernent la communauté nationale. Nous sommes élus pour représenter le territoire, ce qui nous différencie de l'Assemblée nationale. Je m'interroge pour savoir si la démographie est le seul critère à prendre en compte pour notre élection. Nous menons des réflexions en ce sens au Sénat. Elles rejoignent nos travaux, plus importants encore, sur l'aménagement du territoire et le développement harmonieux des départements et des régions françaises.

Le Figaro : L'alternance est-elle possible au Sénat ?

René Monory : Dès qu'il y a élection, il y a une alternance possible. La composition actuelle du Sénat n'est pas seulement due à son mode d'élection, mais aussi à la réalité de la France du terrain, n'en déplaise aux socialistes. Après tout, je suis sûr que les Français sont heureux que tous les pouvoirs ne soient pas entre les mains de la même famille politique.

Le Figaro : D'autres modes de scrutin sont sur la sellette, pour les régionales et les européennes. Souhaitez-vous leur modification ?

René Monory : Je suis favorable depuis longtemps à des modes de scrutin qui permettent de dégager une majorité. Un scrutin de type municipal me paraît souhaitable pour les régions. Quant aux élections européennes, je souhaite que les députés européens soient élus au plus près du terrain, pourquoi pas dans le cadre de grandes régions. Ils représenteront ainsi beaucoup mieux les intérêts de leurs électeurs, pourront porter leurs préoccupations au niveau européen et mieux faire partager sur le terrain, la réalité de l'Union européenne.

Le Figaro : Sur le non-cumul des mandats, vous n'avez pas changé vos positions ?

René Monory : J'ai toujours soutenu le même point de vue. Il y a des cumuls complémentaires. Il est important qu'un député ou un sénateur puisse aussi exercer une responsabilité locale. C'est essentiel pour le Parlement où doivent siéger des élus qui ne soient pas coupés des réalités et de la vie quotidienne des Français.

En revanche, il me paraît normal qu'un parlementaire français ne soit pas député européen, qu'on ne puisse exercer qu'une seule fonction exécutive locale à la fois, qu'on ne puisse être à la fois conseiller régional et général. Tout cela j'en conviens depuis longtemps. Mais je suis opposé au mandat unique car je ne souhaite pas des assemblées parlementaires composées d'apparatchiks parisiens.
On pourrait aussi aller plus loin concernant les ministres. Leur fonction au service du pays me semble incompatible avec l'exercice de toute autre responsabilité. J'approuve sans réserve le président Chirac sur cette proposition.

Enfin ne devrait-on pas s'interroger, comme l'ont fait déjà plusieurs parlementaires, sur l'égalité d'accès aux fonctions électives ? Elle n'est pas aujourd'hui assurée. Certains peuvent sans problème passer de la fonction publique à un mandat électif et retrouver un emploi garanti en cas d'échec électoral. D'autres, qui travaillent dans le privé, n'ont pas cette chance !
Voilà des sujets sur lesquels nous sommes prêts à débattre, sans a priori. Au-delà des modes et des affirmations un peu rapides, nous ne serons pas, sur ces sujets, les moins modernes !

Le Figaro : Êtes-vous favorable à une harmonisation de tous les mandats à cinq ans ?

René Monory : Pour le Sénat, la question ne se pose pas puisque notre Assemblée est renouvelée par tiers tous les trois ans. Cela amène un renouvellement permanent. D'ailleurs de plus en plus de jeunes candidats tentent leur chance au Sénat.

S'agissant du mandat présidentiel, vous ne m'ôterez pas de l'idée qu'en période de cohabitation cette proposition cache des arrière-pensées politiques. Du fait de cette situation institutionnelle particulière, je ne suis pas favorable à ce que cette question soit à l'ordre du jour.

Le Figaro : Et la parité hommes-femmes ?

René Monory : Je suis favorable à ce que les femmes accèdent davantage aux emplois publics et privés. J'ai moi-même nommée Simone Veil au Conseil constitutionnel. Constitutionnellement, rien n'empêche la promotion des femmes. Mais je suis hostile à ce qu'on singularise une partie du peuple français par des quotas. C'est la porte ouverte à d'autres revendications, tout aussi légitimes, émanant d'autres catégories de la population. Sur le plan juridique, c'est une hérésie qui risque de nous conduire très loin.

Le Figaro : Finalement, que pensez-vous de la modernisation de la vie politique entreprise par le président Chirac et le Premier ministre ?

René Monory : J'y suis favorable. C'est le président de la République, clef de voûte de nos institutions, qui est ici déterminant. Mais ne nous trompons pas de débat. Le véritable défi c'est la modernisation de notre économie. La monnaie unique et l'accroissement des échanges internationaux nous montrent tous les jours combien il est nécessaire de nous adapter en permanence aux nouvelles règles du jeu.

Le Figaro : L'économie française semble aujourd'hui bien marcher ?

René Monory : Le gouvernement bénéficie du travail fait par ses prédécesseurs et d'une conjoncture mondiale favorable. Je m'en réjouis. Mais cela ne doit pas nous empêcher de bien analyser la situation de la France.

Nous n'avons pas retrouvé les taux de croissance d'antan, le chômage ne diminue pas et nous n'investissons pas assez pour l'avenir. Dans le même temps, le déficit budgétaire est beaucoup trop élevé et la pression fiscale ne cesse de croître. Nous n'échapperons donc pas aux réformes nécessaires, même si elles sont douloureuses.

Je ne vois pas comment nous pourrions éviter, à brève échéance, les réformes que beaucoup de nos voisins ont engagées depuis longtemps et qui commencent à porter leurs fruits. Regardez ce qui se passe en Grande-Bretagne, en Italie ou en Espagne !

Le Figaro : Est-ce que vous croyez aux 600 000 emplois promis par le gouvernement en 98-99 ?

René Monory : Je souhaite qu'il réussisse, mais je doute que les mesures prises aient ces effets. Les 35 heures et les emplois-jeunes peuvent avoir un effet immédiat, mais ils coûtent très cher et ne me paraissent pas préparer l'avenir. Ce n'est pas en travaillant moins qu'on améliorera la productivité et la compétitivité de l'industrie françaises, c'est en travaillant différemment.

Personnellement, je suis favorable à une annualisation du temps de travail, discuté entreprise par entreprise et non à une loi-couperet. Le Sénat a fait des propositions constructives en ce sens et je regrette que le gouvernement n'ait pas jugé bon, pour des raisons politiques, de les prendre en compte.

C'est par des investissements massifs dans les activités du futur que nous créerons des emplois durables, généralement mieux rémunérés et plus intéressants. Le rôle du gouvernement est de favoriser l'investissement de ces capitaux dans ces secteurs porteurs. Or, la fiscalité est aujourd'hui dissuasive, la réglementation est excessive. Pour se lancer dans ces nouvelles activités, il faut franchir tellement d'obstacles que beaucoup hésitent. Or nous avons besoin d'entrepreneurs, notamment jeunes et décidés.

Le Figaro : Quelles vous semblent être les priorités actuelles ?

René Monory : Il faut libérer les initiatives et permettre aux capitaux de s'investir plus facilement dans les entreprises. C'est la raison pour laquelle la création de fonds de pension, par ailleurs indispensables au financement des retraites, me paraît inéluctable. Il faut alléger les charges qui pèsent sur les entreprises afin de mettre en oeuvre une vraie politique de soutien à l'activité et à l'emploi. Un vaste mouvement de réduction de la fiscalité, comme le font nos voisins, aurait un effet bénéfique sur l'emploi.

Le Figaro : Vous êtes l'un des principaux responsables de l'opposition, quel regard portez-vous sur la situation actuelle ?

René Monory : Une remise en cause était inévitable après la défaite des législatives. Les socialistes n'y ont pas échappé et ils ont longtemps donné le spectacle d'un grand désordre ! Je regrette ces déchirements, ils ne sont pas à la hauteur des enjeux du pays. Les hommes politiques doivent faire attention à ne jamais donner le sentiment qu'ils privilégient les querelles d'hommes sur les sujets de fond.

S'agissant de l'organisation de l'opposition, il est clair qu'elle doit demeurer structurée autour de deux grandes familles et que celles-ci doivent être unies autour d'un projet renouvelé pour le pays.

Il est temps, maintenant, de se mettre au travail, et de dégager entre nous les idées forces qui constitueront une alternative à la politique du gouvernement actuel. On voit bien sur quelles valeurs et vers quelles propositions d'avenir nous devons nous orienter.

L'UDF, pour sa part, devra y apporter sa part, européenne et décentralisatrice. Elle devra préserver son unité dans le respect des grands courants qui la compose.


RTL – mercredi 22 avril 1998

RTL : Lionel Jospin affirme que vous êtes le président d'une anomalie : c'est une agression ?

René Monory : C'est une agression, d'autant que ce n'est pas spontané. On peut toujours dans un discours, ou dans une discussion vive, se laisser aller à dire n'importe quoi. Tandis que là, cela a été très prémédité, écrit, pensé. Quand un Premier ministre attaque la Constitution telle qu'elle est faite aujourd'hui, cela devient très grave et c'est la raison pour laquelle les collègues du Sénat ont été très émus et très en colère. Ils le sont encore.

RTL : Ils vous demandent, pour certains, d'en appeler au président de la République ?

René Monory : J'ai d'ailleurs téléphoné au président de la République, hier soir, que j'ai rencontré rapidement, pour bien le mettre devant le fait qu'il est gardien de la Constitution, et qu'il ne peut pas laisser attaquer la Constitution et le Sénat, en particulier par le Premier ministre.

RTL : Il va agir ?

René Monory : Je ne sais pas ce qu'il fera. Tout au moins, je lui ai porté la réclamation des présidents des différents groupes de la majorité que je partage totalement.

RTL : Mais qu'attendez-vous de lui ?

René Monory : De toute façon, il va réagir sûrement. Je l'ai eu au téléphone et il n'est pas du tout content de cette agression. C'est une agression gratuite, d'autant que ce n'est pas du tout une anomalie. À partir du moment qu'il y a élection, il y a alternance possible. Je ne vois pas pourquoi… C'est à la gauche à se débrouiller d'avoir davantage d'élus. Dans la Constitution, nous sommes prévus pour représenter à la fois des électeurs, mais aussi le territoire. Je crois que c'est important. Vous savez que ce territoire, le jour où il sera complètement vide – et c'est la tendance actuelle, fort heureusement cela se rectifie en ce moment – et que tout le monde sera dans les villes, vous verrez le massacre que ce sera.

RTL : Mais tout de même : est-ce que vous trouvez normal que 8 % de Français qui vivent dans des villages de moins de 500 habitants disposent d'autant de sénateurs que les 30 % de gens qui vivent dans des villes de plus de 30 000 habitants ?

René Monory : Ce n'est pas tout à fait vrai. De toute façon, il y a longtemps qu'on y a réfléchi, à cela. Et le moment venu après les élections de septembre prochain, sûrement que le Sénat proposera une petite réforme dans ce domaine-là – qu'on augmente un peu la représentation des villes – c'est possible, qu'on passe peut-être à quatre sénateurs par département à la proportionnelle. Pourquoi pas ? Cela dit, ce n'est pas ce qui va changer fondamentalement les choses. Ce qui est important, c'est le travail que fait le Sénat. Le Sénat est aujourd'hui à la pointe du combat : le Sénat est sans doute aujourd'hui considéré dans l'Europe comme l'institution politique la plus moderne. Vous connaissez une institution politique, par exemple, aujourd'hui qui est capable de transmettre tous ses débats, tous ses colloques sur Internet, immédiatement, en temps réel ? Je crois que ce n'est pas possible.

RTL : Tout de même, on dit souvent : les sénateurs ce sont les sages, oui, mais ils sont un peu immobiles quand même !

René Monory : Ce n'est pas vrai du tout. Le travail que les sénateurs font sur le terrain est considérable. C'est la raison pour laquelle je me suis battu pour qu'au moins chaque sénateur ou chaque député puisse garder un mandat local, pour qu'il sache ce qui se passe sur le terrain. Quand on ne saura plus ce qui se passe, ce sera des apparatchiks avec une liste proportionnelle qui gouverneront le pays. Croyez-moi, si vous saviez ce que l'on fait : il y a tous les jours pratiquement un ou deux colloques au Sénat sur l'avenir. Et cela, il faut le faire. Sur la vie internationale, j'ai participé à la création d'une dizaine de sénats depuis que je suis président. Je reçois tous les chefs d'État, de gouvernement qui passent à Paris – et Dieu sait si cela est important – et les sénateurs vont en voyage – et je les envoie souvent exprès – pour travailler et parler de la France, parler du Sénat, parler de notre façon de travailler.

RTL : Mais si je vous demandais de définir le rôle du Sénat, vous me diriez quoi ?

René Monory : Mais le rôle du Sénat est considérable : c'est un peu le moteur, je dirais, de la Constitution, dans le sens où il temporise l'Assemblée. L'Assemblée nationale est élue sur un vent politique la plupart du temps. Le Sénat est beaucoup plus réfléchi. Il est élu par un corps électoral qui est déjà passé au crible de l'élection une première fois. Et le Sénat conforte les lois. Je vous ai dit que qu'autrefois, avant que M. Jospin n'arrive, 70 % des amendements qui allaient jusqu'au bout, venaient du Sénat dans les lois. J'aime autant vous dire qu'on mettait notre part et qu'on la mettra encore.

RTL : Vous iriez jusqu'à dire que le Sénat est la pointe de la rénovation ? Vous auriez des exemples à me fournir ?

René Monory : C'est sûr. Je vais vous donner un exemple : il y a plus de 1 000 ordinateurs au Sénat, par exemple. Tous les sénateurs disposent d'un ordinateur. Tout le personnel dispose d'un ordinateur. Il y a une direction de la technologie nouvelle. On a tous nos débats qui sont sur Internet. Cherchez une assemblée qui soit aussi moderne ! C'est demain, la vérité de cela.

RTL : Autre critique de Lionel Jospin : un mandat de neuf ans, c'est vraiment une rente de situation !

René Monory : En plus, c'est moins vrai pour le Sénat, puisque le Sénat est renouvelable par tiers tous les trois ans.

RTL : Mais individuellement un sénateur est là pour neuf ans, bien assis.

René Monory : Tous les trois ans, c'est quand même un appel d'air important parce que vous avez au moins la moitié des sénateurs qui sont renouvelables qui sont remplacés.

RTL : Comment allez-vous faire par rapport à Lionel Jospin parce que, dans le fond, il suffit que les députés de la gauche votent le changement du mode de scrutin pour les élections sénatoriales et vous serez battus. Vous ne pourrez rien faire.

René Monory : Non, c'est beaucoup plus compliqué que cela. D'ailleurs je vous dis qu'on fera notre proposition nous-mêmes sur le mode d'élection.

RTL : Mais comment vous pouvez contrer Lionel Jospin ?

René Monory : Ce n'est pas difficile : tout ce qui concerne les sénateurs, c'est une loi organique. Et bien sûr, vous ne pouvez pas à la fois changer le scrutin sans changer le nombre de sénateurs, puisque dans certains cas, au-delà de 250 000 par sénateur, vous devez en mettre un de plus. Il y a des départements qui sont dans ce cas-là. Donc on verra bien. On n'en est pas là. Et je vous assure que vous verrez que le Sénat a encore quelques moyens à sa disposition. C'est peut-être ce qui agace M. Jospin.

RTL : Vous ferez plier M. Jospin, comme le Sénat a fait plier, en son temps, le général de Gaulle ?

René Monory : Si on a fait plier le général de Gaulle – il était encore plus fort que M. Jospin – on devrait y arriver avec Lionel Jospin. Du moins, je le crois. N'oublions pas qu'il y a cinq ou six textes. C'est la première fois qu'un Premier ministre fait autant de textes de révision constitutionnelle en moins d'un an qui vont passer au Sénat. On sait que ces textes doivent être votés dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat, et après trouver trois cinquième des voix à Versailles. Je crois que le Sénat va exister, là encore.

RTL : Vous êtes en train de dire à Lionel Jospin : c'est du donnant-donnant ? Fichez-nous la paix, sinon…

René Monory : Non, pas du tout. Si les textes sont bons, on les votera ; s'ils ne sont pas bons, on ne les votera pas. Ce n'est pas un chantage, ce n'est pas du donnant-donnant avec Lionel Jospin. Je suis désolé, mais je dis la vérité. Le Sénat existe et il s'en apercevra.

RTL : Parlons un peu de l'opposition : on parle de l'euro. Le président de la République est pour l'euro, mais le RPR à l'Assemblée nationale va voter contre la résolution du passage à l'euro, et l'UDF vote pour. Vous y comprenez quelque chose, vous ?

René Monory : Ce que je n'ai pas bien compris, c'est pourquoi M. Jospin voulait coûte que coûte faire un vote à l'Assemblée nationale, puisque cela a été voté par le référendum, proposé à l'époque par le gouvernement et le président de la République. Il y a eu un vote solennel. Maintenant, ce sont les aménagements qu'il y a. Peut-être qu'en même temps, qu'il voulait faire approuver sa politique économique. C'est la raison pour laquelle le RPR, semble-t-il, est réticent. Cela dit, moi, je n'ai aucune résistance pour l'euro. En précisant bien que si on vote pour l'euro, on votera pour l'euro, et non pas pour la politique de Lionel Jospin.

RTL : Lionel Jospin dit : voilà, ma politique est en train de démontrer qu'on peut faire de la croissance et réduire les déficits en même temps ?

René Monory : Cela, j'attends de voir : je suis tout à fait d'accord. M. Jospin a bénéficié aujourd'hui – je m'en réjouis pour la France – d'une conjoncture favorable internationale. Ce que je regrette, c'est peut-être qu'on ait fait la dissolution parce qu'on aurait bénéficié sans doute de la même situation. Parce que c'est mondial actuellement. Tant mieux, on a bien besoin de cela !

Regardez ce que font la plupart des pays : ils profitent de cela pour réduire leurs déficits et réduire leurs dépenses publiques. Quelle est la grande difficulté de la France ? La France a une dépense publique qui progresse trop vite, et si on ne maîtrise pas ces dépenses publiques, on n'y arrivera pas. Là, aujourd'hui, il faudrait plutôt que de dépenser – je ne suis pas très chaud sur les 35 heures : je suis d'accord pour l'annualisation, mais pas pour les 35 heures ; je ne suis pas très chaud sur ces emplois dits « jeunes », car qu'est-ce qu'on en fera dans quatre ou cinq ans. Tout cela n'est pas très bon pour la politique française dans l'avenir. Ce que je crois, c'est que l'euro va être un gendarme formidable pour les différents chefs de gouvernement de la Communauté européenne, parce que l'euro demain, ce sera vraiment lui qui commandera, à mon avis, les hommes politiques et cela est important.

RTL : Vous êtes en train de confirmer les craintes de ceux qui disent : c'est la Banque centrale européenne qui va diriger…

René Monory : Il faut savoir ce que l'on veut. On rentre dans une monnaie unique en Europe. Cette monnaie, on ne peut pas la faire fluctuer pays par pays. Une fois qu'on aura accepté cette exigence, il faudra bien qu'on y reste. Si on n'y reste pas, alors là on deviendra un petit pays. Donc, cela veut dire que pour l'accepter, on ne pourra pas se permettre de faire des déficits n'importe comment, des relances n'importe comment il faudra qu'on ait une discipline. Tant mieux et moi j'en suis ravi, car notre pays doit subir la discipline que subissent les autres en ce moment.


La Nouvelle République du Centre-Ouest, mercredi 29 avril 1998

« Chaque fois qu'on remet en cause une institution de la République, je ne peux m'empêcher de penser qu'il y a mieux à faire pour répondre à l'attente des Français et apporter des solutions à leurs problèmes quotidiens, faire diminuer le chômage en remettant en marche notre économie, améliorer les conditions de vie.

« Mais après les propos maladroits de Lionel Jospin, il est normal que je réagisse sans exagérer pour autant ce qui n'était que dérapages et considérations politiques. À côté d'une Assemblée nationale qui doit représenter strictement l'image de la diversité des opinions politiques, soixante-douze pays du monde ont choisi de se doter d'une seconde chambre, représentant le territoire et les collectivités de base où l'on vit au quotidien. Ce n'est pas un hasard.

« La vraie démocratie exige le dialogue des institutions et deux assemblées font mieux la loi qu'une seule. Partager le pouvoir est peut-être un luxe, c'est surtout une nécessité lorsque les questions à résoudre sont compliquées, qu'elles imposent l'adhésion du plus grand nombre. Des points de vue différents sont nécessaires. Personne ne conteste plus le travail du Sénat. Sérieux, prospectif et moderne, seul parmi les institutions à s'intéresser à des dossiers qui concernent vraiment l'avenir du pays, comme les nouvelles technologies ou l'économie de demain, il apporte, chaque jour, souvent discrètement, sa part immense dans l'élaboration de la politique du pays.

« Plus proches des Français, plus concrets que beaucoup de responsables, les sénateurs sont des femmes et des hommes de bon sens. Les socialistes leur reprochent leur mode de scrutin, brutalement, comme s'ils voulaient aussi conquérir au Sénat une majorité qu'ils n'ont pas. Nous ne sommes pas opposés à des modifications que, depuis longtemps, nous avons en tête. Mais qu'on ne me dise pas que le scrutin indirect est inéquitable alors que c'est celui qui est utilisé pour élire le président des États-Unis. Qu'on ne nous dise pas que l'avenir étant réservé à la vie dans les grandes villes, celles-ci doivent avoir la priorité pour l'élection des sénateurs. 99 % des communes ont moins de 30 000 habitants et accueillent 68 % des Français. Elles doivent être défendues comme doit être défendu le souhait des Français de protéger et de développer l'espace et le territoire que tant de pays nous envient. C'est le rôle que la Constitution assigne au Sénat et il l'assume, de l'avis général, avec compétence et constance.

« Une conception de la politique, plus concrète, moins dogmatique, plus libre et plus moderne, voilà ce que le Sénat apporte aux institutions de la République ! Au-delà des querelles politiques, il importe que nos hommes politiques ne pensent qu'à moderniser le pays pour lui donner le maximum de chances d'affronter le troisième millénaire dans les meilleures conditions. Ne nous laissons pas distraire de cette tâche exaltante. Elle mérite toute notre énergie et notre imagination, l'engagement de tous et l'adhésion du plus grand nombre. »