Article de M. Eric Raoult, ministre délégué à la ville et à l'intégration, dans "La Tribune Desfossés" du 23 septembre 1996, sur les emplois de ville et la volonté du gouvernement d'intégrer les jeunes des quartiers défavorisés et de créer une dynamique économique, intitulé "Les emplois de la ville, une logique de services".

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  • Eric Raoult - ministre délégué à la ville et à l'intégration

Média : La Tribune Desfossés

Texte intégral

La situation de l'emploi dans notre pays, depuis plus de vingt ans, est caractérisée par une double évolution. Comme partout chez nos partenaires européens, elle est marquée par une création nette d'emplois, mais insuffisante pour absorber l'arrivée de jeunes sur le marché du travail. En revanche, une des spécialités de notre pays est que cette évolution est allée de pair avec, d'une part, une destruction des emplois modestes, qui étaient ceux des habitants de nos quartiers populaires (poinçonneurs de métro, porteurs de bagages, pompistes) et, d'autre part, une absence d'ambition pour imaginer des services à la personne, tels qu'ils existent depuis longtemps au Japon ou aux États-Unis. Or, c'est là que se trouvent les gisements d'emplois, notamment pour les jeunes. Dans cette course à la seule productivité, notre pays a, certes, gagné une économie musclée, mais sans chair. Une économie performante, mais une société à deux vitesses, à terme, contre-productive. On le voit chaque jour.

La réponse la plus commune à cette situation est la baisse du coût du travail, particulièrement sur les bas salaires. Les gouvernements successifs, depuis plusieurs années, s'y sont employés, à juste raison.

Cette problématique est partagée, avec encore plus d'intensité par la politique de la ville pour les quartiers en difficulté. En effet, l'éviction du marché du travail des personnes, peu ou pas qualifiées, est massive. Je rappelle que, parmi les critères de sélection des quartiers retenus en zones franches, figurent le taux de chômage et le taux de jeunes non diplômés qui doivent être supérieurs de 25 % à la moyenne nationale. Enfin, pourquoi le cacher, une part non négligeable des jeunes désœuvrés des quartiers est issue de l'immigration. Ils sont bien souvent intégrés culturellement, mais pas économiquement.

La création des emplois de ville par la loi du 6 mai repose sur ce constat mais répond aussi à une logique, celle des services d'utilité sociale à la frontière des secteurs marchands et non marchands. Cette mesure concerne ceux qui en ont le plus besoin, les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, ayant au plus atteint le niveau bac, et résidant dans les grands ensembles et les quartiers d'habitat dégradés. Notre objectif prioritaire est de prévenir le risque de l'assistanat chez ces jeunes qui, faute d'espoir, peuvent être réduits à attendre de percevoir le RMI à vingt-cinq ans. Les emplois de ville sont un moyen de leur remettre le pied à l'étrier. Mais plutôt que de partir du social pour arriver à l'économie, nous nous employons à créer une nouvelle offre de services pour susciter une demande. Cette logique de service s'est imposée dans certains secteurs depuis plusieurs années déjà. C'est le cas dans le domaine de la sécurité des transports, avec les « grands frères » du réseau RATP, les « agents d'ambiance » de Mantes-la-Jolie et du Havre, ou encore « les messagers » de la SNCF et de Chanteloup-les-Vignes.

Aujourd'hui, les emplois de ville confortent et amplifient cette offre de nouveaux services. Ils réduisent le coût du travail en exonérant toutes les charges patronales sur cinq ans, à l'exception des cotisations assurance chômage, de la retraite complémentaire, du Fonds national d'aide au logement et du versement transports. Pour solvabiliser ces services nouveaux, l'État prend en charge la majeure partie de la rémunération dans la limite de 120 % du Smic et de trente heures par semaine. Le soutien du gouvernement à ces nouveaux emplois va donc bien au-delà de la simple réduction des charges sociales. Mais il vise aussi l'insertion des jeunes à long terme dans la vie active, avec un volet formation substantiel, pour que ces vrais emplois conduisent à l'apprentissage de vrais métiers.

Le dispositif de soutien aux emplois de ville a toutes les caractéristiques des aides financières classiques. Au-delà des apparences, cependant, le gouvernement fait là un pari, ambitieux, sur le développement, dans les prochaines années, du marché des services et des aides à la personne. Il y a sans doute un paradoxe à ne retenir, pour l'instant, comme employeur, que les collectivités territoriales, les établissements publics, les offices d'HLM, les associations, les fondations et l'ensemble des entreprises chargées de la gestion d'un service public. Mais il faut, avant tout, y voir un choix d'efficacité pour lancer cette dynamique.

Bien entendu, notre but n'est pas d'accroître le nombre d'emplois publics. Nous sommes dans une tout autre logique, celle du marché des services de proximité, des aides à la personne, où notre pays a un retard à combler. Et puis, il y va de notre avenir à tous, à travers les jeunes.