La commande publique désigne l'ensemble des contrats passés par les personnes publiques et par certaines personnes privées considérées comme étant "sous influence publique" pour des raisons liées à leur mode de financement ou à leurs modalités de fonctionnement (exemple : les sociétés d'économie locale) pour satisfaire leurs besoins. Cette notion, apparue dans les années 1960, est définie par l'article L.2 du code de la commande publique (CCP). Le contrat de la commande publique est "conclu à titre onéreux par un acheteur ou une autorité concédante, pour répondre à ses besoins en matière de travaux, de fournitures ou services, avec un ou plusieurs opérateurs économiques". La commande publique englobe deux catégories de contrats :
- les marchés publics (parmi lesquels figurent les marchés de partenariat) ;
- les contrats de concession.
Ne relèvent pas de cette catégorie les contrats de travail, les contrats ou conventions de subventions ou d'occupation domaniale. N'en relèvent pas non plus les contrats ayant pour objet des transferts de compétences ou de responsabilités entre acheteurs en vue de l'exercice de missions d'intérêt général sans rémunération de prestations contractuelles.
La commande publique est une activité économique importante. Elle représente environ 14% du PIB de l'Union européenne et, selon le Baromètre de la commande publique, en octobre 2024, environ 8% du PIB français. La majorité de celle-ci (deux tiers) est réalisée par les collectivités territoriales (surtout les communes) et les organismes qui leur sont rattachés. En volume, la majorité aussi est réalisée auprès de TPE et PME.
Si la commande publique est un levier majeur de politique économique, elle est également un levier d'autres politiques publiques, notamment énergétiques, environnementales et sociales.
Quels sont les objectifs poursuivis par les politiques publiques ?
L'utilisation de la commande publique comme outil au service de politiques publiques diverses est une pratique relativement nouvelle.
Historiquement en effet, en France, l'achat public devait être neutre. Il devait respecter cette idée "selon laquelle la dépense publique qui s'effectue à l'occasion d'un marché ne doit pas être l'instrument d'autre chose que de la réalisation du meilleur achat au meilleur coût". Cela était jugé par le Conseil d'État (arrêt du 25 juill. 2001, Commune de Gravelines, conclusions du commissaire du gouvernement D. Piveteau) et par le Conseil constitutionnel (décision du 6 décembre 2001 Loi MURCEF). Les règles applicables à la commande publique avaient pour objectif de garantir le choix du candidat proposant le prix le moins élevé (procédure de l'adjudication) et, ce faisant, de protéger les intérêts financiers des personnes publiques. Cet objectif de protection des deniers publics figure toujours à l'article L.3 du code de la commande publique qui insiste sur la nécessité d'assurer "la bonne utilisation des deniers publics".
L'ouverture à d'autres objectifs sous l'influence de l'Union européenne
L'Union européenne a toujours raisonné différemment. D'une manière générale, les institutions européennes ont, de longue date, des objectifs plus variés que la seule concurrence. L'article 3 du Traité sur l'Union européenne prévoit en ce sens que l'Union "œuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein-emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique".
Concernant l'achat public, "le principal objectif des règles de l'Union en matière de marchés publics est la libre circulation des services et l'ouverture à la concurrence la plus large possible dans tous les États membres" (CJUE 19 juin 2014, Centro Hospitalar de Setúbal EPE, aff. C-574/12, conclusions de l'avocat général P. Mengozzi) mais le but est de protéger les intérêts des entreprises en supprimant les entraves à la libre circulation plus que de protéger les acheteurs publics (CJCE 12 déc. 2002, Universale-Bau AG, aff. C-470/99).
Par ailleurs, l'Union européenne a, de longue date, placé l'achat public dans un cadre politique plus large et cherché à promouvoir, grâce à elle, des politiques sociales ou environnementales. C'est ainsi que les acheteurs ont pu, dès 1988, choisir non pas des entreprises proposant des offres les moins chères mais aussi celles proposant des prestations favorables au progrès social et l'emploi (CJCE 20 sept. 1988, Gebroeders Beetjes BV, aff. 31/87) ou des prestations écologiquement responsables (CJCE 17 sept. 2002, Concordia Bus Finland, aff. C-513/99). Cette tendance à poursuivre d'autres objectifs qu'économiques s'est accrue depuis 2014, année de la réforme européenne de la commande publique. Dans son introduction, l'une des directives du 26 février 2014 souligne que les marchés publics "constituent l'un des instruments fondés sur le marché à utiliser pour parvenir à une croissance intelligente, durable et inclusive, tout en garantissant l'utilisation optimale des fonds publics". La Commission européenne, dans une communication du 3 octobre 2017 intitulée "Faire des marchés publics un outil efficace au service de l'Europe" a exhorté les États membres à utiliser le droit de la commande publique "d'une manière plus stratégique, afin d'obtenir un meilleur rapport coût/efficacité pour chaque euro d'argent public et d'apporter leur pierre à la construction d'une économie plus innovante, durable, inclusive et compétitive".
Un outil pour prendre en compte le "cycle de vie" des produits, services ou ouvrages
La concurrence économique a ainsi été remise en cause par d'autres objectifs. Cela a conduit à l'abandon ou du moins à la réforme du sacro-saint principe français de neutralité de la commande publique, comme en témoigne l'article L.3-1 du code de la commande publique qui dispose que "la commande publique participe à l'atteinte des objectifs de développement durable, dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale, dans les conditions définies par le présent code". La commande publique est devenue, en France aussi, un outil au service de la croissance, un levier de politiques vertueuses et responsables.
Les crises sanitaire, économique, climatique et énergétique ont intensifié ce mouvement. Pendant la crise du COVID, les pouvoirs publics ont mis en place un droit de la commande publique dérogatoire pour soutenir les entreprises et favoriser la relance économique (ordonnance du 17 juin 2020 puis loi du 7 décembre 2020).
Depuis une décennie, on ne compte plus les textes cherchant à instrumentaliser la commande publique pour favoriser la transition écologique :
- promotion de l'économie sociale et solidaire (loi du 31 juillet 2014) ;
- promotion d'une alimentation saine, durable et accessible à tous (loi du 30 octobre 2018) ;
- lutte contre le gaspillage et développement de l'économie circulaire en imposant d'acquérir des biens issus du réemploi ou intégrant des matières recyclées (loi du 10 février 2020) ;
- développement des énergies renouvelables (loi du 10 mars 2023) ;
- rénovation énergétique des bâtiments publics (loi du 30 mars 2023).
Le droit européen n'est pas en reste. La directive du 13 septembre 2023 impose d'acquérir des prestations à "haute performance énergétique". En 2024, quatre règlements sectoriels visent à mobiliser la commande publique afin de parvenir à l'objectif de neutralité climatique d'ici 2050. Par exemple, le règlement du 14 mai 2024 tendant à la réduction des émissions de CO2 pour les véhicules utilitaires et les autobus urbains ou celui du 13 juin 2024 destiné à intégrer dans la commande publique des technologies dites "zéro net", se rapportant au solaire, à l'hydroélectrique, à l'énergie nucléaire de fission, les pompes à chaleur, ou encore le biogaz.
L'achat "neutre" est désormais celui réalisé au meilleur "coût", lequel inclut les externalités environnementales, c'est-à-dire les effets générés par cet achat sur l'air, l'eau ou les sols. Afin d'effectuer le meilleur achat, les personnes publiques doivent désormais prendre en compte le "cycle de vie" des produits, services ou ouvrages. Cela implique de raisonner en termes de coûts supportés directement par l'acheteur (coûts directs liés à l'acquisition, à l'utilisation, à la maintenance et à la fin de vie), mais aussi de coûts externes (ou indirects) supportés par l'ensemble de la société, telles que la pollution atmosphérique ou la déforestation. Cela implique de rechercher la performance écologique de l'achat, de retenir l'offre ayant la plus faible empreinte carbone, au risque, sans doute, d'être plus chère.
Quels outils pour la mise en place, le choix et l'exécution des marchés publics ?
Certains outils au service de ces diverses politiques publiques sont anciens :
- tel est le cas des techniques destinées à favoriser l'accès des PME et TPE à la commande publique (exemples : l'obligation d'allotir en droit des marchés publics, c'est-à-dire le fractionnement d'une procédure en plusieurs sous-ensembles appelés "lots" susceptibles d'être attribués séparément ; la réduction des exigences en matière de capacité financière) ;
- tel est le cas aussi des techniques destinées à favoriser l'innovation, afin d'améliorer la qualité des services publics et d'optimiser la dépense (exemples : au stade de la préparation du contrat, recours au sourcing, c'est-à-dire à des consultations ou à la réalisation d'études de marché destinées à mettre en évidence de nouvelles techniques ou matériaux ; possibilité d'introduire un critère de sélection des offres fondé sur le caractère innovant des prestations ; conclusion d'un partenariat d'innovation, catégorie particulière de marché public permettant à l'acheteur d'acheter un bien ou un service qui n'existe pas encore).
D'autres outils ont été développés dans les dernières années. En voici quelques exemples :
- au stade de la définition du besoin, les acheteurs sont tenus de prendre "en compte des objectifs de développement durable dans leur dimension économique, sociale et environnementale" et certains doivent adopter un schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (SPASER), document stratégique destiné à orienter, à moyen ou long terme, la politique d'achat d'une structure (articles L. et R. 2111-3 du CCP) ;
- au stade de la formalisation du besoin, depuis la loi du 22 août 2021 dite Climat et Résilience, les acheteurs doivent préciser leur commande par des spécifications techniques incluant des caractéristiques environnementales ou sociales des produits, se référer au "cycle de vie" de l'achat, tenir compte de l'utilisation de ressources naturelles ou de produits biosourcés mais aussi être attentifs à la gestion des déchets, au réemploi ou au recyclage (articles L. 2111-2 et L. 3111-2 du CCP) ;
- au stade du choix des candidatures, la même loi permet d'exclure des candidats ne respectant pas leurs obligations de transparence sur les actions menées en termes de prévention des risques sociaux et environnementaux (obligation d'établir un plan de vigilance) (articles L. 2141-7-1 et L. 3123-7-1 du CCP) ; la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte, permet d'exclure des candidats qui ne satisfont pas à leur obligation d'établir un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre et celle du 9 mars 2023 ceux qui ne satisfont pas aux obligations de publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises ;
- au stade du choix des offres : d'ores et déjà, un marché public doit être attribué à l'entreprise qui a présenté "l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base du critère du prix ou du coût. L'offre économiquement la plus avantageuse peut également être déterminée sur le fondement d'une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux" (article L2152-7 du CCP) mais surtout, à compter de l'entrée en vigueur de la loi Climat et résilience, le 22 août 2026, il ne sera plus possible de recourir au seul critère du prix et donc de retenir l'offre la "moins-disante" (la moins chère). Il faudra nécessairement rechercher l'offre la "mieux-disante" (le meilleur coût), "assurant le meilleur rapport qualité/prix possible, en se fondant sur la base de différents critères prenant en compte notamment les caractéristiques environnementales de l'offre";
- au stade de l'exécution, la loi Climat et Résilience impose aux acheteurs, à compter du 22 août 2026, de prévoir des conditions d'exécution prenant en compte l'environnement et les autorisent à prendre en compte des considérations relatives à l'économie, à l'innovation, au domaine social, à l'emploi ou à la lutte contre les discriminations (article L. 2112-2-1 du CCP).
Quelles sont les limites et difficultés de cette évolution de la commande publique ?
La mise en œuvre de ces dispositifs n'est pas toujours évidente.
Au niveau juridique
D'un point de vue juridique, elle doit être combinée avec l'obligation de respecter les principes fondamentaux de la commande publique : liberté d'accès à la commande publique, égalité de traitement des candidats et transparence des procédures.
Par exemple, un critère de choix des offres relatif à la performance de l'entreprise candidate en matière d'emploi, de conditions de travail ou d'insertion professionnelle de publics en difficulté n'est légal que s'il est en lien avec l'objet du marché ou ses conditions d'exécution, c'est-à-dire qu'il concourt "à la réalisation des prestations prévues par le marché" (CE 25 mars 2013, Dpt de l'Hérault, n° 364824). Il ne l'est pas s'il se contente de faire référence à la politique générale de l'entreprise en matière sociale, qu'il est indistinctement applicable à l'ensemble des marchés de l'acheteur, indépendamment de l'objet ou des conditions propres au marché en cause (CE 25 mai 2018, Nantes Métropole, n° 417580). Il l'est aussi s'il prend en compte les apports d'une offre en termes d'emplois locaux induits par l'activité objet du marché mais pas s'il prend en considération le seul impact sur les entreprises locales (CE 20 déc. 2019, Sté Edeis, n° 428290).
Par exemple encore, un critère environnemental, favorisant les circuits courts de commercialisation ou l'agriculture biologique pour un marché d'approvisionnement d'une cantine scolaire est régulier lorsqu'il est de nature à satisfaire les besoins exprimés par l'acheteur (ex. souhait de garantir la fraîcheur ou la saisonnalité des produits). Mais il n'est pas évident que la promotion de l'achat responsable permette d'admettre un critère reposant sur l'implantation géographique des soumissionnaires, constitutif d'une préférence locale et incompatible avec le principe de non-discrimination (CJUE 22 oct. 2015, Grupo Hospitalario Quiron SA, aff. C-552/13). Un critère qui se limiterait à comparer la quantité globale de CO2 émise lors du transport de marchandises pourrait pénaliser les entreprises les plus éloignées du lieu de livraison et donc s'apparenter à un critère géographique interdit (CE 12 sept. 2018, Sté la Préface, n° 420585), mais un critère relatif à la quantité de CO2 émise par kilomètre parcouru a été admis (TA Nice, 20 janv. 2015, n° 1202066).
Au niveau pratique
D'un point de vue pratique, la prise en compte de ces multiples objectifs en droit de la commande publique conduit à une véritable mutation des pratiques professionnelles. Elle implique une professionnalisation du métier d'acheteur public. C'est dans cette perspective qu'a été créée, le 7 novembre 2024, une nouvelle plateforme (Achats-durables.gouv.fr), destinée à accompagner les acheteurs dans leurs démarches, à promouvoir des pratiques d'achats responsables et à partager sur leurs expériences. Mais pour l'instant, les enquêtes de terrain montrent la fréquente difficulté à évaluer les offres au regard des nouveaux critères et celle de suivre la bonne exécution des obligations environnementales et, le cas échéant, de sanctionner leur violation.
Au niveau politique
D'un point de vue politique, les acheteurs sont désormais contraints de procéder à des arbitrages, de choisir entre des objectifs contradictoires (exemples : la recherche du meilleur coût passe souvent par la centralisation des achats qui n'est pas favorable aux PME ; l'insertion d'objectifs de développement durable par l'insertion de critères favorisant l'agriculture biologique ou les circuits courts peut limiter la liberté d'accès à la commande publique).
Par ailleurs, l'efficacité de ces dispositifs reste encore limitée. Les chiffres de l'Observatoire de la commande publique montrent, par exemple, que la part des PME dans la commande publique reste inférieure à leur poids dans l'économie. Les contraintes procédurales liées à la commande publique restent souvent trop importantes au regard de leurs ressources. Différents rapports (exemples : Cour des comptes, déc. 2024 ou Cour européenne des comptes, 2024) montrent que la concurrence s'amoindrit, que nombre d'appels d'offres ne comportent aujourd'hui qu'une seule offre et que la part des marchés transfrontaliers reste limitée (5% de la valeur totale des commandes). Les possibilités offertes par les textes pour promouvoir des politiques diverses sont souvent vécues comme des contraintes et comme porteuses de risques (financier voire pénal).
Enfin, la question est parfois posée de savoir si la commande publique est l'outil le plus adéquat. Pour faire face aux crises, sanitaire et économique par exemple, le mécanisme des aides d'État peut s'avérer plus efficace (exemple, création, en 2020, d'un fonds de solidarité).