Texte intégral
Le Journal du Dimanche : 28 juillet 1996
Le Journal du Dimanche : Qu'en pense le ministre de la Culture ?
Philippe Douste-Blazy : Les références de M. Jospin en matière culturelle sont plutôt les contes de Perrault et Walt Disney, ce qui est étonnant de la part de quelqu'un qui s'est présenté à la présidence de la République et qui aspire à être Premier ministre, mais je comprends mal pourquoi il joue soudainement la partition de Simplet dans Blanche Neige ! Ses déclarations sont l'hommage du vice à la vertu : jamais un gouvernement n'a fait autant pour la culture sur le plan budgétaire.
Le Journal du Dimanche : Cependant, le 1 % pour la culture n'est-il pas obtenu par un transfert de crédits ?
Philippe Douste-Blazy : Le gouvernement d'Alain Juppé a élevé le budget de la Culture à 1 % du budget de l'État dès son arrivée, dans une période pourtant très difficile. Ce budget a été obtenu grâce à des mesures nouvelles et par le transfert de l'architecture que je revendique. Si Jack Lang a eu le mérite de faire de la culture un thème porteur et populaire, cela n'autorise pas M. Jospin à continuer à nous donner des leçons plusieurs années après. Quel est le programme des socialistes et de Mme Bredin sur la culture ? Personne ne le connaît.
Le Journal du Dimanche : Lionel Jospin affirme que la méthode Douste « a une parenté certaine » avec la méthode Bayrou ?
Philippe Douste-Blazy : Je suis heureux d'être comparé par M. Jospin, ancien ministre de l'Education, à M. Bayrou quant à la méthode des centristes : François Bayrou réforme actuellement avec courage l'Education nationale, alors que M. Jospin n'avait fait que léguer au pays un plan Université 0 !
Le Journal du Dimanche : Votre ministère est-il épargné par les restrictions budgétaires ?
Philippe Douste-Blazy : Le président de la République a souhaité que le budget de la Culture soit relativement épargné. Mais un simple budget ne peut tenir lieu de politique, nous devons donner du sens à la politique culturelle. La mission essentielle est la rencontre des publics et la réponse à leurs besoins. Comme le disait André Malraux : « Faire pour la culture ce que la IIIe République a fait pour l'enseignement : chaque enfant de France a droit aux tableaux, au théâtre, au cinéma, comme à l'alphabet. » Pour y parvenir, je propose un nouveau contrat social pour la culture : je souhaite que les relations entre l'État et ses partenaires – collectivités territoriales, acteurs de la culture, associations – se contractualisent et que ces contrats portent, avec clarté, sur les moyens et les missions que les uns et les autres auront arrêtés en commun.
Cessons, dans ce domaine singulier, d'opposer droite et gauche et d'évoquer un désengagement de l'État, au profit d'un dialogue fondé sur le respect et la responsabilité : c'est de cela, aussi, que les Français ont besoin.
Le Journal du Dimanche : M. Jospin vous reproche de « parler au lieu d'agir »…
Philippe Douste-Blazy : Depuis un an, j'ai constamment traduit en actes les priorités de mon action. Je souhaite surtout rattraper trois retards. D'abord celui des équipements de province : notre pays a besoin d'un rééquilibrage entre la province et Paris, entre les périphéries et les centres de nos villes, entre les villes et les campagnes. Dès 1996, j'ai consacré les deux tiers des investissements à la province, ce qui ne s'était jamais vu. Ensuite le retard dans l'enseignement artistique : c'est l'objet du projet de loi en préparation. Enfin, un retard dans la recherche de nouveaux publics. J'ai ainsi décidé que le Louvre serait gratuit le premier dimanche de chaque mois, ce qui a permis de doubler la fréquentation du musée ce jour-là.
Ma priorité, ce n'est pas la culture pour certains mais la culture pour tous, tout en continuant à aider les grandes institutions culturelles, les créateurs et les artistes, comme l'ont fait mes prédécesseurs.
Le ministère élargit aussi son périmètre et ses moyens d'action : je viens de faire adopter la loi sur la Fondation du patrimoine, initiée par Jacques Toubon, qui permettra la restauration d'un patrimoine de proximité évalué à 400 000 bâtiments, souvent à l'abandon. Cela entraînera la création de nouveaux emplois et la sauvegarde de savoir-faire et de métiers d'art qui sont aujourd'hui menacés.
RTL : mercredi 31 juillet 1996
RTL : De très nombreux festivals s'achèvent, comme chaque année en juillet. Y a-t-il une certaine dispersion des spectacles et donc des aides de l'État ?
P. Douste-Blazy : Il y a une grande diversité et une richesse des festivals dans ce pays. C'est devenu un phénomène de société, culturel, tout à fait hors du commun. Il y a plus de 500 festivals qui vont recevoir 600 000 à 700 000 personnes cet été. Il y a d'un côté ce que l'on voit sur la scène, mais aussi tout ce qu'il y a derrière. Trois réalités : des organisateurs, des bénévoles, des centaines de milliers de bénévoles qui organisent ces festivals. Et puis, il y a une réalité d'élus locaux qui se sont battus pour ces festivals. Une réalité artistique avec des créateurs, des gens, qui veulent diffuser la culture, partout, à de nouveaux publics. On va à l'opéra à Orange, et parfois on n'y va pas ou on n'y va jamais à Paris. Et puis, surtout, une réalité économique : tout le monde a compris que la culture c'était aussi un moyen économique de faire vivre les villes.
RTL : Vous n'allez pas à la représentation de « Laforce du destin » de Verdi à Orange ?
P. Douste-Blazy : J'étais présent non seulement l'année dernière aux Chorégies d'Orange, mais aussi cette année, à l'ouverture de ces Chorégies pour écouter « Don Giovanni ». Je dirais ceci : comment laisser mourir un spectacle d'art lyrique, un des plus gros spectacles d'art lyrique de ce pays, qui a commencé en 1869 ! Je ne voulais pas laisser à un élu local la possibilité de barrer, d'un seul trait, une grande tradition d'art lyrique en France. L'année dernière, j'ai donc pris la décision, quand le maire d'Orange a décidé d'enlever sa subvention, de parer au plus pressé et de donner la subvention moi-même, au niveau de l'État.
RTL : Ça ne sera pas pareil pour l'an prochain ?
P. Douste-Blazy : Pour l'année prochaine, il faut demander au maire d'Orange de redonner cette subvention que tous ses prédécesseurs ont donné depuis toujours.
RTL : Quelle leçon tirez-vous actuellement des combats que vous menez au plan culturel contre le Front national ?
P. Douste-Blazy : Je crois qu'il faut éviter de faire des faux procès et de diaboliser le Front national. Aujourd'hui, ils sont à la tête de plusieurs villes, de trois villes en France. Il y a un double devoir : un devoir de vigilance et de respect des pluralismes. C'est ce que je fais. Je ne me contente pas de rumeurs, de bruits, de polémiques politiciennes, je regarde ce qu'ils font. Exemple avec la bibliothèque d'Orange : il y avait des rumeurs en février. J'ai demandé un rapport, une mission d'inspection au ministère de l'Education nationale et de la Culture, et on m'a dit qu'il y avait une double censure au niveau de la bibliothèque d'Orange. Ce rapport, je l'ai adressé au maire. Il faut donc éviter la diabolisation et au contraire, chaque fois qu'il y a un manque au pluralisme, en particulier au niveau des idées et des idéaux politiques, il faut le dire.
RTL : Vous êtes bien compris par la majorité ?
P. Douste-Blazy : S'il y a bien quelqu'un qui n'a jamais été ambigu sur le Front national, c'est bien le président de la République.
RTL : Vous avez lancé un projet de « Mémoire des spectacles vivants » qui consiste pour l'État à filmer, stocker, des représentations de théâtre, de danse ou de musique. Dans quel but ?
P. Douste-Blazy : J'ai toujours été très frappé que des centaines de spectacles, qui depuis dix ou vingt ans sont montrés sur les plus grandes scènes en France, exemple avec le Châtelet où, depuis dix ans, S. Lutener met en place des spectacles extraordinaires. Prenez aussi des centres dramatiques nationaux, des scènes nationales, on n'a plus aucun souvenir, il n'y a plus aucune mémoire de notre patrimoine culturel car ces pièces de théâtre, ces concerts, ces opéras font partie du patrimoine culturel. Tout ça est parti en fumée. Nous allons filmer entre 25 et 50 spectacles par an, une commission va le décider. Nous faisons cela avec J. Deschamps et avec d'autres, pour que nous puissions, par an, garder 50 spectacles en mémoire.
RTL : Le nouveau cahier des charges de TF1 et M6, qui doit être signé avec le CSA, permet à TF1, entre autres, d'augmenter la durée de certains écrans de publicité. Cela provoque de vives inquiétudes.
P. Douste-Blazy : Les conventions conclues entre le CSA, TF1 et M6 en l'occurrence, relèvent d'une procédure dans laquelle le Gouvernement n'intervient pas. Sur le fond, si les nouvelles conventions donnent à TF1 et M6 des possibilités de développement, je m'en réjouis dans un contexte concurrent.
RTL : Et si c'est un cadeau ?
P. Douste-Blazy : Sur la forme, je demande, comme l'ont fait les producteurs audiovisuels et de cinéma, si le fait de décider dans un délai aussi court, a permis de mener toute la concertation souhaitable. Et la deuxième question que je me pose c'est que, si le CSA ne s'occupe que de l'audiovisuel, il faut quand même regarder la filière dans sa globalité. Si on donne plus de publicité à une télévision privée c'est moins de publicité pour la presse écrite, moins pour la radio, moins de publicité aussi pour France-Télévision. Je crois donc qu'il faut aujourd'hui bien se poser la question, bien regarder en toute transparence ce qui a été fait. Et puis parer peut-être aussi à des sanctions.
RTL : Comment ?
P. Douste-Blazy : Depuis 1990, il y a 4,5 milliards de francs qui sont passés de la publicité presse écrite vers la télévision. Aujourd'hui, la presse écrite ne va pas bien et il faut donc voire comment nous pouvons trouver des systèmes qui permettent de mieux respecter les grands équilibres publicitaires.
RTL : Si le service public télévision perdait des recettes à cause de ces nouvelles dispositions en faveur de TF1, l'État donnerait des compensations financières ?
P. Douste-Blazy : Je dirais qu'au moment où le service public souhaite limiter la part de ses recettes publicitaires, il n'est pas tout à fait opportun de décider brutalement d'un surcroît de publicité sur les chaînes privées. Je crois que le moment n'est pas venu de le faire aussi rapidement pendant l'été. Le CSA a encore un mois pour parler de cette convention avec M6, deux mois avec TF1. Il me semble qu'il ne faut pas de précipitation.
RTL : Le déjeuner entre Chirac et Balladur prévu demain : qu'en attendez-vous, quel est l'intérêt de ce déjeuner pour la majorité ? Et du reste, qui a le plus intérêt entre les deux à ce déjeuner ?
P. Douste-Blazy : Il y a quelqu'un qui a besoin de ce déjeuner, c'est la majorité. Elle a besoin de deux choses : d'être unie et d'être mobilisée pour gagner. Et l'ensemble de l'électorat recevra ce message : union et mobilisation. Il n'y a pas lieu de s'étonner de cette rencontre. C'est le contraire qui serait étonnant.
RTL : Vous les connaissez tous les deux. Sont-ils réconciliables ?
P. Douste-Blazy : Bien évidemment, tout le monde dans la majorité ne peut que se réjouir de cette entente et de ce déjeuner. Encore une fois, nous ne pourrons pas gagner si nous ne sommes pas unis. On l'a vu en 1978, avec V. Giscard d'Estaing.
RTL : Et là derrière, il y a un rôle qu'on peut prévoir, important, pour Balladur dans les mois qui viennent ?
P. Douste-Blazy : J'appartiens à l'UDF et je ne peux que me réjouir de voir l'union, d'une part de la majorité et aussi l'union au niveau d'un des grands partis de la majorité.
RTL : Qu'est-ce que le balladurisme aujourd'hui ?
P. Douste-Blazy : Depuis l'élection présidentielle, depuis le premier tour de cette dernière où l'on a vu E. Balladur dire, de manière très claire, que « toutes les voix qui s'étaient portées sur lui au premier tour se porteraient sur Chirac au second », depuis ce jour, il n'y a plus de chiraquisme et de balladurisme. Il y a une majorité présidentielle menée par le président de la République qui est J. Chirac.
TF1 : dimanche 11 août 1996
J.-C. Narcy : Vous êtes sur le chantier de Sers. Vous êtes venu voir l'état des travaux de la restauration de cette église. Cette Fondation du patrimoine, c'est d'abord un projet culturel ?
P. Douste-Blazy : Bien sûr, et avant tout un projet culturel, mais c'est aussi un formidable projet social. De quoi s'agit-il ? À côté des 38 000 monuments historiques - et on les connaît tous -, il existe 400 000 bâtiments qui sont équitablement répartis sur l'ensemble du territoire, qui sont dignes d'intérêt mais qui sont menacés de disparition par manque d'entretien. Il y a dans tous les villages de France, comme ici à Sers, une église, une chapelle, un clocher, un lavoir, un rempart, un moulin, une ferme digne d'intérêt. Et aujourd'hui, il faut bien se dire que ce patrimoine, nous vivons avec lui, nous le côtoyons tous les jours ; c'est à la fois notre mémoire et notre avenir. Il faut que nous nous retroussions les manches pour le rénover. C'est un grand projet national. C'est un projet aussi, bien sûr, qui a un intérêt social, car pour rénover ce patrimoine, il faut créer des emplois, en particulier avec des chômeurs dans le domaine du bâtiment, mais aussi des jeunes qui pourront ainsi s'insérer dans la vie active par l'intermédiaire de ces chantiers.
J.-C. Narcy : Quels sont les moyens dont est dotée cette Fondation du patrimoine, car il faut de l'argent ?
P. Douste-Blazy : Oui. Ces moyens, c'est avant tout de décréter que le patrimoine est une grande cause nationale. Qui dit grande cause nationale dit mobilisation de tous. Et chaque Français pourra participer à la Fondation du patrimoine en participant, je dirais, à la rénovation du patrimoine dans son propre département, et c'est ça la grande originalité. À côté de ça, évidemment, il y aura l'État, les communes, les départements, les régions, les entreprises privées qui pourront y participer. Mais vous savez il n'y a pas que les moyens financiers, il y a les moyens humains. Et c'est ça surtout l'important. La philosophie de la Fondation du patrimoine, c'est qu'il y a beaucoup de métiers aujourd'hui, des savoir-faire traditionnels qui disparaissent, comme ceux qui travaillent derrière moi, ceux qui travaillent le bois, ceux qui travaillent la pierre, ceux qui font de beaux crépis, de beaux enduits, de beaux vernis. C'est ça aussi le patrimoine culturel de ce pays. On veut le sauver.