Discours de M. Michel Rocard, ministre de l'agriculture, au congrès de la FNSEA sur les orientations de la politique agricole, Grenoble le 14 avril 1983.

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Circonstance : Congrès de la FNSEA à Grenoble du 12 au 14 avril 1983

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs,


Je ne peux qu'être personnellement très sensible à la manière dont a été généralement accueillie ma nomination au ministère de l'agriculture, et à l'esprit dans lequel ont eu lieu mes premiers contacts avec les organisations professionnelles agricoles, et avec la vôtre en particulier.

Vous cacherai-je que c'est pour moi un sujet de préoccupation supplémentaire car je n'ai pas la naïveté de croire que cela suffira pour résoudre les problèmes ?

D'une part, parce que notre agriculture va affronter une situation difficile, aussi bien à court terme qu'à long terme, tributaire en cela des répercussions pour le France d'une crise mondiale qui dure et s'aggrave. Dans ce contexte, l'agriculture n'a pas une place en marge, protégée ou isolée des tempêtes : elle est au coeur même de ces difficultés. Mais nous y reviendrons tout à l'heure.

D'autre part, parce que, si l'action publique est le résultat d'un alliage fragile entre la volonté des hommes et l'administration des choses, le jugement que l'on peut porter sur l'action d'un ministre de l'agriculture dépend de bien d'autres facteurs, aussi aléatoires pour certains que l'humeur du temps.

Certains de mes prédécesseurs – voilà maintenant une dizaine d'années – ont bénéficié à la fois d'une situation économique et budgétaire d'ensemble assez favorable, celle qui prévalait avant l'approfondissement de la crise économique, et de la conjonction tout-à-fait exceptionnelle d'une production intérieure très élevée et de prix internationaux en forte hausse.

D'autres n'auront pas bénéficié des mêmes facteurs favorables, et notamment mon prédécesseur immédiat.

Elle a su, pourtant, engager la France sur une voie d'avenir par la négociation et la conclusion d'accords internationaux agroalimentaires avec de grands pays neufs ; elle a obtenu que les priorités affichées, par exemple : l'installation des jeunes – disposent de moyens supplémentaires ; elle a mené enfin les négociations communautaires, avec énergie et succès, dans un climat pourtant difficile.

Aussi bien, laissez-moi vous dire très simplement que, quels qu'aient pu être les commentaires sur la signification de ma nomination rue de Varennes, je n'ai pas d'autre projet ni d'autre intention que d'y faire le mieux possible mon métier, en mettant l'accent sur les actions qui permettront aux agriculteurs, à l'agriculture et aux industries agroalimentaires d'aborder l'avenir dans les meilleures conditions.

L'expérience montre que ce n'est pas nécessairement ainsi que je m'assurerai le plus rapidement ou le plus durablement vos éloges. Mais c'est ma tâche et je m'y tiendrai.

Simplement, il faut voir les conditions dans lesquelles va s'inscrire mon action.

Les conditions économiques de la période sont dures :

- persistance d'un dollar fort qui renchérit certaines de nos importations ;
- stagnation voire recul de l'activité mondiale ;
- crise financière sur les marchés neufs du tiers-monde ou des pays de l'Est ;
- effort de rigueur au dehors, comme au dedans pour notre pays, effort qui lui-même appelle la restriction budgétaire ;
- la modération des prix, et davantage de solidarité en matière de revenu.

Tel est le paysage qui nous attend et où nous allons devoir évoluer au lendemain d'ajustements monétaires douloureux. Je n'ai donc et vous ne devez avoir aucune illusion : je n'aurai pas les moyens de faire en sorte que l'agriculture échappe à la dureté des temps. Mais il nous reviendra ensemble de la muscler pour y faire face, et de répartir au mieux l'effort commun.

Les conditions sociales et politiques dans lesquelles nous allons devoir travailler ne sont pas neutres non plus.

À mon sens, si l'agriculture forme un tout, elle est tout de même profondément diverse. Choisir pour elle la voie de la modernité, c'est permettre que des terroirs et des types d'agriculture très divers puissent se développer librement et vivre de leur travail : l'exigence reste bien de conserver le nombre maximum d'emplois dans le secteur agroalimentaire, ce qui ne vise pas seulement le nombre de chefs d'exploitation.

Dans la période actuelle, tout particulièrement, cela n'ira pas sans solidarité, ni sans équité.

Ministre de l'agriculture, membre d'un gouvernement de gauche, il me revient de faire en sorte que la solidarité nationale soit acquise à l'agriculture ; mais cette solidarité se manifestera d'autant plus activement que les autres catégories sociales auront la preuve de sa nécessité et la conviction de son utilité au service d'un développement harmonieux de toute l'agriculture.

Il ne s'agit pas, en effet, de conduire la gestion d'un secteur économique essentiel, avec uniquement des préoccupations sociales, mais d'établir la clarté dans les revenus et les transferts, afin que le souci d'équité reste compatible avec le développement des exploitations qui garantissent l'avenir et la compétitivité.

Les conditions indispensables du succès en cette matière sont :

- d'abord une meilleure connaissance des revenus et des situations financières réelles des exploitations ;
- ensuite une réforme de la fiscalité qui tienne compte des spécificités de l'activité agricole, par exemple : en matière de stocks et de cheptel ;
- enfin la poursuite de l'effort entrepris pour adapter les cotisations sociales aux capacités contributives des exploitants.

Je viens d'énoncer là les choix fondamentaux qui guideront mon action. Ces choix s'appuient sur une réflexion que nous avons entamée ensemble à l'occasion des travaux préparatoires du IXe plan, en particulier dans le groupe « long terme » auquel votre organisation a apporté une contribution importante. Le résultat de ces travaux a été fructueux, à l'image du dialogue dans lequel ils ont été conduits. À cet égard, le ministre de l'agriculture d'aujourd'hui n'a pas oublié ce que disait hier le ministre du plan et de l'aménagement du territoire.

C'est donc de là que j'entends partir pour répondre aux interrogations soulevées par votre congrès. Il ne s'agit pas pour moi, si peu de temps après mon installation au ministère de l'agriculture, de vous faire un discours – programme sur la politique agricole du gouvernement. J'ai en effet pour règle de conduite de ne pas prendre de position définitive sur les dossiers avant qu'ait été menée à son terme la concertation nécessaire : C'est là une règle de conduite à laquelle je me tiendrai.

Et la première question que je me dois de traiter devant votre congrès est précisément celle de la concertation, c'est-à-dire la question du choix des partenaires de l'État et celle du contenu de leur dialogue.

Sur le premier point, ma position est claire : le droit d'association est libre dans ce pays, et il n'appartient pas à l'État de s'immiscer dans les choix que font les différentes catégories sociales pour ce qui concerne leurs organisations représentatives.

Cela d'ailleurs ne vaut pas seulement pour l'agriculture, de même que l'aspiration à l'unité et à la solidarité n'est pas l'apanage de votre seule profession.

Je connais votre souci que les organisations agricoles ne se multiplient pas à l'infini. Ce ne serait pas non plus nécessairement l'intérêt de l'État : la politique agricole, compte tenu de ses implications internationales, exige de la part des différents partenaires un esprit de responsabilité qui proscrit les surenchères.

Mais il peut arriver que diverses fractions d'une catégorie sociale estiment n'avoir pas d'autre choix, pour faire entendre leur point de vue, que de se doter d'organisations spécifiques.

De telles organisations se sont constituées dans le monde agricole, et l'État se doit d'entendre également leurs avis et leurs positions.

Mais cela ne peut se faire, bien évidemment, sans prendre en compte par ailleurs la représentativité réelle des différentes organisations.

Les élections professionnelles constituent, dans tous les secteurs, un des éléments importants retenus pour établir la représentativité. Elles viennent d'avoir lieu, pour ce qui me concerne les organisations agricoles, et elles ont été précédées d'un large débat.

Il ne m'a pas échappé que votre fédération avait, à cette occasion, confirmé sa prééminence parmi les organisations de nature syndicale.

J'en tiendrai naturellement compte, aussi bien pour ce qui concerne l'organisation de la concertation que pour la composition des différentes instances de consultation du monde agricole, en me gardant de tout esprit de système.

Pour ce qui concerne maintenant les modalités de concertation, vous avouerai-je que ce qui frappe d'abord un ministre de l'agriculture nouvellement nommé est que, dans votre secteur, ce ne sont pas les instances qui manquent !

Aussi bien, le problème principal me paraît être moins désormais de nous préoccuper des formes et des garanties de consultation qui peuvent vous être données – vous n'avez, je l'espère, aucun doute sur ma volonté à cet égard – que de nous intéresser activement au contenu réel du dialogue entre les états et les organisations professionnelles, et à la clarté de leurs relations.

Le danger principal qui nous guette, me semble-t-il, dans un secteur d'activité où les difficultés conjoncturelles sont permanentes, pressantes et infiniment variées, est bien de nous laisser absorber par la gestion indispensable de la conjoncture en perdant de vue, voire même en sacrifiant les problèmes et les choix qui commandent l'avenir.

J'aurai donc constamment le souci que l'ensemble des relations établies avec les organisations professionnelles puissent aussi se situer dans une perspective d'avenir à quelques années et ces relations puissent faire l'objet, dans ce cadre, d'engagements précis entre l'État et ses partenaires, éventuellement sous forme contractuelle. La préparation et l'exécution du IXe plan devraient en fournir l'occasion et les moyens. C'est le message que j'ai laissé au Premier ministre et à mon successeur.

Notre mode de dialogue étant ainsi esquissé, je vous propose de nous intéresser maintenant à ce qui pourra en constituer l'objet.

Depuis une dizaine d'années, c'est-à-dire très précisément depuis l'approfondissement de la crise économique internationale, l'agriculture française se heurte à des difficultés nombreuses sur l'ensemble des terrains où se déterminent son présent et son avenir.

Cette situation est vécue par vous, je le sais, comme assez injuste. Manifestement, après l'effort considérable que vous avez entrepris depuis la fin de la dernière guerre, et qui s'est accentué depuis le début des années 1960, pour adapter vos exploitations aux contraintes d'une économie moderne, beaucoup d'entre vous auraient souhaité pouvoir souffler un peu, en prenant le temps d'en recueillir les fruits.

La mutation dans laquelle s'engagent maintenant les autres secteurs d'activité, mutation d'autant plus difficile que certains d'entre eux n'y avaient pas été suffisamment préparés dans les années précédentes, ne vous laisse pas le temps. Et vous subissez directement les conséquences des difficultés générales, et notamment des difficultés monétaires, en termes de coûts, de prix, de financement et d'emploi, d'autant plus que vous n'êtes pas les mieux placés pour vous en défendre en raison des caractéristiques de votre secteur.

Nous n'avons pas le temps, ici, de faire ensemble le tour de toutes ces difficultés. Mais il est clair que beaucoup d'entre elles se regroupent autour d'un problème central, qui est celui du revenu agricole, dont l'évolution détermine à la fois vos conditions de vie et vos capacités à investir pour assurer le maintien et le développement de vos exploitations.

Sur ce plan, nous allons nous trouver cette année avec une situation un peu paradoxale. Les récoltes de l'automne dernier ont été bonnes, et les marchés se sont dans l'ensemble pas trop mal tenus.

De ce fait, le revenu agricole de 1982 que la commission des comptes publiera dans quelques semaines fera apparaître une progression sensible, même si elle n'est pas équitablement répartie, ce que nous savons tous et dont je suis bien conscient.

Cela se produit au moment où l'ensemble des catégories sociales de ce pays sont invitées à contribuer à l'effort de rigueur nécessaire pour assainir la situation économique de la France, dans des conditions telles que celles qui ont les revenus fiscaux les mieux connus auront le sentiment d'y participer plus que d'autres.

Nous devrons en tenir compte, mais je n'oublie pas, naturellement, que cette situation est nouvelle.

De 1974 à 1981, le niveau du revenu brut agricole moyen a baissé malgré d'importants transferts publics.

Une telle évolution ne peut se poursuivre longtemps sans mettre en péril, non seulement les actions nécessaires pour rapprocher vos conditions de vie et de travail de celles des autres catégories, mais aussi votre capacité à préparer l'avenir et la capacité de l'État de vous aider. C'est pourquoi j'entends obtenir que l'évolution des prix garantis soit telle en 1983 qu'elle permette la préservation du revenu agricole.

Je sais que les difficultés qui nous attendent vont vous imposer de poursuivre des efforts que vous avez légitimement le sentiment d'avoir très largement consentis. Mais vous savez que la clef du règlement de ces problèmes réside dans l'amélioration de votre productivité.

Nous pouvons, certes, gagner dans l'immédiat des marges supplémentaires sur les coûts de production, d'abord en veillant attentivement aux conditions dans lesquelles se forment les prix de vos approvisionnements : tel est le rôle de l'observatoire des coûts de production d'ailleurs mis en place à la suite de la conférence annuelle ; ensuite en réexaminant l'efficacité des combinaisons productives qui se sont développées dans des périodes où les prix et les conditions de financement étaient différentes.

Nous pouvons également compter sur la recherche et sur les organismes de développement, dont nous savons qu'ils s'y emploient, pour vous apporter dans l'avenir des solutions nouvelles, appuyées sur l'explosion que connaissent actuellement les techniques d'intervention de l'homme dans les processus biologiques, par exemple en ce qui concerne la fertilisation azotée ou les utilisations non alimentaires des produits agricoles.

Mais, dans l'immédiat, nous n'avons pas le temps de rêver. Sauf à accepter – ce qui est évidemment exclu – une diminution accélérée des emplois dans l'agriculture, l'augmentation de la productivité entraînera nécessairement, à l'horizon actuellement prévisible, l'augmentation de la production…

Cela signifie que l'agriculture française est condamnée à l'expansion.

Il me semble, heureusement, qu'elle en a les moyens.

Elle en a les moyens d'abord sur son marché intérieur, aucun pays ne peut, certes, prétendre être uniquement exportateur sans accepter dans le même temps de s'ouvrir aux produits de ses partenaires commerciaux.

Mais certains des déficits constatés, en matière de produits pour l'alimentation animale, de viandes ou d'horticulture, par exemple, ne sont pas admissibles, en regard de nos capacités. Des résultats significatifs ont déjà été enregistrés, par exemple en matière de protéagineux, grâce aux efforts entrepris de longue date par la recherche. Je veillerai à ce qu'ils soient confortés et accentués, pour ces productions comme pour les autres. La négociation communautaire nous fournira l'occasion, par exemple pour un produit comme le colza, de réaffirmer cette priorité.

Il en va de même, d'ailleurs, dans la filière bois où le déficit de la France est particulièrement élevé. Vous comprendrez que je n'insiste pas sur ce point. Le Gouvernement a marqué sa volonté de progresser en ce domaine en nommant, à l'occasion du dernier remaniement un secrétaire d'État auprès du ministre de l'agriculture, tout spécialement chargé de la forêt et des industries du bois, mon ami, René Souchon, que j'ai plaisir à avoir aujourd'hui à mes côtés. Il lui appartiendra d'exposer lui-même en d'autres occasions, ses perspectives et ses projets.

Toutefois, la réduction des déficits sur le marché national n'est pas, à elle seule, une réponse suffisante face aux besoins de croissance d'une agriculture française qui est maintenant structurellement exportatrice. Il lui faut trouver des débouchés extérieurs accrus, dans la communauté et hors de la communauté.

Sur le marché communautaire, l'agriculture française n'a pas pris la place à laquelle elle pouvait prétendre, en regard des potentialités que lui assurent ses surfaces, son climat et la compétence de ses agriculteurs.

Je vous rappelle – mais vous le savez sans doute déjà – que l'agriculture de la République fédérale d'Allemagne, dont la superficie agricole utile représente à peine plus de 40 ù de celle de la France, fournit une production agricole qui équivaut, en valeur, à plus de 70 % de la production de l'agriculture française. Cette situation peut s'expliquer en partie par les différences qui existent entre les sols et les spécialisations. Mais l'écart n'a pu atteindre un tel niveau que sous l'effet des distorsions de compétitivité entretenues notamment par les montants compensatoires. Cette situation n'est évidemment pas admissible. Nous aurons l'occasion d'en reparler tout à l'heure, à propos de la prochaine négociation communautaire.

Mais l'agriculture française n'a aucune raison de limiter son horizon à celui des frontières communautaires.

La France peut et doit avoir aujourd'hui pour son agriculture, et pour celle de ses partenaires, d'autres ambitions que celle d'approvisionner ses seuls consommateurs.

Malgré les critiques auxquelles elle est confrontée périodiquement, la communauté n'a pas à rougir de sa politique agricole. Tout montre qu'au total elle ne soutient pas son agriculture plus que ne le font les pays concurrents qui lui reprochent son protectionnisme. Elle n'a donc aucun motif pour accepter de se retirer, devant eux, du marché international.

Cela d'autant que les défis auxquels nous confrontent la crise mondiale et la redistribution internationale des activités qu'elle recouvre, exigent que l'Europe se donne les moyens de jouer un rôle actif dans la réorganisation des échanges économiques mondiaux.

Cela, enfin, malgré les discours sympathiques et généraux que tiennent les uns et les autres, parce qu'aucun pays en voie de développement ne souhaite actuellement que nous cessions de figurer parmi ses fournisseurs, tout simplement parce qu'aucun d'entre eux n'a envie de se trouver confronté à un nombre trop limité de partenaires, si ce n'est même à un seul.

Bien entendu, aucun de ces pays n'attend de l'Europe, et plus particulièrement la France, une aide alimentaire permanente et durable.

Le France a une expérience agricole considérable, un monde paysan qui a su s'organiser ; il lui faut mettre cette expérience au service du tiers-monde. Elle a su construire, face aux projets des sociétés transnationales, un espace qui est devenu celui de la croissance et de l'autosuffisance alimentaire. Ne peut-elle pas faire bénéficier nos partenaires du Sud des enseignements de cette approche ? Elle sait qu'elle ne pourra développer ses échanges avec des partenaires affaiblis ; à l'inverse de ceux qui pensent que le maintien de la dépendance alimentaire du tiers-monde est nécessaire à la sortie de la crise des pays industrialisés, elle considère que le développement et le renforcement de l'autosuffisance alimentaire du tiers-monde sont, à terme, un facteur décisif de la consolidation de sa position commerciale et financière internationale.

Mais pour cela il lui faut mettre en résonance son potentiel productif avec les besoins des peuples du Sud, et donc adapter ses programmes de formation, ses projets de recherche et d'investissement à la demande de ses partenaires ; il y a là un champ immense de réflexion et d'initiatives.

Tout cela pose, directement la question de la relance de la politique agricole commune [PAC]. Celle-ci a désormais atteint ses principaux objectifs initiaux, notamment en matière d'auto-approvisionnement de l'Europe pour la plupart des grands produits.

L'exacerbation de la concurrence entre pays partenaires, qui découle de cet état de fait, ne peut que porter préjudice à la PAC.

Celle-ci a besoin, aujourd'hui, d'un nouveau projet, et je crois qu'il appartient à la France de contribuer à le lui donner.

Cela ne sera pas simple. Nos partenaires les plus influents, dont l'économie agricole n'occupe pas une place aussi importante que chez nous ou dont l'inflation est plus réduite qu'en France, adoptent depuis plusieurs années une attitude malthusienne en matière agricole. Ils restent pourtant très attachés à certaines situations artificielles dont ils bénéficient et qui sont à l'origine de surplus dont, paradoxalement, ils critiquent eux-mêmes le coût.

C'est désormais, pour l'ensemble de la communauté, une question de courage collectif, courage qui trouvera à s'appliquer aussi dès à présent dans les rapports entre la CEE [Communauté économique européenne] et les États-Unis. D'une part, parce que les cours dits « mondiaux » sont en fait bien souvent des prix fixés sous l'influence des États-Unis et qui ne résultent pas uniquement, tant s'en faut, du libre jeu de l'offre et de la demande. Il y a beaucoup d'hypocrisie qui se cache derrière l'idéologie du libre-échange quand on sait en fait au moyen de quelles interventions publiques de toute nature l'administration américaine gère le marché.

D'autre part, les structures de production et les conditions d'approvisionnement propres à l'Amérique du Nord permettent aux agriculteurs de ces pays de supporter – d'ailleurs de moins en moins facilement – des prix à la production assez faibles. Ce n'est pas le cas en Europe, et la thèse de l'abaissement des prix communautaires menacerait donc directement notre potentiel de production. Je la combattrai avec fermeté.

C'est un enjeu important pour redonner à l'Europe sens et rigueur, et notamment dans le domaine agricole que de pouvoir lui proposer d'autres projets et d'autres chemins, qui la conduiront nécessairement à s'affirmer plus fermement face aux États-Unis. D'ici quelques mois, la France aura la responsabilité de la présidence du Conseil des ministres de la communauté. Je souhaite que nous soyons à même de mettre cette occasion à profit pour apporter des réponses positives à ce second défi, les proposer à nos partenaires et les faire aboutir.

Je vous propose d'y réfléchir ensemble, c'est sans doute l'un des choix les plus essentiels auxquels nous allons, vous et moi, nous trouver confrontés.

Toutefois j'attire votre attention sur le fait qu'une politique exportatrice plus volontaire de la communauté aura davantage de chances d'être comprise et mise en oeuvre si les exploitants acceptent de participer au coût de l'effort d'exportation, cela sous des formes à définir mais qui ne pourront certainement pas aboutir à demander à tous la même contribution.

Voilà, monsieur le président, mesdames et messieurs, ce que je souhaitais dire aujourd'hui à propos des réflexions que vous avez formulées sur les capacités exportatrices de l'agriculture française, sa situation actuelle et les chances de son développement.

Mais je n'attends évidemment pas sur ces seuls aspects de la politique agricole l'éclairage et les propositions des organisations professionnelles. L'avenir de l'agriculture à moyen et long terme sera commandé également par d'autres décisions que j'aurai à proposer ou à prendre dans les prochains mois.

Il s'agira par exemple de l'orientation des productions, et donc notamment de la hiérarchie des prix communautaires. Le futur Conseil supérieur d'orientation [CSO] devra se pencher sur ces questions, qui étaient au coeur des débats sur la politique agricole voici une quinzaine d'années et qui se sont progressivement estompées sous le poids des préoccupations conjoncturelles. Les problèmes que posera une pénétration accrue sur le marché international vont nous y confronter à nouveau.

Il s'agira également des réponses que nous pourrons apporter aux difficultés auxquelles se heurtent de plus en plus les exploitations familiales, que ce soit pour financer la formation ou la transmission du capital ou pour assurer aux exploitants, à leur famille et à leurs salariés, des conditions de travail qui ne s'éloignent pas trop de celles des actifs des autres secteurs.

Il me semble sur ce point que le moment est venu de renouer avec l'esprit qui a souvent inspiré la politique agricole dans les périodes décisives, en prêtant une attention particulière aux éléments de solution que pourraient apporter diverses formes associatives, existantes ou à inventer.

Voilà, rapidement esquissées, quelques-unes des nombreuses questions sur lesquelles j'aurai l'occasion, dans les prochaines semaines ou les prochains mois, d'interroger les organisations professionnelles agricoles.

Mais il faut bien aborder l'immédiat afin de vous indiquer selon quelles directions j'entends conduire mon action dans les semaines qui viennent.

Le premier sujet est donc celui qui concerne la garantie du revenu agricole. Vous comprendrez que l'efficacité commande de ne pas exposer ici les modalités ou la stratégie de la négociation qui doit s'ouvrir le 18 avril prochain à Bruxelles. Il me paraît toutefois légitime de vous indiquer les principes et les objectifs selon lesquels j'entends défendre les intérêts des agriculteurs français. S'agissant des montants compensatoires monétaires [MCM], il est clair que les dernières propositions de la commission sont inacceptables. Et ceci d'autant plus que le réajustement monétaire intervenu le 21 mars dernier a encore accru les écarts existants entre les MCM positifs et négatifs dans les différents pays du marché commun.

En effet, un désarmement de trois points des MCM négatifs français au début de chaque campagne, et notamment depuis le début avril à l'égard du lait et des viandes bovine et ovine, intervenant en application des décisions d'octobre 1982, ne peut suffire à compenser l'accroissement de l'écart entre MCM positifs et négatifs dont je viens de parler. Seul se trouverait – dans cette hypothèse – annulé l'accroissement des MCM négatifs français tandis que demeurerait l'augmentation des MCM positifs étrangers – près de cinq points pour ce qui concerne l'Allemagne fédérale, par exemple.

Les mesures prévues par la commission pour l'élimination des MCM positif ne sont pas conformes à l'application constante des textes issus de l'accord des 5 et 6 mars 1979. J'ajoute que la commission n'a pas pris en considération les distorsions de concurrence les plus importantes dans plusieurs secteurs : le porc, par exemple, mais pas lui seul. Elle a par ailleurs cédé à des préoccupations étroitement budgétaires en fixant des seuils de production qui constituent un handicap pour nos agriculteurs. Sur l'ensemble de ces questions, je suis donc décidé à être de la plus grande fermeté dans la défense des intérêts de l'agriculture. J'ai conscience que ce premier dossier est décisif pour les agriculteurs… et pour le ministre de l'agriculture.

Le second élément important du revenu des agriculteurs est lié à l'évolution des prix agricoles. S'agissant d'abord des coûts de production, l'attention des pouvoirs publics se portera tout particulièrement sur la modération de l'évolution des prix des produits et des services nécessaires à l'agriculture : engrais, aliments du bétail, produits vétérinaires et phytosanitaires… Tous ces secteurs sont couverts par les accords passés entre les professionnels et le ministère de l'économie et des finances, au terme desquels la progression des coûts devra être limitée à 7 % en moyenne pour l'année 1983.

S'agissant des prix à la production, j'ai déjà indiqué quelques orientations concernant le secteur des céréales. Je tiens à dire que les propositions de la commission pour le lait ne sont pas non plus acceptables et qu'il s'agit, là encore, de la cohésion de l'Europe face aux États-Unis, dont les excédents importants sont responsables de la saturation du marché mondial, et de discipline de l'Europe à l'égard d'elle-même, car le dépassement des seuils de production n'est en rien imputable aux petits et moyens exploitants qui utilisent quasi exclusivement les fourrages de leur exploitation.

Les grandes usines à lait d'Europe du Nord, qui recourent massivement à l'achat d'aliments concentrés et importés, à base de soja, doivent assurer le financement d'une véritable « coresponsabilité » dont les mécanismes doivent être revus pour les rendre plus équitables.

Sans passer en revue de détail l'ensemble des productions, je voudrais cependant évoquer rapidement les secteurs dont la situation de marché actuel est particulièrement mauvaise.

Dans le secteur avicole et sur le marché de l'oeuf, une crise dramatique se développe : action coordonnée à l'exportation sur le Proche-Orient, meilleure protection des éleveurs par la conclusion prochaine d'un contrat-type d'intégration, renforcement des moyens de la caisse de péréquation des oeufs, mesures de réduction de la production devraient permettre d'accélérer le redressement demandé. D'autres mesures seront nécessaires : elles seront concertées avec les représentants des producteurs et l'interprofession.

L'évolution du marché du porc est également préoccupante. La faiblesse de la demande, liée à un accroissement de la production de nos partenaires d'Europe du Nord a provoqué une baisse des cours depuis décembre 1982.

Les mesures prises à Bruxelles en début d'année ont limité cette baisse.

Mais, elle reste d'autant plus significative que la production française est pénalisée par un mode de calcul des montant compensatoires monétaires parfaitement injustifié.

Je sais que mes prédécesseurs n'ont pu sur cette question difficile, surmonter les intérêts considérables de certains de partenaires européens. Mais sachez que je serai d'une vigilance particulière sur ce point lors des toutes prochaines négociations communautaires.

Par ailleurs, j'ai demandé à mes services d'étudier avec les représentants des producteurs un certain nombre de mesures destinées à améliorer la gestion de ce secteur et à permettre de conforter la production porcine, notamment en allégeant les charges des récents investisseurs.

L'analyse des causes de ces situations montre qu'à côté d'une amélioration de la compétitivité des entreprises française, d'une meilleure connaissance statistique du marché et notamment des importations, l'essentiel des efforts doit porter sur la mise en place d'une véritable organisation économique tant au niveau de la production qu'au niveau de la commercialisation permettant à chaque production d'optimiser ses résultats. Ce sera là, le second de mes sujets.

C'est en effet la vocation des offices d'intervention que de permettre une meilleure coordination des efforts respectifs des organisations professionnelles et interprofessionnelles et de la puissance publique, pour regrouper les productions, améliorer l'efficacité économique des interventions publiques en faveur des investissements à la production où des circuits de commercialisation.

Puisque j'adore ce sujet, vous avez appris que ces offices par filières sont désormais une réalité puisque les décrets relatifs à leur création ont été publiés au Journal officiel immédiatement après ma prise de fonction.

Les projets s'y rapportant ont été soumis à deux reprise pour avis au Conseil supérieur d'orientation de l'économie agricole et alimentaire ont été préparés par mon prédécesseur, et les organisations professionnelles spécialisées ont été sollicités pour proposer des représentants qualifiés au conseil de direction de chacun des offices. Il me revient maintenant d'assurer leur mise en place et leurs conditions effectives de fonctionnement.

J'entends agir sans délai, désigner incessamment les directeurs afin de préparer sans heurts les transitions nécessaires sur le plan de la localisation, des répartitions budgétaires et de l'affectation des personnels et, après les ultimes concertations indispensables, nommer les conseils de direction afin qu'ils soient en mesure de tenir très rapidement leur première réunion. Qu'il soit clair pour chacun que, dans l'esprit du Gouvernement, ces offices ont d'abord et avant tout, outre leurs attributions dans la gestion des marchés, pour fonctions d'accentuer la concertation entre la puissance publique et les professions organisées, d'aider les organisations interprofessionnelles à s'organiser quand cela est nécessaire, et non pas de se substituer à elles.

La règle du jeu des offices est celle de la négociation. Son moyen sera celui du contrat ou de la convention avec des différentes familles professionnelles.

Il nous faudra, tous ensemble éviter deux risques :

- d'une part, et ce sera un point sur lequel nous pouvez me faire confiance pour être tout spécialement vigilant, nous nous garderons de tout bureaucratie inutile ;
- d'autre part, et c'est un point auquel je vous demande de veiller tout spécialement, la juxtaposition d'offices par filière ne doit pas se traduire par une surenchère permanente entre secteurs, et par une moins grande coordination que par le passé. Pour y veiller, le ministre pourra s'appuyer sur le conseil supérieur d'orientation.

Ce conseil aura un rôle décisif à jouer dans ce domaine de la coordination et de l'harmonisation des priorités en matière d'orientations de productions, d'organisation des marchés, de formation, de recherche et de développement, et aussi d'exportation, là encore, après avoir procédé aux dernières consultations qui doivent intervenir, je prendrai rapidement les dispositions réglementaires en application de la loi d'octobre 1982 pour fixer la composition du CSO et permettre sa mise en place prochaine, afin qu'il joue effectivement le rôle que je viens de rappeler.

J'évoquai à l'instant, le rôle de l'organisation des producteurs, et de la filière à l'exportation.

La France a une agriculture strictement exportatrice. Il faut donc trouver de nouveaux débouchés extérieurs, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la communauté économique européenne.

C'est une vocation naturelle, mais aussi une vocation économique et politique pour notre agriculture.

Économique, parce que dans l'interaction complexe des éléments qui déterminent la formation du revenu agricole, la permanence d'un excédent net qui a été en 1982 de 18,6 milliards de francs est nécessaire à l'équilibre socio-économique de la profession en même temps qu'à l'amélioration de notre balance commerciale.

Politique aussi, parce que dans le monde caractérisé par l'inadéquation de la répartition des ressources alimentaires à celle de la population, la présidence de la France parmi les grands fournisseurs alimentaires de la planète est un des atouts principaux dont elle dispose pour jouer un rôle international conforme à son histoire, au message dont notre pays est porteur comme aux espoirs que bon nombre de pays du tiers-monde ont placé en nous. Et puisqu'hélas, on en est parfois venu à parler des ressources alimentaires comme d'une arme, sachons dire que dans ce domaine aussi, l'autosuffisance conjuguée à une présence active et en progression constante sur les marchés mondiaux représente une « force de dissuasion » dont l'importance ira croissant.

La concurrence qui s'exacerbe sur le marché Européen, comme l'agressivité commerciale dont font preuve les États-Unis ou certains pays neufs, vont nous obliger à redoubler d'efforts, surtout à un moment où la baisse des prix du pétrole et des matières premières raréfie les marchés solvables dans le tiers-monde.

Le travail déjà accompli par le ministère de l'agriculture, permettant à notre pays de disposer d'un réseau efficace d'attachés et de spécialistes agricoles dans une trentaine de pays, conseillant les exportateurs Français, préservant dans un contexte budgétaire difficile un niveau élevé de moyens de fonctionnement pour les organismes qui assistent les exportateurs dans leur travail de pénétration des marchés étrangers, tout cela devra être poursuivi et développé. Mais il nous faudra aller plus loin, pour affronter une concurrence plus dure, dans des conditions qui restent, bien évidemment, compatibles avec notre appartenance à la Communauté économique européenne.

Nos partenaires ont mis au point des structures opérationnelles capables de mobiliser les différents moyens des acteurs de la filière afin d'atteindre des objectifs d'exportation ambitieux. Nous pourrons, avec le concours de toutes les familles professionnelles, disposer avec le fonds de promotion d'un outil comparable. Je suis décidé à prendre toutes les dispositions nécessaires pour sa mise en place rapide.

Un certain nombre de ses règles d'intervention restent sans doute à préciser. Il appartiendra ensuite aux familles professionnelles intéressées de démontrer que c'est bien là l'outil efficace dont nous avons besoin. Je suis prêt, pour ma part, à examiner dans les prochains jours, avec notre président les conditions concrètes et précises de son fonctionnement, afin de donner corps à cette priorité qu'a marqué votre congrès à l'égard de l'exportation.

Mon troisième sujet de préoccupation immédiat concerne l'amélioration de l'emploi dans l'agriculture. Cela touche bien entendu d'abord à la politique d'installation des jeunes agriculteurs, qui est un des objectifs prioritaires du Gouvernement. Beaucoup a déjà été traduit dans les faits, avec le doublement de la dotation d'installation, mais les aides financières ne constituent pas le seul élément de succès de cette politique.

Une politique des structures plus rigoureuses et plus efficace doit rendre réelle sur le terrain l'option que nous prenons en faveur de l'installation des jeunes agriculteurs. On a beaucoup discuté depuis deux ans, de réforme foncière […] sans doute sous-estimé, dans les débats antérieurs, le poids de l'enjeu que représente dans les conditions sociales actuelles l'accès au foncier pour les agriculteurs et par voie de conséquent, le caractère très passionnel que prend immédiatement tout débat sur ce sujet.

Il ne serait pas sain, pour la profession tout entière, que soit imposée une réforme sans que la majorité de ceux qui auront la responsabilité de la mettre en oeuvre soit convaincue de sa justesse et son bien-fondé.

Je pense prendre l'initiative de ce débat en adressant dans les prochaines semaines un document d'orientation à l'ensemble des professionnels en les interrogeant sur les principaux axes d'une politique foncière.

Ce débat, large et complexe, ne nous dispense pas de mettre en oeuvre rapidement les aspects les plus positifs de la loi de 1980.

Pour ce faire, je vais entreprendre sans tarder les travaux nécessaires à la définition des textes législatifs et réglementaires qui permettent d'améliorer les mesurer de contrôle et de limitation des cumuls prévues par cette loi.

Il nous faut, en effet, arrêter le mouvement de concentration excessive des terres, c'est dans cet esprit que je veux engager cette opération. Il nous faudra, en même temps, mettre en place des procédures qui permettront d'atteindre davantage de transparence, de démocratie, et par conséquent, de responsabilité dans les décisions en matière foncière.

Enfin, et toujours pour faciliter l'installation des jeunes, nous allons établir des formes d'organisation foncière sociétaire de mutualiste auprès desquelles certains jeunes pourront trouver en location des terres agricoles indispensables à leur première installation. J'ai donné des instructions précises pour qu'aboutisse rapidement la mise en place de la société d'épargne foncière agricole, afin de disposer de ce mécanisme de financement spécifiquement adapté aux installations.

Je souhaite enfin évoquer la politique de formation au service de l'emploi. Il ne peut pas y avoir d'agriculture forte dans un milieu rural vivant sans un effort permanent de formation des hommes et des femmes qui vivent à la terre, voilà bien longtemps que votre profession l'a compris et chacun se plaît à souligner la qualité de l'appareil de recherche, de formation initiale et continue, de développement, dont disposent les agriculteurs et qu'ils contribuent à financer, c'est une priorité que j'ai proposée au Gouvernement d'inscrire dans le IXe plan.

Le système de formation et de développement agricole et rural doit donc recevoir les moyens de s'adapter pour répondre de manière diversifiée aux besoins économiques, sociaux et techniques des différents groupes qui travaillent côte-à-côte dans la société rurale. Un processus de réflexion et de concertation approfondi a été mené à bien depuis plusieurs mois. J'ai l'intention de traduire progressivement dans les faits et en en discutant avec les professions les enseignements qui s'en dégagent.

En matière de développement, là où la juxtaposition de nombreux organismes et d'instances diverses donne parfois l'impression de dispersion, il convient de restituer au développement sa cohérence, au service des priorités concernant les produits et les hommes, dans un travail d'appui à la filière.

L'agriculture et les agriculteurs ont droit pleinement à la formation professionnelle accrue et enrichie dont le Président de la République a rappelé tout récemment qu'elle constituait une priorité nationale. C'est dans cet esprit que le Gouvernement a retenu le secteur agricole et agro-alimentaire comme l'une des trois priorités nationales de la politique de formation professionnelle au cours des mois qui viennent.

Garantir le revenu, renforcer l'organisation des producteurs, améliorer l'emploi en agriculture, vivre mieux dans la France rurale, voici le quatrième de mes sujets immédiats de préoccupation. Le premier aspect du problème des conditions de vie en agriculture est lié aux droits sociaux des hommes et des femmes travaillant dans l'exploitation familiale.

Vous avez largement évoqué la question des cotisations sociales.

Les travaux du CERC [Centre d'étude des revenus et des coûts] dont ont beaucoup parlé les journaux sont incomplets puisqu'ils ne traitent pas de l'assurance vieillesse. C'est pourquoi je crois préférable de prendre comme référence les travaux conduits par un groupe de réflexion qu'animaient le président Laur, que tout le monde connaît, avec le directeur des affaires sociales de mon ministère. Pour ce groupe de travail auquel participait votre fédération, les agriculteurs, en moyenne, ne payaient pas complètement à revenus et prestations semblables, leur part de cotisation sociale. Leur sous-cotisation serait comprise en 20 et 45 %, selon le mode de calcul. IL nous faut parler simplement et franchement de ces chiffres. L'objectif n'est pas de réduire l'appui que la collectivité apporte par ce biais à notre agriculture, mais bien d'en évaluer concrètement l'impact au niveau des exploitations et d'en faire un véritable outil de solidarité et surtout un moyen de progrès pour les exploitations et ceux qui y vivent. Mon sentiment est que les cotisations sont encore trop largement réparties sur des bases arbitraires ou dépassées. J'attends sur ce point vos propositions. C'est-à-dire, des propositions réalistes et constructives dans un contexte où les demande de transfert budgétaire pur et simple ne peuvent pas être envisagées.

Dans l'immédiat en ce qui concerne les cotisations BAPSA [budget annexe des prestations sociales agricoles] de 1983, je compte saisir début mai le conseil supérieur des prestations agricoles de propositions inspirées, quant à l'assiette, du souci de se rapprocher d'un revenu réel, et, s'agissant des taux, des engagements pris par mes prédécesseurs. Elle fera avec prudence, sans anticiper outre mesure sur le nécessaire débat à avoir sur ces sujets.

L'attente est grande, aussi, chez les agricultrices qui souhaitent obtenir la définition d'un statut.

De nombreuses femmes qui épousent un agriculteur considèrent en effet leur entrée dans une exploitation, comme celle d'un travailleur qui exerce un métier dans des conditions de formation, de protection sociale et juridique, de rémunération qui doivent être définies.

Dans le même esprit, mon intention est de renforcer les moyens des services de remplacement, outil indispensable pour rapprocher la condition des agriculteurs de celle des autres actifs.

La pérennité même de l'exploitation familiale appelle une réponse à ces préoccupations.

J'attache enfin une importance toute particulière à ce qui concerne l'aménagement rural, notamment pour ce qui touche aux équipements collectifs. Je n'entends pas par là uniquement les équipements collectifs liés à l'économie agricole (hydraulique, électrification, stockage) que je suivrai très personnellement, mais aussi les équipements collectifs à caractère sanitaire, social ou culturel qui permettent de faire de la France rural de la fin du XXe siècle une société où la notion de service public soit l'égale de ce que met en oeuvre la société urbaine.

En raison du point très important que représente à mes yeux l'aménagement rural, j'en ai fait une des attributions particulières avec la forêt, du secrétaire d'état M. René Souchon, qui aura de surcroît la responsabilité de tout ce qui concerne la politique agricole de la montagne. Vous savez qu'il est l'élu d'une zone de montagne, qu'il a été le dynamique président de la commission parlementaire d'enquête sur la montagne : il était dont tout désigné pour suivre le ministère de l'agriculture, la préparation du projet de loi d'orientation sur la montagne.

Je voudrais enfin, pour conclure cet exposé, à la fois trop rapide et déjà très long, des actions que j'ai l'intention de conduire, évoquer ce qui en constitue la condition essentielle, à savoir le problème de financement.

Dans la situation économique et budgétaire actuelle, c'est un problème difficile, mais qu'il faut, pour cette raison même, aborder ensemble avec courage et souci de vérité.

Les chiffres le montrent : le Gouvernement a maintenu un haut niveau d'engagement financier au profit de l'agriculture et du monde rural.

Il entend poursuivre cet effort pour accompagner les mutations que j'évoquais et exercer à l'égard des agriculteur la solidarité de la collectivité nationale. Le maintien global de cet effort doit, à mon sens, nécessairement comporter la recherche d'une efficacité économique et sociale maximale de l'argent public, celle aussi d'une plus grande transparence des revenus, celle enfin d'une solidarité plus active au sein du monde agricole.

La valeur qui s'attache à ces principes n'est pas purement conjoncturelle, dictée par la rigueur des temps. Elle s'inscrit dans le cadre d'un véritable contrat à passer entre le monde agricole et la collectivité publique en vue d'assurer à l'agriculture les conditions de son développement et sa pleine intégration à la société française. C'est dans ce cadre en particulier que doivent s'insérer les engagements pris par le Président de la République quant au financement de l'élevage et à la réforme du régime d'indemnisation et des calamités agricoles.

Nous devons rechercher ensemble les conditions de l'application d'un tel engagement aux différents domaines où se joue pour l'agriculteur soit une aide publique, soit un prélèvement obligatoire : répartition des aides de l'État, attribution des prêts bonifiés, fiscalité, cotisations sociales, taxes parafiscales.

Vous avez senti à travers mon propos, monsieur le président que malgré mon origine parisienne et ma profession antérieure d'inspecteur des finances. Je suis prêt à assurer l'identité profonde de ce monde agricole. Si je fais le pari d'une agriculture moderne, compétitive, en expansion, je n'ai en effet pas pour autant la naïveté de croire qu'il s'agit d'un secteur qu'on puisse complètement assimiler aux autres domaines de l'activité économique.

Pourquoi ne pas le dire :

Les problèmes des agriculteurs ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux de la majorité des Français ! Et je crois être là pour le rappeler si besoin était à une heure ou le « tout pour l'industrie » a tendance à devenir le discours dominant.

Il y a une raison à cela : c'est la structure et l'organisation de la profession agricole, car nous avons, dans ce pays choisi de fonder l'agriculture sur des exploitations familiales de taille moyenne.

Ce mode d'activité exige un apport en capital très lourd, un vrai risque d'entreprise, et un mode d'organisation du travail qui fait des exploitants à la fois de véritables chefs d'entreprises et des travailleurs, des hommes du travail soumis aux aléas et à de nombreuses contraintes mais, fondamentalement des hommes libres, qui ont su depuis longtemps donner les preuves de leur capacité de s'organiser solidairement, moderniser l'agriculture, ce n'est pas gommer ces traits essentiels. C'est tout au contraire s'en souvenir et en tirer le meilleur parti.

Moderniser l'agriculture, c'est aussi faire comprendre au pays qu'il doit lui apporter son soutien, et cela non pas en raison d'une image passéiste ou folklorique, mais parce qu'il s'agit avant tout d'un secteur productif dans la France a un besoin essentiel.

Je n'ai pas cru devoir, une semaine seulement après ma prise de fonction, saisir l'occasion qui m'était offerte par la télévision de le dire aux Français.

J'ai préféré le faire de cette tribune, devant vous, aujourd'hui, parce que les Français auront les yeux tournés vers votre congrès. Je sais qu'il me faudra en convaincre les Français, quotidiennement.

Cela me sera d'autant plus facile que nous aurons fait la clarté sur l'agriculture, le revenu agricole, la situation financière réelle des exploitations, les conditions de vie en agriculture.

Mon ambition est que les agriculteurs reconquièrent dans les temps qui viennent une liberté individuelle et collective plus grande d'entreprendre et de se développer. Moins de dirigisme, plus d'équité, de transparence, de solidarité, de considération aussi, tel est le sens du pacte fondé sur la confiance et le respect de la parole donnée que je propose au monde agricole.