Texte intégral
M. François-Noël Buffet, président.
- Nous auditionnons Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports, sur le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
- Ce projet de loi est à la fois un texte de continuité et de clarification. Il s'agira par ce vecteur de poursuivre et de renforcer des avancées déjà amorcées telles que la décentralisation des routes entamée en 2004 et le transfert des petites lignes ferroviaires d'intérêt local aux régions avec la loi d'orientation des mobilités de 2019. Il s'agira également de poursuivre l'effort de simplification des normes, notamment en matière de maîtrise d'ouvrage de travaux publics, dans la continuité de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique de 2020.
Je vous propose ainsi de revenir sur les grands enjeux des sept articles portés par mon ministère au sein de ce texte. Notre objectif premier est de donner davantage de lisibilité dans la gestion des routes en France et d'accompagner les collectivités dans la conduite de leurs projets locaux. En premier lieu, l'article 6 du projet de loi prévoit le transfert à la carte de nouvelles routes aux départements, à la métropole de Lyon et aux métropoles de droit commun. L'article 7 propose de mettre à disposition, à titre expérimental, des routes aux régions pour une durée de cinq ans, et s'articule avec certaines dispositions du projet de loi dit "climat et résilience". Enfin, l'article 8 prévoit le transfert de maîtrise d'ouvrage de certaines opérations d'aménagement du réseau routier national non concédé aux régions, départements, métropoles et communautés urbaines.
Ces mesures répondent à des demandes fortes des collectivités territoriales puisqu'une trentaine de départements et quelques régions nous ont déjà spontanément fait part de leur souhait de gérer de nouveaux tronçons routiers. Ce souhait devra être confirmé par les exécutifs réélus ou nouvellement élus de ces collectivités territoriales.
La question de la maîtrise d'ouvrage est un sujet de préoccupation pour les collectivités territoriales. Ce projet de loi entend offrir une solution adaptée à certains projets locaux.
Ce texte constitue une première brique : le Gouvernement a prévu le temps nécessaire pour engager les démarches et poursuit l'objectif d'un transfert effectif de compétence au 1er janvier 2024.
Ce délai est nécessaire pour nous permettre de vous présenter la carte des routes concernées conformément au délai prévu dans le projet de loi, soit deux mois après la promulgation de la loi. Un tel délai a aussi pour objectif de laisser le temps aux exécutifs locaux issus du renouvellement prochain des conseils régionaux et départementaux de réaffirmer leurs demandes. Les associations d'élus locaux soutiennent le calendrier choisi.
Je tiens également à vous rassurer : il n'y a pas de risque de "morcellement du réseau routier national". Alors que près de 17 000 kilomètres de routes avaient été transférés en 2007, seuls 10 à 15% des quelques 12 000 kilomètres de routes nationales et autoroutes non concédées sont concernés par le transfert prévu dans le projet de loi. D'une part, les routes visées sont d'intérêt local ou régional et, d'autre part, l'exigence pour les régions de formuler une demande portant sur l'ensemble des routes susceptibles de leur être mises à disposition vise à éviter ce morcellement.
Ce texte doit permettre de rendre plus lisible la gestion du réseau routier en France. Certaines portions de routes, comme les 50 kilomètres de routes nationales en Côte d'Or, illustrent ce besoin de rationalisation.
Je me tiens à votre disposition pour répondre à toutes vos questions sur l'expérimentation ouverte aux régions, qui est en lien avec l'éco-contribution poids lourds régionale que nous avons proposée dans le projet de loi dit "climat et résilience".
Le deuxième objectif du projet de loi est de compléter les outils à la disposition des régions afin que celles-ci puissent être pleinement actrices de l'avenir de nos petites lignes ferroviaires. L'article 172 de la loi d'orientation des mobilités a ouvert la possibilité de transférer aux régions la gestion des lignes présentant un intérêt local. Cette mesure a été confortée par les protocoles d'accord sur les petites lignes ferroviaires proposés à chaque région. Huit d'entre elles ont déjà adopté de tels protocoles.
Le projet de loi prévoit, en complément, de permettre aux régions qui le souhaiteraient de solliciter un transfert de propriété plus large que celui se résumant aujourd'hui aux lignes et aux installations de services que sont les gares de voyageurs exclusivement dédiées à ces lignes et les voies de services qui leur sont rattachées.
À nouveau, les délais proposés par le Gouvernement pour mettre en œuvre un tel transfert sont cohérents. Nous continuerons à échanger avec les régions sur ce sujet après les élections régionales.
Enfin, le projet de loi vise à simplifier le droit en vigueur, sans rogner sur nos engagements environnementaux. L'inertie de certains projets d'infrastructures, tels des serpents de mer qui n'émergent jamais, contribue à créer une défiance des citoyens à l'égard de la capacité d'action publique. Cela entrave parfois le développement et l'attractivité de nos territoires. Nous devons ainsi sécuriser et accélérer le déploiement des projets d'infrastructures en France.
Deux mesures de simplification sont ainsi proposées : d'une part, la clarification des personnes pouvant à titre exceptionnel apporter des concours financiers dans le cadre d'un projet autoroutier et, d'autre part, la simplification des dispositions relatives aux alignements d'arbres.
Par ailleurs, j'ai lancé il y a quelques semaines une grande démarche de consultation et de valorisation de la filière française des travaux publics. De nouvelles mesures de simplification, que nous ajouterons par amendements, pourraient en résulter, nourries par des réflexions menées conjointement avec les acteurs du secteur et les élus locaux.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur.
- Nous souhaitons vous faire part de notre inquiétude, et même de notre incompréhension concernant le projet de transfert à la carte de certains tronçons et de certaines routes aux départements, à la métropole de Lyon et aux métropoles. Le législateur ne peut en effet concevoir d'examiner et de voter un texte sans avoir pu préalablement prendre connaissance de la liste des routes susceptibles d'être transférées aux collectivités territoriales. La méthode employée par le Gouvernement me laisse dubitatif puisque la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, entendue par la commission, nous avait affirmé que le Parlement aurait accès à la carte des routes transférées en amont de l'examen en commission du projet de loi. Ce manque d'informations s'ajoute à bien d'autres difficultés qui limitent notre capacité à expertiser le texte qui nous est soumis. Je pense ainsi aux habilitations à légiférer par ordonnances que le Gouvernement sollicite du Parlement, notamment sur la question du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). J'espère donc que vous aurez des précisions à nous apporter sur ces points.
Je m'interroge par ailleurs sur la disposition qui consiste à transférer aux régions, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, une partie du réseau national routier non concédé. Au cours des auditions que nous avons menées, l'association Régions de France, de même que les vice-présidents ou présidents d'exécutifs régionaux que nous avons entendus, nous ont unanimement fait part de leur incompréhension face à la durée de l'expérimentation proposée. De nombreuses voix au Sénat ont d'ores et déjà exprimé le souhait d'allonger la période d'expérimentation de 5 à 7 ou 9 ans.
Par ailleurs, l'article 10 ouvre la faculté à toutes les collectivités territoriales et à leurs groupements d'installer des radars automatiques. Si nous partageons cet objectif, nous doutons cependant du caractère opérationnel du dispositif tel qu'il résulte de la rédaction actuelle du projet de loi. Nous pensons également qu'en l'état de sa rédaction, il est susceptible de conduire certaines collectivités à imposer leur tutelle sur une autre, comme l'a souligné le Conseil d'État dans son avis. Pensez-vous qu'une commune doive prendre en charge le traitement des constatations de contraventions émises par un radar installé par la région ou le département sur la voirie départementale ou régionale ? Pourquoi ne pas avoir prévu un traitement centralisé, assuré par l'État et mis à disposition de toutes les collectivités, des contraventions ainsi émises ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur.
- J'ai déjà eu l'occasion, lors des débats sur le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, de vous interpeller sur la question du délai de prise de la compétence "transport" par les intercommunalités. Vous imposez aux exécutifs, dont certains seront nouvellement élus, un délai de trois mois pour demander le transfert à la carte ou se porter candidat pour l'expérimentation de la mise à disposition de routes. Cela nous paraît déraisonnable. Nous serions au contraire favorables à l'allongement à un an de ces délais.
Le projet de loi prévoit par ailleurs la libre participation de régions à l'expérimentation d'un transfert de la gestion de certaines routes. Il n'est toutefois prévu aucune marge de manœuvre pour les régions souhaitant participer à l'expérimentation d'un transfert de la gestion de certaines routes. Les régions doivent demander la gestion de l'ensemble des routes susceptibles d'être mises à leur disposition et des routes non sollicitées par les départements et métropoles. Pourquoi n'avoir pas prévu que les régions volontaires puissent choisir les routes qu'elles souhaitent gérer ?
Par ailleurs, les procédures proposées présentent le risque de générer une multitude de demandes concurrentes émises par différentes collectivités. Pour éviter cela, nous pourrions organiser une concertation sous l'égide du préfet entre les métropoles, les départements et les régions, de façon à construire un système cohérent.
À chaque nouveau transfert de compétences, les sénateurs s'interrogent sur les modalités de la compensation financière assurée par l'État. Nous connaissons l'état fortement dégradé des routes et ouvrages d'art du domaine routier national non concédé qui seraient susceptibles d'être transférés ou mis à disposition des collectivités. Comment allez-vous permettre aux collectivités de connaitre, préalablement à l'introduction d'une demande de transfert ou de mise à disposition, l'état du réseau qu'elle pourrait gérer ? L'État a-t-il prévu de les accompagner pour remettre en état le réseau routier ?
Enfin, le Sénat a adopté une proposition de loi constitutionnelle et une proposition de loi organique relatives au plein exercice des libertés locales, sur les expérimentations, leur évaluation et l'issue de ces dernières. Il s'est également montré attentif à la question de l'évaluation des expérimentations dans le cadre de l'examen du projet de loi organique relatif à la simplification des expérimentations mises en œuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution. Or, les dispositions relatives au bilan de l'expérimentation du transfert des routes aux régions sont particulièrement timides et le texte comme l'étude d'impact sont muets sur l'issue de l'expérimentation. Quelles précisions êtes-vous en mesure d'apporter sur ces points particulièrement importants pour le Sénat ? Sera-t-il possible de permettre aux collectivités qui ont expérimenté la prise de compétence de la pérenniser, sans généraliser l'expérimentation ? Nous redoutons qu'au nom du principe d'égalité, cette expérimentation voulue par certaines collectivités puisse être imposée à d'autres. Vous comprendrez que les parlementaires ont besoin de connaître les issues possibles de l'expérimentation avant d'adopter un tel dispositif.
M. Daniel Gueret, rapporteur pour avis.
- Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger plus particulièrement sur l'article 9 du projet de loi qui concerne le transfert des petites lignes ferroviaires aux régions. Cet article complète le dispositif introduit par l'article 172 de la loi d'orientation des mobilités de 2019. Il s'articule avec le rapport Philizot sur les lignes de desserte fine qui prévoyait un plan d'action pour sauver les petites lignes ferroviaires selon trois catégories. Le rapport préconise que les lignes relevant du réseau structurant demeurent dans le giron de SNCF Réseau. D'autres lignes auraient vocation à être financées conjointement par l'État et les régions à travers les contrats de plan État-Région. Enfin, certaines lignes d'intérêt local auraient vocation à être transférées aux régions. C'est de cette troisième catégorie que traite le projet de loi.
Je suis favorable à l'idée de permettre aux régions de prendre en charge la gestion d'infrastructures ferroviaires d'intérêt local car cela renforcera l'implication des régions dans les politiques de transport et de favoriser l'adéquation de la gestion de ces lignes avec les besoins de mobilité qui sont propres à chaque territoire. Toutefois, le risque d'éclatement du réseau n'est pas négligeable et requiert votre vigilance. Les lignes de desserte fine, même lorsqu'elles sont d'intérêt local ou régional, ne constituent pas un réseau étanche, mais bien des segments du réseau national dont il importe d'assurer la cohérence. Quelles précautions allez-vous prendre pour assurer une coordination technique rigoureuse avec SNCF Réseau et les futurs gestionnaires des petites lignes ?
Par ailleurs, permettez-moi de m'écarter un peu du champ de l'article 9 pour vous interroger sur le sort des petites lignes dont le renouvellement sera financé conjointement par l'État et les régions. Celles-ci s'interrogent sur l'avenir du financement de ces lignes qui ont souffert, comme vous le savez, d'un sous-investissement chronique pendant des années. Or, le volet "transport" des contrats de plan État-Région expirera en 2022, ce qui ne permet pas de disposer d'une visibilité suffisante. Quelles réponses pouvez-vous vous apporter aux régions en la matière ?
Enfin, je souhaite vous interroger sur la compensation financière du transfert de la gestion des petites lignes. Dans son avis sur l'avant-projet du décret portant application de l'article 172 de la loi d'orientation des mobilités, l'Autorité de régulation des transports relevait que les modalités d'évaluation de ces compensations pourraient s'avérer difficiles à mettre en œuvre. SNCF Réseau n'est pas en capacité, à ce stade, de déterminer de manière précise et fiable les coûts de gestion de l'infrastructure imputable au service de transport ferroviaire à l'échelle d'une région. Il semble a fortiori encore plus difficile d'opérer ce calcul à l'échelle de quelques lignes ou de segments de ligne. Comment allez-vous assurer la neutralité du transfert au niveau financier, tant pour SNCF Réseau que pour les régions, en l'absence d'une méthode de calcul pleinement opérante ?
M. Alain Marc.
- Comme l'a souligné Mathieu Darnaud, il nous importe de connaître les routes concernées par les transferts prévus dans ce projet de loi. Dans l'Aveyron, par exemple, la route nationale 88, qui relie Toulouse à Lyon, a été financée à environ 24% par le département de l'Aveyron, 24% par l'ancienne région Midi-Pyrénées et le reste par l'État. Les travaux supplémentaires ont été financés par les trois partenaires. Je peux vous assurer que si le département avait été maître d'ouvrage, ce qui lui a été refusé, nous n'aurions pas eu à financer ces 10 millions d'euros de travaux supplémentaires. La route nationale 88 fait-elle partie des routes susceptibles d'être transférées à la région ?
D'autre part, les régions ne disposent, à l'heure actuelle, d'aucune compétence en matière de routes, contrairement à l'État qui dispose de moyens humains dédiés. Avez-vous prévu qu'à terme, les régions puissent déléguer la gestion des routes aux départements concernés ?
Plusieurs régions peuvent être concernées par la même route. La route nationale 88, qui est majoritairement située en région Occitanie, traverse aussi la région Auvergne-Rhône-Alpes. D'un point de vue pratique, comment envisagez-vous la répartition des travaux futurs ? Est-ce que l'État participera à leur financement ? Il paraît essentiel, dans ce cas, de définir par le biais de la contractualisation les modalités de gestion de cet itinéraire important pour un département comme l'Aveyron.
Cet exemple montre à quel point il sera difficile de décentraliser la gestion des routes, même si je suis favorable, à titre personnel, à cette initiative. Tous les exemples antérieurs de décentralisation montrent qu'une compétence est mieux gérée au plus près du terrain qu'au niveau national.
M. André Reichardt.
- Ma question porte également sur la décentralisation de cette compétence aux régions. Il est prévu dans le projet de loi dit "climat et résilience" qu'une ordonnance précise les modalités de mise en œuvre d'une écotaxe pour le transit routier au sein de la Collectivité européenne d'Alsace (CEA). Cela fait suite au transfert par la loi relative aux compétences de la CEA de 2019 de la compétence sur ces routes et sur les autoroutes non concédées.
Dans quelle mesure la compétence transférée à la CEA en matière de routes est-elle susceptible d'interférer avec la nouvelle compétence qui pourrait être donnée à la région Grand Est en la matière ?
Je rejoins les propos de Mathieu Darnaud et d'Alain Marc : à ma connaissance, les régions ne sont pas compétentes en matière de gestion de routes et ne disposent donc pas des moyens humains pour exercer cette mission.
Par ailleurs, qu'adviendra-t-il des autoroutes non concédées sur le reste du territoire français ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.
- J'ai rappelé dans mon propos liminaire le calendrier de mise en œuvre des réformes envisagées. En ce qui concerne la transmission de la carte des routes susceptibles d'être transférées, le projet de loi prévoit la publication par décret, au plus tard deux mois après la publication de la loi. Ce délai s'explique notamment par le fait que les services du ministère sont en train de finaliser la sélection des tronçons les plus pertinents. D'autre part, nous ne souhaitons pas nous exprimer en période de réserve électorale sur des sujets ayant trait aux compétences des départements et régions. Je tiens également à vous préciser que le renouvellement en cours des exécutifs départementaux et régionaux ralentit par nature l'avancée de ces travaux.
Néanmoins, je suis en mesure de vous apporter plusieurs précisions. À ce jour, au moins trente départements et quelques régions ont manifesté leur intérêt pour cette expérimentation. Cela restera évidemment à confirmer après le second tour des élections régionales et départementales qui se déroulera le 27 juin.
Par ailleurs, nous avons défini des critères de sélection pour établir la liste initiale publiée par l'État des routes concernées. Ces critères sont élaborés en tenant compte des caractéristiques de l'itinéraire au niveau local, régional et interrégional. Le réseau routier national qui a vocation à être transféré aux départements et aux métropoles répond à trois critères. En premier lieu, la route ne doit pas faire partie des itinéraires dont le transfert était prévu par la loi relative aux libertés et responsabilités locales de 2004. En second lieu, son transfert ne doit pas susciter une forte opposition de la part des collectivités concernées. Enfin, les tronçons doivent jouer un rôle important dans les échanges régionaux et départementaux, et leur transfert ne doit pas remettre en cause le maillage du territoire et du reste du réseau routier national qui demeurera très important.
Le réseau national qui a vocation à être proposé aux régions est pour sa part constitué d'itinéraires structurants à l'échelle régionale. Il ne comporte pas les grands axes de transit inter-régionaux. Je précise que les collectivités ont d'ores et déjà été associées à ces premières réflexions.
En ce qui concerne la mise en œuvre du principe de subsidiarité, ce projet de loi prévoit que les métropoles qui en feront la demande seront prioritaires sur les départements pour mener à bien des projets d'intérêt local. Le principe de subsidiarité a été introduit à la demande des collectivités territoriales qui l'ont réclamé de façon unanime. Le même mécanisme sera mis en œuvre pour les régions.
Sur la question du délai de transmission des demandes formulées par les collectivités territoriales, je précise que celles-ci ne disposent pas de trois mais de cinq mois au total puisqu'elles peuvent se manifester dans les deux mois précédant la publication du décret. Elles disposent ensuite d'un délai supplémentaire de trois mois. J'ai cependant bien pris note de votre volonté de rallonger ce délai.
J'ajoute que l'État se réserve la possibilité de ne retenir que partiellement une demande exprimée par une collectivité afin de préserver la cohérence du réseau routier national et d'éviter son morcellement.
À l'heure actuelle, 21 000 kilomètres de voies nationales appartiennent à l'État avec 9 000 kilomètres d'autoroutes concédées et un peu moins de 12 000 kilomètres d'autoroutes et de routes nationales non concédées. 381 000 kilomètres de routes départementales appartiennent d'ores et déjà aux conseils départementaux et plus de 700 000 kilomètres de routes et de rues appartiennent aux communes. Je vous confirme que les conseils régionaux ne sont gestionnaires d'aucun réseau routier.
Pour répondre aux interrogations sur l'état du réseau routier national, je vous indique que les directions interdépartementales des routes (DIR) ont procédé en 2017 à un audit très précis de ce réseau qui nous a permis d'acquérir une bonne connaissance de la situation. Ces diagnostics seront mis à la disposition des collectivités territoriales. Certains le sont d'ores et déjà.
Par ailleurs, le déploiement des radars automatiques par les collectivités territoriales prévu à l'article 10 du projet de loi est un sujet qui relève du ministère de l'intérieur. Je propose de vous faire parvenir une réponse écrite à cette question.
En ce qui concerne l'issue de l'expérimentation proposée, nous prévoyons d'en dresser un bilan afin de déterminer si le dispositif fonctionne ainsi que les pistes d'amélioration possibles. À son issue, un nouveau véhicule législatif permettra éventuellement d'élargir ou de pérenniser cette expérimentation.
Le projet de loi prévoit effectivement que cette expérimentation dure cinq ans. La ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales a déjà eu l'occasion de dire qu'elle n'était pas opposée à un allongement de ce délai. C'est également la position de mon ministère. Nous aurons à définir ensemble précisément cette durée, mais j'ai bien noté que vous souhaitiez allonger la durée de l'expérimentation d'environ 3 ans.
Enfin, sur la question du transport ferroviaire, les dispositions du projet de loi confortent la région comme chef de file de la compétence "transport" en matière ferroviaire. La région s'est déjà vue renforcée dans ce rôle par l'article 172 de la loi d'orientation des mobilités. Ce projet de loi s'inscrit dans la même philosophie à travers la reprise par l'État du réseau le plus circulé, le cofinancement du réseau intermédiaire et la possibilité pour les régions qui en font la demande de reprendre le financement à 100% des lignes d'intérêt local. Cela ne signifie pas forcément qu'elles veulent un transfert de gestion. Certaines régions, comme la Bourgogne Franche-Comté, veulent continuer de confier la gestion à SNCF Réseau. Néanmoins, trois régions ont formellement confirmé leur intention à l'État de recourir à un tel transfert de gestion voire un transfert de propriété. Certaines ont déjà communiqué à cet effet et le projet de loi prévoit une disposition qui permettra aux régions qui le souhaiteraient de solliciter de façon plus globale un transfert de propriété des lignes ferroviaires d'intérêt local ou régional à faible trafic. Sur la dimension sécurité et interopérabilité, le réseau ferroviaire, même transféré, restera soumis aux impératifs de certification de l'Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) ou du Service Technique des Remontées Mécaniques et des Transports Guidés (STRMTG) quand cela sera le cas. Nous ne transigerons pas sur ces sujets. Nous connaissons déjà le cas a contrario où la gestion est confiée à une infrastructure privée, comme la ligne à grande vitesse entre Tours et Bordeaux.
Sur les soultes compensant les transferts des petites lignes ferroviaires, la SNCF aura toujours dans ce cas-là à financer le coût d'exploitation. Les économies seront reversées de façon pluriannuelle avec les régions. Sur la partie cofinancement en général prévue par les CPER, ou mise à jour par les pactes qui ont été signés avec les régions, les engagements pris par l'État demeurent, et il y a une discussion sur les soultes éventuelles avec les régions qui en font la demande. Ces discussions seront affinées à la suite de la signature des protocoles.
Sur la question de la route nationale 88, des demandes ont été évoquées, mais les demandes ne sont pas toujours identiques selon le département ou la région. Le principe de subsidiarité s'appliquera. La région pourra transférer l'exploitation et la gestion de certaines routes, par le biais d'un transfert croisé, aux départements, qui ont déjà d'ailleurs des ressources et des compétences en matière d'entretien et d'ingénierie routiers. Si un investissement est inscrit dans le CPER actuel ou à venir, il sera maintenu. La date d'effectivité est prévue au 1er janvier 2024. Il y aura donc de nouveau un volet routier dans le prochain CPER.
Sur l'éco-contribution poids lourds, nous avons voulu, dans le projet dit "climat et résilience" actuellement en discussion, sur le modèle de la Collectivité européenne d'Alsace, donner aux collectivités qui en expriment le besoin, la possibilité de mettre en œuvre cette éco-contribution. Les critères sont laissés très largement à l'appréciation des collectivités, avec plusieurs modèles possibles ; celui de la Collectivité européenne d'Alsace étant un modèle très particulier.
Mme Françoise Gatel.
- Il me semble que vous n'avez pas répondu à ma question sur l'intérêt d'une concertation préalable des collectivités ayant formulé des demandes concurrentes pour le transfert de routes, de sorte que celui-ci réussisse. Pour les métropoles, il peut y avoir des rocades qui font l'objet de conflits d'usage : elles se situent entre la desserte urbaine et la desserte d'autoroutes. Par exemple, les rocades, de Strasbourg à Brest, sont encombrées par un usage quotidien et local.
J'ai aussi une réflexion sur la question des personnels, qui peut être un frein et une difficulté pour ces transferts. Pour les départements qui le souhaitent, ils bénéficieront d'un transfert de compétence définitif, et des personnels de l'État seront transférés. Pour les régions volontaires, il est prévu une expérimentation, les personnels seront donc dans un premier temps mis à disposition mais est-ce qu'ils seront définitivement transférés aux régions à l'issue de l'expérimentation ? Il y a des craintes et des peurs de la part de ces personnels. Il faudra y être vigilant pendant cette période d'expérimentation, qui doit, toutefois, je le redis être suffisamment longue pour être utile.
Enfin, nous sommes intéressés par votre réponse sur la question d'un possible transfert de la compétence mobilité aux pôles métropolitains, après accord de l'ensemble de leurs intercommunalités, dont certains sont transfrontaliers comme en Haute-Savoie avec Genève.
M. André Reichardt.
- Ma question porte sur deux éléments. En premier lieu, des interférences sont possibles puisqu'un texte existant confie à la Collectivité européenne d'Alsace la gestion des routes nationales et des routes non concédées sur son territoire. Dans la mesure où vous envisagez d'accorder cette compétence aux régions, et notamment à la région Grand Est, il y a des possibilités d'interférences sur ce type de routes. En second lieu, compte tenu de l'ordonnance qui vient d'être prise sur l'éco-contribution mise en place par la Collectivité européenne d'Alsace, le risque d'une extension de cette écotaxe aux routes gérées par la région Grand Est ne doit pas reproduire ce qu'on a déjà vécu en Alsace. Il y a vingt ans, un collègue parlementaire alsacien, Yves Bur, avait fait passer le principe d'une taxe de ce type pour la seule Alsace. Or, ultérieurement cette taxe n'a pas pu être mise en application du fait d'une volonté entre temps de création d'une écotaxe nationale. L'échec de cette écotaxe a eu pour effet de nous faire perdre vingt ans.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.
- J'ai été imprécis sur la concertation préalable. Elle aura lieu sous l'égide du préfet avec les différents niveaux de collectivités, de même que pour l'éco-contribution.
Sur les personnels, il faut relever au préalable qu'il est question d'une décentralisation d'environ 10% du réseau routier national non concédé, soit 10 à 15% des 12 000 kilomètres de routes gérées par l'État. Il est donc possible de rassurer les personnels. Dans l'hypothèse où les expérimentations seraient concluantes, les personnels auraient vocation à intégrer les services des régions.
Sur la compétence mobilité des pôles métropolitains, le Gouvernement y est favorable sur le principe. Un amendement a été présenté en séance sur le projet de loi dit "climat et résilience" mais a été déclaré irrecevable. Sur la contribution poids lourds, l'articulation aura lieu sous l'égide du préfet. Les réseaux de la Collectivité européenne d'Alsace et ceux transférés aux autres collectivités seront bien distincts. Cette distinction correspond à la lettre des textes proposés, et pour certains votés.
Mme Catherine Belrhiti.
- Sur l'écotaxe, en l'accordant à la Collectivité européenne d'Alsace, le report du transport va se faire sur la A31 en Moselle, qui est déjà saturée. J'ai déposé des amendements sur ce sujet sur le projet de loi dit "climat et résilience". Il était question à un moment de faire une A32, pour désengorger l'autoroute A31 et cela a été refusé. Il y a deux ans, le Sénat était en faveur d'une écotaxe, mais le Gouvernement avait refusé. Cette question est aujourd'hui essentielle dès lors que la Collectivité européenne d'Alsace va l'obtenir et la mettre en place en 2024. Or, le texte qui est présenté ne nous permettrait de la mettre en place qu'en 2028 et sous conditions. Le sillon mosellan va se retrouver dans une situation critique.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.
- J'ai été alerté sur ce sujet. L'article 32 du projet de loi dit "climat et résilience" permettra justement à la région de se saisir d'un nouvel outil. En revanche, sur la date de mise en service en 2028, il existe des délais incompressibles pour la Collectivité européenne d'Alsace mais il n'y a pas de durée minimale ou globale sur la procédure pour une prise d'effectivité. L'objectif de 2028 n'est pas le projet du Gouvernement. Seul le texte modifié par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat évoque cette date.
M. François-Noël Buffet.
- Je vous remercie, Monsieur le ministre.
Source http://www.senat.fr, le 13 août 2021