Interview de M. Marc Vilbenoit, président de la CFE CGC, à Europe 1, communiqué et visioconférence de la CGC, datés du 10 juin 1996, sur le plan Juppé de maîtrise des dépenses de santé, la présidence des caisses de Sécurité sociale, la réforme du financement de la Sécurité sociale et la politique économique.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Europe 1 : lundi 10 juin 1996

Europe 1 : Vous aviez soutenu le plan Juppé ?

M. Vilbenoit : Oui, pour la maîtrise des dépenses de santé.

Europe 1 : Les 48 milliards de déficit annoncés à la sécurité sociale marquent-ils l'échec de ce plan Juppé ?

M. Vilbenoit : Il n'est pas encore entré en vigueur et il faut beaucoup de mauvaise foi pour dire cela. En définitive, c'est un déficit de recettes. On devrait avoir une masse salariale qui augmente de près de 5 % et plus, et c'est inférieur à 2,5. Voilà le vrai problème.

Europe 1 : Vous faisiez partie du comité de vigilance avec N. Notat et d'autres et vous n'avez donc pas été assez vigilants ?

M. Vilbenoit : Nous étions dans ce comité pour mettre en place la réforme, pour peser sur la rédaction des ordonnances. Ce que nous avons fait. Mais aujourd'hui, il faut que le plan se mette en vigueur, et rapidement.

Europe 1 : Reste-t-il crédible dès lors que la dérive s'amplifie avant même qu'elle soit opérationnelle ?

M. Vilbenoit : Encore une fois, le problème c'est celui de la croissance de la masse salariale. Tant qu'on n'aura pas compris que, dans ce pays, on ne pourra pas avoir un développement durable sans que les salaires reparticipent au gain de productivité, on n'aura réglé ni le problème des déficits budgétaires et ni celui des déficits des régimes sociaux.

Europe 1 : Faut-il relancer la croissance par les salaires ?

M. Vilbenoit : De manière durable, il faut que la masse salariale, que les salariés, retrouvent une participation à la croissance. Depuis dix ans, les salaires ne font que reculer dans ce pays, soit directement par des politiques actives, car si on ne remet pas le social en avant on ne réglera pas la crise ; soit par des diminutions de prélèvements et nous avons à cet égard demandé à la fois une baisse des impôts et un changement de cotisation pour les entreprises. Une cotisation sur la valeur ajoutée.

Europe 1 : M. Blondel parle de « leurre du plan Juppé ». Les faits tendent-ils à lui donner raison ?

M. Vilbenoit : Je crois que Blondel se trompe complètement. Le problème n'est pas dans le plan Juppé qui n'est pas rentré en application. Je dirais, raison de plus, que ce déficit nous renforce dans l'idée qu'il faut agir et agir vite pour maîtriser les dépenses de santé. Il y a de la marge dans celles-ci et seulement dans celles-ci.

Europe 1 : Faudra-t-il aller encore plus loin dans ce plan Juppé ?

M. Vilbenoit : Mettons-le d'abord en oeuvre.

Europe 1 : J. Barrot laisse entendre qu'il faudra « peut-être faire un peu plus que ce qui était prévu ».

M. Vilbenoit : J'attendrai que le ministre s'explique. Pour nous, la maîtrise des dépenses de santé n'est pas entamée, elle doit commencer maintenant.

Europe 1 : Le paritarisme : vous êtes dans la partie ?

M. Vilbenoit : Moi j'ai pris des positions avec mon organisation. Les caméras et les micros, certes, n'étaient pas toujours au rendez-vous. On a parfois le sentiment, quand on est raisonnable, de parler dans le désert Mais quand je juge avec six mois de décalage, aujourd'hui FO est dans ce piège où il met en oeuvre une réforme qu'il a désapprouvée, où il sort du champ de la gestion de la Sécurité sociale.

Europe 1 : Donc, pour vous, Blondel doit sortir de la CNAM ?

M. Vilbenoit : Il fait son choix ; je ne pousse personne dehors. Je dis que nous, nous avons toujours géré la Sécu, elle a été réformée selon nos souhaits, et nous allons y rester et assumer des responsabilités. J'ai revendiqué de prendre toutes ces responsabilités pour mon organisation.

Europe 1 : Les dividendes seraient la Caisse nationale d'assurance vieillesse. Pour la CGC, ça vous paraîtrait dans l'ordre des choses ?

M. Vilbenoit : Il ne s'agit pas de dividendes, il ne s'agit pas de sinécure, il s'agit de prendre des responsabilités. Ce sont des milliers de militants que j'engage quand je prends cette direction avec mon organisation. Oui, nous assumerons nos responsabilités comme nous l'avons toujours fait, mais dans un nouveau cadre, avec ceux qui veulent gérer la Sécu nouvelle.

Europe 1 : On pousse FO hors de la CNAM et on met à la place la CFDT ?

M. Vilbenoit : Je ne pousse personne car chacun s'est mis dans ses propres pièges. Aujourd'hui, il faut choisir et nous demandons la responsabilité d'une caisse nationale. Comme la CFDT revendique la maladie, nous revendiquons la vieillesse en termes de responsabilité.

Europe 1 : Vous savez bien que si vous explosez FO c'est le paritarisme qui risque de...

M. Vilbenoit : Je ne cherche pas à exploser FO, je cherche à construire une majorité de gestion pour gérer la Sécurité sociale et il y a urgence.

Europe 1 : La CNAM, l'UNEDIC, la CNAV, ce sont des fromages pour les syndicats ?

M. Vilbenoit : Laissons de côté l'UNEDIC, les régimes complémentaires paritaires chômage ou retraite. Restons dans la Sécu qui est pilotée largement avec l'État, soyons clairs. En termes de fromages, j'aimerais bien avoir les moyens de l'action. Aujourd'hui, si tous mes militants étaient payés au quart du SMIC, au temps passé, j'aurais un budget qui serait cinq ou six fois celui dont je dispose.

Europe 1 : Serez-vous candidat à votre propre succession contre les autres candidats ?

M. Vilbenoit : Si les autres candidats avalent des programmes vraiment différents du mien, ça se saurait depuis longtemps.


Communiqué de presse (6 juin 1996)

Sécurité sociale : stop au théâtre d'ombres

La CFE-CGC a soutenu dès le mois de novembre les grandes lignes du projet de réforme de la Sécurité sociale présenté par Alain Juppé, sur la base des orientations exposées par le président de la République lors du cinquantième anniversaire de l'institution. Au regard des enjeux pour le pays, les silences, les atermoiements ou les annonces tonitruantes sur les présidences de caisse paraissent accessoires.

La CFE-CGC confirme sa volonté de travailler à la mise en place de cette réforme indispensable et d'y assumer toutes ses responsabilités. Elle prend note de la candidature officielle de la CFDT à la présidence de la caisse maladie et de son départ éventuel de la présidence de la caisse vieillesse. Elle rappelle que, de 1983 à 1991, elle avait assumé cette responsabilité par l'intermédiaire de Roger Meudec.

Marc Vilbenoît, président de la CFE-CGC précise que son organisation est prête à s'investir à nouveau dans le domaine de la retraite, comme elle le fait aussi depuis des années dans les régimes complémentaires.

Il est temps que tous ceux qui veulent voir aboutir la réforme et sauvegarder notre Sécurité sociale se mettent à travailler.


Visioconférence de presse - 10 juin 1996

La situation conjoncturelle exige une réponse adaptée

À l'heure où la Commission européenne et l'OCDE révisent, avec un bel ensemble, les perspectives de croissance en France à la baisse, les derniers indicateurs de conjoncture de l'INSEE font état d'un rebond au premier trimestre, puis d'une pause inquiétante, voire d'une rechute des principaux facteurs de croissance.

Les 1,2 % de croissance réalisés au premier trimestre marquent surtout le rattrapage de la consommation des ménages en janvier, après la chute de la fin de l'année dernière, et également le fait que l'année bissextile compte plus de jours ouvrables (un demi-point de croissance en plus).

Depuis, la consommation baisse à nouveau et l'indicateur d'opinion des ménages évolue défavorablement.

L'excédent extérieur lui-même, toujours très élevé, enregistre désormais plus l'atonie des importations que la progression des exportations.

En outre, l'environnement international apparaît peu porteur, avec là aussi des chiffres revus à la baisse par l'OCDE et les experts européens, tandis que le gouvernement décide d'ajouter encore plus de rigueur à la rigueur budgétaire, et cela en dépit de quelque 120 MdF de prélèvements obligatoires supplémentaires décidés pour cette année.

Quant à la confiance des ménages, signalons qu'un nouveau record vient d'être battu quant au pourcentage de ceux qu'inquiète l'évolution future du chômage (68 % en avril). De même, les soldes d'opinion font apparaître une augmentation importante de ceux qui jugent opportun d'épargner (solde positif de 46 en avril 1996, contre 39 en décembre 1995).

Cela relativise sérieusement, reconnaissons-le, la capacité de rebond dont a pu faire preuve l'économie française au premier trimestre en l'absence de chocs stimulateurs. Mais quels pourraient être ces chocs, aujourd'hui nécessaires ? La CFE-CGC en a proposé quelques-uns. Ce sont :

- une politique économique mieux équilibrée. À la rigueur budgétaire, aujourd'hui très forte, doit correspondre une politique monétaire expansionniste. Cela n'est pas encore le cas. Il est toujours possible d'améliorer le « Policy Mix » français ;

- une relance des négociations salariales dans le secteur public comme dans le secteur privé sur la base des gains de productivité réalisés dans les entreprises, branches ou administrations, susceptible de stimuler le pouvoir d'achat, donc la consommation des ménages ;

- des engagements clairs et programmés sur plusieurs années de baisse des prélèvements fiscaux et sociaux et de réforme des assiettes et mécanismes de perception, avec la volonté politique de répartir avec plus d'équité la charge fiscale et sociale entre salariés et entreprises, et parmi tous les contribuables.

Rappelons que la seule manière efficace de réduire les dépenses publiques, c'est encore de commencer par baisser les impôts ainsi que l'affirmait un économiste célèbre, tant il est vrai qu'on ne saurait dépenser l'argent que l'on n'a pas et que personne ne vous prêtera.

- redéfinir les objectifs européens sur la base, non de la satisfaction de critères financiers dont les citoyens européens se moquent, mais de la volonté de créer de la richesse, des emplois, et d'améliorer l'insertion de l'Europe dans les circuits mondiaux d'échanges en rappelant que l'Union européenne est le premier importateur du monde et, qu'à ce titre, elle peut exiger beaucoup de ceux qui désirent lui vendre leurs produits, ce qu'elle ne fait certes pas aujourd'hui.

Voilà quelques prémices nécessaires pour créer les conditions d'une reprise économique saine et durable. La CFE-CGC ne s'en estime pas propriétaire des « droits de reproduction ». Elle les cède volontiers au gouvernement, aux entreprises, à l'Europe elle-même.

Sécurité sociale : prendre ses responsabilités

Le plan Juppé prend enfin forme avec la publication fin avril de trois ordonnances réformant l'organisation de la Sécurité sociale et affirmant des principes de maîtrise des dépenses en médecine ambulatoire comme en médecine hospitalière.

La CFE-CGC a approuvé cette démarche de réforme d'autant plus que ces ordonnances ont repris les remarques et modifications qu'elle avait formulées lors des réunions de concertation.

Elle veillera, avec vigilance, à ce que dans l'avenir l'esprit des réformes soit respecté et certaines ambiguïtés levées par les décrets d'application à paraître prochainement.

La réforme de l'organisation des pouvoirs

La clarification des responsabilités entre les différents acteurs du système de Sécurité sociale, Parlement, gouvernement et partenaires sociaux est affirmée. Les conventions de gestion et d'objectifs passées entre le gouvernement et les caisses nationales permettront d'appliquer les objectifs des politiques de sécurité sociale retenus par les élus de la Nation.

La CFE-CGC approuve cette nouvelle déclinaison des responsabilités qui met fin au déficit démocratique et de légitimité qui entourait la gestion de la Sécurité sociale. Les partenaires sociaux se voient en outre déléguer un véritable pouvoir de gestion des risques au sein des conseils d'administration des caisses.

L'instauration d'une ébauche de paritarisme au sein des conseils d'administration, avec un même nombre d'administrateurs salariés et patronaux est un gage de bonne gestion.

La présence plus importante de tiers (personnes qualifiées,...) doit inciter à la vigilance car il ne faudrait pas que cela remette en cause les équilibres de gestion des caisses.

Maîtrise des dépenses de santé : le défi à relever

La CFE-CGC a fait le choix de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé depuis de nombreuses années. C'est la seule solution possible si l'on veut maintenir l'originalité du système français qui allie le principe d'une médecine libérale et une prise en charge collective, solidaire et publique des dépenses.

L'objectif est de rationaliser en préservant la qualité des soins. Tous les acteurs du système de santé doivent être partie prenante à l'édification d'une médecine maîtrisée et performante : les professions médicales, les personnels hospitaliers...

La maîtrise doit être de la responsabilité de tous et la concrétisation de droits et de devoirs instaurés par la voie conventionnelle avec les professions médicales. Les partenaires sociaux doivent aussi être en première ligne pour mener à bien les réformes.

La CFE-CGC s'engage résolument sur la voie des réformes avec pour unique objectif de sauvegarder notre système de protection sociale et de maintenir son caractère solidaire.

Pour sa part, la CFE-CGC assurera, comme elle l'a toujours fait dans le passé, toutes ses responsabilités dans la gestion des différentes branches de la sécurité sociale.

Sécurité sociale : l'essentiel reste à faire

Le nouveau déficit du régime général de la Sécurité sociale annoncé pour l'année 1996 renforce l'urgence des réformes. Si beaucoup a déjà été fait dans le domaine de la gestion des risques (nouvelles répartitions des responsabilités entre les acteurs du système) et de la maîtrise des dépenses de santé, il reste à mettre en oeuvre les principes primordiaux du Plan Juppé centrés autour du régime universel d'assurance maladie et de la modification de l'assiette du financement actuel de la sécurité sociale.

Vers une CSG élargie et déductible

L'instauration progressive d'un régime universel d'assurance maladie entraînant l'affiliation de la totalité de la population selon un seul critère de résidence doit s'accompagner d'une réforme du financement de la branche maladie.

Pour la CFE-CGC, cette réforme doit reposer sur le transfert progressif d'une partie des cotisations sociales vers une CSG élargie et s'accompagner d'une déductibilité fiscale. En effet, la contribution pour le remboursement de la dette sociale (RDS) comme la CSG ont la même philosophie que les cotisations : elles servent à financer des dépenses de protection sociale.

La CFE-CGC souhaite, en outre, que l'on retienne une assiette plus large pour la CSG : il faut à terme harmoniser les champs d'application des cotisations et des différents prélèvements (tels que le RDS ou la CSG). Une seule référence simplifierait l'ensemble du dispositif, le rendrait plus lisible et plus acceptable.

En ce qui concerne le transfert des cotisations, et dans la mesure ou la cotisation maladie sur les revenus de remplacement a été rajustée, la CFE-CGC souhaite que ce transfert s'applique également aux revenus de remplacement. On ne peut pas dire aux retraités et aux chômeurs « vous allez payer plus de cotisations maladie et vous allez en plus payer un alourdissement de la CSG pour réduire les cotisations des actifs ».

La CFE-CGC souhaite un calendrier clair et précis sur ce transfert et n'acceptera pas que, même sur une courte période, se superposent une augmentation de la CSG avec un maintien en l'état des cotisations maladie.

Réforme des cotisations patronales

En ce qui concerne la part patronale des cotisations, bien que le discours sur les coûts salariaux et les comparaisons internationales soit pour le moins sujet à caution, la CFE-CGC prône le transfert vers des éléments du style valeur ajoutée ou excédent brut d'exploitation, transfert qui aura au moins le mérite de mettre le patronat devant ses responsabilités en matière d'emploi et de rétablir un équilibre entre entreprises de main d'oeuvre et entreprises capitalistiques pour le financement de la protection sociale. Bien sûr, il convient d'être conscient des difficultés que cela implique dans la détermination des bases et des taux mais aussi compte tenu du caractère variable de ces éléments qui n'est pas forcément compatible avec la régularité des dépenses.

Aller au-delà ?

Il est normal qu'en fonction de la nature des dépenses, le financement soit totalement contributif (retraites, chômage), totalement fiscalisé (famille) ou réparti entre ces deux dernières sources (maladie).

Cependant, concernant l'assurance maladie et la famille, qui sont des dépenses de solidarité nationale, ne serait-il pas pertinent de financer ces risques par une TVA sociale afin d'éviter les risques et inconvénients rappelés ci-dessus ?

En effet, les charges actuelles qu'elles soient salariales ou patronales pèsent automatiquement sur le consommateur, les entreprises devant répercuter ces prélèvements sur leur prix de vente.

La mise en place d'une TVA sociale venant se substituer à une partie des cotisations actuelles serait neutre pour le consommateur et aurait en outre pour avantage de taxer les produits importés tout en freinant les effets pervers du dumping social et autres délocalisations.