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© Jean-François FORT / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Les déserts médicaux en quatre questions

Temps de lecture  10 minutes

Par : La Rédaction

Vieillissement de la population, centralisation de certaines structures de santé, densité médicale en baisse... le phénomène de désert médical tend à s'accroitre dans certains territoires. Différentes pistes sont évoquées pour y remédier, entre mesures d'incitation et de contrainte des professionnels de santé. Le point en quatre questions.

L’expression de désert médical est employée au milieu des années 2000 pour désigner la baisse de l’offre de soins dans certains territoires alors que les besoins de la population augmentent.

La situation de désert médical peut être mesurée en termes de densité de médecins par habitant. En France, la densité médicale moyenne est de 339 médecins pour 100 000 habitants. L’Indre, l’Eure ou l’Ain comptent parmi les départements avec un taux de médecins par habitant les plus faibles (autour de 150 médecins pour 100 000 habitants) tandis que d'autres départements comme Paris, les Hautes-Alpes ou le Rhône, peuvent avoir un taux jusqu’à cinq fois supérieur. 

La situation de désert médical peut aussi s’exprimer par le ressenti des habitants dans la difficulté à obtenir un rendez-vous auprès d’un médecin. Un sondage réalisé pour le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) en 2025 établit que 44% des personnes interrogées estiment vivre dans un désert médical. Dans les communes rurales, un habitant sur deux fait part de difficultés à obtenir un rendez-vous médical, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un rendez-vous chez un spécialiste. Selon la même étude, le temps d’attente pour obtenir un rendez-vous médical a doublé en cinq ans. 

Cette situation de désert médical peut aussi se révéler par l’augmentation de la fréquentation des urgences comme le mesure le Crédoc, avec un taux de prise en charge aux urgences qui a doublé de 1996 à 2021. 

Un autre indicateur, l’accessibilité potentielle localisée (APL) utilisé depuis 2012, permet d’observer plus finement les disparités entre communes en termes d’accès aux soins. Il cumule divers critères comme le nombre moyen de consultations par habitant par an et par commune ou le temps d’accès moyen à un professionnel de santé pour un patient depuis son lieu de résidence. Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) réalisée en 2021, si l’indicateur APL s’est amélioré de 2016 à 2019 pour l’accès à certains services de soins (infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, sages-femmes), il s’est dégradé pour l’accès à un généraliste dans les territoires ruraux. Sur la base de cet APL, l’étude estime que 1,7 million de personnes sont très défavorisées en la matière. Ces personnes vivent pour les trois-quarts dans des territoires ruraux mais, précise l’étude, 41% de ces territoires sont situés dans une grande aire urbaine.

Selon le baromètre 2025 de la Fédération hospitalière de France : "plus de deux tiers des Français déclarent avoir renoncé à au moins un acte de soin ces cinq dernières années". En cause, "le temps d'attente pour obtenir un rendez-vous médical" (59% contre 53% en 2024) ou encore "la distance" (38% contre 33% en 2024).

De façon globale, note le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) dans son dernier Atlas 2025 des professions médicales, la part de spécialistes, et plus particulièrement de spécialistes médicaux parmi les médecins, est en constante augmentation depuis 2010 (+12,8%), tandis que celle des médecins généralistes diminue (-13%)

L’augmentation de spécialistes parmi les praticiens, si elle se vérifie dans 65 départements, a peu d’effet sur les zones géographiques touchées par la désertification médicale. Une mission d’information du Sénat sur les disparités territoriales d’accès aux soins relève que 37 départements de France hexagonale comptent moins de 5 dermatologues dans leurs zones géographiques respectives ; idem dans 19 départements pour les ophtalmologistes et dans 22 départements pour les cardiologues.

Les départements qui observent une variation positive de spécialistes se situent dans les zones littorales (Pyrénées Atlantiques, Morbihan) ou frontalières (Savoie), le plus souvent à proximité des grandes villes ou dans les métropoles.

Les variations négatives les plus fortes concernent les médecins généralistes, particulièrement dans des départements déjà peu dotés en offre de soins et dont la population est vieillissante (84 départements concernés dont l'Yonne qui connaît un déclin de 40% de généralistes sur 15 ans).

Le manque de renouvellement des médecins généralistes dans les régions les moins bien dotées inquiète le Conseil de l'Ordre des médecins qui déplore, de surcroît, le taux croissant de retraités parmi les actifs et le recours, de plus en plus important, à des médecins formés à l’étranger pour palier un manque d’effectifs.

Le CNOM constate cependant une amélioration dans l'accès aux soins concernant des spécialités où les praticiens sont contraints par une autorisation de l'Agence régionale de santé (masseurs kinésithérapeutes, sages-femmes, chirurgiens dentistes...).

Entre 2005 et 2009, une suite d'avenants à la convention médicale instaurent des mesures incitatives à l'installation et au maintien des généralistes dans les zones déficitaires.

En 2009, la loi Hôpital Patients Santé Territoires propose aux étudiants en médecine qui signent un contrat d'engagement de service public une bourse pendant leurs études. Ces derniers s’engagent en contrepartie à exercer dans les zones de revitalisation rurale et les zones urbaines sensibles.

Le Pacte territoire santé pour la période 2012-2015 intègre des dispositifs visant à encourager le développement de maisons de santé dans les territoires déficitaires en professionnels de santé (2 500 maisons en 2023). Il comprend également des mesures de restriction de l’installation des professionnels de santé dans les zones déjà bien pourvues mais ces mesures ne concernent pas les médecins libéraux. Il entend garantir un accès aux soins urgents en moins de 30 minutes.

Des aides financières à l’installation sont proposées par l’assurance maladie. Ces aides concernent également les médecins retraités pour les inciter à prolonger leur activité.

En 2018 est délivrée l’autorisation de téléconsultation.

En 2020, le gouvernement décide de mettre fin au numerus clausus en débloquant la limitation du nombre d’étudiants en deuxième année de médecine instaurée dans les années 1970. Ce numerus clausus visait à réduire l’offre de professionnels de santé considérée alors comme pléthorique. Avec la fin du numerus clausus, le Conseil national de l’ordre des médecins projette une augmentation annuelle de 2% du nombre de médecin jusqu’en 2040. En 2024, un rapport de la Cour des comptes fait état d’une augmentation de 11% du nombre d’admis au cours des années qui suivent la réforme. Mais, le rapport constate également de fortes disparités selon les filières et selon les régions.

Dans le cadre du Plan France ruralité, une instruction ministérielle de 2023 autorise le déploiement de 100 médicobus afin d’aller au contact des populations dans les territoires ruraux où "d’autres formes d’organisation médicale ne sont pas possibles ou suffisantes". Les projets sont copilotés par l’Agence de santé régionale (ARS) et les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM).

Face à la pénurie de médecins dans certaines régions, deux propositions de loi sont en discussion au Parlement.

La première émane des parlementaires qui ont voté un article favorable à une restriction du droit d’installation. La proposition de loi Garot adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 7 mai 2025 prévoit de conditionner l’installation d’un médecin à une autorisation de l’Agence régionale de santé (ARS). En zone sous-dotée, l’autorisation sera délivrée de droit pour toute nouvelle installation. Dans tous les autres cas, c’est-à-dire lorsque l’offre de soins est suffisante, l’autorisation sera délivrée uniquement si l’installation fait suite à la cessation d'activité d’un médecin pratiquant la même spécialité sur ce territoire.

Toutefois, cette proposition de loi a été adoptée contre l'avis du gouvernement.

Le 25 avril 2025, le Premier ministre a, en effet, présenté un pacte de lutte contre les déserts médicaux. Il repose sur plusieurs mesures, notamment :

  • une cartographie des déserts médicaux. Les ARS ont déterminé 151 "zones rouges" à l’échelle des intercommunalités, regroupant 2,5 millions d'habitants, dans lesquelles l’accès aux soins est particulièrement dégradé ;
  • l'obligation pour chaque médecin généraliste ou spécialiste installé dans un territoire bien pourvu médicalement de consacrer jusqu'à deux jours par mois à des consultations dans les "zones rouges", c’est à dire celles les plus en difficulté. Grâce à ce mécanisme de solidarité, le gouvernement vise 30 millions de consultations par an réorientées ;
  • l'obligation pour tous les étudiants en médecine durant leur cursus d'effectuer au moins un stage en dehors des centres hospitaliers universitaires (CHU) et un en zone sous-dotée en soignants ;
  • la réduction du temps consacré par les médecins aux formalités administratives.

Une autre proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires a été adoptée en première lecture au Sénat le 13 mai 2025. Le 28 avril 2025, le gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte, qui se rapproche davantage des mesures qu'il prône. Cette proposition de loi prévoit ainsi par exemple de subordonner l'installation des médecins généralistes libéraux en zone sur-dense à un engagement d'exercice à temps partiel en zone sous-dense.

Deux lois promulguées le 27 juin 2025 peuvent encore contribuer à lutter contre les déserts médicaux :

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