Déclaration de M. Hervé Gaymard, secrétaire d’État à la santé et à la Sécurité sociale, sur le renforcement de l'action de l’État pour la protection de l'enfance maltraitée, Paris le 24 septembre 1996.

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  • Hervé Gaymard - Secrétaire d’État à la santé et la la sécurité sociale

Circonstance : 8ème journée nationale pour la protection des enfants maltraités à Paris le 24 septembre 1996

Texte intégral

Il y a huit ans, en 1988, la première campagne contre les abus sexuels envers les mineurs était lancée lors d'une journée semblable à celle qui nous réunit aujourd'hui.

Huit ans après, de tragiques agressions contre des enfants et des adolescents pourraient donner à penser que la situation n'a pas progressé dans ce domaine.

Il n'en est rien à l'évidence. Vous qui êtes des professionnels de ce secteur le savez mieux que quiconque.

La protection de l'enfant, et plus globalement des personnes vulnérables au sein de la société, a toujours été une préoccupation majeure, et je dirai même une des raisons d'être des pouvoirs publics, et plus particulièrement des ministres chargés de la famille. Nous sommes tous conscients du rôle primordial de l'enfant – l'enfant porteur d'avenir – et de la famille, cette micro-société, représentation et reflet de l'évolution de notre société.

Le Premier Ministre a d'ailleurs annoncé le renforcement de la coordination interministérielle. Le dispositif institutionnel existant sera consolidé pour assurer la mise en œuvre de ces orientations. Le secrétariat d'État à l'Action Humanitaire d'Urgence sera représenté dans cette instance qui aura notamment pour mission de renforcer la concertation entre les administrations et les associations.

Ce nouveau dispositif coïncidera, d'une part, avec le lancement d'une campagne nationale pour la prévention des abus sexuels organisé par le ministère des Affaires Sociales, et d'autre part avec le renforcement des mesures d'aide aux victimes.

Aussi est-il évident que l'État, l'ensemble du Gouvernement et au premier chef les ministres chargé de la famille, de la santé, de l'Éducation nationale, et de la Justice, – mais aussi le législateur, ont  déjà  réfléchi et agi sur ces questions,– en coordonnant et en élargissant leurs actions, en soutenant de nombreuses initiatives, en assurant le suivi et le soutien des victimes, en mettant en œuvre des actions de prévention, mais également en se dotant des moyens de réprimer les délits et les crimes commis à  l'encontre des mineurs.

I. – MIEUX APPRÉHENDER LA MALTRAITANCE

Depuis quelques années, les phénomènes de maltraitance de mineurs ont été peu à peu identifiés par tous les acteurs du système. Ils ont amené à renforcer les interventions judiciaires, sanitaires, sociales, éducatives destinées à les circonscrire, les prévenir et les traiter.

Ce phénomène est relativement récent et n'a émergé que lorsque la maîtrise de la mortalité et de la morbidité infantiles a été acquise. Cette maîtrise a été rendue possible par les progrès de la recherche scientifique. Mais elle l'a été plus encore par le développement des moyens sociaux, économiques et techniques grâce auxquels ces progrès ont été rendus accessibles à la quasi-totalité de la population. Dans ces domaines, le rôle de l'État, promoteur des actions de santé publique et redistributeur des ressources, s'est avéré déterminant.

La plus grande attention collective portée à l'enfant a conduit sans cesse à étendre le champ de la protection médico-sociale puis judiciaire des mineurs.

Cette évolution s'est trouvée renforcée par une nouvelle prise en considération de la personne de l'enfant et d'une reconnaissance accrue de sa vie psychique, ainsi que des facteurs susceptibles d'y imprimer leurs marques.

Le terme de maltraitance est un néologisme assez récent qui consiste d'une certaine manière à porter un jugement de valeur prenant en considération l'ensemble des caractéristiques qui confèrent à un processus violent la dimension d'un problème social. Pour ces raisons le concept de maltraitance s'inscrit dans une logique de santé publique appliquée aux problèmes sociaux.

S'agissant des maltraitances psychiques, on connaît mal aujourd'hui les principales caractéristiques et circonstances liées au surgissement des violences psychologiques notamment intrafamiliales. Disposer de connaissances et d'hypothèses à ce sujet est indispensable avant d'engager des actions publiques de grande envergure, tant en matière de prévention et de dépistage que de prise en charge.

Il faut donc se donner les moyens de la connaissance en mettant en œuvre une méthodologie- rigoureuse élaborée avec les acteurs concernés du secteur.

Les maltraitances physiques sont à l'évidence mieux répertoriées et le rapport de l'ODAS vient à cet égard d'apporter des informations actualisées. Il a permis de prendre conscience du fait que le nombre d'enfants maltraités est en augmentation. C'est ainsi que 20 000 enfants ont subi des mauvais traitements en 1995, soit 3 000 de plus que l'année précédente, soit 18 % d'augmentation.

Une distinction doit être opérée entre l'enfant maltraité, victime de violences, d'abus sexuels ou de négligences lourdes et l'enfant « en risque », dont les conditions d'existence risquent de mettre en péril sa santé, sa sécurité ou sa moralité, mais qui n'est pas pour autant maltraité. L'enfance en danger recouvre à la fois les mineurs maltraités et « en risque ». Cette différenciation permet d'affiner l'analyse et de mieux cibler les actions de prévention comme les dispositifs d'alerte.

45 000 enfants sont ainsi considérés comme « en risque », soit 4 000 de plus que l'an dernier. Au total il y aurait donc en France 65 000 enfants en danger (12 % de plus qu'en 1994).

Cette croissance est préoccupante mais elle doit également être interprétée comme la résultante d'une connaissance meilleure et d'une action plus efficace de la part des travailleurs sociaux, des enseignants, des médecins, mais aussi des familles.

Le service national d'accueil téléphonique pour l'enfance maltraitée (SNATEM) a ainsi pu constater une augmentation sensible des appels.

II. – AGIR CONTRE LA MALTRAITANCE : une responsabilité collective

1) Une responsabilité collective qui nécessite une approche globale

Sans méconnaître la nécessité d'appréhender très précisément les faits et maltraitances physiques et de les décrire aussi précisément que possible, il convient d'inscrire ces situations dans une logique de santé publique et de s'attacher aux facteurs qui permettent d'en mesurer la portée et d'en apprécier le sens. Il faut donc situer le problème dans son environnement global, en prenant en compte les caractéristiques socio-économiques, démographiques, politiques et psycho-culturelles liées au contexte de maltraitance. Il faut aussi, dans le même temps, évaluer les ressources de toute nature qu'il est possible de mobiliser sans délais pour en prévenir la survenue et en réduire l'impact.

Cette approche globale, multifactorielle, mobilisant de multiples intervenants, présente un double intérêt face au problème posé par les maltraitances. Celui de pouvoir s'appliquer simultanément au niveau individuel et au niveau collectif, et celui de susciter un style d'intervention qui, plutôt que de s'en tenir à dénoncer les situations à risques et les situations de faits, cherche à favoriser une dynamique de réduction des mécanismes de vulnérabilité et de renforcement des processus de protection.

Il faut surtout agir pour modifier profondément les mentalités, par tous les moyens, et vous y contribuez chacun dans votre domaine d'action.

Plus un seul adulte, plus un seul citoyen, ne doit pouvoir considérer que la façon d'élever un enfant ne regarde que ses seuls parents ou les seuls responsables de l'institution qu'il fréquente. Ni penser que, si ceux-ci présentent des difficultés manifestes pour exercer leurs missions éducatives, des spécialistes ou des professionnels prendront le relais pour dispenser des moyens d'aide financés par un dispositif de solidarité collective. Cela ne saurait constituer qu'une réponse dérisoire au regard de ce que les enfants sont en droit d'attendre de la vie.

2) Les moyens : Informer, former, prévenir

Sur le plan législatif, cette volonté des pouvoirs publics de lutter contre la maltraitance à enfant s'est manifestée par l'adoption de la loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements et des abus sexuels à l'égard des enfants.

Tous les trois ans le ministre chargé de la Famille remet un rapport au Parlement rendant compte des résultats des actions soutenues, des recherches menées sur l'enfance maltraitée, mais aussi des mesures prises tendant à diminuer la fréquence et la gravité des violences envers les mineurs et à assurer, le cas échéant, une prise en charge thérapeutique et sociale des victimes, de leur famille et de leur entourage.

Pour l'ensemble de ces actions, il s'appuie sur les compétences des autres ministères qui constituent le Groupe Permanent Interministériel pour l'Enfance Maltraitée (GPIEM).

Dans ce domaine, comme dans tous ceux qui ressortent du champ de la santé publique mais plus encore en la circonstance, il est nécessaire de mener une politique de prévention active, tout en se gardant de ce qui pourrait être vécu comme une intrusion des pouvoirs publics et de leurs relais sociaux et judiciaires dans l'espace privé des familles.

Le ministère chargé de la famille est également amené à concevoir et soutenir des campagnes, des actions et des programmes de sensibilisation et d'information des enfants et de leurs familles, et des actions de sensibilisation et de formation des professionnels institutionnels ou relevant du secteur associatif, comme la journée qui nous réunit aujourd'hui.

De nombreux documents écrits et audio-visuels ont déjà été élaborés et diffusés par le ministère en collaboration avec le Comité Français d'Éducation pour la Santé.

Cette diffusion sera renforcée et je veillerai à ce que tout nouveau document d'information soit élaboré en étroite concertation avec les acteurs de terrain afin de répondre au mieux aux besoins concrets observés.

Ces documents s'adressent autant au grand public qu'aux professionnels.

Vous avez par exemple en main une nouvelle brochure à l'intention des enfants : « Un enfant on le protège on ne le maltraite pas », qui les informe sur les droits inhérents à leur personne. Son élaboration a tenu compte de l'avis des enfants des écoles. Je voudrais à cette occasion remercier le ministre de l'Éducation nationale qui a permis ce travail. Cette brochure, destinée aux enfants sera complétée sous peu par un document à l'intention des adultes enseignants, personnels éducatifs et sociaux en contact avec les enfants.

Il faut également faire état du travail fait par la Direction générale de la santé, qui a inscrit dans le programme d'éducation à la santé un module sur la maltraitance et sur la protection et la prise en charge des enfants maltraités. De même, le ministre de l'Éducation nationale a inscrit ce sujet dans le programme portant sur la prévention des conduites à risques.

D'autres documents sont en cours d'élaboration avec les professionnels, notamment à l'intention des assistantes maternelles accueillant des enfants à la journée. Enfin, un groupe de travail a été mis en place pour étudier la problématique des médecins gynécologues confrontés à la maltraitance et aux abus sexuels envers les mineurs.

Tous ces documents constituent de précieux outils en à vocation pédagogique, qui s'inscrivent dans une logique de formation et dont la diffusion à l'intention des adultes sera précédée par des journées techniques destinées à une utilisation performante de ces outils de travail.

Ces journées sont déjà nombreuses à l'actif du ministère chargé de la famille et vous les connaissez bien.

Dans ce même esprit, le ministère soutient les actions de formation d'excellente qualité organisées par deux associations spécialisées :
    – l'Association des psychiatres d'intersecteur (API) sur la prise en charge des mineurs victimes d'agressions sexuelles ;
    – et le Centre de recherches et d'innovations en sciences sociales (CRICS) sur la prise en charge thérapeutique des victimes et de leur famille maltraitante.

Les programmes de prévention des mauvais traitements et abus sexuels envers les enfants doivent avoir pour objectif de donner à l'enfant les moyens de se protéger, de connaître ses droits et de faire respecter sa personne, en lui apprenant par la parole, par l'image et par tout support adapté, le respect dû à tout individu.

Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de sensibiliser des acteurs à la réalité des mauvais traitements et abus envers les enfants en insistant sur leur gravité, leurs conséquences et en valorisant les moyens et les méthodes de prévention et de traitement.

La mise en œuvre des programmes de prévention doit être conçue au plus près des situations et des ressources locales en s'attachant à sensibiliser les adultes et à présenter des documents aux enfants.

3) Renforcer la collaboration entre les acteurs et évaluer les programmes

Le partenariat le plus large associant l'ensemble des services publics de l'État, des collectivités locales, et des associations intéressées à un titre ou à un autre à l'enfance constitue le gage de réussite de ces actions.

Il faut aussi, et pourquoi ne pas dire surtout, que les programmes d'action fassent l'objet d'évaluation destinés à en mesurer l'impact, les modalités d'évaluation devant être conçues dès l'élaboration des programmes et intégrées dans leur mise en œuvre.

Une telle évaluation des actions et des programmes doit fournir des éléments de bilan susceptible de rendre toujours plus opérante la politique dans ce domaine, et contribuer à la création d'outils pédagogiques de référence.

Conclusion

Le fait de voler son enfance à un enfant est proprement insupportable. II est donc plus que jamais nécessaire de dépister les situations à risques et de prévenir les mauvais traitements.

Seule une meilleure connaissance des facteurs de fragilisation et de dysfonctionnements familiaux, sous réserve d'éviter soigneusement tout étiquetage et dans une optique résolument préventive, est susceptible de faciliter le dépistage de certaines situations de danger pour l'enfant.

Il importe que l'ensemble des acteurs, c'est-à-dire nous tous, qui avons une responsabilité collective, soient en état de veille permanent, à l'écoute des signes, et puissent recueillir les données propres à l'enfant, aux familles, à leur histoire et à leur environnement socio-culturel.

La journée d'aujourd'hui, comme les précédentes, y contribuera largement.

Je profite de l'occasion qui est aujourd'hui donnée pour vous rappeler que le Premier ministre a confié à Odile Moirin, député de l'Essonne une mission auprès de moi afin de coordonner l'action des pouvoirs publics et des collectivités territoriales dans le secteur de l'enfance en danger.

Odile Moirin a été chargée de faire des propositions relatives à l'amélioration de cette coordination inter­institutionnelle, notamment en matière de prévention et de soutien aux enfants victimes de mauvais traitements et d'abus sexuels.

Le rapport qu'elle vient d'établir dans ce cadre doit m'être remis dans les prochains jours et ne pourra que contribuer à améliorer les dispositifs déjà mis en place.