Texte intégral
CAROLINE ROUX
Bonjour Nicole BELLOUBET.
NICOLE BELLOUBET
Bonjour.
CAROLINE ROUX
Bernard TAPIE, selon son avocat interrogé hier par BFM considère qu'un appel du parquet serait farfelu et vous ?
NICOLE BELLOUBET
Moi, je n'ai pas à considérer quoi que ce soit sur une affaire individuelle, j'imagine que le parquet va prendre le temps d'analyser la situation, d'analyser la décision qui a été rendue hier avant de prendre sa décision…
CAROLINE ROUX
Ce serait logique un appel du parquet ?
NICOLE BELLOUBET
Pas nécessairement, tout dépend évidemment de l'analyse précise de la décision, pas forcément logique parce qu'après tout il y a eu deux jugements différents, l'un au civil qui a condamné Bernard TAPIE parce qu'on avait à l'époque considéré que la manière dont l'arbitrage avait été rendu n'était pas régulière et l'un au pénal qui a considéré qu'il n'y avait pas d'escroquerie. Donc il n'y a pas forcément de caractère illogique mais néanmoins le parquet, j'imagine, va analyser…
CAROLINE ROUX
C'est difficile à comprendre pour les gens qui vous regardent justement, ces deux décisions, expliquer aux Français qu'une procédure civile condamne et qu'une procédure au pénal relaxe, quelle est la cohérence ?
NICOLE BELLOUBET
Il peut y avoir une cohérence parce que vous pouvez très bien accomplir un acte qui civilement engage votre responsabilité qui n'est pas correct, là en l'occurrence on avait considéré que la composition de la commission d'arbitrage n'était pas régulière, parce qu'il y avait des liens entre Monsieur TAPIE et les personnes qui composaient cette commission. Et puis d'un autre côté, on peut considérer que pour autant il n'y a pas de tentative d'escroquerie au pénal, ça n'est pas incompatible. Ce sera évidemment au parquet de décider cela.
CAROLINE ROUX
Et comment expliquer qu'il doive rembourser alors qu'un tribunal estime qu'il n'y a pas eu escroquerie ?
NICOLE BELLOUBET
Parce qu'au civil, on a considéré qu'il n'y avait pas eu de composition régulière du jury d'arbitrage, donc les deux choses sont différentes.
CAROLINE ROUX
Les deux façons sont différentes, mais encore une fois pour que ce soit clair, c'est une affaire qui, au fond que suivent les Français, je le disais, depuis 26 ans. Donc Christine LAGARDE, par exemple, condamnée par la Cour de justice de la République il y a 2 ans et demi, dans le cadre d'une supposée escroquerie dont le tribunal vient de dire que les preuves n'étaient pas apportées, là encore c'est difficile à suivre.
NICOLE BELLOUBET
Oui mais encore une fois, je crois que même dans la vie courante, j'entendais hier un avocat qui prenait un exemple d'un conducteur qui causait un accident sur un passage piéton sans l'avoir voulu et qui disait que civilement il y avait une responsabilité dans ce cas-là, mais que pénalement pour autant il n'y avait pas eu tentative vraiment de délit ou d'infraction pénale. Donc on peut dans notre droit distinguer les deux, je crois que c'est important d'ailleurs de distinguer les deux.
CAROLINE ROUX
Et maintenant le tribunal a levé les saisies qui avaient été effectuées sur ses biens, est-ce que vous dites ce matin aux Français que l'Etat va désormais tout mettre en oeuvre pour récupérer l'argent public de l'arbitrage ?
NICOLE BELLOUBET
Très clairement Monsieur TAPIE doit des sommes à l'Etat, il me semble qu'il lui appartient évidemment de les rendre et l'Etat se mettra en position de récupérer l'argent qui lui est dû.
CAROLINE ROUX
Ce n'est pas le cas depuis la décision au civil, il n'a pas remboursé un centime, c'est ce qu'on apprenait hier.
NICOLE BELLOUBET
L'affaire étant terminée, l'Etat évidement mettra en oeuvre les moyens.
CAROLINE ROUX
Mais il y aura une volonté politique de le faire, c'est important, encore une fois on parle de 403 millions d'euros et c'est de l'argent public.
NICOLE BELLOUBET
Ce sont des sommes très importantes, elles doivent revenir à l'Etat.
CAROLINE ROUX
26 ans de procédures, combien a coûté ce procès ?
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, je n'ai pas là le montant financiers…
CAROLINE ROUX
Mais c'est un sujet quand on est Garde des Sceaux, le coût d'une procédure exceptionnelle comme celle-ci ?
NICOLE BELLOUBET
Ce qui est un sujet pour le Garde des Sceaux, c'est le caractère absolument indépendant de la justice et le fait que les juges rendent des décisions en toute impartialité, en toute indépendance. Et ça c'est un vrai sujet, la longueur des procès est également un sujet, pas tant sur des situations singulières que de manière générale et ça c'est une véritable préoccupation. C'est la raison pour laquelle le texte que j'ai porté il y a quelques temps au Parlement, je l'espère, nous permettra d'accélérer lorsque cela est possible ma tenue des procès.
CAROLINE ROUX
C'est trop long, vous dites c'est trop long et c'est trop cher d'une certaine manière.
NICOLE BELLOUBET
Globalement la justice civile est trop longue parce que les gens attendent des décisions et je crois que nous devons là-dessus faire un effort, mais pour tout le monde. Il y aura toujours des affaires emblématiques qui prendront plus de temps et ne vous méprenez pas, je crois aussi que le temps dans le domaine judiciaire est un vecteur d'apaisement, mais pour autant il ne faut pas que les procès s'éternisent parce que les gens ne comprennent plus rien.
CAROLINE ROUX
Parce que les gens ne comprennent plus rien ou est-ce que aussi parce que ça coûte cher, est-ce que c'est une préoccupation ça ou pas ?
NICOLE BELLOUBET
Le coût de la justice est une préoccupation évidemment parce que c'est une préoccupation que nous portons globalement au niveau de l'Etat, c'est l'argent public évidemment qui finance cela donc c'est une préoccupation, mais ce n'est pas la préoccupation qui me meut, ce qui m'intéresse surtout c'est qu'on puisse rendre un service aux justiciables le plus rapidement et le mieux possible.
CAROLINE ROUX
Vous avez parlé de l'indépendance, je sais que c'est un aspect très important de ce dossier-là, depuis hier on entend que c'est un dossier politique.
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, il me semble que les décisions qui sont rendues aussi bien au civil qu'au pénal montrent qu'il y a une véritable indépendance des juges et c'est tout à fait souhaitable et naturel d'ailleurs.
CAROLINE ROUX
Parce que les magistrats du tribunal hier ont fait preuve d'une grande indépendance, c'est ça que vous voulez dire par rapport à une décision qui avait été prise auparavant ?
NICOLE BELLOUBET
Non, non pas du tout, tous aussi bien au civil qu'au pénal, il y a là, me semble-t-il, la marque vraiment de l'indépendance judiciaire.
CAROLINE ROUX
Juste est-ce que cette affaire vous encourage plutôt à mettre en doute le principe des arbitrages privés qui sont mis en cause notamment sur les … on en parle récemment avec les traités de libre-échange, est-ce que le principe de l'arbitrage privé…
NICOLE BELLOUBET
Je pense que le principe de l'arbitrage est un principe qui permet dans un grand nombre de cas d'apporter des solutions et d'apporter des solutions rapides, à partir du moment où elles sont rendues dans des conditions d'impartialité qui sont importantes. Et donc non, ça ne me conduit pas à remettre en cause cela, mais je crois qu'il y a évidemment un minimum de conditions d'encadrement.
CAROLINE ROUX
Un mot sur un rapport du ministère de l'Intérieur publié hier, il y a eu près de 68000 infractions numériques enregistrées en 2018, plus 7 % par rapport à 2017, est-ce qu'il y a eu des condamnations ?
NICOLE BELLOUBET
Alors vous fait là le lien quand vous parlez des infractions numériques, vous faites le lien avec notamment la proposition de loi qui a été adoptée hier à l'Assemblée nationale qui était portée par la députée Laetitia AVIA et qui vise, en partie vous faites le lien, qui vise à…
CAROLINE ROUX
Oui parce qu'il y a les escroqueries financières et puis il y a l'appel à la haine sur les réseaux sociaux, c'est autre chose.
NICOLE BELLOUBET
Alors c'est autre chose, si vous voulez, mais les deux entrent dans le développement de la criminalité numérique. Donc la proposition de loi Avia nous permettra de mieux lutter avec des magistrats spécialisés contre le développement de la haine en ligne.
CAROLINE ROUX
Elle est contestée parce que certains estiment qu'il y a un risque de sur-censure qui serait laissé à des opérateurs privés.
NICOLE BELLOUBET
Vous savez, nous avons mis en place un parquet qui sera spécialisé sur ces sujets-là, donc s'il y a des contestations le parquet en sera juge avec des magistrats qui seront formés sur ces dossiers-là. Mais pour revenir à votre question initiale, c'est-à-dire les escroqueries en ligne, non seulement nous avons une plateforme qui est située à Pontoise, à la carte par exemple sur les escroqueries à la carte bleue, qui recense l'ensemble de ces escroqueries, qui d'ailleurs fait des liens entre des situations individuelles, ce qui vous arriverez à vous si on vole la carte bleue, à moi et puis on va remonter à un réseau. Et nous avons parquet, en l'occurrence celui de Pontoise, qui est également en charge du traitement de ces escroqueries. Donc oui il y a des condamnations et des condamnations qui encore une fois nous permettent de remonter parfois à des réseaux, ce qui est évidemment tout à fait important.
CAROLINE ROUX
Dernière question très rapidement, vous avez annoncé un nouveau texte qui permettra d'étendre le bracelet électronique avant la condamnation au civil, au pénal, on parle de féminicide.
NICOLE BELLOUBET
On parle de violences faites aux femmes.
CAROLINE ROUX
Exactement, qui prendra la décision si ça se fait avant la décision de justice ?
NICOLE BELLOUBET
L'idée, si vous voulez, c'est qu'actuellement nous avons des possibilités, mais uniquement, nous avons des possibilités de mettre en place ce bracelet anti-rapprochement qui permet donc à un conjoint violent, enfin qui permet, qui interdit à un conjoint violent de se rapprocher. Nous avons besoin d'étendre la possibilité de poser ces bracelets y compris à des gens qui n'ont pas encore été condamnés, c'est donc évidemment juge qui prendra les décisions, mais nous avons besoin d'une accroche législative, c'est donc la proposition de loi que j'ai annoncée.
CAROLINE ROUX
Merci beaucoup Nicole BELLOUBET.
NICOLE BELLOUBET
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 juillet 2019