Texte intégral
Allocution à l'occasion de la remise du CD Rom d'Or - lundi 3 juin 1996
Messieurs les présidents,
Mesdames et Messieurs les directeurs,
Mesdames et Mesdemoiselles, Messieurs,
Nous sommes réunis, aujourd'hui, pour célébrer un événement que certains pourraient juger modeste, mais dont la signification et les compétences sont en fait de grande importance pour le domaine de la culture.
La réussite tout à fait extraordinaire du CD Rom Le Louvre, peinture et palais, coproduit par la réunion des musées nationaux et la société Montparnasse multimédia, qui a remporté le Milia d'Or 1995 et dont plus de cent mille exemplaires en français ont été vendus à ce jour – cent dix-neuf mille exactement, auxquels il faut ajouter quatre-vingt-six mille exemplaires en langues étrangères – cette extraordinaire réussite marque clairement qu'une étape est désormais franchie dans la progression des nouvelles technologies appliquées à la diffusion culturelle.
Le multimédia est un formidable outil de communication, propre à bouleverser nos modes de formation et enseignement, un formidable outil de création aussi. La question des contenus, c'est-à-dire celle de la qualité des produits et des programmes proposés, demeure la question essentielle.
Rien n'est plus à craindre, en effet, rien ne serait plus désolant que de voir les extraordinaires ressources du multimédia mises au service de contenus culturellement indigents ou médiocres. D'autant plus que nous avons, en France et en Europe, les moyens de produire des programmes et des oeuvres de qualité, grâce au talent de nos concepteurs et à la richesse de nos patrimoines.
Face à cet enjeu majeur, nous avons donc décidé – et, il faut le remarquer, le ministère de la culture a joué un rôle de pionnier dans ce domaine – de soutenir très concrètement l'édition française de programmes multimédias, et d'encourager ainsi le développement d'une industrie nationale et d'un savoir-faire national.
Depuis plusieurs années nous aidons, par l'intermédiaire du Centre national du cinéma, la réalisation de programmes sur CD Rom et CDI. Plus de cent dossiers sont examinés chaque année et une quarantaine sont retenus et bénéficient d'une aide importante, puisqu'elle consiste en une avance en trésorerie de l'ordre de trente pour cent du devis de réalisation.
Le sérieux, la qualité intellectuelle et la créativité des projets sont évidemment les principaux critères de sélection. Avec mon collègue Fillon, nous avons décidé de doubler ce fonds et de l'étendre aux services en ligne.
J'ajoute à ce propos que, pour rendre notre action plus efficace, j'ai décidé la mise en place, au sein du CNC, une délégation du multimédia qui sera l'interlocuteur unique de tous les partenaires extérieurs du ministère de la culture dans ce secteur.
Cette délégation assumera également une mission de veille technologique et d'expertise des projets : en outre, elle assurera la gestion de la cyber-galerie, dont j'ai parlé à Cannes, et qui vise à accueillir, sur le serveur du ministère, des oeuvres originales de créateurs, spécialement conçues pour Internet.
Vous le voyez, c'est aussi le secteur du multimédia en ligne que nous nous sommes attaché à soutenir, en favorisant l'essor, par la commande publique, d'une véritable écriture et d'une véritable création multimédia.
Pour en revenir au CD Rom, qui est notre sujet d'aujourd'hui, vous comprendrez ma satisfaction de constater qu'un programme culturel conçu avec toute la compétence et toute la rigueur scientifique voulues a su non seulement trouver un très large public, mais encore s'imposer en 1995 comme le numéro 1 de l'ensemble des ventes de CD Rom en France, tous genres confondus, ce qui constitue une performance qui a surpris même les professionnels du secteur, et plus encore nos amis étrangers.
Une telle performance est d'ailleurs d'autant plus remarquable que la part des produits culturels dans le marché français du CD Rom n'excède pas vingt-deux pour cent, loin derrière les cinquante-sept pour cent que représentent les jeux. On pourrait dont s'attendre à ce que ce soit un jeu qui occupe cette place de numéro 1 sur le marché, et il n'en est rien…
De plus, des études récentes montrent que la part des produits culturels devrait croître très significativement dans les années qui viennent.
De cette simple constatation – outre le fait très encourageant que la qualité paie, si je puis dire, et que le public sait le reconnaître – il y a au moins deux leçons à tirer : d'une part, sur la spécificité du marché français, d'autre part, sur le rôle décisif que peut jouer un produit comme celui qui nous rassemble aujourd'hui.
La spécificité du marché français du multimédia se confirme donc, et le ministre de la culture ne peut que s'en réjouir. La France est en effet le premier producteur au monde de CD Rom culturels : par le nombre de titres disponibles sur le marché – une centaine environ – ; par le nombre d'éditions étrangères de ces titres et par leur succès en termes de ventes, le plus significatif étant justement celui du CD Rom Le Louvre, peintures et palais.
Reconnue par l'ensemble des éditeurs étrangers qui s'en étonnent, cette spécificité de notre marché national, qui mériterait d'ailleurs d'être analysée en profondeur, est une chance pour la France et démontre clairement qu'il n'y a aucune incompatibilité entre la culture et les nouvelles technologies, comme certain peuvent le craindre. Aucune incompatibilité et même, pour la culture, une ressource extraordinaire, en ce sens qu'il y a aujourd'hui un formidable engouement, notamment parmi les jeunes, pour ces nouvelles technologies.
Les programmes culturels multimédia font l'objet d'un usage familial, les acheteurs-types, d'une moyenne d'âge de quarante-cinq ans, étant le plus souvent des parents…
Le multimédia devient ainsi un véhicule qui apporte la culture dans les foyers.
Dans cette perspective, la réussite du CD Rom sur Le Louvre joue, en France, un rôle moteur, qui consiste à entraîner et à dynamiser le marché en jetant les bases d'une activité durable de production de CD Rom de qualité sur les arts, les monuments et les musées, et en rassurant les producteurs.
En ce sens, je remercie chaleureusement, ici, les concepteurs, les auteurs et les réalisateurs qui, à la réunion des musées nationaux et à Montparnasse Multimédia, ont montré la voie. D'autres produits de qualité ont d'ailleurs suivi, je pense en particulier à Moi, Paul Cézanne et à la Visite virtuelle du musée d'Orsay – qui, avec plus de trente mille exemplaires déjà vendus, prend le chemin de la réussite de son aîné.
Je pense aussi à deux autres programmes, l'un très prochainement disponible, le Dictionnaire multimédia d'art moderne et contemporain, l'autre disponible en fin d'année, Une journée à Versailles au temps de Louis XIV, qui présentera cette particularité de proposer une approche ludique d'un sujet traité avec toute la rigueur historique nécessaire.
Je remercie aussi toutes les personnes qui reçoivent aujourd'hui ces premiers CD Rom d'Or, les premiers sans doute d'une longue lignée : c'est par leur action sur le terrain qu'ils ont assuré le plein succès d'un produit qui restera dans les mémoires comme la première grande réussite internationale dans le domaine du multimédia culturel.
Je vous remercie.
Allocution à l'occasion des assises européennes du disque – jeudi 20 juin 1996
Monsieur le président,
Chers amis,
À la veille de la fête de la musique, qui célèbre cette année son quinzième anniversaire en France, mais aussi son deuxième anniversaire en Europe, il m'appartient maintenant de tirer un premier bilan de cette journée studieuse qui aura, j'en suis certain, largement fait progresser notre réflexion commune.
Intervenir, à la fin d'une journée de débats si riches, n'est jamais facile. Je souhaite avant tout remercier nos hôtes de la ville de Bourges et de la région Centre, et tous ceux qui ont pu assister et participer activement à cette manifestation, que j'ai voulu la plus ouverte possible.
Merci, en particulier, aux artistes, et à toutes les personnalités étrangères qui ont fait le déplacement. La totalité des pays de l'Union européenne est représentée, à travers vous, assurant à ces premières assises européennes du disque une véritable représentativité.
À deux reprises, déjà – le 23 avril à Bologne et le 11 juin à Luxembourg –, j'ai eu l'occasion d'aborder devant tous mes collègues de l'Union européenne le thème qui nous réunit aujourd'hui. Je me réjouis de pouvoir à nouveau, et cette fois-ci devant un auditoire élargi, parler d'une cause qui me tient à coeur.
Je me suis fixé une priorité pour mon action au ministère de la culture : l'élargissement de l'accès à la culture. Cette priorité m'a conduit à multiplier les initiatives dans les quartiers en difficulté ou à instituer la fondation du patrimoine. Cette même priorité m'inspire, dans mon combat pour assurer une plus grande diffusion de tous les produits culturels.
L'élargissement de la diffusion d'un produit passe, d'abord, par un prix d'achat accessible. Chacun a sa part de responsabilité dans la formation de ce prix d'achat. L'État est, directement, responsable des taxes qui pèsent sur le produit. Pour les produits culturels, les États ont donc décidé, dans la plupart des cas, de n'appliquer qu'un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée.
Ce raisonnement, qui a été pris en compte dans presque tous les pays de l'Union européenne, pour le livre et pour le cinéma, comme pour le spectacle vivant, n'a, étrangement, pas encore été appliqué pour le disque. Vous avez été nombreux à le dénoncer, aujourd'hui, et je ne peux que vous approuver.
Vouloir contester que le disque est un produit culturel est absurde. La réalisation d'un disque est une oeuvre. L'écoute d'un disque est une pratique culturelle incontestable. Le fait qu'il s'agisse d'une pratique particulièrement répandue chez les jeunes doit nous inciter à la prendre d'autant plus en considération.
Le disque est partie prenante d'une logique de filière musicale. Les personnalités présentes aujourd'hui, producteurs de spectacles, auteurs, interprètes, producteurs de disques, nous ont montré que le spectacle vivant et le disque participent d'un même élan qui vise à amener au public l'acte de création.
Personne ne conteste l'intérêt et la valeur culturelle du spectacle vivant ; celui-ci bénéficie d'une fiscalité avantageuse. Mais la culture ne s'arrête pas à la scène, pour les artistes comme pour les producteurs, le disque en est la prolongation naturelle.
Les sociétés d'auteurs et d'artistes interprètes ont, d'ailleurs, adapté depuis longtemps les mécanismes de répartition à cette donnée essentielle que constitue le disque. Celui-ci ne peut pas être traité à part ; c'est le support d'une oeuvre de l'esprit.
Une baisse de la TVA sur le disque s'impose donc pour permettre un plus large accès de tous à ce produit culturel. Elle devrait permettre, aussi, de stimuler la création musicale. Nous le savons, l'industrie du disque est une économie à haut risque dès lors qu'elle contribue à la promotion de nouveaux talents. Elle doit être encouragée en ce sens.
Je précise que la présence de sociétés de poids, dans ce secteur, ne me parait pas constituer un obstacle à la créativité nationale et européenne. Sur les cinq multinationales du disque, trois sont européennes, et, depuis trois ans, la part des variétés nationales augmente en France comme en Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne ou en Italie. Chacun a intérêt à un développement des nouveaux talents, et une baisse du prix du disque permettrait d'amplifier les investissements qui leur sont consacrés.
Vous êtes, nous sommes, tous concernés par l'abaissement du taux de la TVA sur le disque : les artistes comme les producteurs de disque, les producteurs de spectacles comme les disquaires, en faveur desquels le Parlement français vient par ailleurs d'introduire un dispositif spécifique les protégeant contre les ventes à prix cassés.
Tous les professionnels de la musique doivent appuyer cette revendication afin qu'elle puisse aboutir. Et, c'est là un point fondamental, cette démarche doit être européenne.
Rien ne peut se faire dans ce domaine sans une décision prise à Bruxelles. Il est nécessaire, en effet, d'inscrire le disque dans la nomenclature communautaire des biens pouvant – et non devant – faire l'objet d'une application du taux réduit de la TVA.
Une fois cette réforme adoptée, chaque pays choisira librement de diminuer ou non le taux des taxes applicables au disque. Mais avant l'adoption de cette réforme, aucune baisse unilatérale du taux de TVA n'est possible.
Lorsque j'ai pris mes fonctions de ministre de la culture l'an dernier j'ai, dans un premier temps, trouvé que la procédure de négociation communautaire applicable – qui requiert l'unanimité – était bien lourde. D'autant que la mesure est évidente, indispensable, peu coûteuse : l'expérience l'a prouvé, les augmentations de chiffre d'affaires engendrées par une baisse de la TVA sur le disque devraient, largement, compenser les baisses de rentrées fiscales dues à la diminution du taux.
J'ai, une fois obtenu un arbitrage du premier ministre en faveur de cette mesure, saisi la commission européenne.
Les premières discussions intervenues avec la commission, les échanges avec plusieurs parlementaires européens – et je souhaite saluer à cette occasion l'appui déterminant de Mme Nana Mouskouri sur ce dossier –, la mission effectuée par M. André Larquie auprès de tous les gouvernements de l'Union européenne, les échanges intervenus avec mes collègues lors des conseils de Bologne et de Luxembourg, toutes ces discussions ont, à mon sens, été fort utiles pour enrichir le débat.
L'Européen de conviction que je suis peut dresser un bilan positif de l'exercice auquel nous sommes confrontés. L'obligation de l'unanimité nous contraint à examiner le problème dans toutes ses dimensions, à affûter notre argumentation, à savoir convaincre.
Un vaste débat, une vaste prise de conscience sont nécessaires : c'est tout l'intérêt de ces assises européennes du disque aujourd'hui réunies.
Je ne souhaite pas négliger les objections d'ordre technique qui ont pu être soulevées à l'encontre de notre souhait. Je ne crois pas qu'il faille en exagérer l'importance. Ainsi, de l'objection portant sur la difficulté qu'il y aurait à distinguer le disque produit culturel dans l'ensemble de la production discographique : ce que l'on a réussi pour le libre, en se fondant sur le concept d'oeuvre de l'esprit, doit pouvoir l'être sans plus de difficulté pour le disque.
De même, pour l'objection portant sur le risque de distorsions de concurrence si tous les pays de la communauté ne se décident pas ensemble pour une baisse de taux : ce risque est le même pour tous les producteurs qui peuvent bénéficier d'un taux réduit.
Au-delà de ces considérations techniques, ce sont bien davantage des considérations politique qu'il faut prendre en compte. Seule une volonté politique forte permettra de venir à bout des oppositions de toute sorte, techniques et financières. Nous avons besoin de partager un enthousiasme constructeur.
J'espère que ces échanges auront constitué à rassurer les sceptiques et à conforter ceux qui comme moi veulent aller de l'avant. La pétition qui circule depuis quelques jours à l'initiative de Musique France Plus, et que de nombreux artistes ont déjà signée, me soutient dans ma détermination.
La baisse de la TVA sur le disque n'est pas une fin en soi. Je vous ai dit que j'y vois, surtout, le moyen d'élargir la diffusion du disque et de soutenir la création. Si la réforme est adoptée, les producteurs de disques devront répercuter pleinement la baisse de la TVA sur le prix de vente aux consommateurs.
La réflexion devra se poursuivre, par exemple sur une meilleure circulation de l'expression artistique au sein de l'Union européenne. Peut-être faudra-t-il imaginer, pour le disque, le pendant de ce qui existe aujourd'hui dans le domaine du livre et du cinéma.
Dans l'immédiat, notre objectif est clair et les moyens d'y arriver également. Seule une mobilisation de toutes les parties concernées nous permettra d'avancer. L'identité européenne, faite de la diversité des cultures de notre continent, a tout à gagner à une prise de décision qui aille dans le sens d'une politique dynamique en faveur du disque.
Ces assises auront représenté, je crois, une importante contribution au débat, et je vous en remercie.