Texte intégral
I – Une ambition politique
I – 1 Pourquoi ? Parce que l'innovation doit être une priorité pour la France.
I – 1–1 Sur le plan stratégique, il faut faire le choix de la production contre la rente.
L’innovation est indissociablement liée au progrès. Si nous nous retrouvons ici aujourd’hui, à l’initiative de Lionel Jospin, c’est sans doute parce que la croyance dans le progrès s’est dans notre pays peu à peu érodée. L’ambition, non seulement des responsables politiques, mais aussi de tous les acteurs de l’innovation réunis aujourd’hui ici doit être de retrouver le sens du progrès. Le progrès non comme un automatisme ou une fatalité, mais comme une volonté. C’est le cœur de la conviction qui me conduit depuis plus de vingt ans, avec trois mots qui sont pour moi les composantes inséparables de la modernité. Les deux premiers sont classiques ; le troisième mérite d’être précisé.
– Il s’agit de la solidarité, il n’est pas en effet de progrès s’il ne profite à tous et s’il n’est accepté par tous. L’enjeu, pour nous, doit être de réconcilier dans l’esprit de nos concitoyens le progrès scientifique et technologique avec le progrès économique et social.
– Il s’agit ensuite de l’action publique. La mondialisation ne tue pas les choix politiques, mais elle nous oblige à renouveler les formes de l’action publique.
– Il s’agit enfin de la production. La production est parfois opposée, à tort, à la redistribution. Je suis convaincu qu’il est déterminant d’accorder à nouveau à la production l’attention qu’elle mérite. Il n’y a là aucune contradiction avec la nécessité de la redistribution : la production est, en effet, une condition du progrès social. S’il est une opposition qui me paraît plus pertinente, c’est celle qui existe entre la production et la rente.
C’est pourquoi, dans l’action engagée par le Gouvernement depuis bientôt un an pour créer les conditions de la croissance, en d’autres termes pour soutenir la production, je place au premier rang de mes priorités le soutien à l’innovation.
I – 1–2 Sur le plan économique, c’est faire le choix de la croissance et de la croissance-durable.
Les entreprises innovantes ont une place tout à fait particulière dans le processus de croissance des économies modernes. En effet, toutes les analyses font apparaître que les entreprises innovantes tirent la croissance. On estime communément que les entreprises de hautes technologies représentent entre le tiers et la moitié de la croissance américaine des deux dernières années, et que plus d’un million d’emplois nouveaux seront créés aux États-Unis dans ces secteurs au cours des huit prochaines années. En France, c’est dans ces entreprises que se sont créés le plus grand nombre d’emplois qualifiés depuis deux ans. Dans le secteur des télécommunications, le nombre d’emplois nouveaux augmente de plus de 5 % par an, aussi bien chez les équipementiers que chez les opérateurs ; dans les SSII, le rythme annuel d’augmentation des emplois dépasse 10 %.
L’innovation est aussi une condition nécessaire de la croissance à moyen terme pour toutes les entreprises. Dans une économie mondiale de plus en plus intégrée, où la connaissance et les capitaux circulent sans entraves, les vieux pays industriels n’ont que deux armes, la qualité et l’innovation. Toutes les entreprises sont donc confrontées à un double défi : l’innovation de produits qui stimule la demande en faisant apparaître des produits nouveaux et l’innovation de procédés qui améliore les processus de production existants. Sous ces deux aspects, l’innovation est la condition de la compétitivité internationale de nos entreprises.
A ce titre, la politique de l’innovation que j’entends conduire est le moyen de transformer une conjoncture favorable en une croissance durable.
I – 1–3 Sur le plan géopolitique, c’est faire le choix de la puissance industrielle pour notre pays et pour notre continent.
Soutenir l’innovation, c’est le choix d’une certaine indépendance industrielle, et c’est un choix de puissance industrielle. Nous savons tous que la maîtrise des technologies nouvelles, et singulièrement la maîtrise des technologies de l’information et de la communication, constitue un enjeu stratégique de premier ordre. La richesse et la puissance se concentreront demain sur les lieux où seront maîtrisées ces technologies. Les États-Unis dominent à présent le marché mondial des industries de l’information. En 1991, cinq groupes européens se classaient encore parmi les vingt-cinq premières entreprises informatiques mondiales. En 1997, il n’en reste qu’une. La France ne doit pas devenir simplement un grand pays consommateur de nouvelles technologies. Notre pays doit et peut tirer le plus grand parti des révolutions technologiques que nous vivons.
Je suis convaincu que cet objectif est à notre portée, si nous savons valoriser nos atouts. Car je veux le redire ici, après ceux qui l’ont souligné déjà aujourd’hui : les fondamentaux humains et technologiques de notre pays sont excellents. Or, ces éléments constituent un capital accumulé qui nous fournit de très importants avantages concurrentiels.
Ne nous y trompons pas, la diversité de notre infrastructure industrielle, la qualité de notre capital humain et de notre système de formation, les performances de notre recherche fondamentale, notre positionnement dans la zone euro, sont autant de paramètres fondamentaux qui jouent aujourd’hui, dans la compétition industrielle mondiale, le rôle que notre climat et notre réseau de fleuves ont joué pendant des siècles dans le développement de notre agriculture.
Ce sont là des atouts certes, mais des atouts qu’il faut valoriser. Pour cela, un préalable s’impose : réconcilier les français avec l’innovation et le risque.
I – 2 Comment ? D’abord, réconcilier les français avec l'innovation et le risque.
« L’innovation par tous et pour tous » constitue le choix politique qui guide toute l’action que j’ai décidé d’engager pour développer l’innovation et la création d’entreprises en France. On ne peut pas innover durablement si trop de gens restent au bord du chemin, si les fruits de la croissance ne se diffusent pas dans toute la société, notamment en emplois, et si les citoyens n’adhèrent pas à ce projet commun. La formule ancienne, « le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous », retrouve aujourd’hui toute son actualité. Et face aux échéances auxquelles nous sommes confrontés, je pense que le progrès n’est possible que s’il est voulu par tous. Mon ambition est donc de réconcilier les français avec l’innovation et le risque.
I – 2-1 Favoriser l’innovation, c’est, par nature, favoriser la prise de risque.
L’innovation est par nature risquée. Pour un produit qui devient un standard mondial, beaucoup d’autres échouent à satisfaire le consommateur. Il faut donc que chacun accepte d’encourir ce risque, dont la contrepartie est une espérance de revenu élevé : le chercheur qui doit, s’il veut concrétiser son idée, quitter la quiétude de son laboratoire ; le financier qui peut perdre tout le capital qu’il a apporté ; les salariés qui peuvent perdre leur emploi si l’entreprise fait faillite. Aux États-Unis, la densité de l’innovation est telle que celui qui tente sa chance est assuré de pouvoir bientôt renouveler l’expérience en cas d’échec. En France, l’innovation est rare, et celui qui s’y engage subit bien souvent le syndrome de l’échec : le chercheur qui a tenté l’aventure a perdu ses marques professionnelles, le financier hésite à renouveler l’expérience, le salarié se retrouve au chômage. Et celui qui réussit voit bien souvent ses gains taxés à l’excès par une fiscalité qui préfère le capitalisme de rente au capitalisme de l’innovation.
I – 2–2 Favoriser le risque, en France, suppose de le mutualiser pour partie et de réussir une mutation culturelle.
Reste une question qu’il faut aborder de front : nos concitoyens sont-ils prêts à accepter le même degré de risque que les Américains ? Dans les systèmes qui sont les nôtres, les chercheurs et les universitaires savent trop bien le prix d’une position acquise, les salariés savent trop bien la difficulté d’obtenir un contrat à durée indéterminée pour y renoncer facilement.
C’est pourquoi nous nous efforçons de mettre en place des formes de mutualisation du risque qui garantissent aux individus qu’en s’engageant dans l’innovation, ils ne coupent pas complètement les ponts avec leur vie antérieure. Il faut permettre au succès d’être récompensé, mais aussi mutualiser une part des risques pris car ils le sont au bénéfice de la collectivité. C’est pourquoi j’ai tenu à développer les incitations fiscales à la création d’entreprises. C’est pourquoi je crois aussi qu’il y a complémentarité entre l’existence d’une protection sociale rénovée et la floraison de l’innovation : le créateur d’entreprise doit bénéficier d’un filet de sécurité. Ainsi, le salarié qui démissionne, entreprend et échoue rapidement ne devrait sans doute pas être plus mal traité au regard de l’assurance chômage que le salarié qui est licencié.
Une grande partie des difficultés culturelles auxquelles se heurte l’innovation dans notre pays tient à la perception collective de l’entrepreneur caractérisée par un amalgame traditionnel entre l’entrepreneur, le patron, et le rentier. Cet amalgame ne reflète pas la réalité économique et sociale de notre temps.
– L’entrepreneur n’est plus le patron exclusif et immuable de son entreprise. S’il échoue, il disparaît. S’il réussit, il doit le plus souvent faire croître son entreprise et donc partager le pouvoir avec de nouveaux investisseurs, qui le sanctionneront si les performances de l’entreprise faiblissent. Pour adapter rapidement son entreprise aux mutations technologiques et concurrentielles, il doit le plus souvent conclure des accords avec des partenaires industriels avec lesquels il devra partager les décisions stratégiques.
– L’entrepreneur n’est certainement pas un rentier. S’il échoue, là encore, il disparaît. S’il réussit, il possède certes un patrimoine qu’il a contribué à créer ; mais rien n’est plus volatile que la valeur d’une entreprise innovante. Un retard technologique de quelques mois, le choix malheureux d’un partenaire industriel, le départ de quelques éléments centraux dans l’entreprise débauchés par un concurrent agressif, et la valeur du patrimoine de l’entrepreneur fond comme neige au soleil, tout particulièrement si l’entreprise a financé sa croissance par une cotation en bourse. On est bien loin de la rente.
– A l’inverse, le patron et le rentier sont assez rarement des entrepreneurs. Dans l’immense majorité des cas, les patrons des entreprises françaises sont des salariés qui font carrière. Ils sont rarement les fondateurs des entreprises qu’ils dirigent ; ils ont rarement connu les affres du développement initial d’un projet sans nom, au sein d’un petit groupe d’hommes et de femmes confrontés à la gestion quotidienne des grands et des petits problèmes de l’entreprise nouvelle. Quant aux rentiers, ils n’ont le plus souvent pas contribué ni à la création ni à la gestion des projets dont ils tirent un rendement.
Il nous faut donc prendre la création d’entreprise et l’entrepreneur pour ce qu’ils sont : les éléments centraux du processus d’innovation et de croissance. Il nous faut reconnaître que la création d’entreprise est souvent la deuxième chance pour ceux qui, entre 17 et 20 ans, sont passés à côté du système si monolithique par lequel la France produit ses élites. Il nous faut reconnaître que la création d’entreprise peut constituer un facteur de fluidité sociale considérable. Il nous faut enfin reconnaître que la création d’entreprise est une forme d’engagement individuel qui permet de contribuer à un projet collectif.
D’ailleurs, je voudrais rappeler que la France a été un grand pays d’entrepreneurs. Le modèle que j’évoque n’est pas un modèle importé de Californie ou d’ailleurs. Toutes les grandes révolutions technologiques que notre pays a connues ont suscité un foisonnement d’initiatives individuelles et collectives. L’école Centrale et l’école des Arts et Métiers, avant de former, comme aujourd’hui presque toutes les grandes écoles, des salariés, ont formé à la fin du siècle dernier des centaines d’entrepreneurs, d’origines sociales très diverses, qui ont conduit la révolution industrielle.
Une bonne part des solutions dépend indiscutablement du système éducatif. Les choses changent. Claude Allègre s’y emploie avec détermination. Le sondage publié aujourd’hui fait apparaître que quatre jeunes sur dix envisagent de créer leur propre entreprise à plus ou mois long terme. Mais il faut que les jeunes découvrent dès l’école et le lycée, non seulement le monde de l’entreprise, mais aussi l’acte de création d’entreprise. C’est un élément de la socialisation des jeunes. Comme Christian Pierret vous l’a indiqué tout à l’heure, nous allons engager dans les Écoles des mines et des Télécommunications, dont nous avons la tutelle, des actions ambitieuses pour y développer la culture du risque et l’esprit d’entreprise.
II – Une stratégie d'action.
II – 1 Une méthode : Une nouvelle forme d'action publique.
Je ne crois pas, et l’expérience de ces dernières années me confirme, que le marché, seul, puisse dans notre pays suffire à nous faire combler notre retard. C’est pourquoi, si les acteurs privés restent au cœur du processus d’innovation, je crois à la légitimité de l’action publique dans ce domaine.
A l’inverse, je suis convaincu que l’action publique, telle qu’elle était traditionnellement conçue, sous forme de grands plans sectoriels centrés sur une filière industrielle particulière ou de plan massif de commande publique, serait contre-productive.
Entre les deux, mon action repose sur une méthode simple : analyser systématiquement les points de blocage qui freinent le développement de l’innovation, lever les verrous et concentrer l’action publique sur les lieux où les opérateurs privés hésitent.
II – 1–1 Rapidité.
Il nous faut agir vite. Les cycles technologiques sont de plus en plus courts et sont caractérisés par une impressionnante accélération des rythmes – découverte scientifique, innovation technologique, développement commercial, obsolescence –. Dans un environnement international où des retards de quelques mois dans l’innovation technologique, ou dans la constitution de positions industrielles, peuvent être déterminants pour la compétitivité de notre pays, c’est à nous tous, collectivement, qu’il incombe d’agir vite. Le Gouvernement a d’ailleurs pris la mesure de cette urgence en prenant des dispositions pour soutenir l’innovation dans la loi de finances pour 1998 élaborée dans les trois mois qui ont suivi notre arrivée aux affaires.
II – 1–2 Impulsion.
J’entends agir dans une logique d’impulsion et d’effet de levier et non pas dans une logique de substitution des opérateurs privés. Le fonctionnement du fonds public pour le capital-risque, doté de 600 MF, que j’ai créé est à ce titre assez significatif, puisque ce fonds ne viendra pas se substituer aux opérateurs de capital risque, ceux-ci prendront l’essentiel du risque dans le choix des projets et dans les volumes d’investissement.
II – 1–3 Concertation.
Notre action en faveur de l’innovation se caractérise par la plus grande transparence dans l’élaboration des décisions et par l’ouverture très large de la concertation. Le processus engagé pour développer le commerce électronique, à travers la mission confiée à Francis Lorentz, et le processus engagé pour initier une nouvelle politique de l’innovation, à travers la mission confiée à Henri Guillaume, sont assez représentatifs de cette méthode. Ils se caractérisent par une vaste consultation des acteurs publics et privés, une publication immédiate du constat et des recommandations formulées par le missionnaire, l’ouverture d’un débat sur ces propositions, des choix du Gouvernement suivis d’une mise en œuvre rapide.
II – 2 Agir sur les trois piliers de l'innovation.
Au-delà de la méthode, soutenir l’innovation, c’est d’abord faire des choix : faire émerger de nouveaux entrepreneurs, de nouveaux capitaux et de nouvelles technologies. J’entends agir sur ces trois piliers de l’innovation.
II – 2–1 Pour innover il faut des entrepreneurs.
Le capital humain est au cœur du processus d’innovation. C’est une responsabilité collective de veiller à la qualité du système de formation générale, professionnelle et supérieure qui produit ce capital humain. Claude Allègre s’emploie à cette lourde tache. Ma responsabilité est de créer des conditions financières et fiscales pour que des femmes et des hommes de qualité soient incités à déployer leurs talents en s’engageant dans la création d’entreprises.
L’incitation à la prise de risque, c’est largement la rémunération du risque ; conscient de cette évidence, Christian Sautter et moi avons créé les bons de souscription de parts de créateurs d’entreprises. La presse et les professionnels de l’innovation soulignent combien ce dispositif rencontre un succès réel, tout simplement parce qu’il répond à un besoin réel. En effet, les PME innovantes n’ont la plupart du temps pas les moyens d’offrir des salaires élevés aux cadres et chercheurs de haut niveau dont elles ont besoin et à l’ensemble des salariés qui partagent les chances de succès et le risque d’échec. Ce dispositif permet de les intéresser dans des conditions fiscales et sociales favorables au succès éventuel du projet. Les stock-options sont un élément consubstantiel de la création d’entreprises innovantes.
Pour engager plus de créateurs d’entreprises qui ont réussi à créer des entreprises nouvelles en apportant leurs capitaux et leurs conseils, nous avons aussi institué, en faveur de ceux que l’on appelle souvent les « business-angels », un report d’imposition pour les plus-values de cession réinvesties dans des entreprises de moins de 7 ans.
Entreprendre, c’est développer un produit performant, rechercher des partenaires privilégiés, recruter des collaborateurs enthousiastes, identifier des fournisseurs patients, convaincre des clients hésitants et initier avec eux une relation stable, surveiller ses concurrents, rechercher les financements les moins onéreux auprès des financiers les plus compréhensifs… c’est passer du temps, beaucoup de temps, un temps précieux que l’entrepreneur ne peut pas consacrer à remplir les trop nombreux formulaires que sollicitent les administrations. Voilà, pourquoi les initiatives que j’ai engagées avec Marylise Lebranchu pour la simplification administrative, notamment des PME, constitue un élément important de notre action pour faciliter la vie des entrepreneurs.
II – 2–2 Pour innover, il faut des capitaux.
Développer le capital-risque reste une priorité. Dans le sondage publié aujourd’hui, 46 % des jeunes considèrent que le développement du capital-risque est l’une des mesures les plus efficaces pour encourager l’innovation. Et il est exact que c’était là un verrou à l’innovation, ce verrou le Gouvernement l’a levé. Souvenez vous du discours dominant il y a un an : « en France, le principal frein à l’innovation, c’est l’absence de capacités d’investissement dans les fonds propres des entreprises ». Aujourd’hui, certains prétendent qu’il y aurait presque trop d’argent disponible.
Le résultat est là. Le fonds public pour le capital-risque dont j’avais décidé la création lors de l’ouverture de capital de France Telecom est opérationnel depuis la semaine dernière ; ce fonds public doté de 600 MF permettra de mobiliser au cours des prochaines années près de trois milliards de francs d’investissements privés dans le capital-risque. Les contrats d’assurance-vie investis principalement en actions cotées et non cotées se mettent en place, ils permettront d’orienter vers l’innovation une partie de l’épargne individuelle mutualisée ; près de deux milliards de francs supplémentaires devraient être disponibles chaque année respectivement pour le Nouveau Marché et pour le capital investissement. La Banque Européenne d’Investissement s’est mobilisée en application du programme d’Amsterdam initié par la France et a conclu récemment un accord avec la Safaris ; ce dispositif permettra de garantir des investissements à risque pour un montant global d’environ deux milliards de francs au cours des trois prochaines années. Le capital-risque en France a été transformé.
C’est maintenant aux acteurs de l’innovation, et singulièrement aux professionnels, du capital-risque, de se saisir de ces nouveaux outils. Ce qui nous manque ce ne sont plus les capitaux pour l’innovation, ni même les projets innovants qui nécessitent des financements… ce sont les aiguilleurs de l’innovation, ceux qui orientent les ressources vers les projets. Les professionnels du capital-risque sont encore trop peu nombreux en France ; or l’innovation ne pourra se développer dans notre pays que si se multiplient les femmes et les hommes qui s’engagent dans le métier de l’investissement à risques. Un métier de veille technologique, d’accompagnement des entrepreneurs dans les grandes et dans les petites décisions, un métier du risque. À tous les jeunes qui aujourd’hui hésitent dans le choix d’une voie professionnelle, je souhaite indiquer que tous les dispositifs que nous mettons en place pour développer les fonds propres des entreprises auront besoin de leur créativité et de leur enthousiasme.
D’autres verrous encore doivent être levés. Nous allons poursuivre, en concertation avec les professionnels, l’adaptation du dispositif fiscal en faveur du capital-risque. Le statut fiscal des Sociétés de Capital Risque sera aménagé et simplifié. Le régime des FCPI sera assoupli pour permettre le développement de cet outil de financement de l’innovation.
Avant le capital-risque qui finance les entreprises en phase de démarrage, il y a un chainon qui est encore manquant, c’est le capital d’amorçage.
C’est pourquoi Claude Allègre et moi allons contribuer à la mise en place dans les prochains mois de plusieurs fonds d’amorçage. Ces fonds seront clairement ciblés sur l’amorçage véritable et n’auront pas vocation à financer la croissance des entreprises qui auront démarré. La gestion de ces fonds d’amorçage sera confiée à des professionnels du secteur privé. Les investisseurs privés devront être majoritaires dans le capital de ces fonds sans toutefois qu’un seul groupe privé ne puisse contrôler de tels fonds. Il paraît préférable qu’il n’y ait pas identité totale entre les structures de transfert technologique et d’incubation et les fonds d’amorçage. Plusieurs universités et organismes de recherche pourront se regrouper au sein d’un même incubateur ou d’une même société de transfert et plusieurs incubateurs pourront alimenter en projets un même fonds d’amorçage. Je constate avec satisfaction que des initiatives prometteuses ont déjà été engagées dans plusieurs centres technologiques pour mettre en place de tels fonds d’amorçage, je pense par exemple à Grenoble ou aux projets du CEA.
L’autre chaînon manquant c’est le capital-risque de proximité, celui des personnes physiques ou des associations qui financent des entreprises locales, pas nécessairement de hautes technologies, mais créatrices d’activités et d’emplois, qualifiés et non qualifiés. Pour développer ce maillon de la chaine de la création d’entreprises, le dispositif actuel de déduction fiscale pour les personnes physiques qui investissent dans des PME nouvelles sera reconduit. Dans le même esprit, les dons des personnes physiques aux associations qui accordent des financements à des petits projets locaux ouvriront droit à une réduction d’impôt.
II – 2–3 Pour innover, il faut des technologies.
La France constitue un fantastique gisement de technologies, cela a été souligné plusieurs fois aujourd’hui. Le ministre de l’Industrie que je suis ne peut rester insensible au terrible paradoxe français souligné remarquablement par Henri Guillaume dans son rapport sur la technologie et l’innovation, c’est-à-dire la coexistence d’une recherche de grande qualité et d’une diffusion assez faible de l’innovation technologique dans l’industrie.
Cette situation doit être traitée, comme les autres volets de l’innovation, par des initiatives énergiques. Depuis le 1er janvier 1998, Claude Allègre, Christian Pierret et moi avons mis en plaça le Réseau National de Recherche en Télécommunications, qui coordonne les efforts des laboratoires publics, des industriels privés et des opérateurs de télécommunication. Les mesures visant une meilleure articulation entre la recherche publique et les entreprises privées sont certainement prioritaires. D’autres initiatives suivront.
Au-delà de l’amélioration du couplage entre le monde de la recherche et le monde de l’entreprise, il nous faut redéfinir l’utilisation des outils de politique industrielle. La politique industrielle rénovée que j’entends mettre en œuvre passe par une politique nouvelle des aides à l’innovation industrielle.
a) Aider les projets de coopération. Tout d’abord, j’ai décidé de privilégier désormais les aides aux projets de coopération. La recherche présente souvent des économies d’échelle et le saupoudrage des aides peut être inefficace. La priorité de mes services sera donc désormais de soutenir les projets qui rassemblent les efforts de recherche d’entreprises différentes et permettent d’en diffuser plus largement les résultats. Nous ne financerons plus les grands groupes en tant que tels, nous financerons les grands projets de R-D industrielle qui devront associer systématiquement des PMI. Au lieu de les opposer, il y a lieu de rapprocher les grands groupes et les PMI en favorisant les projets mobilisateurs communs. Mon objectif est que la part exécutée par les PMI dans les projets soutenus par mon ministère soit désormais de l’ordre de 25 %.
b) Contractualiser. Ensuite, je souhaite développer la contractualisation des aides à la recherche engagées sur des projets lourds. Une action plus efficace de l’État en faveur de l’innovation industrielle passe sans doute par des partenariats plus étroits entre acteurs publics et acteurs industriels privés. Mais comme dans tout partenariat, cela suppose une responsabilisation accrue des partenaires privés dans l’utilisation des aides. Ainsi, les aides prendront la forme d’avances remboursables pour les projets de développement technologique avals, et les subventions seront réservées aux projets de développement technologique amont.
c) Evaluer. J’ai également décidé de généraliser l’évaluation des aides. Le contrôle de l’utilisation des aides publiques à la R-D des entreprises est assez efficace. En revanche l’évaluation de l’efficacité de l’aide publique (en termes de brevets, de performance des procédés, d’emplois créés ou de toute autre forme d’externalité) est très inégale. C’est pourquoi j’ai décidé que désormais, tous les contrats portant sur des aides supérieures à 20 MF identifieront des objectifs qualitatifs et quantitatifs pour l’entreprise bénéficiaire et prévoiront également une évaluation par un tiers, indépendant à la fois de l’entreprise et de l’administration.
Enfin le crédit d’impôt-recherche devra être reconduit. Il est tout à fait essentiel que désormais les entreprises puissent mobiliser les créances de crédit d’impôt-recherche auprès des établissements de crédit pour sécuriser des financements. Cette évolution nécessaire sera mise en œuvre dans le cadre de la réforme de cette procédure.
Cette ambition politique que je viens de formuler devant vous et cette stratégie d’action que je vous ai exposée expriment ma conviction profonde que notre politique de l’innovation ne vise pas seulement à rattraper un retard pris dans certains domaines technologiques et industriels mais bien à développer une vision ambitieuse à long terme de notre pays.
L’innovation ou le déclin. La production ou la rente. Notre pays, notre continent, ont encore le choix :
– s’enfoncer doucement dans le cercle vicieux des déficits, de la dette, du vieillissement ; sous couvert de préserver les équilibres sociaux anciens, ce conservatisme serait le plus sûr chemin de l’impuissance publique ;
– offrir à tous et d’abord aux jeunes, une nouvelle frontière pour le XXIe siècle, celle d’une société ouverte par les réseaux de l’information, par l’accès plus facile de tous au savoir, à la création, au financement. Si nous laissons simplement jouer le marché, les nouvelles technologies ne feront que creuser les nouvelles inégalités mondiales. Je veux avec vous aujourd’hui lancer une autre ambition : celle d’un réveil français et européen, celle d’un monde où les jeunes de Sarcelles auront les mêmes chances que ceux de la Silicon Valley.