Texte intégral
M. Strauss-Kahn : Mesdames et Messieurs, bonjour. Ce point de presse se fait dans des circonstances un peu particulières. En effet, dès lors qu’il a été annoncé que l’on ferait un bilan, vous êtes plus nombreux que d’habitude. C’est aussi pourquoi nous avons changé de salle. Ensuite, parce que ce bilan vient un peu tôt. Dans la mesure où je pars pour les États-Unis demain, il aurait été délicat de décaler cela de cinq ou six jours. Nous sommes donc un peu en avant sur l’horaire.
Après avoir parlé de ces éléments de bilan, suivront les éléments de points de presse traditionnels, hebdomadaires ou quasi hebdomadaires comme je le fais presque toutes les semaines. Nous prendrons, les uns et les autres, les questions que vous voudrez poser de façon plus traditionnelle et périodique.
À la sortie, un document vous sera distribué. Il reprend, de façon exhaustive, ce qu’a fait cette maison depuis un an. Je ne le reprendrai donc pas en détail. Vous aurez les différents éléments dont vous ferez ce que bon vous semble.
À la lecture de ce document, vous trouverez peut-être qu’il s’agit d’un exercice d’autosatisfaction. Tel n’est pas le but. L’objectif est simplement d’essayer de mettre en perspective ce qui a été fait, ce qui a été réussi, ce qui l’a été moins et, enfin, ce qui reste à faire. Il est évident que l’on a plutôt tendance à mettre l’accent sur les réussites plutôt que sur les échecs. Vous en feriez autant si vous faisiez le bilan de votre année. Il ne faut donc pas nous en vouloir.
C’est un bilan collectif et de deux manières : collectif au sens où c’est l’action du Gouvernement et que ce que nous faisons ici s’inscrit dans ce que le Premier ministre décide. En aucun cas, cela ne peut apparaître comme un travail séparé de ce que fait le Gouvernement, ce serait absurde.
Puis, c’est collectif aussi car dans chaque domaine d’action de ce ministère, Marylise Lebranchu, Christian Sautter, Christian Pierret, Jacques Dondoux interviennent, sachant qu’il n’est pas toujours aisé de faire le partage de ce qui ressort plutôt de l’un ou l’autre. Il arrive assez fréquemment que deux d’entre eux, et moi-même, soyons sur les mêmes sujets. Cela s’est vu, notamment à l’Assemblée à l’occasion de la discussion de différents projets de loi. Cela se voit aussi dans l’action quotidienne.
C’est vraiment un travail collectif et, par conséquent, vos critiques doivent être également collectives, étant entendu que je n’ai pas l’intention de les essuyer tout seul.
Notre sentiment principal, c’est qu’en un an, le contexte économique a quand même beaucoup changé et, d’abord, en termes de confiance. Vous connaissez, comme moi, les différents indicateurs dont je vous rappelle simplement les plus classiques. L’indicateur de confiance des ménages a augmenté de 20 points en un an. L’indicateur de confiance des entreprises, lui, a augmenté de 30 points sur la même période. Cela traduit, à tout le moins, que le climat psychologique, sachant que l’économie c’est beaucoup de psychologie, a changé.
Cela se traduit ou cela découle, je ne sais pas dans quel sens est la causalité, sans doute dans les deux d’ailleurs, d’une évolution économique et sociale assez sensible.
Sans reprendre trop de chiffres, car vous les trouverez tous dans le dossier, qu’il s’agisse du taux de croissance, dont il est aujourd’hui à peu près établi qu’il sera ce que nous prévoyions les uns les autres lorsque, Christian Sautter et moi, avons présenté la loi de Finances en septembre ou octobre dernier où à l’époque l’hypothèse selon laquelle la France serait en 1998 sur une borne de croissance de 3 % n’était pour le moins pas suivie par tout le monde. Certains souriaient même à l’optimisme béat et traditionnel des gouvernements quand ils présentent leur esquisse budgétaire.
Autour de janvier, cela a commencé à changer, sous vos plumes d’ailleurs. Puis, au niveau de l’opinion, les gens ont fini par y croire. À tel point que fin janvier, pendant le mouvement des chômeurs, le thème n’était plus « comment allez-vous faire pour avoir 3 % de croissance ? », mais « puisque vous avez 3 % de croissance, comment allez-vous faire pour dépenser autant d’argent ? »
La question était mal venue car notre budget ayant été construit sur 3 % de croissance, le fait que nous les ayons ne nous donne pas de marge de manœuvre.
Depuis, chacun a à peu près conscience que l’économie française est en effet sur cette pente. Elle est moins assurée pour 1999. Pour le moment, la prévision de croissance de l’un de nos services est de l’ordre de 2,8. C’est, à mon sens, une prévision prudente, sachant que l’année 1999 sera meilleure. Dans deux ou trois mois, nous aurons des prévisions plus assurées pour 1999 et donc meilleures. Pour le moment, je préfère rester sur ce niveau. Il reste qu’en termes de croissance, on voit que les changements sont apparus.
Si on veut aller plus fin que la croissance économique globale, au vu de la production industrielle, on constate 10 % de hausse en glissement d’avril 1997 à avril 1998. Si on regarde la consommation – vous avez pu lire ce matin sur les dépêches que les chiffres étaient tombés pour le mois d’avril –, 0,6 % de croissance de la consommation en avril, ce qui porte la croissance à 4,5 % en glissement en un an. C’est très supérieur même à ce que nous attendions.
Tout cela montre que l’aller-retour entre la confiance et sa traduction économique, ou bien les phénomènes économiques et la confiance qu’ils génèrent, fonctionne assez fortement.
Un certain nombre de décisions du Gouvernement n’y sont pas étrangères, qu’il s’agisse de décisions qui ont poussé à la croissance et qui l’ont soutenue – j’y reviendrai, mais je pense au SMIC et autres choses de ce genre –, ou qu’il s’agisse de décisions qui ont montré que nous tenions un cap ferme. Je pense notamment aux décisions concernant les finances publiques et le déficit budgétaire.
La conséquence de cela, c’est que le chômage depuis l’été a baissé de 140 000. Même si cela reste évidemment très insuffisant, c’est toutefois bon à prendre. Le taux de chômage, qui était resté stable entre janvier et août 97, a baissé d’août 97 à aujourd’hui de 12,6 à un seuil que l’on peut fixer l’échéance à 11,8 en fin d’année.
L’autre jour, j’ai lancé une ancienne formule à l’emporte-pièce, mais que je crois juste : si les choses se passent comme nous le prévoyons, nous aurons effacé la hausse du chômage du gouvernement Juppé entre maintenant et la fin de l’année 1998 et, qu’en 1999, nous aurons effacé la hausse du chômage due au gouvernement Balladur. Formule à peine polémique, mais qui reflète l’idée qu’à la fois le mouvement n’est pas suffisant, sachant que lorsque M. Balladur est arrivé au pouvoir le chômage existait et si fin 1999, nous n’arrivons qu’à retrouver ce niveau, nous n’aurons qu’effacé la hausse passée, mais pas encore provoqué une baisse suffisante. Cela traduit une inflexion de politique assez sensible.
À côté de cette dynamique économique et sociale, cette dynamique de la confiance, une troisième dynamique est clairement enclenchée comme le montrent les événements de ces dernières semaines, je veux parler de la dynamique européenne.
J’étais ce matin dans une école, dont je ne vous dirai pas le nom, mais vous découvrirez aisément qu’elle ne pouvait être que dans la ville dont je suis l’élu, comme le feront dans les semaines qui viennent dix mille agents du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, pour aller expliquer aux élèves de CM2 ce que sera l’euro, comment cela va se passer, ce qui va changer, etc.
C’est là une opération menée conjointement avec Claude Allègre et le ministère de l’Éducation nationale. Nous avons pensé, lui et moi, que les enfants âgés de 10 ans étaient le bon vecteur pour faire remonter vers les générations les plus âgées une information, un caractère un peu ludique de ce changement.
L’expérience faite ce matin, pendant à peu près une heure dans une classe, m’a montré que c’était sans doute un bon choix. Il est sûr, en tout cas, que la dynamique autour des questions européennes est devenue assez positive. Cela ne veut pas dire qu’il y a encore, comme dans certains pays, 70 ou 80 % des Français qui voient favorablement l’arrivée de l’euro. Nous n’en sommes pas à ces chiffres-là. Mais il est clair que toute l’incertitude qui pouvait exister, il y a encore un an, voire il y a six mois dans une certaine mesure, a complètement été balayée et qu’aujourd’hui, l’ensemble du pays se prépare à la mise en place de la monnaie unique au 1er janvier 1999 et à ses conséquences dans les années qui suivent.
Tout cela, c’est la partie autosatisfaction.
Évidemment, elle prend racine aussi dans un certain nombre d’autres actions, en dehors de la macro-économie que je viens d’évoquer, et qui touchent au domaine de chacun d’entre nous.
C’est vrai de ce que Jacques Bondoux fait en matière de commerce extérieur.
De ce point de vue, et c’est un point très important, on voit qu’en dépit de la reprise de l’économie française, nous n’avons pas une baisse de notre solde extérieur. Cela veut dire que nos exportations progressent à mesure de la progression des importations qui, elle, est entraînée par la reprise de la croissance.
Cela ne signifie pas, comme Je l’entends parfois, que la croissance continue d’être tirée par l’extérieur. Ce n’est pas vrai. 1997 a marqué un tournant de ce point de vue. La première moitié de 1997, comme 1996, faisait apparaître une croissance faible dont la plus grande part venait de l’extérieur. Pour la deuxième moitié de 1997, en particulier le dernier trimestre, et pour 1998, la contribution de l’extérieur à la croissance est devenue beaucoup plus faible dès lors que la contribution de l’économie domestique est devenue beaucoup plus forte.
Il reste que l’on aurait pu craindre, dans une période de reprise de la croissance, que la montée des importations, notamment en matière de biens d’équipement, mais aussi de biens consommation que la reprise entraîne généralement, serait à l’origine d’un effondrement même partiel du solde extérieure. Ce n’est pas le cas.
Si nous avons, comme je l’espère, plusieurs années de croissance, nous verrons sans doute le solde extérieur fléchir et cela sera normal. Mais pour le moment, les exportations suffisent, car la croissance existe partout, pour repartir suffisamment fort pour que ce solde ne faiblisse pas.
C’est vrai aussi de ce que Marylise Lebranchu a pu mener dans différents domaines, notamment celui de la consommation, dont elle me reproche de ne pas parler suffisamment, et du surendettement au travers du titre de la loi sur l’exclusion concernée, mais dans tous les autres domaines de sa responsabilité. Je pense, notamment, à quelque chose qui a fait un peu de bruit et qui en fera beaucoup dans la mise en œuvre concrète et qui touche à toutes les mesures de simplification administrative. Les décisions prises entrent dans les faits, certaines de façon législative, d’autres de façon plus réglementaire. Mais nous allons très rapidement voir la traduction concrète de la suppression d’une dizaine de formulaires inutiles, de la simplification de quelques dizaines d’autres, de la fameuse création d’entreprise en 24 heures, etc.
Ce mouvement, qui était très fortement réclamé par les entreprises en France et qui était d’ores et déjà enclenché avant nous, va trouver une accélération assez forte dans l’action conduite par Marylise Lebranchu.
S’agissant de Christian Sautter, je ne m’étendrai pas car beaucoup de choses évoquées, nous les travaillons ensemble, en particulier tout ce qui tourne autour des aspects budgétaires et de la gestion macro-économique. Peut-être aurez-vous des questions à lui poser ? J’ai vu que la presse s’était fait l’écho de sa visite en Corse hier ou avant-hier. Dans le cadre des questions régulières et hebdomadaires, vous voudrez peut-être revenir là-dessus. Il vous répondra avec de nombreux détails.
Quand à Christian Pierret, il défend un dossier que je connais bien puisque j’ai exercé cette fonction de 1991 à 1993, avec ce qu’elle a de difficile parce que tous les mauvais coups sont pour le ministère de l’Industrie. Dès qu’une entreprise ferme, on peut être tranquille, vous-mêmes journalistes – et c’est normal –, ou les parlementaires ou d’autres encore, avez beaucoup de questions à poser sur ce que va faire le Gouvernement pour empêcher cette fermeture.
C’est donc un métier difficile, qui apporte toutefois beaucoup de satisfactions dans différents domaines où les choses avancent et réussissent. Je pense à ce qui a été fait pour France Télécom ainsi qu’au contrat de plan de La Poste dont il vous parlera dans les jours qui viennent.
Au total, beaucoup de sujets sectoriels – je pourrais en évoquer d’autres, sur le secteur financier par exemple – qui doivent s’ajouter à ce bilan macro-économique. Vous trouverez cela dans ce dossier.
Tout cela représente un peu la partie satisfaisante.
Le plus inquiétant, c’est que les attentes sont très fortes. Il faut bien comprendre que quels que soient les progrès qui ont pu être faits, quelle que soit la bonne orientation de l’économie aujourd’hui, quels que soient les dossiers qui ont pu être réglés, il est clair que les Français ne commenceront à reprendre totalement confiance dans l’avenir que si ce mécanisme, cette tendance s’avère suffisamment durable.
C’est vrai de la croissance, c’est vrai du redressement d’un certain nombre d’équilibres, c’est vrai des modifications de la vie quotidienne. Durable en termes budgétaires, en termes de dette. J’ai fixé l’objectif que le rapport de la dette au PIB commence à fléchir à partir de l’an 2000. Je pense que l’on tiendra cet objectif. Ce n’est pas arrivé dans notre pays depuis extrêmement longtemps. Pour autant, c’est un projet pour l’an 2000, ce n’est pas encore quelque chose de concret aujourd’hui. Je conçois que cela ne passe pas encore dans les esprits.
De la même manière, il faut que cette croissance, en étant plus durable, soit évidemment plus solidaire, ce qui veut dire entièrement centrée sur l’emploi. Toutes les mesures que nous avons prises, toutes les décisions qui ont été prises, dans ce ministère comme dans l’ensemble du Gouvernement, ont été des décisions où la question – formellement, ce n’est pas une clause de style, cela s’est passé ainsi – à chaque fois était : « cela va-t-il avoir un effet positif sur l’emploi ? ». Parfois, l’effet sur l’emploi était indécis. La décision a quand même été prise pour d’autres raisons. Mais, systématiquement, la procédure consistant à se demander si ce que nous faisions allait avoir un effet sur l’emploi, et dans quel sens (dans le bon sens bien sûr, sinon il ne fallait pas le faire) est une question qui a été posée à chaque fois.
Les décisions qui seront prises pour le budget de 1999, comme de façon générale sur l’ensemble de l’action gouvernementale, continuent à être marquées de ce signe. Il n’y a pas d’autre élément de solidarité aussi fort que celui de faire en sorte, mois après mois, que des dizaines de milliers de personnes sur le territoire français retrouvent du travail.
Les attentes sont fortes aussi d’un autre point de vue sur lequel, j’espère, nous l’emporterons sachant que ce n’est pas gagné d’avance. C’est tout ce qui touche à un thème un peu facile, mais dont on voit bien que le contenu est fort, je veux parler de l’entrée dans le XXIe siècle : la technologie du territoire français comme lieu de production, de la capacité de notre pays à rester une grande puissance industrielle, donc de la réforme de l’offre et de l’appareil de production.
Le voyage que j’évoquais tout à l’heure (je pars quelques jours aux États-Unis) est centré sur ces questions de la technologie.
C’est un enjeu absolument majeur à moyen terme, non pas pour demain matin, de faire en sorte que notre pays, qui a pris du retard en la matière, mais qui n’a aucune raison de ne pas être l’un des grands pays technologiques du XXIe siècle, rattrape ce retard.
Le Premier ministre s’est très largement engagé. Cela a commencé avec le discours de Hourtin, cet été. Trente-six mesures ont été annoncées sur le commerce électronique et d’autres domaines. La profession des technologies de l’information, si vous avez quelques liens avec elle – qu’il s’agisse de l’informatique, du multimédia et tout ce qui tourne autour des Télécom ou Internet – ressent fortement le changement, sachant que le changement dans la volonté est déjà un peu dans la réalité.
Les Assises de l’innovation, de ce point de vue, ont été très suives. La traduction, les résultats concrets prendront évidemment du temps à exister, au-delà de la remontée des ventes de micro-ordinateurs, mais ne doivent pas être très liés à la politique gouvernementale.
Il y a là un enjeu capital dont je suis incapable d’affirmer aujourd’hui avec certitude que nous le gagnerons, mais dont je suis certain, en revanche, qu’il est absolument capital pour l’avenir du pays. Quand on fait la liste des attentes et de ce qu’il faut réussir pour que l’essai soit transformé et que notre pays rentre correctement dans le XXIe siècle, on voit qu’il y a plus à faire que ce qui a pu être fait pendant cette année. Cela incite donc à beaucoup de modestie.
Ne gâchons pas notre plaisir pour autant. Nous avons, les uns et les autres, le sentiment que nous avons fait de notre mieux et qu’un certain nombre de choses ont été réussies.
Je voudrais finir sur un point différent.
Dans ce que nous avons réussi, nous avons été aidés par une croissance européenne qui est repartie. La conjoncture internationale, de ce côté, a apporté un soutien à notre politique qui, évidemment, ne se serait pas déroulée dans d’aussi bonnes conditions si cela n’avait pas été le cas.
Mais, au-delà, autant je reconnais volontiers que la croissance en Europe (plutôt plus faible que la nôtre, sachant que nous aurons la plus forte croissance en 1998 et ce n’est pas le fait du hasard) repart partout et nous aide à soutenir notre propre activité, autant je récuse totalement l’argument qui voudrait que ce soit la majorité précédente qui ait préparé des jours meilleurs dont nous tirerions aujourd’hui les bénéfices.
Au-delà de l’argument facile, mais que je reprends volontiers puisque le Premier ministre l’a employé, selon lequel si les fruits étaient là, mieux valait attendre pour les cueillir plutôt que de descendre de l’échelle, rien dans ce que nous avons trouvé ne préparait à un soutien à la croissance. Qu’il s’agisse du déficit budgétaire devenu incontrôlé, qu’il s’agisse d’une politique qui s’affirmait comme ne voulant pas relancer la consommation, qu’il s’agisse des difficultés de confiance qui visiblement existaient entre la population et ce Gouvernement et qui se sont traduites par le résultat des élections que vous savez, aucun élément préparatoire de cette reprise ou de cet accompagnement de la croissance n’était déjà sur les rails.
Le problème étant que chacun ayant évidemment du mal à admettre que la politique menée par ses adversaires politiques peut réussir, on a parfois tendance à caricaturer en disant : « en fait, il faut une politique qui n’est pas très différente, nous aurions fait la même politique ». J’entends souvent des leaders de l’opposition dire : « si nous avions été là, nous aurions fait la même politique et comme nous aurions eu le même environnement, nous aurions eu le même résultat ».
En réalité, ils n’auraient pas du tout fait la même politique. On peut prendre pour cela un ensemble d’exemples. J’en prends quelques-uns pour fixer les idées. Il faut sortir de cette discussion un peu grotesque.
En matière fiscale, qu’avons-nous fait ? Nous avons augmenté l’impôt sur les sociétés. Nous pensions que c’était le moyen le plus juste et le moins nuisible à la croissance pour rétablir des équilibres indispensables pour satisfaire aux critères de l’euro. Pense-t-on vraiment que le Gouvernement conservateur qui était en place aurait augmenté l’impôt sur les sociétés ? Évidemment, non.
Qu’avons-nous fait encore en matière fiscale ? Nous avons fait disparaître, dans la loi de finances que j’ai présentée avec Christian Sautter, toutes les niches fiscales. Sans rentrer dans le débat sur les frais professionnels des journalistes, nombre d’entre elles en tout cas ont disparu et d’autres disparaîtront peut-être. La plus grande partie des niches fiscales, et donc des manières d’échapper à l’impôt pour la partie la plus aisée de la population (je pense à la loi Pons, au QUIRA(?), etc.), ont disparu. Pense-t-on vraiment que l’ancienne majorité aurait fait cela ? À l’évidence, non.
Nous avons étendu le financement de la protection sociale à tous les revenus par la CSG. Ce n’est pas fiscal, mais un prélèvement social, ce qui est un peu la même chose. À l’évidence, cette volonté non pas seulement d’étendre la CSG, mais de frapper, par elle, les revenus du capital ou de l’épargne est un changement de politique majeur.
Nous avons fait l’objet, moi personnellement, mais je suis un peu le responsable de ce qui se passe sur le marché des capitaux et de l’épargne, de critiques extrêmement vives au cours des mois de novembre, décembre et janvier, jusqu’à ce que l’on s’aperçoive que l’effet sur les circulations des capitaux n’était pas du tout celui que les Cassandre attendaient, que la réalité du financement de l’économie n’en a pas été altérée.
En tout cas, il est clair que ces décisions, qui ont augmenté de quelques 30 milliards les prélèvements sur les revenus de l’épargne, n’auraient certainement pas été suivies par le Gouvernement précédent. J’ai pris l’exemple fiscal, mais on pourrait en prendre beaucoup d’autres. Il est donc erroné, fallacieux de la part de l’opposition, de vouloir se parer des plumes du paon en disant : « nous aurions fait aussi cette politique, nous aurions eu les mêmes résultats. »
Je le disais tout à l’heure, le soutien à la consommation est évidemment quelque chose de très différent de la politique menée précédemment, que ce soit la hausse du SMIC, l’allocation de rentrée scolaire, la baisse de la TVA sur un certain nombre de produits que nous avons mise en place ou des exonérations de taxe d’habitation revenant à l’inverse de celles qu’Alain Juppé avait supprimées.
Tous ces éléments, qui y ont soutenu la consommation parce ce qu’ils ont donné du pouvoir d’achat aux catégories les plus modestes de la population, sont l’inverse de ceux que la politique du Gouvernement précédent aurait mis en œuvre.
On peut continuer avec la réduction du temps de travail, l’exclusion ou d’autres sujets encore.
Il faut savoir reconnaître que, lorsqu’une politique menée par un autre mouvement que le sien réussit, cela ne veut pas dire que l’on aurait fait la même chose. Il peut y avoir des politiques différentes. Celle-ci est différente de celle conduite précédemment. Elle est mesurée. Elle vise à entretenir la confiance dont je disais qu’elle revient et tend, en même temps, à réformer les choses. Elle va à son rythme, mais elle est, dans chacun des points que je viens d’évoquer et l’on pourrait en prendre d’autres, très différente de celle qui a été conduite.
Voilà sur la politique. On pourrait en dire au moins autant sur la méthode. Il y a un certain nombre de dossiers, c’est presque un cas d’école, qui avaient été ouverts, puis refermés, par la majorité précédente. On ne peut donc pas dire que les dossiers sont différents et, par conséquent, que les traitements le sont aussi.
Prenons l’exemple du CIC. La privatisation demandée par Bruxelles avait été entreprise en 1996. Elle a été arrêtée parce que l’absence de concertation, et c’est là que je fais référence à la méthode, avait rendu le possible… indébrouillable (j’ai failli utiliser un autre mot, mais j’aime mieux rester à celui-là !). Une méthode un peu différente, pas très originale, celle que la gauche a toujours prétendu vouloir mettre en œuvre consistant à avoir des discussions, à mettre un cahier des charges à la disposition des comités d’entreprise, à inclure dans ce cahier des charges des éléments sociaux et industriels et pas seulement financiers. Tout cela conduit à un rythme suffisamment rapide pour aboutir, mais en prenant suffisamment le temps pour discuter.
Cela a permis de sortir de ce dossier que la majorité précédente – c’est quand même un cas très rare – avait été obligée d’interrompre pendant la procédure.
On pourrait dire la même chose de France Télécom. Il paraît que l’ouverture du capital était inconcevable. Elle s’est faite finalement dans de très bonnes conditions, le personnel lui-même ne s’y trouvant plus aussi opposé que par le passé. On pourrait dire la même chose de Thomson dont on sait les difficultés que ce dossier avait connues et qui finalement a été bouclé à la satisfaction non seulement des salariés de Thomson et des ingénieurs, mais dans l’intérêt national de Ia défense de notre pays.
Je pourrais en dire très long aussi, mais je ne veux pas vous lasser, sur le dossier du Crédit Lyonnais.
La politique est différente, mais pas seulement. La méthode l’est aussi, la façon de traiter les problèmes. Cela ne veut pas dire que tous seront correctement traités. Des difficultés subsisteront. Il y aura des dossiers sut lesquels nous échouerons. Mais la méthode consistant à engager des discussions longues, à écouter les différentes parties, à tenir compte de leurs avis… Je traverse à nouveau l’exemple des ramettes, et du préalable minier et des accords de Bercy, signés ici même, qui ont permis ensuite d’enclencher la négociation politique qui a conduit à la conclusion que vous savez.
Tout cela a reposé sur l’idée que non seulement, selon la bonne vieille formule : on ne gouverne pas la cité par décret, mais on ne la gouverne pas non plus en l’absence de décret si l’on n’engage pas des discussions et des concertations longues permettant de tenir compte de ce que les différents partenaires veulent voir.
Chacun dans notre domaine, c’est vrai des quatre secrétaires d’État qui m’entourent et de moi-même, sur l’ensemble de ce bilan, nous avons essayé, avec des succès divers mais pas si mauvais, de mettre en œuvre cette méthode. Cela caractérise au moins autant le tournant politique que les éléments de la politique elle-même.
Voilà ce bilan rapidement dressé, sur lequel on va s’arrêter si vous voulez poser des questions. Vous trouvez dans le dossier tout un ensemble de choses, dont une description de l’année sous forme de portrait chinois. Nous nous sommes laissé aller à quelques facilités ! Lorsque nous aurons fait ce premier tour de questions, nous passerons à l’actualité plus quotidienne ou hebdomadaire et au point de presse plus traditionnel.
UN INTERVENANT. – Permettez-moi de poser une question. Dans un bilan, il y a des actifs et des passifs. Jusqu’à maintenant, vous avez surtout énuméré les actifs. Y a-t-il des passifs ?
M. STRAUSS-KAHN. – J’avais commencé mon intervention en disant que vous la trouveriez très optimiste. Je n’aime pas le terme de « bilan » parce que, comme vous le dites, il y a un actif et un passif et le solde est toujours nul. Il ne faut donc pas faire de bilans.
Il y a évidemment du passif. Le passif est que nous n’allons pas assez vite dans la baisse du chômage. Il y a un passif dans le fait qu’un certain nombre de politiques et d’actions menées auraient pu l’être plus vite avec moins de heurts. Il y a des éléments de passif pour qui, dans l’idée, la mesure exacte des efforts à produire est quelque chose que l’on ne prend qu’une fois que l’on est en charge et que dans d’autres pays par exemple, je pense aux Anglais qui ont cette méthode du « shaddow cabinet » et qui sont informés, au jour le jour, de la gestion de la politique du pays, le changement de gouvernement se fait plus rapidement et on perd moins de temps.
Il y a beaucoup d’éléments de cette nature.
Plus que de passif, j’ai préféré mettre l’accent sur les attentes. Nous avons encore énormément de choses devant nous et le pays attend énormément du Gouvernement. S’il faut relativiser les résultats positifs de cette année, c’est plus au regard de ce que les Français attendent qu’au regard des résultats positifs comparés aux résultats négatifs. Peut-être avez-vous, vous, une plus longue liste de choses négatives.
PH. COHEN (Marianne) : Deux questions. La première, vous avez voulu vous distinguer de la politique du gouvernement précédent, en disant avoir voulu essayer de stimuler la croissance. Vous avez cité l’augmentation du SMIC de 4 %. Or, sachant qu’au moment de son arrivée au pouvoir, le gouvernement Juppé a pris la même décision, faut-il en déduire que, pour vous distinguer du gouvernement Juppé, vous allez faire, en année 2, un coup de pouce au SMIC équivalent à l’année 1 ? Première question.
Deuxième question. Vous avez dit aussi que vous ne reconnaissiez pas le fait qu’au fond le gouvernement précédent avait préparé le terrain, en quelque sorte, de la croissance. En revanche, reconnaissez-vous, dans la croissance que l’on connaît aujourd’hui, le rôle qu’a joué le changement de politique monétaire de la banque fédérale américaine et le fait qu’en gros, depuis un an, un an et demi, en France, et en Europe d’ailleurs, nous vivons avec un franc faible et un mark faible par rapport au dollar ?
M. STRAUSS-KAHN : Pour le SMIC, l’importance du soutien à la croissance que l’on fait par une hausse du SMIC dépend du pouvoir d’achat réel du SMIC. Dans ces conditions, vous aurez constaté – cela avait débattu – que le 4 % du mois de juillet dernier n’ont rien à voir avec la hausse du SMIC de 1995 car l’inflation n’était pas la même. L’inflation en juillet est à 1 %, cela fait 3 %, ce qui est le double de la mesure qui avait été prise par J. Chirac.
Pour autant, vous avez raison sur l’idée de base. Lorsque le président de la République est arrivé au pouvoir, il était sur l’idée d’une politique qui devait relancer la croissance. La mesure qu’il a prise à l’époque était sensiblement plus faible que celle de juillet dernier, pour la raison que je viens de dire, mais néanmoins elle allait dans le sens-là. Le tournant date d’octobre où, le gouvernement précédent, après avoir fait la campagne présidentielle sur le thème de la relance et de la politique salariale, a tourné casaque et a mené une autre politique.
Si vous voulez dire que le président de la République, quand il était en campagne présidentielle, a mené campagne sur des thèmes qu’il ne renie pas aujourd’hui, vous avez sans doute raison.
Votre deuxième portait sur la question politique monétaire. Oui, Bob « ROUBIN » dit depuis des années qu’il est pour un dollar fort. Le fait qu’il ait tenu cette politique et que cela ait conduit à un dollar aux alentours de 6 francs, que par ailleurs, la croissance américaine ait duré de longues années dans un cycle d’une longueur que l’on avait rarement vu, que par ailleurs la perspective de l’euro ait été à l’origine de taux d’intérêt les plus faibles au monde, à part le Japon, tout cela conduit à une reprise en Europe. Oui, je suis d’accord avec vous, on en bénéficie.
C’est ce que je disais tout à l’heure, la reprise en Europe est visible partout. Je constate qu’elle est un peu plus forte en France qu’ailleurs. J’en conclu modestement que la politique économique mise en œuvre n’a pas été nuisible à la croissance.
Est-ce une formule suffisamment modeste pour vous convenir ?
M. « MARTINA » (Le Parisien) : Partagez-vous l’idée exprimée hier par le président de la République que les déficits publics doivent tendre vers zéro en période de croissance et aller jusqu’à 3 % lorsqu’il n’y a pas de croissance ?
Deuxième question : pouvez-vous nous expliquer pourquoi à chaque fois que les Socialistes sont au pouvoir, la Bourse est totalement euphorique ?
M. STRAUSS-KAHN : Sur la première question, je n’ai pas la magie des chiffres ronds. Zéro n’a pas de signification particulière. Ce qui est juste dans ce qu’a dit le président de la République, c’est qu’en période de croissance, il faut en profiter pour baisser les déficits et pour prendre de l’avance de façon que lorsque le cycle se termine et que la croissance faiblit on puisse utiliser l’arme budgétaire pour soutenir la croissance. Si l’on n’a pas rechargé les batteries, comme dit Christian Sautter, ou réarmé la fronde selon ma formule plus guerrière, on n’est pas capable d’utiliser cette arme au moment où l’on en a besoin.
Je trouve le président de la République très timoré. Si la croissance est très durable, il n’y a pas de raison de s’arrêter à zéro. D’ores et déjà en Europe, il y a un certain nombre de pays qui ont des excédents budgétaires. Le jour où la croissance fléchira dans ces pays-là, ils auront la capacité de soutenir par une politique budgétaire active leur économie.
Il faut, en effet, comme nous le faisons d’ailleurs, réduire le déficit budgétaire. Nous serons à 2, nous sommes à 3 en 1998, à 2,3 en 1999. J’ai annoncé que l’on serait en dessous de 2 en l’an 2000, ce qui permettra l’inflexion de la courbe de la dette et si, comme je l’espère, nous arrivons à maintenir la croissance encore plusieurs années, il faudra tendre vers le moins de déficits possibles ; voire même des excédents de façon que le jour où la conjoncture s’inversera – elle finit toujours par s’inverser –, l’arme budgétaire puisse être utilisée à plein.
Il ne faut pas avoir la magie des chiffres ronds.
Deuxième question sur l’euphorie de la Bourse. Qu’est-ce que c’est que la Bourse ? C’est une anticipation sur les profits futurs des entreprises. Sur quoi se base l’anticipation des profits futurs des entreprises ? Sur les perspectives générales et les perspectives individuelles qui peuvent être différentes d’une entreprise à une autre sur les années qui viennent.
Lorsque l’économie est en plein marasme, lorsque les différents opérateurs, du petit épargnant à un responsable de gros fonds de placement, se disent qu’il n’y a pas d’avenir, que le pays s’enfonce, on fait de mauvaises prévisions sur les profits à venir, la Bourse baisse. Lorsque qu’à l’inverse, on est dans une situation dans laquelle on prévoit que l’avenir est un avenir où, a priori, l’activité économique va repartir, on a de bonnes perspectives sur la rentabilité des entreprises, la Bourse monte.
C’est un peu la Bourse racontée à Françoise Caroline ! Vous connaissez ce livre d’histoire ? Il n’y avait pas d’allusions personnelles.
L’explication n’est pas propre à la situation française. Si la Bourse allait bien dans les pays où les Socialistes sociaux-démocrates sont au pouvoir, et mal dans les pays où les conservateurs sont au pouvoir, votre question prendrait une signification politique.
Le « DACS » va aussi bien que le CAC 40. Ce n’est pas une question de couleur politique, mais le fait que la Bourse anticipe sur la bonne conjoncture et sur le fait que celle-ci devrait rester durable. Ce n’est pas un hasard.
UN INTERVENANT : Pour l’avenir, croyez-vous que les critères de Maastricht vous ont obligés à marcher dans une direction unie, une fois atteint le niveau de croisière, va-t-on trouver plus de dissensions à l’intérieur du Gouvernement concernant la futur route à choisir ? Cela va-t-il être plus dur pour vous ?
M. STRAUSS-KAHN : Non. Je viens de répondre à cette question. Le Gouvernement est très conscient à la fois de ce que je viens de dire sur les effets macro-économiques, le fait qu’en phase ascendante du cycle, il faut prendre de l’avance pour pouvoir s’en servir…, lorsqu’on est libéral, on n’a pas besoin de réduire le déficit. De toute façon, on n’a pas l’intention d’utiliser l’arme budgétaire le jour où la croissance fléchit. Mais lorsqu’on est un interventionniste passéiste comme moi et que l’on veut pouvoir utiliser l’arme budgétaire, il faut diminuer le déficit lorsque l’occasion s’en présente pour réutiliser cette arme le moment venu.
Comme je crois à l’intervention publique, je pense qu’il faut que nous prenions de l’avance. C’est la position de l’ensemble du Gouvernement.
Il existe un autre élément aussi important. Nous avons aujourd’hui 20 % de nos recettes budgétaires qui servent à financer le service de la dette. C’est une masse énorme qui retire autant d’actions possibles à l’État.
De nouveau, si l’on croit que moins l’État intervient, mieux c’est, qu’il ne faut pas qu’il mène de politique d’intervention, si l’on est totalement libéral, alors que le budget serve à payer des intérêts aux épargnants, très bien.
Si à l’inverse, on croit, comme c’est notre cas à tous ici, que le budget est un instrument déterminant de la politique économique et que, par conséquent, les marges de manœuvre que l’on peut reconstituer dans le budget sont très importantes, il faut alors reconstituer ces marges de manœuvre et consacrer 1/5ème de nos ressources à payer des intérêts, ce qui est évidemment une très mauvaise chose.
Comment peut-on arriver à faire baisser cela ? Il y a les taux d’intérêt d’un côté et la baisse de la dette de l’autre.
Diminuer le déficit pour diminuer la dette publique pour reconquérir des marges de manœuvre, c’est la condition d’une politique d’intervention publique.
Sur ce thème-là, le Gouvernement n’est absolument pas divisé.
UN INTERVENANT : Est-il possible de faire les deux choses ? Avez-vous les moyens de faire les deux à la fois ?
M. STRAUSS-KAHN : C’est rigoureusement la même chose. J’ai dit qu’il ne fallait pas jouer « petit bras ». Si la croissance est suffisamment longue, il n’y a pas d’obligation de renoncer à des excédents budgétaires. Je n’ai pas dit que nous allions faire des excédents budgétaires tout de suite.
Par ailleurs, ce mouvement est le même que la réduction de la dette. Avoir en dessous de 2 % de déficit, nous réduisons notre dette en France. Lorsque nous passerons en 2000 en dessous de 2 % de déficit, la dette commencera à baisser. Plus le déficit est faible, a fortiori s’il y a des excédents, plus la réduction de la dette va vite.
C’est la même mécanique. On peut être pour ou contre, mais c’est la même mécanique.
M. « BEZA » (Le Monde) : Une question à la frontière du fiscal et du social.
Lionel Jospin réunit une conférence de la famille le 12 juin, la question se pose de savoir si l’on maintient les allocations familiales sous condition de ressources ou bien si l’on trouve une autre solution ? Êtes-vous favorable à une modification du quotient familial ou au statu quo ?
M. STRAUSS-KAHN : Vous aurez la réponse le 12 juin.
M. « BEZA » : On sait que vous n’êtes pas très favorable à la réforme du quotient familial ?
M. STRAUSS-KAHN : Vous fondez cela sur quel type d’informations ?
M. « BEZA » : Gouvernementales.
M. STRAUSS-KAHN : Méfiez-vous des sources gouvernementales !
FINANCIAL TIMES : C’est la première fois que je vous entends dire que la croissance française sera la plus forte d’Europe ? Pourriez-vous en dire un peu plus là-dessus ?
Incluez-vous, dans ce pronostic, des petits pays comme l’Irlande qui fait très bien actuellement ?
M. STRAUSS-KAHN : Sur le premier point, je ne crois pas que ce soit la première fois. Je tire cela du constat des publications faites par les uns ou les autres, le FMI, l’OCDE, et par une sorte de moyenne que l’on opère tous pour voir ce qu’il en est. Mais vous avez raison sur le deuxième point, j’aurais dû dire des « grands pays ».
L’Irlande est un cas très atypique, cela fait 1 % de la zone Euro en termes de PIB. Ce n’est pas immense, néanmoins cela existe. La croissance irlandaise, il est vrai, est particulièrement en avance et particulièrement forte. Je pensais aux grands pays. Vous avez bien fait de me le faire corriger.
M. « PRICET » (Revenu Français) : Sur la zone Euro à partir du 1er janvier, on aura des taux d’intérêt qui risquent d’être plus élevés que ce que l’on a en France aujourd’hui. Cela risque-t-il de freiner la croissance ?
M. STRAUSS-KAHN : Vous fondez cela sur quoi ?
M. PRICET : Sur la plupart des études économiques.
M. STRAUSS-KAHN : Ce n’est pas une réponse.
Nous avons aujourd’hui des taux courts à 3,30. Toute l’analyse économique donne à penser que la croissance reprenant un peu partout, les taux finiront par remonter. À quel moment ? Je n’en sais rien. Lorsque l’on regarde les taux à termes, les taux à 6 mois et à 12 mois sont en effet plutôt supérieurs à ce que nous avons aujourd’hui. Ceci dit, l’an dernier, au mois de septembre, lorsqu’il y a eu la hausse de 3,10 à 3,30 pour la Banque de France et de 3 à 3,30 pour la Bundesbank, il y avait aussi des taux à 12 mois qui étaient de l’ordre de 4, 4,5, 4,6 alors que 12 mois, c’est maintenant et que nous ne sommes pas à 4,6.
Il faut se méfier des anticipations de taux sur les marchés à termes.
Il reste qu’il y a de bonnes raisons de penser qu’au cours de l’année 1999, les taux seront un peu plus élevés qu’ils ne le sont aujourd’hui parce que la croissance sera plus forte dans l’ensemble de la zone.
Est-ce que des taux plus élevés, c’est un frein à la croissance? C’est très compliqué de répondre.
De façon mécanique et à court terme, on répond plutôt oui ; plus les taux sont faibles, plus cela facilite l’investissement. De façon un peu plus sophistiquée sur le moyen terme, le relèvement des taux en période de croissance est certainement une manière de garantir la pérennité de la croissance.
Si un mouvement raisonnable se déroule fin 98, en 99 accompagnant une reprise si elle continue à être forte en Europe, cela ne sera pas nuisible à moyen-terme.
UN INTERVENANT : Deux questions à propos des collectivités locales.
L’État, l’an prochain, va pouvoir augmenter ses dépenses et réduire son déficit grâce à la croissance. Pensez-vous que les collectivités locales ne doivent pas augmenter leurs dépenses puisque vous ne voulez pas augmenter leurs dotations ?
La réforme de la taxe professionnelle prévue sera-t-elle une réforme intégrée en loi de finances ou fera-t-elle l’objet d’un projet de loi présenté par M. Chevènement ? Va-t-elle donner lieu à des incitations financières, si oui, de quel niveau ? Je parle de la TP d’agglomération.
M. SAUTTER : Deux mots pour répondre à votre double question.
Les collectivités locales ont deux types de ressources. Elles ont les transferts en provenance de l’État, de l’ordre de 250 milliards de francs, y compris la prise en charge d’un certain nombre d’impôts, mais elles ont surtout comme ressources la fiscalité locale.
Si la croissance a redémarré depuis maintenant près d’un an, la fiscalité locale va en tirer bénéfice.
Actuellement, le Gouvernement prépare le budget de 1999. Les transferts aux collectivités locales sont un des éléments importants de ce budget sur lequel le Gouvernement est en train de réfléchir. Je crois qu’il est encore prématuré pour vous annoncer des décisions en la matière, d’autant que la volonté du Gouvernement, contrairement au pacte de stabilité décidé par le gouvernement précédant de façon unilatérale, le Gouvernement a l’intention de discuter selon la méthode dont M. Strauss-Kahn a parlé tout à l’heure avec les associations d’élus, avec le Comité des finances locales.
En ce qui concerne la taxe professionnelle, la fiscalité locale est l’un des trois chantiers sur lesquels nous travaillons avec la fiscalité du patrimoine et la fiscalité écologique.
La taxe professionnelle d’agglomération, qui permet d’éviter des concurrences fratricides entre des communes proches et de mieux répartir les impôts venant des entreprises qui apportent à peu près la moitié des ressources des collectivités locales, est un thème sur lequel on travaille avec une attention particulière.
Cela sera-t-il dans la loi de finances pour 1999 ou dans un projet de loi sur l’intercommunalité que prépare le ministre de l’Intérieur, ce sera décidé prochainement.
M. STRAUSS-KAHN : Un mot de calendrier évoqué par Christian Sautter, la concertation conduira à ce que fin juillet, les grandes décisions fiscales seront annoncées. La concertation se poursuivra en juin et juillet avec les différents partenaires – c’est vrai des élus, des partenaires sociaux etc. – et le bouclage d’ensemble du dispositif fiscal ne sera connu qu’au Conseil des ministres du 22 juillet, quand les grandes orientations de la loi de finances seront présentées.
G. LAUDY (L ‘Auto journal) : Une simple question. Allez-vous relever la fiscalité du gasoil dans le cadre de votre prochain budget ?
M. STRAUSS-KAHN : C’est une question à poser à Christian Pierret. De façon générale, on ne va pas écheniller l’ensemble des recettes fiscales, car nous ne pourrons vous répondre. Nous vous répondrons tout simplement que nous avons lancé trois chantiers, connus de tous. Nous avons dit que nous n’allions pas tout réformer la deuxième année. Il y aura donc un planning de réforme fiscale sur des choses qu’il nous semble utile de changer.
Le Premier ministre n’a pas fait tous ses arbitrages, les consultations n’ont pas toutes eu lieu. Ce n’est donc que fin juillet que nous saurons cela. C’est vrai pour le gasoil comme pour le reste.
M. FELTIN (La Croix) : L’une des mesures importantes du gouvernement Juppé a été d’augmenter de deux points le taux moyen de la TVA. Considérez-vous qu’il s’agissait d’une erreur de politique économique, en ce sens que cela a étouffé la demande interne et donc la croissance et qu’il convient de revenir dessus, ou considérez-vous que cela a été une mesure indispensable pour remplir les critères de Maastricht et que cette mesure est destinée à durer ?
M. STRAUSS-KAHN : Cela peut être les deux. Cela a certainement été une erreur de politique économique, puisque cela a conduit à ce que 90 % de l’accroissement du PIB de l’année ont été captés par la sphère publique, ce qui a totalement étouffé la croissance.
Maintenant, si des recettes étaient nécessaires pour remplir les critères de Maastricht, sachant qu’il y a les recettes et les dépenses, on peut aussi limiter la croissance des dépenses, si des recettes étaient néanmoins nécessaires, on pouvait les trouver autrement.
Nous les avons trouvées lors de notre arrivée aux Affaires, de par l’augmentation de l’impôt sur les sociétés. Si nous avons choisi cela, c’est parce qu’il nous semblait que cela ne nuirait ni à la reprise économique ni à la consommation à l’évidence, ni même à l’investissement, ce que les chiffres prouvent.
Il y a différentes manières de bien faire ou de mal faire les choix fiscaux qu’il faut opérer.
Pour autant, est-il possible de revenir en arrière ? Ce serait souhaitable. Ce n’est pas facile. En effet, un point de TVA représente 30 milliards de recettes et celui-ci une fois enregistré, le fait pour l’État de renoncer à 30 milliards de recettes en diminuant la TVA d’un point ne garantit nullement que cette somme va se retrouver en baisse de prix. Si nous en étions sûrs, les choses seraient différentes. Mais nous n’en sommes absolument pas sûrs dès lors qu’une baisse d’un point de la TVA peut être absorbée par les marges et ne pas apparaître du tout sur le consommateur final. Auquel cas, on a perdu des deux côtés de la recette fiscale sans avoir rien gagné en matière de soutien de la consommation.
On est là dans un exemple type de dissymétrie où les effets à la hausse ne sont pas symétriques des effets à la baisse. Pour autant, nous avons quelques petits gestes en matière de TVA, notamment sur celle concernant les travaux à domicile. Nous réfléchissons à des choses éventuelles de même nature l’année prochaine, avec toutefois la difficulté que la Commission de Bruxelles est le gardien vigilant de ce qui peut passer d’un taux à un autre et qu’il faut demander des dérogations. C’est une opération assez compliquée dont nous ne sommes certains qu’elle aboutisse.
UN INTERVENANT : Où en êtes-vous des privatisations ? Envisagez-vous, après le succès de France Télécom, d’aller plus loin ? Peut-on imaginer qu’Air France sera mis sur la table avant la rentrée ?
Quelle idée vous faites-vous du programme des privatisations ?
M. STRAUSS-KAHN : Le Premier ministre a répondu très clairement, il y a longtemps déjà. Rien n’est changé. Nous ne considérons pas que les privatisations soient un objectif en soi. Dès lors qu’il y a une utilité à, par exemple, ouvrir le capital d’une entreprise – ce fut le cas pour France Télécom –, il n’y a aucune raison de ne pas le faire sachant qu’il y a une utilité en termes d’alliances internationales, etc.
Lorsqu’il y a obligation internationale à privatiser, c’est le cas du CIC, nous le faisons. Lorsqu’il n’y a ni utilité ni obligation, pourquoi le ferions-nous pour des raisons purement idéologiques.
S’agissant d’Air France, la privatisation n’est pas à l’ordre du jour. L’ouverture du capital dépend de la procédure conduite par son président et sur laquelle je ne veux pas interférer.
S’il y a une différence pour le coup, puisque c’est le jeu dans lequel je me suis lancé tout à l’heure moi-même, entre la pratique en matière de secteur public de ce gouvernement et celle du gouvernement précédent, c’est que ce dernier avait pour principe qu’il fallait tout privatiser et que plus on privatisait vite, mieux on se portait. Je ne défends absolument pas cette thèse, bien au contraire, cela n’a aucun sens de mon point de vue. Il y a des entreprises qui sont très bien dans le secteur public, d’autres ont un avantage à être privatisées ou à ouvrir leur capital, auquel cas il faut le faire. C’est là une gestion pragmatique qui dépend de l’intérêt de l’entreprise, éventuellement de l’intérêt national quand cela touche à des sujets tels que la défense nationale ou autre, mais en aucun cas cela ne peut ressortir d’une préoccupation de nature idéologique.
Il n’y a donc pas de programmes ouverts pour le moment.
D. THIEBAUT (Challenge) : Il est question, à Bruxelles, d’instituer une taxe sur le revenu de l’épargne de 20 %. Qu’en pensez-vous ?
M. STRAUSS-KAHN : Le commissaire Monti, dans le cadre de l’harmonisation de la fiscalité de l’épargne, a presque totalement suivi la proposition française. Nous avons déposé un mémorandum, en octobre ou novembre, demandant que l’on accélère les procédures d’harmonisation de la fiscalité de l’épargne et proposant, notamment, que pour les pays dans lesquels il existe un secret bancaire et où, par conséquent, certains épargnants peuvent rester anonymes vis-à-vis du fisc de leur propre pays – comme des Français qui iraient déposer des ressources d’épargne au Luxembourg –, que cet anonymat ne disparaisse pas, car c’était toucher à la pratique bancaire de chacun de ces pays, ce qui était difficilement concevable, mais qu’une retenue à la source minimale fasse qu’ils n’échappent pas totalement à l’impôt.
C’est cette ligne-là qu’a suivi le commissaire Monti. De ce point de vue, le projet de directives qu’il propose est assez largement un projet de directives d’inspiration française. Là où il s’est écarté de l’affaire, c’est que nous proposions un prélèvement libératoire de 25 %, alors que la proposition de M. Monti n’est qu’à 20 %. Mais à ce point particulier près, la ligne qui est celle que la Commission propose nous convient.
N. DOMENACH (Marianne) : Votre prédécesseur à Bercy a écrit un livre qui parle de la gloire du politique dans son rapport de force plus qu’incertain avec un certain nombre de lobbies, les Grands Corps, lobby industriel, etc. Ce constat est repris de manière plus accablante par Corinne Lepage, une de ses collègues.
Au bout d’un an, dressez-vous un constat proche, similaire et, si tel est le cas, envisagez-vous d’y remédier ?
M. STRAUSS-KAHN : Je ne dresse pas ce constat. J’ai compris le livre dont vous parlez comme un rapport de force incertain entre le ministre en question et son administration et pas entre la politique en général. Je ne constate ni dans mon action quotidienne ni dans celle de ceux qui m’entourent ici que nous ayons à souffrir des lobbies au sein de l’administration. D’ailleurs, la réforme de ce ministère qui est en cours a bousculé pas mal d’habitudes ; elle se fait avec du temps, de la discussion, mais elle avance.
Il ne faut pas rejeter sur une sorte de fatalité qui ferait d’un monstre administratif une sorte de leviatan (?) que l’on ne pourrait pas combattre, ce qui peut relever des pratiques personnelles.
Ph. MABILLE (Echos) : Ma question, qui s’écarte un peu de ce ministère, porte sur les retraites. Des raisons démographiques vont peut-être apporter un petit appel d’air au financement de nos retraites avec l’arrivée des générations de la deuxième guerre mondiale. Pensez-vous que ce soit le bon moment pour engager la réforme de nos régimes de retraite ? Comment faire, en faisant en sorte que cette réforme soit compatible avec l’engagement de baisser les prélèvements obligatoires ?
M. STRAUSS-KAHN : C’est toujours le bon moment car quand un sujet est aussi lourd et durable, il n’y a pas de temps à perdre. Le Premier ministre a engagé une démarche que nous allons suivre et non l’anticiper. Je ne vous dirai pas, ce matin, quelle est ma solution en matière de retraite. Il est clair que nous avons un problème en la matière. Il est clair que des réponses sont à y apporter.
Il est clair aussi qu’une période de croissance facilite des ajustements qu’il faut inévitablement mener. Mais on ne va pas se mettre à élaborer un projet de réforme du système de retraite qui n’est même pas en discussion. Le fait qu’il existe un problème et que ce Gouvernement, comme les précédents, se doit de lui apporter des réponses, est une évidence claire pour tous.
Le Commissariat général du Plan s’est vu confier une mission. Il y en a eu beaucoup dans le passé, me direz-vous. Il semble que l’échéance fixée soit pour juillet. Il faut attendre que Jean-Michel Charpin et ses troupes aient remis au Premier ministre la copie qu’il lui a été demandée. À partir de là, le Gouvernement mettra en œuvre, à son rythme et selon sa méthode, les éléments nécessaires pour apporter une réponse à un problème qui est tout à fait majeur et que l’on ne va pas résoudre ce matin.
UNE INTERVENANTE : Au sujet de la Bourse, j’avais compris que dans les jours qui viennent vous deviez finaliser la loi qui favorise l’investissement dans la Bourse des contrats d’assurance. Est-ce le cas ?
M. STRAUSS-KAHN : Les décrets d’application. On me promet depuis plusieurs semaines qu’ils vont sortir la semaine prochaine ! On me promet maintenant que c’est cette semaine ! Cela va durer un certain temps encore.
L’INTERVENANTE : Quel effet cela va-t-il sur la Bourse ? Les économistes ont fait trente-six prévisions en la matière, mais je voudrais celle de Bercy.
M. STRAUSS-KAHN : Si je vous disais que je ne crois pas que ce soit une procédure qui attirera l’épargne, je ferais le contraire de ce qui est de ma responsabilité. Je pense que c’est un bon instrument qui va permettre d’attirer, vers le placement en actions, une masse importante de capitaux non seulement en termes d’épargne fraîche, mais en termes de conversion d’actifs existants.
J’ai lu dans la presse des estimations faites par des gens plus compétents que moi qui estiment à une bonne centaine de milliards l’apport qui pourrait en résulter. On attend de voir. Je ne veux pas me livrer ici au jeu des pronostics.
Simplement – et c’est peut-être une réponse indirecte à la question de M. Domenach – on voit qu’il faut beaucoup de mois, après le vote d’une loi, pour arriver à en sortir les décrets d’application. Mais c’est plus la complexité technique de l’affaire qu’autre chose qui est à l’origine de ce décalage.
Nous sommes fin mai. Cette semaine, ces décrets devraient sortir. Il aura fallu, après le vote de la loi de finances, cinq mois pour arriver en discussion avec les professionnels de l’assurance, de la banque etc., à définir les contours exacts du produit d’assurance vie en question. Cela devrait être opérationnel très rapidement.
L’INTERVENANTE : Comptez-vous faire un projet de loi sur les fonds de pension en septembre ?
M. STRAUSS-KAHN : Je crois me rappeler vous avoir déjà répondu sur ce point. Vous devriez vous reporter à votre précédente dépêche !
La question d’un produit d’épargne destinée à la retraite est une question que l’on veut traiter et qui le sera. Cela ne sera pas les fonds de pension tels qu’ils existaient dans la version de la loi Thomas et je pense que, pour la loi de finances, peut-être un peu plus tard, mais si possible pour cette loi de finances, nous pourrons mettre sur pied un produit d’épargne pour les épargnants individuels destiné à préparer la retraite.
F. LEVITT (Mieux vivre votre argent) : Où en est l’emprunt indexé que vous nous promettiez pour le premier semestre de cette année ? Il est important pour vous pour réduire le poids de la dette publique.
Puis, une question à M. Sautter : concernant la fiscalité en Corse, j’ai lu ce matin qu’elle allait être normalisée. Or, Monsieur le Ministre n’est pas sans savoir que, notamment concernant les transmissions, l’évaluation des biens pour l’ISF, c’est une fiscalité particulièrement dérogatoire. Est-il question de normaliser cet aspect de la fiscalité corse pour la rentre cohérente avec celle en vigueur dans l’ensemble du territoire ?
M. STRAUSS-KAHN : Vous allez plus vite que la musique, car le projet de loi qui autorise les emprunts indexés n’est pas encore voté puisque le DDOF ne vient en dernière lecture que cette semaine, me semble-t-il, demain au Sénat. Dès lors qu’il sera voté, nous le mettrons en œuvre. Maintenant, pourrons-nous le faire avant la fin du premier semestre tel que fixé dans notre plan de vol ? Si tel n’est pas le cas, cela se fera au début du deuxième. En tout état de cause, l’objectif est bien de le mettre en œuvre pour un montant relativement limité par apport à l’ensemble de la dette publique, mais pour un montant significatif quand même des emprunts indexés pour des questions de réduction de coût. Simplement, nous n’avons toujours pas l’instrument juridique.
M. SAUTTER : Une réponse rapide sur la fiscalité corse. Pourquoi suis-je allé en Corse hier ? Pour veiller à l’application du droit fiscal tel qu’il a été voté par les Parlements successifs. Le but de l’action que D. STRAUSS-KAHN et moi-même poursuivons en matière de fiscalité en Corse depuis un plan d’action mis au point au mois d’octobre, est que le droit fiscal soit appliqué en Corse comme ailleurs.
J’en ai parlé longuement avec les agents du ministère des Finances en Corse. Je leur ai dit la confiance du Gouvernement pour que l’on applique avec fermeté le droit fiscal en Corse. Il y a déjà des premiers résultats. Je ne vais pas détailler cela maintenant vu l’heure.
On avait parlé, dans un rapport de l’Inspection générale des Finances, au mois de juillet dernier, qui a provoqué ce fameux plan d’action dont je vous ai parlé au mois d’octobre, de 40 % d’entreprises qui, au bout de six mois, n’avaient pas déposé de déclarations de TVA.
Les progrès sont assez rapides. Je crois que la Corse du Sud pourrait être dans la moyenne française, autour de 6 % en 1998, et la Haute-Corse, dont le centre des impôts de Bastia a été plastiqué en 1995, pourrait être dans la moyenne française en 1999.
Il n’est pas question, à ce stade, de modifier les spécificités du droit fiscal en Corse, mais de faire en sorte qu’une minorité de fraudeurs bien organisée rentre dans le droit chemin de façon à ce que la Corse retrouve une sécurité économique qui est indispensable au développement des projets d’investissement, aux créations d’emplois.
C’est une région qui a beaucoup d’atouts, mais qui est actuellement handicapée par cette fraude ponctuelle, mais bien enracinée.
FIGARO : Deux questions. La première concerne ce qu’a dit le président de la République hier sur les 35 heures. Est-ce que cela tombait dans votre expression « extrêmement timorée » ou suivez-vous les conseils du président de la République sur ce sujet-là et sur d’autres ?
Une question plus personnelle pour vous, M. STRAUSS-KAHN. Vous avez dressé un bilan assez positif de votre action depuis un an. On va bientôt fêter la première année d’accession de Lionel JOSPIN à Matignon.
Vous êtes le ministre de l’Économie qui a fait l’euro. Quelle est pour vous maintenant votre prochaine ambition politique ?
M. STRAUSS-KAHN : Sur la première question, je suis incapable de vous répondre. Je n’ai pas entendu ce que le président de la République a dit sur les 35 heures. Je ne sais pas quoi vous dire.
FIGARO : De mémoire, il a répété ce qu’il avait déjà dit d’autres fois concernant le fait qu’il fallait faire les 35 heures, mais non de manière réglementaire, mais concertée.
M. STRAUSS-KAHN : Vous comprendrez que mon commentaire soit le même que celui que j’avais dû faire lorsqu’il l’a dit la première fois !
Ensuite, vous avez souligné que j’avais fait au nom de mes collègues et de moi-même un bilan où l’on semblait assez content de nous. C’est inévitable. Il y a ceux d’entre vous qui n’en n’écriront rien, ce sera le moins grave pour nous, et ceux qui vont dire : « L’exercice d’autosatisfaction a commencé ». On s’y attend un peu. Peut-être que certains d’entre vous arriveront à être plus originaux !
D’un autre côté, il est normal d’essayer de dresser un bilan de ce que l’on a fait ; à vous de trouver qu’il y a des pierres dans le jardin. On n’a pas essayé de faire de l’autosatisfaction systématique.
Quant à la dernière partie de votre question, j’ai une ambition extrêmement simple, comme tous les membres du Gouvernement : essayer de faire en sorte que l’on arrive à faire reculer le chômage.
On s’y emploie, mais je le disais tout à l’heure, il faut être très modeste, les résultats sont positifs, mais évidemment insuffisants. Il faut continuer férocement dans cette direction.
Je n’ai pas d’autres ambitions dans les années qui viennent que de remplir cet objectif. Je vous garantis que tous ceux qui participent à cette tâche, qui vont très au-delà d’une équipe gouvernementale, qui sont les parlementaires, les fonctionnaires, les chefs d’entreprises, les syndicalistes, tous ceux qui sont dans les associations, qui sont très mobilisés pour l’emploi qui travaillent à cette tâche se retourneront sur eux-mêmes, dans deux ou trois ans, en constatant que le chômage a vraiment baissé et ils auront l’impression de ne pas avoir perdu leur temps.
C’est une ambition d’action politique. Il est complètement exclu d’en avoir une quelconque autre. C’est la réponse que vous attendiez !
UN INTERVENANT : Qu’attendez-vous du prochain Conseil de l’euro la semaine prochaine ? Pensez-vous toujours qu’à terme cela va créer une sorte de gouvernement économique ?
M. STRAUSS-KAHN : L’Euro 11 qui va se réunir pour la première fois le 4 juin va mettre en place sa méthode de travail. On va commencer à discuter du fond. J’étais hier à Vienne pour rencontrer Rudolf « ELDLINGER », mon collègue autrichien qui va présider cet Euro 11 puisque la règle que nous avons choisie est que c’est le président de l’ECOFIN qui préside l’Euro 11, sauf lorsque le président de l’ECOFIN vient d’un pays out, auquel cas, c’est le suivant. Après la présidence britannique, c’est la présidence autrichienne. Ce sera donc mon collègue autrichien qui présidera l’Euro 11 au mois de juin. Nous allons mettre au point nos méthodes de travail et commencer un travail indispensable d’information et de coordination de nos préparations budgétaires.
Nous sommes tous dans la préparation du budget 1999. Or, il est difficilement concevable qu’ayant la même monnaie, les mêmes taux d’intérêt, etc., on puisse avoir dans nos budgets nationaux des hypothèses différentes sur le dollar, le prix du baril ou autres.
On a besoin, un peu en urgence – on ne commence que maintenant – de commencer cette coordination en matière budgétaire.
On a aussi besoin de lancer du travail statistique parce que l’Euro 11, ou le groupe des 11 pays qui auront l’euro pour monnaie, n’est pas une entité statistique existante. Si par exemple, vous cherchez la balance des paiements de l’euro, elle est impossible à faire. Il ne suffit pas pour cela de sommer les balances des paiements des différents pays. Or, on ne peut pas conduire une monnaie commune si l’on n’a pas des éléments précis de balances des paiements. Je prends cet exemple, il y en a d’autres.
Dans toute instance statistique nouvelle, il faut que nous créions des instruments. Il y a ainsi un ensemble de sujets qu’il faut qu’on lance. Cette première réunion sera surtout, mais pas seulement, méthodologique.
Quant au gouvernement économique, il ne faut pas s’arrêter sur les mots. Il est nécessaire que la coordination économique se renforce beaucoup. Certains voudront appeler cela « gouvernement économique » ; d’autres ne voudront pas l’appeler ainsi. Les mots m’importent peut. C’est un peu comme tout à l’heure avec le déficit qui devait tendre vers 0 ou pas. Ce qui compte, c’est la réalité. La réalité est que nous allons certainement avoir une phase de coordination de plus en plus étroite de nos politiques économiques. C’est indispensable pour faire fonctionner la zone de l’euro.
UN INTERVENANT : Une remarque. Le président de la (?) a dit à plusieurs reprises qu’il aimerait acheter quelque chose en France, mais que cela devenait de plus en plus difficile car les pouvoirs publics l’en empêchaient. (Inaudible).
M. STRAUSS-KAHN : Je ne sais pas à quoi M. « BROHER » faisait allusion. Le commerce français est ouvert. Il était l’autre soir à Paris, j’ai eu l’occasion de dîner avec lui. Il a fait des courses dans la journée, personne ne l’a empêché d’acheter ce qu’il voulait. S’il avait des intentions plus précises dans le domaine professionnel, les pouvoirs publics n’ont pas à intervenir, d’ailleurs autant que je le sache, en matière d’assurance, une grande entreprise allemande a récemment fait une acquisition extrêmement importante en France comme d’ailleurs des Français ont fait des acquisitions dans d’autres pays dans le domaine financier ou autres. Il n’y a aucun protectionniste. Il y a le jeu naturel des affaires qui fait que certains concurrents sont plus efficaces que d’autres.
M. « KAME » (Wall Street journal) : Ma question porte sur le Crédit Lyonnais.
Le président du Crédit Lyonnais a émis le souhait de réaliser une augmentation de capital avant la fin de l’année et de vendre une partie des actions de la banque à des alliés qu’il choisirait. Partagez-vous ce souhait et ce calendrier ?
M. STRAUSS-KAHN : Le dossier du Crédit Lyonnais a été suffisamment compliqué. Nous venons de passer une étape importante qui a été celle de l’accord de la commission sur le plan proposé par la France ; accord qui n’était pas acquis quelques semaines plus tôt.
Je pense que tous ceux qui s’intéressent à ce sujet avaient conscience du risque d’une décision négative et des conséquences qu’aurait signifié une décision négative sur la disparition rapide du Crédit Lyonnais ; le drame social que cela représentait, le drame financier que cela aurait représenté.
Maintenant une nouvelle perspective d’avenir s’ouvre pour le Crédit Lyonnais. Dans cette perspective, il y a son développement et sa privatisation puisque dès 1995, le gouvernement français avait accepté l’idée que le débouclage du plan d’aide au Crédit Lyonnais devait se terminer par une privatisation.
Je me suis beaucoup battu avec le commissaire VAN MIERT pour que la France, l’actionnaire, l’État, garde la maîtrise des modalités de cette privatisation. Finalement, Bruxelles a bien voulu reconnaître que c’était censé et que puisque l’engagement pris en 1995 devait se réaliser avant fin 1999, le gouvernement français devait pouvoir garder la maîtrise de son action de ce côté-là.
Comment va se faire cette privatisation ?
Il y a un objectif clair. Cela doit être une réussite à tous points de vue. Une réussite pour l’État et le contribuable en termes de valorisation ; une réussite pour l’entreprise pour lui permette de poursuivre son développement et une réussite pour les salariés qui sont les premiers intéressés au développement et à la viabilité du Crédit Lyonnais.
La méthode sera la même que celle que nous avons suivie jusqu’ici pour toutes les opérations d’ouverture de capital ou de privatisation, c’est-à-dire commencer par une très large concertation avec les partenaires sociaux. D’ailleurs, c’est un peu un hasard, mais je reçois les syndicats du Crédit Lyonnais cet après-midi à 16 h 30. On ne perd pas de temps comme vous le voyez.
L’ensemble de la procédure sera engagé comme cela a été décrit avec le commissaire VAN MIERT, c’est-à-dire par une privatisation ouverte, transparente et non discriminatoire. Cela répond à la question que posait votre collègue tout à l’heure.
À partir de là, il y a différentes étapes à poursuivre. Le président du Crédit Lyonnais a donné son avis sur la façon dont il voyait des choses. Les syndicats me le donneront cet après-midi et lorsque tous les avis auront été recueillis, le Gouvernement tranchera sur la procédure qu’il voudra retenir.
Tout cela se fait de la façon la plus ouverte qui soit puisque, comme vous le voyez, personne n’hésite à s’exprimer publiquement.
UN INTERVENANT : (Inaudible).
M. STRAUSS-KAHN : À l’heure d’aujourd’hui, je n’ai pas décidé de vous dire si j’avais décidé de le faire.
Messieurs, merci de vous être dérangés.