Interview de M. André Lajoinie, membre du secrétariat du comité national du PCF, à RMC le 8 juillet 1996, sur l'arrestation de M. Le Floch-Prigent, la situation en Corse, la politique fiscale et les relations du PCF avec le PS en vue des législatives de 1998.

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RMC : M. Le Floch-Prigent est en prison pour le quatrième jour. Faut-il le Gouvernement le remplace alors que l’entreprise nationale est en pleine restructuration ? Ou faut-il attendre que sa culpabilité soit établie ?

A. Lajoinie : Je ne peux pas faire de commentaires sur l’affaire elle-même, sur la procédure judiciaire. Il faut que la justice passe, comme dans toutes les affaires. Il est évident que l’absence du président de la SNCF pose un problème à cette grande entreprise nationale. Il faudra bien trouver une solution. C’est au Gouvernement à le faire.

RMC : Il faut le faire vite ?

A. Lajoinie : Assez vite puisque c’est une entreprise qui a subi beaucoup de chocs, qui d’ailleurs aujourd’hui est encore malade. Il faut trouver des solutions positives.

RMC : Mais le patron de la SNCF est en prison. Faut-il le remplacer ou la SNCF peut-elle vivre avec son patron en prison ?

A. Lajoinie : Ce n’est pas une affaire de jours, mais il est clair que si ça durait, oui, il faudrait le remplacer.

RMC : Et quelle est votre réaction face aux affaires en général et aux comparutions répétées de responsables politiques ou patronaux devant les juges. Est-ce bon signe ou les juges en font-ils un peu trop ?

A. Lajoinie : Je ne sais pas si on peut dire que les juges en font trop. Il faut que les juges soient libres de le faire. On ne peut pas admettre un instant l’hypothèse qu’on va empêcher les juges de travailler, même si les juges ne détiennent pas la science infuse. Il ne faut pas classer les affaires comme on le fait ou on s’apprête à le faire. Ce n’est pas une bonne chose. Il faut que la justice passe. C’est quand même le signe qu’il y a eu beaucoup de trafics, beaucoup de magouilles. Le rôle de l’argent dans ce pays et son utilisation, ça pose un problème. Je pense que ça pose plus largement le problème du contrôle de l’utilisation de l’argent. Je ne parle pas des faits qui sont pénalement punissables. Mais il y a aussi l’utilisation de l’argent légalement dans les entreprises.

RMC : Vous pensez à quoi ?

A. Lajoinie : Quand un chef d’entreprise fait des investissements à l’étranger ou qu’il supprime des emplois en France comme on le voit aujourd’hui. On voit bien pour Moulinex que la côte en bourse monte aussitôt de 20 %. On se demande si vraiment tout est fait pour empêcher cela, pour avoir une gestion plus favorable aux intérêts des travailleurs, aux intérêts de la France, c’est-à-dire des pouvoirs nouveaux donnés aux salariés avec des pouvoirs réels. Vous me direz : ça n’est pas punissable. Mais enfin, c’est quand même un grave coup porté à l’économie française et à l’emploi dans la situation où nous sommes.

RMC : Vous ne voulez pas mettre en prison les patrons qui font de la délocalisation, quand même ?

A. Lajoinie : Non, ce n’est pas une question de prison mais il faudrait des structures nouvelles pour que les salariés, dans leurs organismes comme les comités d’entreprise, puissent décider, puissent avoir un rôle et non pas seulement émettre des vœux.

RMC : Ce n’est pas la loi, pour le moment.

A. Lajoinie : Oui, ce n’est pas la loi pour le moment, mais il faudrait la changer.

RMC : Au sujet de la Corse, comment améliorer la situation en ce moment ?

A. Lajoinie : Ce qui s’est passé est tout à fait scandaleux. Il y a eu des assassinats répétés, on n’arrête personne, les policiers se plaignent qu’on ne leur donne pas les moyens. Ça ne va pas. Des attentats sont faits comme par exemple contre le maire de Sartène, la police, la justice ne font rien. Ce n’est pas tolérable. Évidemment, la question qui est posée en Corse, c’est de donner un nouveau cours à la politique, faire que les jeunes peuvent avoir du travail, aller vers un développement. D’abord, il faut quand même que la loi républicaine s’applique. C’est l’évidence.

RMC : Faut-il faire des élections ?

A. Lajoinie : Pourquoi pas. Nous ne sommes jamais hostiles à des élections. Le peuple, c’est le peuple et il doit décider.

RMC : Applaudissez-vous à la volonté récemment affirmée de diminuer les impôts sur le revenu des Français dès l’an prochain ?

A. Lajoinie : Je constate que M. Juppé a déjà prélevé plus de 100 milliards sur les ménages français, et sur les ménages parmi les plus modestes en augmentant la TVA qui est l’impôt le plus injuste, en augmentant les cotisations telles que la CSG ou le RDS. Maintenant, il dit qu’il va baisser les impôts. Mais comme par hasard, à la veille de 1998 où il y aura une élection. Quand on regarde de plus près, on s’aperçoit qu’il a dit nettement qu’il ne veut pas baisser la TVA, qu’il ne veut pas baisser les cotisations. Il veut baisser l’impôt sur le revenu. Et quelles tranches ? Les plus hautes tranches, c’est-à-dire l’impôt de ceux qui gagnent le plus. Évidemment, il faudra le compenser en augmentant les impôts sur ceux qui gagnent le moins ! Nous ne sommes pas d’accord. Ce n’est pas la bonne voie. Il avait prétendu, A. Juppé, qu’avec ça, il allait solutionner les problèmes, y compris ceux de la sécurité sociale et on s’aperçoit qu’il en est rien et que le déficit augmente. En effet, si on prend sur ceux qui ont peu de revenus, ils consomment encore moins et c’est un cycle infernal. Aujourd’hui le chômage augmente, la précarité augmente parce que les gens n’ont pas assez de consommation. Il faut vraiment renverser cette politique-là.

RMC : Il ne faut pas diminuer les impôts ?

A. Lajoinie : Il faut diminuer les impôts ! D’abord la TVA, les cotisations sociales qui ont augmenté et qui frappent les salariés et les retraités. Nous avons fait des propositions très chiffrées. Si on fait payer les revenus financiers, hors épargne populaire, au même taux que les salariés, on peut combler tout de suite le déficit de la sécurité sociale et même alléger les cotisations. Voilà une piste. A. Juppé nous dit qu’il n’y a pas d’autre politique, qu’il n’y a que le retour à la politique des gouvernements socialistes d’hier qui a échoué ou la sienne. Ce n’est pas vrai ! C’est un mensonge !

RMC : Est-ce que ce Sommet de Matignon pour aménager le temps de travail est un pas dans la bonne direction ?

A. Lajoinie : Je ne sais pas. II est bien normal que les syndicats discutent avec le Gouvernement, mais enfin, nous connaissons bien l’orientation du Gouvernement ! Il est vrai que la diminution du temps de travail sans diminution de salaire est une piste intéressante. Il faudra de toute façon aller vers la diminution du temps de travail. Les progrès de la technologie nous y obligent, mais il ne faut pas baisser les salaires. Les salaires sont très insuffisants, Il faudrait même les augmenter. Nous proposons d’augmenter les petits et moyens salaires. C’est une urgence. De même, il faudrait augmenter et rétablir la prime de rentrée scolaire que le Gouvernement veut supprimer. Il manque du pouvoir d’achat aujourd’hui. La question de l’emploi est grave, très grave question. Elle passe évidemment par un nouveau développement, une nouvelle croissance. Cela est lié à la consommation, mais ça passe aussi par la réduction du temps de travail et un autre effort pour la formation. Il y a un concept nouveau pour le travail et l’emploi faudrait une nouvelle sécurité du travail alliant la réduction du temps de travail et en même temps la création de conditions pour plus de formation, parce que le développement technologique exige plus de formation, pas seulement une formation initiale, mais une formation continue. Mais ceci, en garantissant la sécurité du travail et les revenus. Voilà une piste d’avenir intéressante.

RMC : C’est possible ?

A. Lajoinie : C’est possible, et c’est économiquement rentable, parce que notre pays est un pays développé. Nous ne sommes pas forts dans les emplois peu qualifiés. Nous sommes forts dans les emplois qualifiés, dans tous les domaines. C’est ça, toute la France. Ce n’est pas autre chose.

RMC : On a remarqué hier la main tendue de B. Hue en direction de L. Jospin pour « construire une alternative à gauche ». Pourquoi cette proposition ? Est-ce que le programme et la méthode de M Jospin ne vous paraissent pas suffisants ?

A. Lajoinie : Nous constatons qu’il faut faire face tout de suite à la situation, aux coups portés par le pouvoir. Donc, il faut un rassemblement, une action commune très forte, et des propositions. Nous proposons, par exemple, une augmentation des salaires, des petits et moyens salaires, la réduction du temps de travail sans diminution de salaire, une nouvelle mesure pour la sécurité sociale. Bref, nous proposons un développement.

RMC : « Nous », c’est qui ?

A. Lajoinie : Le PC. Il faudrait, si l’on veut être efficace, qu’il y ait un effort conjugué des forces de gauche. Or nous n’avons pas encore l’impression qu’on est dans la bonne direction. Voilà pour l’immédiat.

RMC : C’est à cause de M. Jospin ?

A. Lajoinie : Voilà, le PS délibère, mais pour le moment, on n’a pas de propositions aussi nettes. Je parte pour l’immédiat. Mais il y a aussi la perspective de 1998. Il est vrai qu’en 1998, si la gauche est capable de proposer un projet politique nouveau de changement réel, une véritable politique de gauche, les possibilités existent d’avancer, de gagner. Mais il faut qu’il y ait ce projet politique. C’est un peu le sens de l’appel de R. Hue. Dans la préparation de notre congrès, nous avons évoqué cette question. Nous avons dit : « Oui, en 1998, il ne faut pas seulement une alternance », c’est-à-dire remplacer une équipe par une autre. La situation serait extrêmement grave si on décevait encore une fois.

RMC : Qu’est-ce que vous demandez à M Jospin aujourd’hui ?

A. Lajoinie : « Nous demandons de réfléchir, d’une manière évidemment indépendante, aux possibilités, aux propositions pour aller vers une véritable alternative en 1998, dans l’immédiat, faire face à la situation et aller vers un véritable changement. Nous posons par exemple la question de sortir de ces engagements européens qui ligotent la France.

RMC : Ce n’est pas l’opinion de M. Jospin.

A. Lajoinie : Non, là, il y a une divergence, mais enfin, nous savons bien ou conduisent les critères de Maastricht. La France ne peut pas rester dans cette situation. Nous sommes pour une construction européenne, mais une construction européenne qui aille de l’avant, pas au service des groupes financiers. En général, d’ailleurs, il y a une avancée à faire sur le positionnement des partis de gauche par rapport aux groupes financiers, par rapport à la rentabilité financière. On s’aperçoit que toutes les crises qu’on a aujourd’hui, la crise de la « vache folle », c’est de la soumission aux critères de la rentabilité financière. Il faut en sortir. Alors, R. Hue propose à L. Jospin d’avancer dans cette direction. II lui propose aussi de sortir du piège que tend Juppé. Juppé dit : « Il n’y a que ma politique qui est bonne ou, si on ne fait pas ma politique, on revient à la politique du Gouvernement socialiste. » C’est un piège infernal ! Il faut aller vers une autre politique, une politique de gauche.