Texte intégral
Philippe VASSEUR, ministre de l'Agriculture, de la pêche et de l'alimentation vient d'adresser à la Commission européenne un mémorandum sur l'adaptation de la politique européenne en faveur de l'agriculture et de la forêt de montagne, qu'il présentera au conseil des ministres de l'Union européenne des 16 et 17 septembre 1996.
Les caractéristiques de l'activité agricole et sylvicole des zones de montagne, leur fragilité et leurs multiples fonctions dans la société montagnarde et l'existence d'un décalage important en matière de revenu des activités agricoles avec les autres zones nécessitent de donner une nouvelle ampleur à la politique européenne menée en faveur de la montagne.
Les propositions présentées dans le mémorandum visent pour l'essentiel à :
1. Une meilleure reconnaissance des spécificités de la montagne dans les programmes d'actions structurelles de l'Union européenne :
- en améliorant le taux de cofinancement européen de l'Indemnité spéciale montagne (ISM), assorti d'un relèvement du plafond, ainsi que des actions agri-environnementales dans ces zones ;
- par la mise en place de nouvelles mesures structurelles éligibles au cofinancement communautaire, telles que la compensation des surcoûts de transport, les investissements liés aux activités agricoles, la transhumance, le pastoralisme. Les filières de valorisation des produits montagnards.
2. La mise en oeuvre au niveau européen, à l'image de la situation française, d'une politique de qualité « montagne » assortie de moyens de promotion et de développement.
3. L'élaboration d'une véritable politique européenne de la forêt, s'appuyant notamment sur une incitation à l'exploitation du bois et sur un programme européen de recherche sur les écosystèmes forestiers montagnards et les conditions de leur stabilité et de leur pérennité.
« Chacune de ces propositions concourt à faire de l'espace montagnard un espace vivant, porteur d'avenir, participant à une occupation équilibrée du territoire. Il convient à cet effet de mieux identifier les actions en faveur de l'agriculture et de la forêt de montagne mises en oeuvre par l'Union européenne. La France demande à la Commission, dans le cadre de la réforme des fonds structurels, de reconnaître la spécificité des zones de montagne » a déclaré Philippe VASSEUR.
Les Propositions françaises
Les caractéristiques de l'activité agricole et sylvicole des zones de montagne, leur fragilité et leurs multiples fonctions dans la société rurale nécessitent de donner une nouvelle ampleur à la politique menée par l'Union européenne en leur faveur.
Les propositions contenues dans le mémorandum français, élaboré en étroite concertation avec les professionnels visent à mettre en place une véritable
politique de gestion durable de la montagne. Il faut pour cela :
- renforcer son agriculture ;
- mettre en oeuvre une véritable politique communautaire de la forêt.
Agriculture et gestion de l'espace
Le mémorandum français recommande de revaloriser l'indemnité spéciale de montagne (ISM) en :
- améliorant pour l'ISM le cofinancement européen qui pourrait être porté de 25 % à 50 %. Celui des ICHN hors montagne restant à 25 %, ce qui permettrait de réduire encore les inégalités de revenu qui existent entre la montagne et les zones exemptés de handicaps ;
- portant de 180 à 250 écus le plafond communautaire de l'ISM avec une possible modulation en fonction des handicaps particuliers afin de prendre en compte la très grande diversité des situations ;
- promouvoir de nouvelles actions structurelles ou agri-environnementales et les rendre éligibles au budget européen ou encore relever le plafond communautaire pour certaines d'entre elles.
Actions structurelles
Il convient d'apporter une identification « montagne » à l'ensemble de ces actions.
Certains investissements collectifs dans le secteur de l'élevage : production de fourrage, équipement des pâturages, des points d'eau... qui bénéficient déjà du cofinancement devraient voir leur plafond relevé.
D'autres actions collectives indispensables au développement de l'agriculture de montagne : les surcoûts des transports, le travail en commun... ou encore, hors PAM, les investissements liés aux activités agricoles (comme les bâtiments d'élevage), devraient être prises en compte par le budget européen.
Une aide en faveur des opérateurs des filières spécifiques à la montagne devrait être instaurée pour la valorisation des produits à cycle court notamment pour les produits de qualité.
Mesures agri-environnementales
La déprise agricole en montagne se traduit par un entretien insuffisant de l'espace entraînant une dégradation des milieux naturels. L'encouragement à la fonction d'entretien est déjà une priorité des mesures agri-environnementales arrêtées en 1992.
Pour leur donner un nouvel élan, le taux de remboursement par le FEOGA-garantie des budgets des programmes régionaux agri-environnementaux, en zone de montagne devrait être porté de 50 % à 75 %.
Mettre en oeuvre au niveau européen, une politique de qualité « montagne » assortie de moyens de promotion et de développement des produits agricoles et alimentaires.
La valorisation des produits de montagne est une priorité. Depuis 1985, la France, en complément des signes de qualité, appellations d'origine protégées et indications géographiques protégées dont le rôle est fondamental en montagne notamment dans la filière fromagère, a mis en place un dispositif réglementaire permettant de définir et de protéger les produits de montagne. L'utilisation du terme « montagne » nécessite une autorisation préalable accordée à condition que les matières premières proviennent de la zone « montagne » et que l'ensemble du processus d'élaboration du produit soit réalisé en montagne.
Il est donc proposé :
- de créer un cadre juridique communautaire en faveur des produits agro-alimentaires de montagne (incluant les produits de l'aquaculture et de la pêche continentales) afin de préserver les intérêts du consommateur, dans un souci de concurrence loyale, de protection et de développement des productions ;
- de reconnaître et de promouvoir par ailleurs les Chartes de qualité en matière de services, notamment touristiques, afin de présenter aux consommateurs une image positive se référant à l'identité territoriale de la montagne.
Mettre en oeuvre une véritable politique communautaire de la forêt et de la filière bois
L'objectif affirmé par les récents accords internationaux est de promouvoir la gestion durable des forêts de montagne. Cette politique ne peut être globale et indifférenciée mais demande une approche fine, prenant en compte la situation réelle des forêts de montagne tant sous l'angle des handicaps d'exploitation que sous celui de leur fonction d'intérêt général.
Les propositions contenues dans le mémorandum s'articulent autour de trois volets majeurs : - l'incitation à l'exploitation du bois.
Pour encourager l'exploitation et remédier au manque de rentabilité en montagne il est proposé de :
- renforcer au niveau européen les actions visant à améliorer le réseau de desserte des forêts, à compenser le surcoût d'exploitation des bois, à faciliter l'achat d'équipements spécifiques ;
- aider à la modernisation des scieries dont une part majoritaire de l'approvisionnement vient des communes de montagne.
La gestion des forêts à fonction de protection dominante
Pour conserver à ces forêts leur fonction de protection, il convient de généraliser et de normaliser au plan européen une action d'aide à la gestion et au renouvellement des forêts de protection.
La nécessité de gérer les forêts de montagne, pour préserver leur multifonctionnalité, justifierait plus généralement l'adoption d'un dispositif de mesures sylvi-environnementales.
La recherche sur les écosystèmes forestiers montagnards
Les résolutions prises à l'échelon international ont demandé l'approfondissement de la connaissance des écosystèmes forestiers montagnards ainsi que des conditions de leur stabilité et de leur pérennité.
Un programme de recherche doit être conduit en la matière. Il est demandé à l'Union européenne d'en compléter le financement et d'en assurer le suivi.
Par ailleurs, pour faire face aux difficultés liées à la montagne, il convient de développer la formation de tous les acteurs de la filière.
La gestion des risques naturels
La prévention de ces risques liés à l'abandon de l'exploitation de certaines terres nécessite la mise en place d'une gestion permettant de les prévenir et conduit à un accroissement des responsabilités des personnes publiques. Plusieurs pays européens ont instauré, depuis une centaine d'années, des politiques spécifiques de prévention et de lutte.
Il conviendrait de stimuler une coopération accrue entre États-membres ce qui permettrait aux collectivités publiques d'assurer cette mission essentielle de sécurité et de conservation du patrimoine montagnard.
Au-delà de sa spécificité, chacune des propositions contenues dans le mémorandum concourt à la même finalité, faire de l'espace montagnard un espace vivant porteur d'avenir. Dans cette perspective, la France invite la Commission à examiner à l'occasion de sa réflexion sur la réforme des fonds structurels, la meilleure manière de prendre en compte les spécificités des zones de montagne.
Les spécificités de l'agriculture et de la forêt
L'agriculture de montagne : un élevage prédominant
L'agriculture de montagne, bien que très diversifiée et sensiblement différente selon les massifs, repose essentiellement sur l'élevage. C'est l'activité dominante de 3/4 des exploitations.
Cet élevage est majoritairement extensif (les surfaces en herbe couvrent les 75 % de la SAU et le chargement moyen est inférieur aux 2/3 du chargement moyen national). Il prend diverses formes : l'élevage bovin lait est surtout pratiqué au Nord, l'élevage bovin viande dans le Centre, et l'élevage ovin caprin au Sud.
Cet élevage a pour cadre des exploitations qui présentent une grande vulnérabilité bien qu'elles soient indispensables à la survie d'une société rurale viable car :
- la surface moyenne est inférieure à la moyenne nationale (26,6 ha). La part des actifs agricoles dans la population active totale y est deux fois plus importante qu'en moyenne nationale (9,0 contre 4,1) ;
- les cessations d'activité y sont plus nombreuses que dans les autres régions françaises (22 % contre 19,5 % entre 1979 et 1988) et la régression démographique frappe plus durement la haute montagne ;
- les revenus malgré les indemnités spéciales de montagne restent de 30 % à 40 % inférieurs à ceux de la plaine.
Cependant, les exploitations montagnardes ont su s'adapter, grâce à :
- la diversification économique, notamment l'agro-tourisme ;
- une meilleure valorisation de la production par des produits spécifiques ayant une forte notoriété qualitative. Ainsi sur 32 AOC fromagères, 14 se situent en zone de montagne et s'avèrent ainsi fondamentales pour l'économie locale.
Mais, surtout grâce à la pluriactivité qui présente l'avantage de maintenir des actifs et de contribuer à l'aménagement du territoire. Porter une attention grandissante à cette forme d'activité dans la politique communautaire en faveur des zones de montagne constitue, par conséquent, une orientation des plus opportunes, et d'autant plus nécessaire qu'en dépit des fiables possibilités dues aux conditions socio-économiques, 21,2 % des chefs d'exploitations et 19 % de la main-d'oeuvre familiale exercent une autre activité.
La forêt en montagne : une extrême diversité
La forêt en montagne, dont la progression au cours des dix dernières années a été supérieure à la moyenne nationale, se présente sous la forme :
- de massifs de moyenne altitude, au taux de boisement élevé, au réseau de desserte forestière dense, et à la production biologique élevée, base d'une exploitation forestière et d'une filière forêt-bois encore active. C'est le cas des Vosges (330 000 ha), du Jura (225 000 ha) et, à un degré moindre, du Massif Central (1 860 000 ha) ;
- de massifs de haute montagne, où l'exploitation se heurte à des handicaps naturels liés à l'altitude, à la pente et à la situation socio-économique locale et aux contraintes imposées par la multifonctionnalité (surtout fonction de protection) : Alpes (1 211 000 ha) et Pyrénées (200 000 ha) ;
- de massifs méditerranéens où les peuplements forestiers de faible valeur économique subissent la menace constante des feux de forêt : Corse (100 000 ha) et la frange littorale des Alpes-du-Sud.
Les forêts en montagne se caractérisent par :
- une importante accumulation de bois sur pied (+ 20 % par rapport à la moyenne nationale) qui traduit en fait le vieillissement des peuplements, et qui révèle une caractéristique majeure des forêts de montagne, leur sous-exploitation très accentuée dans certains massifs (Alpes et Corse), objet de préoccupations pour l'avenir ;
- une multifonctionnalité plus forte qu'ailleurs : protection du milieu physique c'est-à-dire prévention des risques naturels, fonctions écologiques, paysagères, sociales très marquées qui exige la stabilité et le renouvellement des peuplements montagnards ;
- quant aux propriétaires privés et aux communes qui possèdent 89 % de la forêt de montagne, ils ne peuvent plus assumer seuls, dans un contexte économique difficile, les charges financières suscitées par les fonctions d'intérêt général des boisements d'altitude.
La montagne française
Une superficie de près du quart du territoire national
La montagne française couvre près du quart du territoire national. Les sept massifs qui la composent. Vosges, Jura, Alpes du Nord, Alpes du Sud, Massif Central, Pyrénées et Corse sont d'importance très inégale. Les Vosges représentent ainsi 6 % de l'espace montagnard français, le Massif Central 40 %.
La densité de population y est trois fois moins importante que la moyenne nationale, et seulement 8 % des Français y résident.
Son activité économique est très diversifiée privilégiant selon les zones, l'élevage traditionnel, le développement touristique ou la production industrielle. Cette diversification se retrouve dans certaines activités locales, comme l'artisanat, l'arboriculture, l'apiculture, la transformation des produits du terroir qui favorisent le maintien d'un tissu interstitiel qu'il importe de préserver.
Des potentialités à développer…
Terre de contrastes, la montagne française réunit tous les climats, tous les paysages. Elle est dotée d'une flore et d'une faune très variées qui font la richesse de sa biodiversité.
Ses ressources naturelles sont à la base de l'économie locale. Elle affirme ainsi une identité que n'ont émoussée ni les implantations industrielles ni les voies de communication. D'où une image d'authenticité exploitée et à exploiter pour le tourisme et les produits du terroir.
L'agriculture et la sylviculture sont ainsi appelées à jouer un rôle prépondérant dans le développement économique de la montagne, pas uniquement comme supports du tourisme mais comme activités à part entière de valorisation, de préservation et d'entretien de l'espace montagnard ; des activités qui contribuent d'ailleurs à limiter les déséquilibres entre les zones de montagne.
La surface agricole utile couvre 4 millions d'hectares, soit 13 % du territoire national et 30 % de l'espace montagnard contre 50 % pour la moyenne nationale.
La population agricole représente actuellement environ 10 % de la population active des différents massifs (5,7 % pour la population nationale).
Pour la forêt, la montagne a de tout temps constitué une terre de prédilection. Composante essentielle de l'occupation du sol et de la vie économique, la forêt couvre quelque 4,3 millions d'hectares (30 % de la superficie forestière nationale), soit un taux de boisement de 41 %, supérieur au taux national (27 %). Les emplois, liés à l'exploitation et aux industries du bois, dont la proportion dans l'activité locale est supérieure à celle des autres régions, constituent souvent l'une des seules bases d'un réel développement local.
Ces multiples fonctions font que l'activité sylvo-agricole, prise dans sa globalité, doit bénéficier d'une attention particulière au sein de l'espace montagnard.
Mais des handicaps à surmonter
Des handicaps naturels et structurels : conditions climatiques, pente, surcoûts pour les bâtiments agricoles, morcellement, exiguïté des parcelles rendent plus difficiles l'activité agricole et l'exploitation forestière.
S'y ajoute un contexte socio-économique peu propice ; faible densité de population, éloignement des débouchés, des sources d'approvisionnement, isolement, manque de possibilités éducatives et culturelles.
Ces contraintes variables selon les zones expliquent les graves difficultés que rencontrent les activités agricoles et sylvicoles de montagne pour se maintenir et s'adapter.