Texte intégral
Mesdames et Messieurs, chers Amis,
Chacune et chacun d'entre vous l'a profondément ressenti au cours de cette journée : ce qui nous réunit, au-delà de nos diversités, c'est un attachement profond et commun à la République.
Le défi que nous lance le risque d'éclatement de la République a été très bien mis en lumière par les intervenants, qu'ils soient universitaires, chercheurs ou responsables politiques, confrontés à cette dure réalité.
La déconstruction républicaine, au cours des vingt dernières années, a exercé des ravages : d'abord à l'école, mais aussi dans la vie publique où la perte des repères, l'affaissement de l'autorité de la loi dissolvent le lien social. La citoyenneté est perdue de vue quand ce qui fait sa force, la volonté populaire, s'agenouille devant la puissance de l'Argent, fût-elle déguisée en expertocratie, quand un pseudo-multiculturalisme privilégie le culte de la différence sur l'amour de l'égalité.
Lionel Jospin ou Jacques Chirac, leurs amis innombrables, rappellent à tout bout de champ que " personne n'a le monopole de la République ". Mais pour le démontrer, il n'est que de donner l'exemple ! Que Jacques Chirac garantisse l'indépendance de la justice au lieu de la démembrer en déliant chaque parquet de tout rapport avec les autorités légitimes de l'Etat. Que Lionel Jospin garantisse l'égalité de tous les citoyens devant la loi, plutôt que de la détruire, en permettant à des assemblées locales de la modifier à leur guise sous l'éternel prétexte de vouloir lutter contre l'uniformité, refrain qu'on retrouve depuis deux siècles chez tous les contempteurs de la Révolution française. Entre l'exigence de juin 1997 " En tous domaines, faire retour à la République ", et la pratique du gouvernement Jospin : fuir de mille façons, au nom d'un sacro-saint " équilibre ", l'exigence républicaine. L'affaire corse est évidemment emblématique. L'or a été transmuté en plomb ! Non, personne n'a le monopole de la République. Mais la République, comme a coutume de le rappeler Claude Nicolet, c'est le parti de ceux qui prennent au sérieux ses principes. Disons que ce parti n'est pas aujourd'hui bien nombreux dans nos élites. Mais le peuple, dans ses profondeurs, reste, lui, républicain.
Et c'est cette sensibilité égalitaire et républicaine qui vit chez les radicaux de bonne souche, parce que votre histoire, votre tradition politique s'ancrent profondément, depuis les pères fondateurs, dans les principes républicains, eux-même incarnation des idées des Lumières. Se situer dans le sillage de Gambetta ou de Clemenceau, c'est évidemment se refuser aux petites facilités à la mode, qui inventent des Républiques plurielles, des Républiques sexuées, des Républiques communautarisées, pour mieux faire oublier que sous le flot des épithètes, c'est la République elle-même qui étouffe.
Ce que Clémenceau disait de l'opportunisme triomphant au sein de la gauche à la fin du XIXème siècle s'applique mot pour mot à la dérive post-républicaine de la gauche installée d'aujourd'hui. La droite et la gauche ne cesseront pas d'exister mais leurs définitions actuelles sont obsolètes. Et c'est cela qu'il faut renouveler à partir de l'idée républicaine toujours actuelle et même plus moderne que jamais.
Relever ce défi, c'est d'abord placer la République sur ses bases, et c'est refonder l'Ecole
C'est en second lieu, répondre à de nouveaux défis, et inventer avec audace les moyens de bâtir une Europe des projets, une Europe des peuples, dont la démocratie sera l'oxygène.
Dans l'enfance, l'Ecole, comme dans les défis à venir, l'Europe, la République doit guider nos pas.
I - Refonder l'Ecole
L'Ecole sera au coeur de la campagne présidentielle française, comme elle a été -peu le savent- au centre de l'élection américaine, du fait d'un délabrement effrayant du système scolaire aux Etats-Unis.
Nous n'en sommes certes pas là, mais la crise de l'éducation que nous connaissons, liée à l'excessive permissivité qui s'est emparée de l'Ecole, réduit comme peau de chagrin l'égalité des chances des enfants de famille modeste. Dès lors qu'il n'y a plus de principes, tout est permis et on récolte la délinquance.
On ne transmet que les valeurs auxquelles on croit. Entre la République et son Ecole, le pacte est à réinventer. Pour le faire, j'invite à recentrer l'Ecole sur sa mission première, qui est la transmission du savoir et des valeurs, et la garantie de l'autorité qui la rend possible, celle du maître, magister et non pas dominus.
Il est temps de mettre un terme à des dérives, parfois pavées de bonnes intentions. On voulait ouvrir l'Ecole sur la vie, mais c'est la société, avec ses inégalités, ses injustices et sa violence, qui sont entrées dans l'Ecole. On a voulu placer l'enfant au centre de l'Ecole, en oubliant que c'est la transmission du savoir qui doit être centrale.
La bougite, la réformite perpétuelles ont créé l'instabilité, brisé les repères par de constants remaniements des programmes et des cursus. Il est temps au contraire de garantir l'apprentissage des connaissances élémentaires par tous les élèves en primaire, à commencer par la langue française, outil incomparable de l'intégration sociale et politique. Plus la société est éclatée, plus l'Ecole de la République doit affermir son unité, chance de l'égalité.
L'apprentissage facultatif des langues régionales n'est pas une mauvaise chose, mais à condition que soit correctement maîtrisée la langue commune, qui permet à tous les citoyens de se comprendre, qui permet à la communauté des citoyens de mener le débat public commun. Il n'est pas souhaitable de compliquer la tâche de nombreux élèves, dont beaucoup maîtrisent déjà mal le français.
Donner aux élèves le sens de l'effort est le meilleur soutien que nous puissions leur apporter pour leur réussite. Il faut rendre hommage aux enseignants qui, à contre-courant des modes dominantes, du culte de l'argent, de l'arrogance de l'égoïsme, du chacun pour soi, font valoir les valeurs du travail bien fait, le goût de l'effort, la joie de comprendre, la fierté de s'élever.
Relever le défi d'une Marianne éclatée, c'est à mes yeux d'abord fixer ses missions à l'Ecole de la République. Ce projet est complètement moderne, parce qu'il prépare nos enfants à la vie professionnelle, au lieu de prolonger trop longtemps le séjour dans le youpala.
Adapter étroitement l'Ecole au monde du travail serait une erreur, parce que les mutations techniques incessantes exigent en premier lieu une bonne formation générale. L'ouverture de l'Ecole sur l'économie n'est pas son asservissement au monde des marchands, mais la préparation de futurs citoyens dotés de libre-arbitre, capables de s'orienter dans un monde complexe. Le but de la société politique, ce n'est pas de prolonger le RMI jusqu'à 25 ans ! C'est de faire des égaux ; c'est de faire des citoyens libres ! L'idée d'un capital-formation donné à chacun tout au long de la vie, sous un vernis de générosité, procède d'une conception erronée : sans une bonne formation initiale, il est très difficile de bénéficier de la formation permanente. L'Ecole doit donc se trouver au premier rang de la lutte contre les inégalités sociales, pour compenser le déficit dont souffrent les enfants des couches modestes, des familles issues de l'immigration. Dans les quartiers populaires, l'accès à l'école maternelle dès l'âge de deux ans doit être un objectif.
La formation à la citoyenneté doit être la deuxième grande mission de l'Ecole. Seule l'instruction donne au citoyen les moyens de se forger un jugement éclairé et de ne pas se dessaisir de son pouvoir de décision au profit des experts... ou des démagogues.
L'école demeure le meilleur moyen d'intégrer pleinement à la collectivité nationale les enfants venus de l'immigration. A condition évidemment qu'ils soient incités à devenir partie prenante d'une société politique qui s'appelle la France, qui a connu ses ombres et ses lumières, mais qui mérite d'être aimée. La mode de la repentance et du masochisme national, trop largement répandue, freine et paralyse l'immense effort qui s'impose pour un égal accès à la citoyenneté de tous les jeunes, d'où qu'ils viennent. L'Ecole publique qui a reçu depuis plus d'un siècle des élèves venant de partout, de toutes les vagues de l'immigration, Italiens, Polonais, Portugais, Maghrébins, réussira encore demain à faire des citoyens libres et égaux, si ses missions sont clairement rappelées. Et en retour, ils rendront à la France au centuple ce qu'ils en ont reçu, en lui donnant les ingénieurs, les professeurs, les prix Nobel et les meilleurs artistes. L'Ecole doit redevenir le centre de la méritocratie républicaine. Je propose ainsi de retenir par la voie du concours des étudiants dont les études seront rémunérées sous réserve de servir l'Etat ou le service public durant dix ans. Quel plus bel ascenseur social, et quel apport neuf à la fonction publique et au service public !
J'y vois un outil précieux pour répondre au défi de l'éclatement de la République qu'à juste titre vous avez analysé tout au long de ce Colloque.
L'Ecole n'est pas une simple affaire de prestations de services, une marchandise susceptible d'être privatisée comme l'avance l'Organisation mondiale du commerce. Ecole et République ont bien sûr une histoire commune. Elles ont surtout un grand avenir commun !
C'est l'Ecole qui éduque à la liberté par la formation du citoyen ; ce que Langevin nommait l'élitisme républicain mérite d'être compris : la promotion de tous, et la sélection des meilleurs. Quel meilleur antidote à l'hérédité de caste qui quadrille notre société ?
La laïcité s'apprend à l'Ecole. Elle ne germe pas spontanément dans l'esprit. C'est une conquête de la raison que de protéger l'espace public commun des dogmes, que de distinguer une sphère publique d'une sphère privée. Ne jamais accepter qu'aucune communauté prétende dicter aux autres ses propres règles, s'exercer à rechercher l'Universel dans chaque culture, respecter la liberté de conscience et refuser qu'une loi particulière s'érige en règle générale sans que les citoyens en aient délibéré. La laïcité n'est pas la licence donnée à toutes les communautés de coloniser l'espace public ; elle défend et construit au contraire la liberté de penser de chaque citoyen en préservant l'espace public.
Mendès France : " gouverner c'est aussi former pédagogiquement le citoyen. "
Oui, chers Amis, j'ai placé l'Ecole, avec les valeurs de la République, au premier rang des tâches que je m'assigne. Parce que tout commencera par là. Là est le socle du réveil républicain dont la France a besoin.
Affermie sur ses bases, la République pourra alors affronter les défis de son avenir.
II - Le premier d'entre eux est à mes yeux la question européenne. Un Républicain convaincu doit être ambitieux pour l'Europe.
Les deux grands appareils de pouvoir se complaisent dans le jardin des formules creuses, des refus de choisir. On cultive au PS "la Fédération d'Etats nations" et au RPR, la même "Fédération d'Etats nations", en choisissant ensemble Giscard pour éclairer l'avenir. Les Républicains doivent mettre fin à ce théâtre d'ombres, et prendre l'affaire européenne en mains.
Je veux vider devant vous cette querelle. Ce qui pose problème à mes yeux, dans le processus actuel, c'est exactement ce qui posait problème aux yeux de Pierre Mendès France quand il s'interrogeait, en 1957, sur le Traité de Rome. La grande affaire, c'est la démocratie.
Relisons Mendès France : " L'abdication d'une démocratie peut prendre deux formes : soit le recours à une dictature par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique. Car au nom d'une saine économie, on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement " une politique " au sens le plus large du mot. " Et pour Mendès, cette abdication du citoyen était inconcevable.
Quarante-cinq ans après, j'entends placer également la démocratie au cur du processus européen. La construction européenne a besoin de profondes réformes pour rétablir le lien de confiance aujourd'hui brisé avec les peuples.
Loin de moi l'idée de récuser en bloc les institutions, les traités, les acquis. Bien entendu la France tiendra sa parole et respectera ses engagements.
Mais en tous domaines j'entends proposer au nom de la France les changements que les peuples attendent pour que la construction européenne se conforme à l'exigence démocratique
D'abord dans le domaine institutionnel. C'est par le Conseil, représentant légitime des gouvernements que les peuples se sont donnés, que les citoyens européens peuvent d'abord se faire entendre. Je proposerai donc en premier lieu d'organiser la publicité des débats et des votes au Conseil.
Nous en finirons ainsi avec l'irresponsabilité posée en dogme, qui pousse les dirigeants à imputer à une décision anonyme ce qui relève pourtant de leur propre décision. La publicité des débats et des votes ouvrira la fenêtre d'un espace public européen à construire, - notion chère à Habermas - où tous les citoyens de l'Union seront informés des enjeux, des débats qui deviendront dès lors les débats communs aux Européens.
La méthode Monnet, qui n'avait pas que du mauvais, a confié à la Commission le monopole de l'initiative, en la chargeant de définir un " intérêt général européen ". Bien des antagonismes ont pu être ainsi surmontés. Mais aujourd'hui, cette méthode a perdu de sa force propulsive, comme le souligne d'ailleurs M. Joschka Fischer. Ce n'est plus en tenant en lisière les Etats-nations que l'Europe avancera. C'est pourquoi le droit d'initiative et de proposition doit être à mes yeux étendu au Conseil. Car c'est par lui que les peuples, et la démocratie, feront irruption dans la construction européenne. Mais je ne révoque nullement en doute l'idée qu'il puisse exister " un intérêt général européen ".
De la même manière, au Parlement européen, une seconde Chambre représentant les Parlements nationaux serait en mesure de rétablir le lien nécessaire avec la volonté politique organisée dans chaque nation. C'est ce que propose à juste titre Tony Blair.
En tous domaines, les peuples doivent se faire entendre. C'est un mauvais service rendu à l'Europe que de vouloir l'opposer aux nations. Je veux une Europe ambitieuse, une Europe de projets qui complète l'action des Etats au lieu de s'y substituer. Parce que le coeur de toute démarche c'est la démocratie.
Etre euro-ambitieux, c'est refonder l'Europe sur les projets. La méthode que j'aurai à proposer est celle des coopérations renforcées. Assouplies utilement, bien qu'insuffisamment à Nice, les coopérations renforcées prendront le relais des intégrations épuisées. Je rappelle qu'elles permettent d'associer plusieurs Etats de l'Union sans forcément les réunir tous, pour mener à bien des projets d'intérêt commun. Jacques Delors avait souligné le risque d'éclatement de l'Union en cas de multiplication de ces coopérations renforcées. A cette crainte, il est un bon remède : toute coopération renforcée de quelque importance devra à mes yeux unir la France et l'Allemagne et les pays volontaires. La stabilité politique ne sera pas mise en cause.
Je proposerai à nos partenaires plusieurs axes de coopération renforcée : les transports ferroviaires rapides au Nord de l'Europe, la coopération en Méditerranée et vers l'Afrique, le partenariat avec la Russie, l'énergie et la sûreté des centrales nucléaires, la recherche, le rattrapage du retard technologique que nous avons pris sur les Etats-Unis depuis vingt ans, la politique aéronautique et spatiale.
La préparation de la Conférence intergouvernementale de 2004, les travaux préparatoires de la Convention mobiliseront notre attention. Comme je l'ai indiqué, les résultats de la C.I.G., dès lors qu'ils porteront sur l'organisation des pouvoirs publics en Europe seront soumis à un référendum.
Mais très vite, l'Union européenne devra prendre sa part de l'engagement mondial contre la récession.
Les contraintes anciennes du pacte de stabilité relèvent d'une période aujourd'hui révolue. L'Allemagne comme le Portugal en supportent à présent la rigueur. Mais tous les Etats membres peuvent être amenés à en souffrir. C'est dire que la France ne manquera pas de soutiens pour lever ce verrou, butte-témoin du monétarisme de la fin des années 80. L'Europe a besoin d'une politique d'argent à bon marché. L'investissement, la recherche, l'innovation, ont besoin d'être encouragés.
La réforme souhaitable de la politique de la concurrence laissant aux Etats le soin d'arbitrer les fusions purement nationales, et confiant à la Commission les autres fusions-acquisitions, en mesurant l'impact sur le marché communautaire, sera de nature à mieux servir les intérêts européens, et à ne pas faire de l'Europe l'otage d'une politique de la concurrence inadaptée.
Pour participer à la politique de relance des Etats-Unis, l'Europe pourra lancer un programme d'investissement de grande envergure ; et si l'on veut répondre à l'ampleur de l'action américaine, ce programme devrait atteindre 1 % du PIB européen, soit 90 milliards pour l'Union et 65 pour la zone Euro. Un emprunt multi-émetteurs marquerait la solidarité financière des Etats, principe que le traité de Maastricht avait malheureusement récusé.
La France, sous mon initiative, se rapprochera de ses partenaires de la zone Euro, en vue d'obtenir deux réformes :
La première vise à modifier les statuts de la B.C.E. afin d'inscrire dans ses statuts, non seulement la lutte contre l'inflation, mais la recherche d'un haut niveau d'activité et d'emploi. L'Euro doit servir la croissance. La monnaie européenne doit être au service de l'emploi en Europe.
La seconde réforme visera, corollairement, à confier au Conseil, et en son sein au Conseil Eurogroupe, le soin du pilotage des politiques économiques, qui ne saurait être confié à une Banque centrale privée de légitimité démocratique. Là encore, ma boussole sera la démocratie. Pierre Mendès France, en 1957, mettait en garde contre quelques travers français : " méfiance en soi, impuissance à se réformer soi-même, goût de se faire imposer par des autorités extérieures les réformes que nous n'avons pas le courage de promouvoir nous-mêmes. " Nous en sommes là.
Et pour sortir de cette ornière du conformisme et de la faiblesse, notre peuple doit retrouver la légitime confiance nécessaire pour préparer son avenir. Je l'invite à la puiser dans la République.
L'horizon de l'Europe n'a jamais effrayé les Républicains, dans notre histoire ; Les valeurs de la citoyenneté, de la laïcité, le primat de l'intérêt général parlent à tous les peuples de l'Europe. Croyez-vous que ce message ne serait pas utile, en Europe même ? Le message de la citoyenneté adressé aux peuples déchirés par les rivalités ethniques et confessionnelles, le message de la laïcité destinés aux peuples divisés par la furie des clivages religieux et de l'intolérance, le message du dialogue des cultures au moment où beaucoup voudraient creuser un fossé entre le Nord et le Sud ? Et bien souvent, cette voix, la voix de la France, est attendue. Je vous propose de la faire entendre à nouveau, dans le respect de tous nos partenaires européens.
Lorsqu'il s'agit de faire prévaloir des principes constitutifs de la République, tels la constitution de services publics et d'opérateurs publics garants du long terme, la France doit naturellement se faire respecter. Républicaniser l'Europe est une perspective digne de nous. Dans la mondialisation libérale, nos pays d'Europe disposent d'un atout : la volonté populaire. Au lieu de l'étouffer, la République française cherchera à éveiller la démocratie comme moteur de nos projets communs.
Il faut inventer l'alliance entre la République et l'Europe : elle est difficile, elle demande de l'intelligence et du courage. Je la crois à la portée de notre peuple, et j'entends m'y consacrer sans réserve. Voilà pourquoi je serai un Euro-ambitieux.
On a opposé souvent le général de Gaulle et Pierre Mendès France. Et si, dans l'épreuve, la solidarité fut sans faille, pour relever la République abandonnée par Vichy, eh bien, la Libération venue, deux caractères, deux conceptions du politique se sont parfois affrontés. Mais au coeur du débat, il y avait toujours la conception exigeante de l'intérêt général et le souci de la démocratie.
Quand le système était bloqué, refusait toute réforme, se complaisait dans ses ornières, le général de Gaulle en appelait directement au peuple pour lever les verrous. C'était la pratique du referendum. Pierre Mendès France s'adressait à ses concitoyens, à leur intelligence, les prenait à témoin des difficultés du pays et gagnait leur confiance. C'étaient deux grands Républicains.
C'est le message de Mendès qui appela mon premier engagement politique : " Décidez dès aujourd'hui de peser de toutes vos forces sur la destinée nationale ! ", sans doute vous souvenez-vous de ce message à la jeunesse. J'étais séduit par son discours de vérité, sa méthode rigoureuse, la clarté de sa démarche, la manière dont il s'adressait aux citoyens. C'était un homme d'Etat en rupture évidente avec le système finissant de la IVème. Bref j'étais mendésiste et je poussai même la porte du Parti radical, mais l'élan de PMF n'était pas parvenu au fond de nos provinces...
Je veux réapprendre aux Français à faire de la politique dignement, ce dont on les a déshabitués en les enfermant dans un clivage qui aujourd'hui ne signifie plus rien. La gauche et la droite existent depuis deux siècles et ne vont pas disparaître mais leur contenu, en lui-même évolutif, est aujourd'hui privé de signification. Les uns et les autres se succèdent pour mener, sur l'essentiel la même politique. Il faut sortir du système du pareil au même pour reprendre le chemin d'une démocratie inventive, capable de trouver des solutions en avant aux problèmes qui nous assaillent. Et pour cela il n'y a pas de guide plus sûr que l'idée républicaine.
Depuis ses racines, l'Ecole, jusqu'à ses rameaux les plus élancés, l'Europe et les règles nouvelles qu'il faut fixer à la mondialisation, la République a un bel avenir devant elle.
Je me réjouis donc de retrouver auprès de moi Henri Caillavet, ancien ministre de Mendès, qui nous a adressé un message amical, Claude Nicolet qui dirigea les Cahiers de la République, et aussi Emile Zuccarelli, qui n'a jamais abdiqué devant la violence et a tenu bon quand il le fallait, au risque d'être écarté du gouvernement pour n'avoir pas varié dans ses convictions, Nicolas Alfonsi, courageux et volontaire que les grands électeurs de Corse ont élu parce qu'il avait su dire " non ! " aux accords de Matignon, nos amis parlementaires du PRG, les responsables du Parti radical autour de Michel Dary, Michel Scarbonchi et Alexandre Dorna, et du Parti radical valoisien, avec Guy Benhamou, unis dans cette campagne présidentielle, pour aller à l'essentiel.
Nous sommes finalement, devant une tâche historique qui ne manque pas de points de comparaisons avec celle des grands pionniers de la République à la fin du XIXème siècle. Lorsqu'il fallut installer la République en ouvrant les temps nouveaux, il a fallu la construire sur des principes et batailler ferme contre tous les opportunistes. Aujourd'hui, il faut la relever. Et votre colloque a montré que nous le ferions aussi autour de principes clairs, défendus avec ardeur et passion par de vrais Républicains
(source http://www.chevenement2002.net, le 12 février 2002)
Chacune et chacun d'entre vous l'a profondément ressenti au cours de cette journée : ce qui nous réunit, au-delà de nos diversités, c'est un attachement profond et commun à la République.
Le défi que nous lance le risque d'éclatement de la République a été très bien mis en lumière par les intervenants, qu'ils soient universitaires, chercheurs ou responsables politiques, confrontés à cette dure réalité.
La déconstruction républicaine, au cours des vingt dernières années, a exercé des ravages : d'abord à l'école, mais aussi dans la vie publique où la perte des repères, l'affaissement de l'autorité de la loi dissolvent le lien social. La citoyenneté est perdue de vue quand ce qui fait sa force, la volonté populaire, s'agenouille devant la puissance de l'Argent, fût-elle déguisée en expertocratie, quand un pseudo-multiculturalisme privilégie le culte de la différence sur l'amour de l'égalité.
Lionel Jospin ou Jacques Chirac, leurs amis innombrables, rappellent à tout bout de champ que " personne n'a le monopole de la République ". Mais pour le démontrer, il n'est que de donner l'exemple ! Que Jacques Chirac garantisse l'indépendance de la justice au lieu de la démembrer en déliant chaque parquet de tout rapport avec les autorités légitimes de l'Etat. Que Lionel Jospin garantisse l'égalité de tous les citoyens devant la loi, plutôt que de la détruire, en permettant à des assemblées locales de la modifier à leur guise sous l'éternel prétexte de vouloir lutter contre l'uniformité, refrain qu'on retrouve depuis deux siècles chez tous les contempteurs de la Révolution française. Entre l'exigence de juin 1997 " En tous domaines, faire retour à la République ", et la pratique du gouvernement Jospin : fuir de mille façons, au nom d'un sacro-saint " équilibre ", l'exigence républicaine. L'affaire corse est évidemment emblématique. L'or a été transmuté en plomb ! Non, personne n'a le monopole de la République. Mais la République, comme a coutume de le rappeler Claude Nicolet, c'est le parti de ceux qui prennent au sérieux ses principes. Disons que ce parti n'est pas aujourd'hui bien nombreux dans nos élites. Mais le peuple, dans ses profondeurs, reste, lui, républicain.
Et c'est cette sensibilité égalitaire et républicaine qui vit chez les radicaux de bonne souche, parce que votre histoire, votre tradition politique s'ancrent profondément, depuis les pères fondateurs, dans les principes républicains, eux-même incarnation des idées des Lumières. Se situer dans le sillage de Gambetta ou de Clemenceau, c'est évidemment se refuser aux petites facilités à la mode, qui inventent des Républiques plurielles, des Républiques sexuées, des Républiques communautarisées, pour mieux faire oublier que sous le flot des épithètes, c'est la République elle-même qui étouffe.
Ce que Clémenceau disait de l'opportunisme triomphant au sein de la gauche à la fin du XIXème siècle s'applique mot pour mot à la dérive post-républicaine de la gauche installée d'aujourd'hui. La droite et la gauche ne cesseront pas d'exister mais leurs définitions actuelles sont obsolètes. Et c'est cela qu'il faut renouveler à partir de l'idée républicaine toujours actuelle et même plus moderne que jamais.
Relever ce défi, c'est d'abord placer la République sur ses bases, et c'est refonder l'Ecole
C'est en second lieu, répondre à de nouveaux défis, et inventer avec audace les moyens de bâtir une Europe des projets, une Europe des peuples, dont la démocratie sera l'oxygène.
Dans l'enfance, l'Ecole, comme dans les défis à venir, l'Europe, la République doit guider nos pas.
I - Refonder l'Ecole
L'Ecole sera au coeur de la campagne présidentielle française, comme elle a été -peu le savent- au centre de l'élection américaine, du fait d'un délabrement effrayant du système scolaire aux Etats-Unis.
Nous n'en sommes certes pas là, mais la crise de l'éducation que nous connaissons, liée à l'excessive permissivité qui s'est emparée de l'Ecole, réduit comme peau de chagrin l'égalité des chances des enfants de famille modeste. Dès lors qu'il n'y a plus de principes, tout est permis et on récolte la délinquance.
On ne transmet que les valeurs auxquelles on croit. Entre la République et son Ecole, le pacte est à réinventer. Pour le faire, j'invite à recentrer l'Ecole sur sa mission première, qui est la transmission du savoir et des valeurs, et la garantie de l'autorité qui la rend possible, celle du maître, magister et non pas dominus.
Il est temps de mettre un terme à des dérives, parfois pavées de bonnes intentions. On voulait ouvrir l'Ecole sur la vie, mais c'est la société, avec ses inégalités, ses injustices et sa violence, qui sont entrées dans l'Ecole. On a voulu placer l'enfant au centre de l'Ecole, en oubliant que c'est la transmission du savoir qui doit être centrale.
La bougite, la réformite perpétuelles ont créé l'instabilité, brisé les repères par de constants remaniements des programmes et des cursus. Il est temps au contraire de garantir l'apprentissage des connaissances élémentaires par tous les élèves en primaire, à commencer par la langue française, outil incomparable de l'intégration sociale et politique. Plus la société est éclatée, plus l'Ecole de la République doit affermir son unité, chance de l'égalité.
L'apprentissage facultatif des langues régionales n'est pas une mauvaise chose, mais à condition que soit correctement maîtrisée la langue commune, qui permet à tous les citoyens de se comprendre, qui permet à la communauté des citoyens de mener le débat public commun. Il n'est pas souhaitable de compliquer la tâche de nombreux élèves, dont beaucoup maîtrisent déjà mal le français.
Donner aux élèves le sens de l'effort est le meilleur soutien que nous puissions leur apporter pour leur réussite. Il faut rendre hommage aux enseignants qui, à contre-courant des modes dominantes, du culte de l'argent, de l'arrogance de l'égoïsme, du chacun pour soi, font valoir les valeurs du travail bien fait, le goût de l'effort, la joie de comprendre, la fierté de s'élever.
Relever le défi d'une Marianne éclatée, c'est à mes yeux d'abord fixer ses missions à l'Ecole de la République. Ce projet est complètement moderne, parce qu'il prépare nos enfants à la vie professionnelle, au lieu de prolonger trop longtemps le séjour dans le youpala.
Adapter étroitement l'Ecole au monde du travail serait une erreur, parce que les mutations techniques incessantes exigent en premier lieu une bonne formation générale. L'ouverture de l'Ecole sur l'économie n'est pas son asservissement au monde des marchands, mais la préparation de futurs citoyens dotés de libre-arbitre, capables de s'orienter dans un monde complexe. Le but de la société politique, ce n'est pas de prolonger le RMI jusqu'à 25 ans ! C'est de faire des égaux ; c'est de faire des citoyens libres ! L'idée d'un capital-formation donné à chacun tout au long de la vie, sous un vernis de générosité, procède d'une conception erronée : sans une bonne formation initiale, il est très difficile de bénéficier de la formation permanente. L'Ecole doit donc se trouver au premier rang de la lutte contre les inégalités sociales, pour compenser le déficit dont souffrent les enfants des couches modestes, des familles issues de l'immigration. Dans les quartiers populaires, l'accès à l'école maternelle dès l'âge de deux ans doit être un objectif.
La formation à la citoyenneté doit être la deuxième grande mission de l'Ecole. Seule l'instruction donne au citoyen les moyens de se forger un jugement éclairé et de ne pas se dessaisir de son pouvoir de décision au profit des experts... ou des démagogues.
L'école demeure le meilleur moyen d'intégrer pleinement à la collectivité nationale les enfants venus de l'immigration. A condition évidemment qu'ils soient incités à devenir partie prenante d'une société politique qui s'appelle la France, qui a connu ses ombres et ses lumières, mais qui mérite d'être aimée. La mode de la repentance et du masochisme national, trop largement répandue, freine et paralyse l'immense effort qui s'impose pour un égal accès à la citoyenneté de tous les jeunes, d'où qu'ils viennent. L'Ecole publique qui a reçu depuis plus d'un siècle des élèves venant de partout, de toutes les vagues de l'immigration, Italiens, Polonais, Portugais, Maghrébins, réussira encore demain à faire des citoyens libres et égaux, si ses missions sont clairement rappelées. Et en retour, ils rendront à la France au centuple ce qu'ils en ont reçu, en lui donnant les ingénieurs, les professeurs, les prix Nobel et les meilleurs artistes. L'Ecole doit redevenir le centre de la méritocratie républicaine. Je propose ainsi de retenir par la voie du concours des étudiants dont les études seront rémunérées sous réserve de servir l'Etat ou le service public durant dix ans. Quel plus bel ascenseur social, et quel apport neuf à la fonction publique et au service public !
J'y vois un outil précieux pour répondre au défi de l'éclatement de la République qu'à juste titre vous avez analysé tout au long de ce Colloque.
L'Ecole n'est pas une simple affaire de prestations de services, une marchandise susceptible d'être privatisée comme l'avance l'Organisation mondiale du commerce. Ecole et République ont bien sûr une histoire commune. Elles ont surtout un grand avenir commun !
C'est l'Ecole qui éduque à la liberté par la formation du citoyen ; ce que Langevin nommait l'élitisme républicain mérite d'être compris : la promotion de tous, et la sélection des meilleurs. Quel meilleur antidote à l'hérédité de caste qui quadrille notre société ?
La laïcité s'apprend à l'Ecole. Elle ne germe pas spontanément dans l'esprit. C'est une conquête de la raison que de protéger l'espace public commun des dogmes, que de distinguer une sphère publique d'une sphère privée. Ne jamais accepter qu'aucune communauté prétende dicter aux autres ses propres règles, s'exercer à rechercher l'Universel dans chaque culture, respecter la liberté de conscience et refuser qu'une loi particulière s'érige en règle générale sans que les citoyens en aient délibéré. La laïcité n'est pas la licence donnée à toutes les communautés de coloniser l'espace public ; elle défend et construit au contraire la liberté de penser de chaque citoyen en préservant l'espace public.
Mendès France : " gouverner c'est aussi former pédagogiquement le citoyen. "
Oui, chers Amis, j'ai placé l'Ecole, avec les valeurs de la République, au premier rang des tâches que je m'assigne. Parce que tout commencera par là. Là est le socle du réveil républicain dont la France a besoin.
Affermie sur ses bases, la République pourra alors affronter les défis de son avenir.
II - Le premier d'entre eux est à mes yeux la question européenne. Un Républicain convaincu doit être ambitieux pour l'Europe.
Les deux grands appareils de pouvoir se complaisent dans le jardin des formules creuses, des refus de choisir. On cultive au PS "la Fédération d'Etats nations" et au RPR, la même "Fédération d'Etats nations", en choisissant ensemble Giscard pour éclairer l'avenir. Les Républicains doivent mettre fin à ce théâtre d'ombres, et prendre l'affaire européenne en mains.
Je veux vider devant vous cette querelle. Ce qui pose problème à mes yeux, dans le processus actuel, c'est exactement ce qui posait problème aux yeux de Pierre Mendès France quand il s'interrogeait, en 1957, sur le Traité de Rome. La grande affaire, c'est la démocratie.
Relisons Mendès France : " L'abdication d'une démocratie peut prendre deux formes : soit le recours à une dictature par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique. Car au nom d'une saine économie, on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement " une politique " au sens le plus large du mot. " Et pour Mendès, cette abdication du citoyen était inconcevable.
Quarante-cinq ans après, j'entends placer également la démocratie au cur du processus européen. La construction européenne a besoin de profondes réformes pour rétablir le lien de confiance aujourd'hui brisé avec les peuples.
Loin de moi l'idée de récuser en bloc les institutions, les traités, les acquis. Bien entendu la France tiendra sa parole et respectera ses engagements.
Mais en tous domaines j'entends proposer au nom de la France les changements que les peuples attendent pour que la construction européenne se conforme à l'exigence démocratique
D'abord dans le domaine institutionnel. C'est par le Conseil, représentant légitime des gouvernements que les peuples se sont donnés, que les citoyens européens peuvent d'abord se faire entendre. Je proposerai donc en premier lieu d'organiser la publicité des débats et des votes au Conseil.
Nous en finirons ainsi avec l'irresponsabilité posée en dogme, qui pousse les dirigeants à imputer à une décision anonyme ce qui relève pourtant de leur propre décision. La publicité des débats et des votes ouvrira la fenêtre d'un espace public européen à construire, - notion chère à Habermas - où tous les citoyens de l'Union seront informés des enjeux, des débats qui deviendront dès lors les débats communs aux Européens.
La méthode Monnet, qui n'avait pas que du mauvais, a confié à la Commission le monopole de l'initiative, en la chargeant de définir un " intérêt général européen ". Bien des antagonismes ont pu être ainsi surmontés. Mais aujourd'hui, cette méthode a perdu de sa force propulsive, comme le souligne d'ailleurs M. Joschka Fischer. Ce n'est plus en tenant en lisière les Etats-nations que l'Europe avancera. C'est pourquoi le droit d'initiative et de proposition doit être à mes yeux étendu au Conseil. Car c'est par lui que les peuples, et la démocratie, feront irruption dans la construction européenne. Mais je ne révoque nullement en doute l'idée qu'il puisse exister " un intérêt général européen ".
De la même manière, au Parlement européen, une seconde Chambre représentant les Parlements nationaux serait en mesure de rétablir le lien nécessaire avec la volonté politique organisée dans chaque nation. C'est ce que propose à juste titre Tony Blair.
En tous domaines, les peuples doivent se faire entendre. C'est un mauvais service rendu à l'Europe que de vouloir l'opposer aux nations. Je veux une Europe ambitieuse, une Europe de projets qui complète l'action des Etats au lieu de s'y substituer. Parce que le coeur de toute démarche c'est la démocratie.
Etre euro-ambitieux, c'est refonder l'Europe sur les projets. La méthode que j'aurai à proposer est celle des coopérations renforcées. Assouplies utilement, bien qu'insuffisamment à Nice, les coopérations renforcées prendront le relais des intégrations épuisées. Je rappelle qu'elles permettent d'associer plusieurs Etats de l'Union sans forcément les réunir tous, pour mener à bien des projets d'intérêt commun. Jacques Delors avait souligné le risque d'éclatement de l'Union en cas de multiplication de ces coopérations renforcées. A cette crainte, il est un bon remède : toute coopération renforcée de quelque importance devra à mes yeux unir la France et l'Allemagne et les pays volontaires. La stabilité politique ne sera pas mise en cause.
Je proposerai à nos partenaires plusieurs axes de coopération renforcée : les transports ferroviaires rapides au Nord de l'Europe, la coopération en Méditerranée et vers l'Afrique, le partenariat avec la Russie, l'énergie et la sûreté des centrales nucléaires, la recherche, le rattrapage du retard technologique que nous avons pris sur les Etats-Unis depuis vingt ans, la politique aéronautique et spatiale.
La préparation de la Conférence intergouvernementale de 2004, les travaux préparatoires de la Convention mobiliseront notre attention. Comme je l'ai indiqué, les résultats de la C.I.G., dès lors qu'ils porteront sur l'organisation des pouvoirs publics en Europe seront soumis à un référendum.
Mais très vite, l'Union européenne devra prendre sa part de l'engagement mondial contre la récession.
Les contraintes anciennes du pacte de stabilité relèvent d'une période aujourd'hui révolue. L'Allemagne comme le Portugal en supportent à présent la rigueur. Mais tous les Etats membres peuvent être amenés à en souffrir. C'est dire que la France ne manquera pas de soutiens pour lever ce verrou, butte-témoin du monétarisme de la fin des années 80. L'Europe a besoin d'une politique d'argent à bon marché. L'investissement, la recherche, l'innovation, ont besoin d'être encouragés.
La réforme souhaitable de la politique de la concurrence laissant aux Etats le soin d'arbitrer les fusions purement nationales, et confiant à la Commission les autres fusions-acquisitions, en mesurant l'impact sur le marché communautaire, sera de nature à mieux servir les intérêts européens, et à ne pas faire de l'Europe l'otage d'une politique de la concurrence inadaptée.
Pour participer à la politique de relance des Etats-Unis, l'Europe pourra lancer un programme d'investissement de grande envergure ; et si l'on veut répondre à l'ampleur de l'action américaine, ce programme devrait atteindre 1 % du PIB européen, soit 90 milliards pour l'Union et 65 pour la zone Euro. Un emprunt multi-émetteurs marquerait la solidarité financière des Etats, principe que le traité de Maastricht avait malheureusement récusé.
La France, sous mon initiative, se rapprochera de ses partenaires de la zone Euro, en vue d'obtenir deux réformes :
La première vise à modifier les statuts de la B.C.E. afin d'inscrire dans ses statuts, non seulement la lutte contre l'inflation, mais la recherche d'un haut niveau d'activité et d'emploi. L'Euro doit servir la croissance. La monnaie européenne doit être au service de l'emploi en Europe.
La seconde réforme visera, corollairement, à confier au Conseil, et en son sein au Conseil Eurogroupe, le soin du pilotage des politiques économiques, qui ne saurait être confié à une Banque centrale privée de légitimité démocratique. Là encore, ma boussole sera la démocratie. Pierre Mendès France, en 1957, mettait en garde contre quelques travers français : " méfiance en soi, impuissance à se réformer soi-même, goût de se faire imposer par des autorités extérieures les réformes que nous n'avons pas le courage de promouvoir nous-mêmes. " Nous en sommes là.
Et pour sortir de cette ornière du conformisme et de la faiblesse, notre peuple doit retrouver la légitime confiance nécessaire pour préparer son avenir. Je l'invite à la puiser dans la République.
L'horizon de l'Europe n'a jamais effrayé les Républicains, dans notre histoire ; Les valeurs de la citoyenneté, de la laïcité, le primat de l'intérêt général parlent à tous les peuples de l'Europe. Croyez-vous que ce message ne serait pas utile, en Europe même ? Le message de la citoyenneté adressé aux peuples déchirés par les rivalités ethniques et confessionnelles, le message de la laïcité destinés aux peuples divisés par la furie des clivages religieux et de l'intolérance, le message du dialogue des cultures au moment où beaucoup voudraient creuser un fossé entre le Nord et le Sud ? Et bien souvent, cette voix, la voix de la France, est attendue. Je vous propose de la faire entendre à nouveau, dans le respect de tous nos partenaires européens.
Lorsqu'il s'agit de faire prévaloir des principes constitutifs de la République, tels la constitution de services publics et d'opérateurs publics garants du long terme, la France doit naturellement se faire respecter. Républicaniser l'Europe est une perspective digne de nous. Dans la mondialisation libérale, nos pays d'Europe disposent d'un atout : la volonté populaire. Au lieu de l'étouffer, la République française cherchera à éveiller la démocratie comme moteur de nos projets communs.
Il faut inventer l'alliance entre la République et l'Europe : elle est difficile, elle demande de l'intelligence et du courage. Je la crois à la portée de notre peuple, et j'entends m'y consacrer sans réserve. Voilà pourquoi je serai un Euro-ambitieux.
On a opposé souvent le général de Gaulle et Pierre Mendès France. Et si, dans l'épreuve, la solidarité fut sans faille, pour relever la République abandonnée par Vichy, eh bien, la Libération venue, deux caractères, deux conceptions du politique se sont parfois affrontés. Mais au coeur du débat, il y avait toujours la conception exigeante de l'intérêt général et le souci de la démocratie.
Quand le système était bloqué, refusait toute réforme, se complaisait dans ses ornières, le général de Gaulle en appelait directement au peuple pour lever les verrous. C'était la pratique du referendum. Pierre Mendès France s'adressait à ses concitoyens, à leur intelligence, les prenait à témoin des difficultés du pays et gagnait leur confiance. C'étaient deux grands Républicains.
C'est le message de Mendès qui appela mon premier engagement politique : " Décidez dès aujourd'hui de peser de toutes vos forces sur la destinée nationale ! ", sans doute vous souvenez-vous de ce message à la jeunesse. J'étais séduit par son discours de vérité, sa méthode rigoureuse, la clarté de sa démarche, la manière dont il s'adressait aux citoyens. C'était un homme d'Etat en rupture évidente avec le système finissant de la IVème. Bref j'étais mendésiste et je poussai même la porte du Parti radical, mais l'élan de PMF n'était pas parvenu au fond de nos provinces...
Je veux réapprendre aux Français à faire de la politique dignement, ce dont on les a déshabitués en les enfermant dans un clivage qui aujourd'hui ne signifie plus rien. La gauche et la droite existent depuis deux siècles et ne vont pas disparaître mais leur contenu, en lui-même évolutif, est aujourd'hui privé de signification. Les uns et les autres se succèdent pour mener, sur l'essentiel la même politique. Il faut sortir du système du pareil au même pour reprendre le chemin d'une démocratie inventive, capable de trouver des solutions en avant aux problèmes qui nous assaillent. Et pour cela il n'y a pas de guide plus sûr que l'idée républicaine.
Depuis ses racines, l'Ecole, jusqu'à ses rameaux les plus élancés, l'Europe et les règles nouvelles qu'il faut fixer à la mondialisation, la République a un bel avenir devant elle.
Je me réjouis donc de retrouver auprès de moi Henri Caillavet, ancien ministre de Mendès, qui nous a adressé un message amical, Claude Nicolet qui dirigea les Cahiers de la République, et aussi Emile Zuccarelli, qui n'a jamais abdiqué devant la violence et a tenu bon quand il le fallait, au risque d'être écarté du gouvernement pour n'avoir pas varié dans ses convictions, Nicolas Alfonsi, courageux et volontaire que les grands électeurs de Corse ont élu parce qu'il avait su dire " non ! " aux accords de Matignon, nos amis parlementaires du PRG, les responsables du Parti radical autour de Michel Dary, Michel Scarbonchi et Alexandre Dorna, et du Parti radical valoisien, avec Guy Benhamou, unis dans cette campagne présidentielle, pour aller à l'essentiel.
Nous sommes finalement, devant une tâche historique qui ne manque pas de points de comparaisons avec celle des grands pionniers de la République à la fin du XIXème siècle. Lorsqu'il fallut installer la République en ouvrant les temps nouveaux, il a fallu la construire sur des principes et batailler ferme contre tous les opportunistes. Aujourd'hui, il faut la relever. Et votre colloque a montré que nous le ferions aussi autour de principes clairs, défendus avec ardeur et passion par de vrais Républicains
(source http://www.chevenement2002.net, le 12 février 2002)