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Concessions autoroutières : une rentabilité très supérieure aux prévisions

Temps de lecture  3 minutes

Par : La Rédaction

En 2006, année de privatisation des autoroutes, l'État aurait pu toucher 5,9 milliards d'euros (Md€) supplémentaires sur la vente de deux groupes de concessions. Leur rentabilité est très supérieure aux attentes, ce qui va contre le principe de rémunération raisonnable. Une mission fait le point sur ce modèle économique.

Par une concession autoroutière, l'État confie à un opérateur économique privé, pour une durée définie, des missions pouvant comprendre la conception, le financement, la construction, l'entretien ou encore l'exploitation d'une infrastructure autoroutière en contrepartie des péages acquittés par les usagers.

En 2020, le réseau concédé français compte près de 9 100 kilomètres d'autoroutes. Les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) sont au nombre de 19 :

  • 7 SCA historiques détenues par les groupes Vinci, Eiffage et Abertis, qui représentent 91,5% du chiffre d'affaires global ;
  • 10 SCA récentes (2001-2019) ;
  • 2 sociétés d'économie mixte (Semca) exploitant des tunnels alpins internationaux.

L'Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) ont rendu en février 2021 une expertise sur le modèle économique des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Cette étude a été rendue publique seulement en mars 2023.

Dans les années 1950, l’augmentation du trafic automobile nécessite de développer le réseau routier français.

Les projets d’autoroutes se multiplient, avec à la clé d’énormes besoins d’investissement.

Conscient de ne pas pouvoir assurer seul ce financement, l’État décide de recourir au principe de la concession.

La gestion des autoroutes est confiée à des sociétés concessionnaires, dont le capital est partagé entre l’État, qui reste majoritaire, et une société privée.

Ces sociétés assument la construction et l’exploitation des autoroutes en se finançant par des droits de péage auprès des usagers.

Les concessions sont signées pour une durée limitée, avec des échéances prévues entre 2031 et 2036.

Les autoroutes concédées restent la propriété de l’État.

Plus de 90% du réseau autoroutier, soit environ 9000 kilomètres, sont exploités par des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA).

La modernisation du réseau et le désendettement de l’État motivent le gouvernement à totalement privatiser les SCA en 2006.

Dans les années suivantes, des rapports alertent sur la rentabilité élevée de ces sociétés.

Cette rentabilité est perçue comme trop favorable par rapport aux charges et à la dette qui pèsent sur les sociétés concessionnaires.

La privatisation est critiquée pour avoir enlevé à l’État des bénéfices générés par les droits de péage.

En 2015, un protocole prévoit d’allonger la durée des concessions contre la promesse d’investissements pour l'amélioration des autoroutes.

La loi du 6 août 2015 donne à l’Autorité de régulation des transports un rôle central dans le contrôle du secteur autoroutier concédé.

En 2020, un rapport d’enquête du Sénat recommande de mieux encadrer les concessions d’autoroutes, voire de ne plus prolonger certaines d’entre elles.

La question de la renationalisation des autoroutes revient régulièrement à l’ordre du jour, tout comme celle des tarifs de péage.

Un taux de rentabilité très supérieur au coût des fonds propres pour deux groupes de concessions

Deux groupes de concessions, ASF-Escota (Vinci) et APRR-Area (Eiffarie, coentreprise d'Eiffage et Macquarie), présentent un taux de rentabilité (TRI) actionnaire respectivement de 11,77% et 12,49%. Le TRI est très supérieur au coût des fonds propres, estimé à 7,67% lors de la privatisation de 2006.

La mission a évalué le montant qu'aurait touché l'État si les flux actionnaires avaient été mieux anticipés en 2006 :

  • ASF-Escota aurait été achetée par Vinci pour 15,1 Md€ au lieu de 10,4 Md€ (+45%), dont 11 Md€ au lieu de 7,6 Md€ pour l'État ;
  • APRR-Area aurait été achetée par Eiffage/Eiffarie pour 10,1 Md€ au lieu de 6,7 Md€ (+52%), dont 7,3 Md€ au lieu de 4,8 Md€ pour l'État.

Pour jouer pleinement son rôle de concédant, l'État devrait s'assurer, selon l'expertise, du respect des clauses contractuelles sur la rentabilité et du principe de rémunération raisonnable.

Le principe de rémunération raisonnable

La jurisprudence Olivet du Conseil d'État autorise l'autorité concédante, si elle estime que l'exploitation dégage des bénéfices excédant de façon anormale les dépenses de la concession à couvrir, à réduire la durée de la concession dès lors que la durée normale d'amortissement des investissements est dépassée.

Un rééquilibrage des contrats de concession ?

L'expertise propose trois types d'ajustements alternatifs afin de réaligner la rentabilité sur le niveau ciblé de TRI actionnaire lors de la privatisation (7,67%), pour ASF-Escota et APRR-Area :

  • une fin anticipée des concessions en 2026 ;
  • une baisse des tarifs des péages dès 2022, respectivement de 58% et 59% (soit une économie de près de 21 euros sur les trajets Marseille-Toulouse ou Paris-Lyon) ;
  • un prélèvement par l'État sur l'excédent brut d'exploitation de 2021 jusqu'à la fin des concessions, respectivement de 63% et 64% (soit 32,9 Md€ et 22,5 Md€ en euros constants).

Seul le premier ajustement paraît légalement envisageable au titre de la jurisprudence Olivet, mais il "suppose une volonté politique forte et aurait pour conséquence une détérioration des relations entre l'État et les SCA".

La mission souligne par ailleurs que "le pouvoir de négociation de l'État-concédant vis-à-vis des sociétés concessionnaires d'autoroutes doit être renforcé".