Texte intégral
Monsieur le Vice-Président du Conseil d'Etat,
Monsieur le Secrétaire Général du Gouvernement,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec plaisir que je prends la parole devant vous aujourd'hui à l'occasion de cette deuxième journée du colloque " L'Administration électronique au service des citoyens ". Je veux avant tout remercier le Conseil d'Etat, l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne et tous les partenaires qui ont rendu ce colloque possible. C'est, je crois, la première fois que se tient un colloque directement consacré aux aspects juridiques de l'administration électronique. J'y vois un signe de maturation de ce chantier, d'une sortie de la période d'expérimentations. Les outils en ligne et l'internet deviennent un moyen de plus en plus courant d'accès aux informations et aux services administratifs. Leur inscription dans l'ordre juridique devient donc un enjeu crucial.
Vous connaissez tout l'attachement du Premier ministre à l'entrée de la France dans la société de l'information et les efforts du gouvernement pour faciliter cette entrée depuis 1997. Vous savez également ma volonté de mettre l'administration électronique au service de la réforme de l'Etat.
Depuis presque cinq ans, nous avons beaucoup réfléchi : avec le rapport consacré à l'administration à accès pluriel de Bruno LASSERRE au printemps 2000, avec celui de Thierry CARCENAC pour une administration électronique citoyenne, en mai 2001 et, bientôt, avec celui qui me remettront MM. FAUGERE, FLICHY et TRUCHE sur la protection des données personnelles et l'administration électronique.
Si nous avons réfléchi, et c'était nécessaire sur ces sujets nouveaux, nous avons également beaucoup décidé, et en premier lieu au sein du programme d'action gouvernemental pour la société de l'information, le PAGSI, lancé en janvier 1998. A l'occasion du comité interministériel pour la réforme de l'Etat d'octobre 2000, nous avons lancé le portail de l'administration, Service-public.fr, unanimement salué aujourd'hui comme une réussite exemplaire des apports de l'administration électronique à la simplification des démarches.
En novembre 2001, lors d'un nouveau comité interministériel, nous avons donné le coup d'envoi de la deuxième étape de l'administration électronique. Notre objectif est ambitieux, mais réaliste : dématérialiser l'ensemble des démarches administratives d'ici 2005. L'engagement du Gouvernement, crucial dans ce type de transformations à la fois très vastes et très profondes, n'a fait que croître depuis le discours d'Hourtin de Lionel JOSPIN, en août 1997.
Et nous avons, surtout, beaucoup agi, beaucoup créé, beaucoup transformé, au point de bouleverser les habitudes administratives : il existe aujourd'hui 4000 sites publics, qui sont autant de points d'information, de transparence et d'interactivité entre usagers et administrations. 121 téléservices et 1100 formulaires sont accessibles en ligne sur Service-public.fr. La dématérialisation des déclarations sociales et fiscales, à travers TéléTVA et Net Entreprises, facilite la vie des entreprises.
Les services publics sont, depuis 1997, parmi les meilleurs moteurs de la société de l'information française. Au plan international, le dynamisme des administrations françaises est reconnu, comme en témoigne le colloque qui s'est tenu à Bruxelles, en novembre 2001, et où des réalisations françaises comme iProf, le bureau virtuel des enseignants, tenaient une bonne place parmi les " meilleures pratiques " au sein de l'Union.
De cette activité considérable, je veux d'abord féliciter les innovateurs de l'administration électronique, ces agents publics qui ont cru, avant les autres, au potentiel de transformation des technologies de l'information et ont su les mettre en uvre dans leur activité - parfois en prenant des risques professionnels réels. Ces agents publics exemplaires sont les fers de lance de la réforme de l'Etat et de la modernisation des services publics. Qu'ils en soient remerciés.
Mais je ne voudrais pas me contenter d'égrener devant vous les améliorations apportées ces dernières années par les TIC à la relation entre usagers et services publics. Cette matinée, en effet, est consacrée aux enjeux de citoyenneté dans la société de l'information, et je suis tout particulièrement heureux de pouvoir m'associer à votre réflexion sur ce sujet.
Tout comme elles transforment les rapports entre les usagers et les administrations, les technologies de l'information et de la communication peuvent en effet renouveler profondément les échanges entre les citoyens et leurs représentants, et permettre d'approfondir, de revivifier le débat citoyen comme le dialogue social.
Encore faut-il ne pas réduire ces enjeux à quelques gadgets sur-exposés, comme c'est souvent le cas avec le vote en ligne, y compris parfois de la part de très hauts personnages de l'Etat. Dans le "prêt-à-penser" de la citoyenneté électronique, le vote électronique tient en effet une bonne place. Pourtant, si le vote est un temps essentiel de la vie démocratique, la démocratie électronique ne saurait pas plus s'y réduire que le commerce en ligne ne se réduit à taper en ligne son numéro de carte bleue.
Est-ce vraiment parce qu'il serait plus compliqué aujourd'hui qu'hier de se rendre à son bureau de vote que l'abstention progresse ? Les études de sociologues sur ce sujet sont plus que prudentes et les expériences étrangères s'avèrent décevantes. Il faut une bonne dose d'optimisme, de naïveté ou de malice pour croire que le simple fait de voter en ligne pourrait réconcilier les Français avec la participation démocratique.
C'est que nous avons en France un vote finalement rare (ce qui n'est pas le cas en Suisse, par exemple) et simple (ce qui n'est pas le cas en Floride, semble-t-il). Les gains au vote en ligne ne sont donc pas évidents, alors que les garanties en termes de sécurité, d'influence, restent très difficiles à mettre en uvre. Le vote en ligne peut en revanche être intéressant là où le vote par correspondance est déjà la norme : élections professionnelles, de parents d'élèves, etc.
Les outils de la société de l'information sont d'abord utiles pour enrichir le débat démocratique et mettre à la disposition de tous des informations et des moyens permettant d'analyser et de juger, en toute connaissance de cause, les décisions publiques : publier en ligne les professions de foi, faciliter l'interpellation des candidats par les citoyens, faire connaître les réalisations, conserver la mémoire des programmes, etc.
Dans cette information et cette interactivité, il faut se garder d'opposer artificiellement démocratie représentative, qui serait notre forme traditionnelle de débat politique, et démocratie directe, à laquelle serait voué l'usage des TIC dans le champ politique.
C'est une vision trop facile, qui ne résiste pas à l'analyse des expériences de forums de discussions et de débats publics en ligne que nous avons eues ces dernières années - qu'il s'agisse de la consultation qui a suivi la remise du rapport de Thierry CARCENAC, des forums régulièrement organisés par le Forum des droits sur l'internet, des consultations sur des sujets plus techniques régulièrement lancées par l'Agence pour les technologies de l'information et de la communication dans l'administration ou de l'appel à commentaires sur les décrets " signature électronique ", voire du site de débat sur le troisième aéroport de la région parisienne actif ces derniers mois.
Ces nouveaux espaces de débat citoyen ne se substituent pas à l'activité des représentants, des corps intermédiaires, des collectifs citoyens et des professionnels de la politique. Ils sont, au contraire, de nouveaux lieux où faire connaître leurs idées, se confronter à leurs adversaires ou recruter de nouveaux partisans. Ils rendent également leur action moins opaque aux yeux de leurs mandants : chacun peut lire ce qui est écrit en son nom, s'il s'agit de l'expression d'une association, par exemple.
De la même manière, grâce aux efforts considérables des deux chambres du Parlement, chacun peut à présent facilement savoir quelles ont été les positions de ses représentants lors de débats parlementaires.
Nous n'en sommes qu'au début de l'utilisation de ces espaces de citoyenneté en ligne. Mais le mouvement est irréversible, et les innovations en la matière se succèdent rapidement.
Ainsi, dans les prochaines semaines ouvrira l'espace " vie publique " du portail Service-public.fr. Consacré à la citoyenneté et au débat public, voulu par le gouvernement, porté par le secrétariat général du Gouvernement, réalisé par La Documentation française, cet espace permettra notamment de conserver la mémoire des débats publics passés. On y trouvera notamment la plupart des expressions publiques des décideurs politiques, économiques et sociaux depuis près de vingt ans.
J'y vois un espoir de responsabilisation du débat politique, qui doit permettre d'éviter les discours " sur mesure " destinés à des " niches d'opinion " bien séparées mais qui, mis bout à bout, dessineraient une image bien contradictoire des propositions faites - et d'éviter les variations dans le temps par trop marquées des opinions exprimées.
Les technologies de l'information et de la communication sont également, et c'est sans doute un préalable à l'émergence de ces nouvelles formes de débat public, un moyen extraordinaire de donner un sens opérationnel à notre devise " nul ne doit ignorer la loi ". Avant l'ouverture de Légifrance, trouver la loi, déjà, n'allait pas de soi. Il est aujourd'hui facile de trouver en ligne l'ensemble des textes législatifs et réglementaires en vigueur dans notre pays, ainsi que l'ensemble du Journal Officiel depuis plus de dix ans.
Enfin, les technologies de l'information sont devenues, en quelques années, un outil de dialogue social et de démocratie dans l'entreprise ou dans une administration. Le secteur public est d'ailleurs plutôt en avance sur le secteur privé en la matière, puisque depuis juin 2000 nous avons mis en place au niveau interministériel un groupe réunissant représentants des usagers, des organisations syndicales et des administrations pour définir les principes d'utilisation des TIC par les organisations syndicales. Le produit, consensuel, de ces travaux est devenu le socle des chartes dont tous les ministères seront dotés d'ici l'été 2002.
Mesdames, Messieurs,
Vous le savez, les semaines et les mois qui viennent seront riches de débats, de discussions, de propositions, de dialogue. Tous, loin s'en faut, ne concerneront pas la société de l'information. Tous profiteront, en revanche, des apports des technologies de l'information et la communication au service de la démocratie. Forums en ligne avec les citoyens, analyse comparative des programmes politiques grâce aux outils d'analyse sémantique ou de présentation, chat avec les candidats locaux, meilleure circulation de l'information au sein des équipes de campagne : 2002 sera l'année de l'entrée de la politique sur le web, comme 1997 avait été celle de l'entrée du web en politique.
Je vous remercie de votre attention.
Seul le discours prononcé fait foi.
(Source http://www.foncton-publique.gouv.fr, le 25 janvier 2002)