Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, sur ses engagements en matière de politique de sécurité, Paris le 11 février 2002.

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Texte intégral

Je traiterai aujourd'hui d'un sujet qui est devenu obsessionnel pour la société française, à la fois conséquence et élément aggravant d'une société qui se défait.
ON N'A PAS LE DROIT
On n'a pas le droit d'abandonner une société tout entière à l'obsession de l'insécurité. Si l'on s'y résigne, comme depuis des années, c'est de la non-assistance à personne en danger, de la non-assistance à société à l'abandon.
L'impression d'une menace permanente, dans les lieux publics, à son domicile, dans les transports en commun est destructrice. On ne regarde plus de la même manière l'inconnu sur le palier, ou le jeune que l'on croise. La peur est mauvaise conseillère. On se barricade, on vit dans de nombreuses cités portes et volets clos, été comme hiver, comme c'est le cas aujourd'hui lorsqu'on habite le rez-de-chaussée ou les étages inférieurs d'une cité.
Je veux une France où l'on puisse sortir en sécurité, même lorsqu'on est une jeune fille ou une dame âgée. Je veux une France où l'on puisse voyager dans un train de banlieue la nuit tombée, sans crainte, sans frissons. Je veux que l'on puisse entrer et sortir d'un immeuble sans avoir à affronter la présence de chiens d'attaques postés à son entrée.
La sécurité est le premier droit des citoyens, le premier devoir de l'État à leur égard. C'est ce droit qui leur est aujourd'hui refusé, et d'abord aux plus démunis.
Tout cela fit l'objet des promesses les plus martiales de Lionel Jospin lorsqu'il fut nommé premier ministre en juin 1997. On a vu ce qui restait de ces promesses.
CHANGER DE POLITIQUE
L'échec à assurer la sécurité des Français est l'échec politique majeur de la période récente. Le gouvernement socialiste a porté cet échec à son comble. Mais je veux le dire clairement : aucun gouvernement, depuis vingt ans, n'a réussi à endiguer ce fléau. Tous ont multiplié les promesses. Mais la progression de l'insécurité ne s'est jamais interrompue.
Il faut le dire pour prendre la mesure de l'échec, et affirmer, comme il convient : " aux grands maux, les grands remèdes ".
La dimension de ce mal, tous les Français l'ont à l'esprit. Mais il convient de rappeler quelques données : en 2001, record historique, on a répertorié officiellement près de 4 millions de crimes et de délits, en augmentation de 8 % par rapport à l'année précédente. 8 % d'augmentation, cela signifie une augmentation d'une année sur l'autre de 1000 crimes ou délits supplémentaires par jour sur l'ensemble de la France !
Mais tout le monde le sait : ces chiffres sont très loin de la réalité. Car ils ne prennent en compte que les plaintes officiellement déposées. Combien d'insultes, de bousculades, de petits vols, de menaces, ne donnent pas lieu à plainte, mais exaspèrent le sentiment d'insécurité ! Les études les plus modérées indiquent que ce sont au moins 8 à 10 millions d'agressions qui constituent la réalité de la délinquance aujourd'hui.
Les auteurs de ces agressions ont changé de profil : ils sont de plus en plus jeunes, de plus en plus violents, et de plus en plus impunis.
De plus en plus jeunes : il n'est pas rare que l'on rencontre des multi-récidivistes entre 10 et 13 ans. De plus en plus violents, de mieux en mieux organisés : la violence en bande marque la délinquance. De plus en plus impunis : les responsables n'ont à la bouche que les mots : "tolérance zéro". En réalité, l'impunité atteint et dépasse 95 % !
Si l'on ne prend en compte que les plaintes déposées (moins de la moitié des agressions de toute nature), à peine 20 % sont élucidés, le juge ne prononce de condamnation que pour la moitié d'entre eux, et la moitié encore n'effectue pas la peine prononcée.
C'est bien d'une impunité supérieure à 95 % qu'il s'agit ! Statistiquement, il faut commettre une vingtaine de vols par effraction ou de vols à la tire avant de risquer une peine !
Rien ne peut être corrigé de façon sérieuse tant que 95 % des délits demeureront impunis.
CERNER LA DÉLINQUANCE
Et d'abord commencer en l'appelant par son nom : ce que l'on nomme pudiquement "incivilités", agressions verbales, menaces, insultes, gestes insultants, à l'école, comme dans la rue, ce sont des délits, définis et caractérisés par le code pénal.
Simplement, le code n'est pas appliqué, par la faute de procédures trop lourdes, de textes ou de sanctions mal adaptées.
Pourtant, sanctionner tôt, dès le premier délit, ce serait dans bien des cas la meilleure prévention.
Il est donc absurde de séparer prévention et sanction, encore plus absurde de les opposer, comme on continue trop souvent à le faire.
Ma ligne est donc celle-ci : " sanction sans faille, prévention sans faille ".
LA PRÉVENTION COMMENCE PAR LA FAMILLE
Dans la plupart des cas de récidive chez de jeunes enfants, on constate que les parents ont lâché prise, et s'avouent incapables de " les tenir ". " On ne sait plus quoi faire ".
Dans d'autres cas même, la démission confine à l'abandon de toute responsabilité, à l'indifférence et parfois à la complicité.
L'action sur la famille est nécessaire.
Elle peut être de deux ordres : s'il y a abandon ou complicité avérée, les parents doivent pouvoir être mis en cause, par exemple par la mise sous tutelle des allocations familiales - de manière à ce qu'elles servent effectivement à ce qui doit être leur but c'est-à-dire la vie de l'enfant -, voire dans certains cas par l'application de la notion de complicité, lorsqu'il y a consentement.
Pour ceux qui baissent les bras, par usure ou difficultés diverses, un soutien par l'intermédiaire d'une " école des parents " sous forme associative, permettant à ceux-ci de se ressourcer dans leur responsabilité, et de mieux les appréhender. On ne peut pas plus abandonner les parents qu'on ne peut abandonner les enfants.
LA PRÉVENTION À L'ÉCOLE
L'éducation civique ne suffit pas.
Il faut faire un pas de plus. Il faut enseigner la loi et ses bases. En faire une discipline du collège. Pour des enfants qui manquent de " repères ", apprendre clairement et simplement ce qui est permis et ce qui interdit, ce qui est puni par le code, et quelles sont les peines encourues.
Ainsi, on échappe à la difficulté de définir ce qui est bien et mal, qui est souvent taxé de subjectivité et donne lieu à des débats raisonneurs sans fin. Le code, le permis, l'interdit, les sanctions encourues, cela est objectif et indiscutable. Cette éducation à la loi est une forme efficace de prévention.
LUTTER CONTRE L'ILLETTRISME
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la lutte contre l'illettrisme est un bon moyen de lutte contre la délinquance.
La délinquance est trois à quatre fois plus importante parmi les jeunes illettrés que parmi leurs camarades du même âge !
Je rappelle donc l'engagement que j'ai formulé : plus d'enfants entrant en sixième sans savoir lire, et concentration de moyens spéciaux sur les enfants dont on sait, dès sept ou huit ans, qu'ils n'acquerront pas la lecture !
RÉÉCRIRE L'ORDONNANCE DE 1945
L'ordonnance de 45, souvent révisée, comporte beaucoup de bonnes choses et rend possible en théorie bien des actions.
Mais elle souffre de deux inconvénients : les normes d'âge qu'elle a retenues ne correspondent plus aux temps que nous vivons. 18 ans, 16 ans, 13 ans, les trois seuils de la responsabilité pénale, n'ont plus, en 2002, le sens qu'ils avaient après la guerre ou dans les années 1950 et 1960.
D'autre part, écrite dans une perspective de " priorité à la prévention ", elle rend très difficiles les sanctions immédiates qui apparaissent désormais nécessaires dans bien des cas et qui sont un élément efficient de la prévention.
Il faut donc la réécrire dans une perspective nouvelle, rendant prévention et sanction simultanées et immédiatement applicables. Car c'est souvent dans l'instant qu'il convient d'agir si l'on veut une réponse immédiate aux délinquants les plus jeunes, notamment en termes de mesures d'éloignement.
DE VRAIS MOYENS D'ÉLOIGNEMENT ET D'ÉDUCATION RENFORCÉE
C'est devenu un lieu commun que de déplorer que quelques jeunes et parfois très jeunes, marginalisés, et conduisant des bandes " pourrissent " la vie de tout un quartier.
On dit parfois qu'ils sont moins de 1 %. Mais pour la plupart d'entre eux, on n'a aucune réponse.
Policiers et juges s'accordent pour dire qu'il faudrait pouvoir les éloigner sans retard du milieu dans lequel ils dérivent et qu'ils menacent.
Mais les institutions capables de les accueillir, en milieu fermé s'il le faut, avec les éducateurs capables de les maîtriser et de leur rendre les repères qui leur manquent sont en nombre dramatiquement insuffisant.
Tel grand département de la région parisienne ne dispose, au dire même des magistrats, que de cinq places en tout et pour tout !
Il faut construire d'urgence les internats et les foyers d'éducation renforcée nécessaires.
Je chiffre à 10 000 (une centaine par département moyen) le nombre de places nécessaires dans ces institutions d'éducation renforcée.
La construction de ces 10 000 places fera l'objet d'un plan d'urgence, comme le recrutement des éducateurs solides, déjà formés, comme par exemple de jeunes officiers à la retraite, dont le profil conviendra à ces très jeunes dépourvus de tout repère. Cet effort n'a aucun précédent.
LA RÉPARATION SYSTÉMATIQUE
Dans tous les cas où l'éloignement n'est pas requis, il est une sanction qui devrait être immédiatement applicable, sans préjudice de peines prononcées ultérieurement : c'est la réparation du tort causé à autrui ou à la collectivité.
Or la réparation n'existe pas, ou n'existe que fort peu : les TIG, travaux d'intérêt général, ne sont que fort peu appliqués, faute de définition des travaux à accomplir, et faute de surveillants ou d'éducateurs pour en conduire la réalisation.
Cela est inacceptable. Un grand plan avec les collectivités locales, avec par exemple des artisans à la retraite, ou des pré-retraités expérimentés, doit garantir que cette réparation devienne effective et utilisable dans l'arsenal de la prévention-sanction.
DES PROCÉDURES ALLÉGÉES
Pour agir bien, face à cette primo-délinquance ou délinquance très juvénile, il faut agir vite.
Aujourd'hui, la justice est dramatiquement désarmée, par manque de moyens matériels et humains.
L'effet conjugué de l'augmentation exponentielle du nombre des procédures, de leur complexité croissante et des 35 heures, a produit un engorgement qui fait que les audiences ne peuvent plus être organisées.
Alléger le travail du juge, lui permettre de se concentrer sur l'essentiel, lui donner les moyens de son action, tout cela doit faire l'objet d'un plan d'urgence, négocié avec les magistrats et les auxiliaires de justice qui les entourent, dans un " Vendôme de la justice " qui s'ouvrira dès le lendemain des échéances électorales.
Je traiterai de ce sujet dans une prochaine intervention consacrée à la définition d'une politique nouvelle en matière de justice.
UNE REFONTE DE L'ACTION DES SERVICES DE SÉCURITÉ : LE MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ
Dans la guerre, on a l'habitude de dire que l'unité de commandement est une dimension essentielle de la victoire.
Aujourd'hui, dans la guerre contre l'insécurité, l'éclatement des services de l'État en matière de sécurité nuit à leur coordination.
Police, gendarmerie, douanes, dépendent de trois ministères différents.
Je mettrai en place un ministère de la sécurité qui aura autorité sur ces différents services, sans dénaturer leur statut particulier.
RESPONSABILITÉ DES ÉLUS LOCAUX SUR LA POLICE DE PROXIMITÉ
À toute action, il faut un responsable accessible et identifiable par le citoyen.
Ce responsable ne peut être qu'un élu local, à qui le citoyen demande des comptes et qui soit obligé de lui en rendre.
Je proposerai le changement de la loi pour que le maire, ou le président de l'intercommunalité, puisse avoir autorité sur la police de proximité. Personne n'ose le proposer aujourd'hui.
EN FINIR AVEC LES ZONES DE NON-DROIT
Il existe plusieurs centaines de quartiers (on cite des chiffres allant de 250 à 500) qui sont comme détachés du reste du pays et dans lesquels aucun représentant de l'action publique ne peut plus pénétrer ! Ni policiers, ni pompiers, ni ambulanciers, ni médecins du Samu ( !), ne peuvent intervenir sans être menacés de guet-apens ou de " caillassage ".
Cela est purement et simplement inadmissible ! Dans un pays comme la France, les services publics doivent avoir droit de cité dans toutes les cités !
Il faut entamer une véritable reconquête de ces quartiers.
Cette reconquête doit être rapide pour produire ses effets. Personne ne peut plus attendre
Aucun moyen ne doit être épargné. La vidéo-surveillance a donné des résultats remarquables là où elle a été appliquée ; le retour à des gardiens d'immeubles assermentés ayant le droit de dresser procès-verbal en cas de petits délits de voisinage ; la formation d'une unité de police urbaine spécialisée doit être envisagée. En tout cas, désormais, la présence sans crainte des représentants des services publics est requise dans les quartiers où son absence est un fait depuis des années !
UNE LOI POUR LE RENFORCEMENT DES DROITS DES VICTIMES
C'est toujours des victimes dont on s'occupe le moins !
Pour inverser cette fatalité, il faut leur permettre de se défendre en leur ouvrant l'aide judiciaire, en protégeant les plaignants contre des représailles, en instituant une indemnisation et une réparation rapides et efficaces.
Une loi pour la protection des victimes sera donc préparée et votée.
PEINES AGGRAVÉES POUR LES AGRESSIONS CONTRE DES AGENTS DU SERVICE PUBLIC
À juste titre, la loi prévoit une aggravation des peines à l'encontre des " personnes ayant autorité " lorsqu'elles commettent un crime ou un délit.
Symétriquement, il faut pouvoir envisager une aggravation des peines lorsqu'un délit est commis à l'encontre d'agents de service public, agents des forces de l'ordre, enseignants, personnels d'éducation, conducteurs de bus, gardiens d'immeubles, etc.
LES MOYENS NÉCESSAIRES
Je vais employer une phrase que je n'ai jamais utilisée, à propos d'aucun sujet : ça coûtera ce que ça coûtera !
Nous sommes arrivés à un tel degré d'urgence nationale et de menace sur notre tissu social que la question des moyens devient secondaire.
Il suffit de rappeler qu'on a su trouver une centaine de milliards pour les 35 heures. Avec cinq ou dix fois moins, on lancera un mouvement de ressaisissement national sur la sécurité.
CONTRE L'AMNISTIE
Il faut donner l'exemple. Je me suis toujours prononcé pour que la loi soit la même pour tous. De la même manière le signal donné à la société française, annonçant une amnistie régulière à l'occasion de l'élection présidentielle, est de nature à favoriser le laisser-aller et l'irresponsabilité. Je me prononce donc contre ce principe d'amnistie lié à l'élection présidentielle.
L'UNION NATIONALE
La gravité de ce sujet impose une démarche politique inédite.
Si les responsables politiques, du moins ceux qui partagent pour l'essentiel le diagnostic et la volonté d'agir sans faiblesse, en conjuguant prévention et sanction, ne s'unissent pas sur un tel sujet, le résultat ne pourra pas être acquis.
Les délinquants feront leur fortune des divergences des responsables.
Je propose donc sur un tel sujet une démarche d'union nationale.
Une fois élu, je m'engage à associer à la réflexion et à l'action la majorité aussi bien que l'opposition.
Il faut un électro-choc ! Cet électro-choc doit se traduire aussi dans le domaine politique. L'union nationale contre l'insécurité est le signe de la détermination nouvelle que les pouvoirs publics voudront consacrer à ce grave et inquiétant sujet.


(source http://www.bayrou.net, le 12 février 2002)