Texte intégral
Le Progrès - 14 octobre 1996
Le Progrès : Les fonctionnaires manifestent jeudi contre les 5 599 suppressions d'emploi prévues. Sont-elles encore négociables ?
Dominique Perben : Non. Précisons qu'il ne s'agit pas de licencier des fonctionnaires, mais de ne pas remplacer tous les fonctionnaires partant à la retraite. Cette perspective est inscrite dans le projet de loi de finances, elle sera discutée au parlement, qui pourra éventuellement en modifier le nombre.
Le Progrès : On a eu l'impression que cette décision relève d'un principe a priori, voulant qu'il y ait trop de fonctionnaires...
Dominique Perben : Il est vrai que cela a été le discours de certains parlementaires, mais ce n'est pas l'approche du gouvernement. Il ne s'agit pas d'une attitude idéologique, mais d’une recherche d'économies, c’est vrai, et, d’une réflexion précise, ministère par ministère, pour trouver une meilleure adéquation entre les effectifs et la qualité du service. Il est normal que l'État fasse évoluer, ses effectifs, les augmente dans certains secteurs, les diminue dans d'autres. De plus, les salaires de la fonction publique représentent 40 % du budget de l’État, qu'on ne peut pas mettre hors discussion quand on passe des heures à boucler certains autres budgets moins importants.
Le Progrès : Craignez-vous un mouvement d’une ampleur comparable à l’année dernière ?
Dominique Perben : Ce n’est pas mon sentiment, car, depuis janvier, nous avons renoué le dialogue avec les organisations syndicales, et signé trois accords. D’autres négociations sont en cours, sur l'aménagement du temps de travail, la représentativité syndicale... Ce mouvement est classique dans une démocratie, mais il y a, au gouvernement et dans la plupart des organisations syndicales, la volonté de maintenir le dialogue.
Le Progrès : À quand la négociation sur les salaires ?
Dominique Perben : Rien ne sert de se précipiter : on entre dans une négociation avec la volonté d'aboutir à un accord. Des discussions informelles sont engagées depuis l'été, et devraient déboucher sur une ouverture de la négociation vers la fin de l'année.
Le Progrès : Vous justifiiez, il y a un an, le passage de la retraite des fonctionnaires à quarante années de cotisation par un souci de « justice entre les Français ». Et aujourd'hui ?
Dominique Perben : Ce dossier a été refermé très clairement par le Premier ministre à la fin de l'année dernière, il n'est pas question pour ce gouvernement de le rouvrir.
Le Progrès : On célèbre, mercredi, le cinquantenaire du statut de la fonction publique : un chef d’œuvre en péril ?
Dominique Perben : Ce n’est peut-être pas un chef-d’œuvre, mais il n'est sûrement pas en péril ! L'esprit cartésien français a, il est vrai, du mal à admettre la coexistence d'un statut général et d'une multiplicité de corps, de règles, de dérogations... Mais il est normal de tenir compte du grand nombre de métiers existant dans l'administration. Notre principe général est donc de maintenir le statut et, dans ce cadre, de renforcer les possibilités de mobilité et de déconcentrer l'administration. Déconcentrer ne voulant surtout pas dire éclater les corps nationaux, mais les gérer au plus près du terrain.
Le Progrès : La Cour des comptes dénonce l’usage abusif par l’administration de personnes en « contrat emploi-solidarité » …
Dominique Perben : Il est vrai que certaines administrations sont allées un peu loin : le CES doit être réservé aux collectivités territoriales et aux associations. Nous avons par ailleurs signé un accord avec les syndicats visant justement à intégrer dans l'administration un certain nombre de personnels en situation précaire, accord qui devrait être repris dans la loi.
Le Progrès : Le Président de la République vient encore de réclamer qu'on aille plus loin dans la réforme de l'État. Jusqu'où ?
Dominique Perben : Nous sommes prêts à aller très loin ! Aujourd'hui, l'administration d'État sur le terrain représente une trentaine de services, donc un éclatement de l'action de l'État. Et souvent, du fait de la fragilité de chacun de ces services, une remontée de la décision à Paris. Il faut donc, à la fois, réformer I' administration centrale, et redonner à l'administration de terrain une architecture qui corresponde aux besoins d'aujourd'hui.
Le Progrès : Vous allez vous heurtez à de nombreuses résistances...
Dominique Perben : Il faut sortir des querelles de boutique. La question est éminemment politique : ce gouvernement a-t-il la capacité de réformer l'État pour qu'il soit plus efficace et plus proche des gens ? Nous devons être très ambitieux sur les objectifs, mais aussi modestes dans la méthode, en étant conscients des difficultés, en procédant par expériences. Les fonctionnaires doivent devenir eux-mêmes les agents de la réforme, et ma conviction est qu'ils ressentent le besoin de réforme, de déconcentration et de mobilité.
Le Progrès : Les jeunes énarques passeront-ils bien, comme prévu, leurs deux premières années en province ?
Dominique Perben : Ils passeront au moins deux de leurs six premières années dans un service opérationnel, en province ou en région parisienne. L'essentiel est d'être sur le terrain, au contact des gens. Le Premier ministre souhaite que cela s'applique dès la prochaine promo de l'ENA, en 1997.
Le Parisien - 17 octobre 1996
Le Parisien : Aujourd’hui, redoutez-vous une grève dure comme en octobre dernier, ou un mouvement moins important comme vous le laissiez entendre récemment ?
Dominique Perben : Je ne ferai pas de pronostic sur le taux de grévistes mais je pense que la situation est moins grave qu'on veut bien le dire. En effet, les, choses ne vont pas si mal entre le gouvernement et les organisations syndicales. Nous avons par exemple signé des accords importants sur l’emploi précaire et les départs en préretraite et nous avons des perspectives sérieuses de négociations sur l'aménagement du temps de travail, l'insertion et la représentativité syndicale. De plus, malgré la grève, le dialogue continue dans la fonction publique.
Le Parisien : Certes, mais s’il y a grève ce jeudi c’est bien parce que des désaccords importants demeurent !
Dominique Perben : Il y a effectivement un désaccord sur les effectifs, mais je pense qu'il est temporaire. Quant à celui qui concerne les salaires, il faut que nous nous expliquions. Le gouvernement est d'accord pour négocier un accord salarial sur 1997 et 1998. Pour des raisons sociales - de nombreuses élections professionnelles vont avoir lieu -·et économiques - il faut voir plus clairement comment sera la conjoncture l'an prochain -, je pense qu’il est préférable de ne pas ouvrir les négociations avant la fin de l'année pour avoir une chance de la réussir.
Le Parisien : Quand comptez-vous précisément discuter avec les syndicats et quelles sont pour vous les conditions nécessaires à un accord salarial ?
Dominique Perben : Nous allons essayer de voir si l'on peut ouvrir la négociation en décembre, c'est-à-dire dans moins de deux mois. Pour le reste, il faut que tout le monde soit conscient des contraintes économiques, à partir de là on peut parvenir à un résultat positif. Avec la poursuite de la baisse des taux d’intérêt, le maintien d’une inflation faible et une reprise de la croissance, on devrait s’en sortir.
Le Parisien : Les réductions d’emplois seront finalement beaucoup moins importantes que prévu. La commission des finances de l’Assemblée chiffre à 780 millions l’économie réalisée sur un budget total supérieur à 1 500 milliards. Finalement, les fonctionnaires semblent épargnés par la rigueur budgétaire ?
Dominique Perben : La faiblesse des réductions d'effectifs prouve en tout cas que le gouvernement n'utilise pas cette arme comme mesure de gestion conjoncturelle. Mais chacun doit prendre sa part des économies à faire, tout en restant raisonnable. Nous réduisons les effectifs quand nous pouvons le faire car je défends l'idée de la qualité des services chez les enseignants, les policiers, les infirmières... où nous avons regardé les non-remplacements à la loupe. Il faut dédramatiser cette affaire d'autant que fin 1997, le solde des emplois administratifs sera positif.
Le Parisien : Comment arrivez-vous à un tel résultat ?
Dominique Perben : Dans le cadre de l'accord sur la mesure de « fin d'activité anticipée » - les préretraites -, dix mille jeunes devraient être recrutés l'an prochain, c'est presque deux fois plus que les effectifs supprimés.
TF1 - jeudi 17 octobre 1996
TF1 : Le mouvement de grève recueille, apparemment, une certaine popularité. Dans leur ensemble, les Français soutiennent ce mouvement, si l'on en croit deux sondages sortis aujourd'hui. C'était une façon de dire leur mécontentement. Prenez-vous ça comme un avertissement ?
D. Perben : D'abord, nous écoutons bien entendu les Français, mais en même temps, je voudrais rappeler ce que vous avez dit tout à l'heure : deux fonctionnaires sur trois, aujourd'hui, étaient au travail. Et la mobilisation a été, vous l'avez dit aussi, inférieure à ce qu'elle était l'année dernière, puisqu'on a beaucoup comparé les événements d'aujourd'hui avec ceux de l'an dernier. Cela étant, bien entendu nous écoutons ce qui se dit dans la rue, ce qui se dit dans les contacts que nous avons depuis bien longtemps avec les syndicats de fonctionnaires. Et si cette mobilisation a été plus faible, aujourd'hui, que l'année dernière, c'est évidemment le résultat de la reprise du dialogue que nous avons réalisée depuis six mois, avec l'ensemble des organisations de fonctionnaires.
Je voudrais rappeler que nous avons signé trois accords depuis six mois avec ces différentes fédérations sur des sujets très importants - l'emploi précaire - dont tout à l'heure un reportage faisait allusion. Nous allons pouvoir régler des difficultés qui, aujourd'hui, ne sont pas réglées. Nous avons également signé un accord sur la pré-retraite chez les fonctionnaires, qui va nous permettre, l'année prochaine, d'embaucher 10 000 jeunes supplémentaires, par rapport à ce qui aurait été le cas s'il n'y avait pas eu cet accord. Donc nous progressons. Et ce que je voudrais dire ce soir, c'est une confirmation de ce que je dis depuis un mois, de ce qu'a dit le Premier ministre au mois de septembre, c'est que nous souhaitons l'ouverture de discussions, dès la fin de cette année, sur les salaires. Et je suis convaincu qu'à partir du mois de décembre, nous allons entrer dans cette discussion pour aboutir à un accord salarial. En tout cas, c'est la volonté du gouvernement.
TF1 : Précisément, tout le monde parle de négociations aujourd'hui : au gouvernement, vous-même, à la CGT. Mais quelle est votre marge de manœuvre puisqu'A. Lamassoure lui-même, il y a quelques jours, affirmait que « la marge était faible » je le cite ?
D. Perben : Bien sûr la marge est faible aujourd'hui. Ce que nous pensons, c'est que la reprise économique aidant, nous avons des perspectives, aujourd'hui, et beaucoup plus positives pour les prochains mois. Cela nous permettra d'entrer dans la négociation à la fin de cette année et de la poursuivre sur des perspectives économiques qui seront meilleures que celles d'aujourd'hui et c'est une des raisons pour lesquelles nous pensons que cette négociation doit s'ouvrir à ce moment-là.