Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Tout d'abord, je salue la présence parmi nous de M. Stefano Rodota, représentant du gouvernement italien au sein de la Convention.
Je tiens ensuite à remercier le président Alain Barrau pour cette nouvelle initiative qui permet à la représentation nationale, mais aussi dans le cas présent à la société civile, de pouvoir débattre de ce qui sera incontestablement un élément très important de la prochaine présidence française de l'Union : l'adoption d'une Charte des droits fondamentaux.
Vous êtes réunis depuis le début de l'après-midi sur ce thème, et je sais que vous avez abordé un certain nombre de points dont certains constituent, pour les acteurs et les observateurs avertis que vous êtes, des difficultés. Je ne prétends pas ici vous faire la démonstration que la rédaction de cette Charte n'en pose aucune à nos yeux. Je ne vous livrerai pas non plus ce que pourrait être la vision idéale qu'aurait le gouvernement français de ce texte.
J'entends, en effet, respecter le travail de la Convention, menée de façon particulièrement intelligente et responsable par le président Herzog, dont je veux saluer l'action en cette occasion.
Néanmoins, je tiens à souligner devant vous quelques points qui paraissent particulièrement importants aux yeux du gouvernement, et qui définissent ainsi notre approche de ce que doit être la Charte des droits fondamentaux.
Comme vous le savez, c'est à Cologne, à l'initiative de la présidence allemande, que les chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze ont choisi de confier à une enceinte ad hoc, qui s'est elle-même dénommée "Convention", le soin de rédiger une Charte réunissant les droits fondamentaux, je cite, "afin d'ancrer leur importance exceptionnelle et leur portée de manière visible pour les citoyens de l'Union".
Les conclusions du Conseil européen de Cologne précisent par ailleurs la "feuille de route" - je préfère cette expression au terme "mandat" que certains utilisent - que doit suivre la Convention ; feuille de route qui insiste tout particulièrement sur les grandes lignes du contenu de cette Charte - ce que l'on désigne désormais couramment comme "les trois corbeilles" de ce texte, et sur lesquelles je reviendrai un peu plus tard.
A la suite du Conseil européen de Cologne, le Conseil de Tampere a défini la composition et les modalités de travail de la Convention. Je ne vous décrirai pas le détail - que vous connaissez mieux que moi encore - de la composition de la Convention, mais je veux insister sur le caractère radicalement nouveau de la démarche retenue. En effet, pour la première fois, est confié à une enceinte composée en majorité de parlementaires nationaux et européens, ainsi qu'à des personnalités représentants les chefs d'Etat et de gouvernement, le soin de rédiger un texte qui est appelé à être avalisé par le Parlement européen, la Commission et le Conseil européen. Cette expérience peut être appelée à être un grand succès et donc renouvelée, ou au contraire, aboutir à un échec et donc être écartée.
Cette volonté d'intégrer les parlementaires a été fortement soutenue par la France, car il nous paraissait indispensable, s'agissant des droits fondamentaux, de recourir à un processus qui associe au mieux les représentants des citoyens. C'est pour cette même raison que nous sommes également très satisfaits de la large consultation de l'ensemble des représentants de la société civile qui est faite, tant au niveau de la Convention - je crois savoir d'ailleurs que la Convention va y consacrer ces deux prochaines journées de travail, jeudi et vendredi prochain - qu'au niveau des différents Etats membres. Cet exemple de transparence est, je crois, à souligner, même si une telle démarche implique une gestion parfois complexe et surtout un travail considérable pour ceux qui participent à la Convention.
Mais surtout cette initiative montre, à l'heure où sont engagées des réformes fondamentales des Institutions de l'Union, dans le cadre de la Conférence intergouvernementale, que l'Union européenne sait aussi innover de façon pragmatique et concrète.
C'est en décembre dernier que la Convention a commencé ses travaux et elle aborde, depuis le début du mois d'avril, la dernière partie de sa mission - la plus délicate aussi, sans doute - en discutant des droits économiques et sociaux.
Dès le début, un certain nombre de grandes questions se sont posées : certaines relèvent de la compétence de la Convention, d'autres, tout aussi légitimes, ressortissent au contraire exclusivement à la compétence du Conseil européen. Je veux aborder devant vous les plus importantes de ces questions, sans prétendre être exhaustif.
En tout premier lieu, je veux évoquer la question qui a pu vous mobiliser cet après-midi encore et que je crois nécessaire de relativiser : la valeur de la Charte.
Vous le savez, les conclusions de Cologne sont particulièrement claires à ce sujet : le premier objectif fixé à la Convention est de rédiger un projet de Charte qui sera transmis au Conseil en vue de sa proclamation par les trois grandes Institutions de l'Union. Ce texte se veut donc avant tout un acte politique et je ne vois rien, à l'heure où chacun appelle de ses voeux une Europe plus politique, qui permette de dire qu'il s'agit là d'un pis-aller ou d'un manque d'ambition.
Bien au contraire, et je crois que ceux qui participent directement aux travaux de la Convention - je tiens à saluer bien entendu Guy Braibant, mais aussi nos parlementaires nationaux, François Loncle, Hubert Haenel, et leurs suppléantes, Mmes Marie-Madeleine Dieulangard et Nicole Ameline, ainsi que nos parlementaires européens, Pervenche Beres et Georges Berthu - ne me contrediront pas. Cet objectif représente déjà un énorme enjeu.
Mais surtout, il me paraît de bon sens de ne s'interroger sur une éventuelle valeur contraignante de cette Charte que lorsque nous connaîtrons le projet rédigé par la Convention. Plus ce texte sera percutant, fort, concis, lisible, plus la question de sa valeur juridique et de son éventuelle insertion dans les traités sera pertinente. Je crois donc qu'il est important sur ce point de ne pas inverser la logique et de ne pas se tromper de débat.
A ce titre, je tiens aussi à rappeler que conférer un caractère contraignant à ce texte poserait pour certains de nos partenaires des difficultés particulières. Je pense notamment au Danemark, pour lequel une telle option conduirait nécessairement à l'organisation d'un référendum. Pour d'autres, il y aurait sûrement des questions constitutionnelles qui se poseraient.
A titre personnel, je suis favorable à une intégration dans un second temps de la Charte dans les traités, mais j'attends d'en avoir la preuve.
En tout en état de cause, l'objectif pour nous est donc de disposer du meilleur texte possible lors du Conseil européen de Nice qui doit conclure notre présidence. Et je crois que l'urgence pour l'Union en ce domaine est avant tout politique.
Au demeurant, il me semble que la ligne choisie par le président Herzog est la bonne. Il a fait le choix de conduire les travaux de rédaction du projet de Charte comme si cette Charte devait être un jour contraignante. C'était sans doute la meilleure solution et je lui fais toute confiance pour parvenir à un résultat probant.
Une autre question, le plus souvent formulée sous forme critique, a également surgi dès le début des travaux de la Charte : le fait que le projet de Charte constituerait une sorte de "doublon" de la Convention européenne des Droits de l'Homme, risquant d'entraîner par là une confusion aux yeux des citoyens, voire de créer "une Europe des Droits de l'Homme à deux vitesses."
Là encore, je crois qu'il est nécessaire de mieux évaluer un tel risque. En termes de contenu tout d'abord, la Charte constituera un texte plus global que la Convention européenne des Droits de l'Homme, et je l'espère plus avancé, puisqu'elle doit non seulement contenir les droits civiques et politiques, tels qu'on peut les trouver dans la CEDH, mais aussi les droits inhérents à la citoyenneté européenne ainsi que les droits économiques et sociaux. Son contenu est donc plus large et un tel projet a tout à fait sa légitimité propre, ainsi que l'ont d'ailleurs eux-mêmes reconnu récemment les membres de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, dans leur résolution relative à la Charte.
S'agissant du risque de confusion ou même d'éventuelle concurrence entre la Cour de Luxembourg et celle de Strasbourg, il est certain que lorsque la Charte reprend des droits directement issus de la CEDH, elle doit veiller à une formulation la plus proche possible de celle-ci et de la jurisprudence de la Cour des Droits de l'Homme, afin d'assurer la plus grande sécurité juridique. Il faut qu'il y ait, chaque fois que c'est possible, identité des termes, sauf lorsque ces droits méritent d'être actualisés.
Autre élément qui doit permettre de réduire les inquiétudes, me semble-t-il, la Charte concernera d'abord les Institutions de l'Union, conformément aux conclusions de Cologne, et, de ce point de vue, les partisans des Droits de l'Homme que nous sommes tous ici ne peuvent que se réjouir, car cette initiative comble un vide, la Communauté en tant que telle n'étant pas justiciable - et nous souhaitons que cela demeure ainsi - de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Je tiens en effet à souligner qu'une adhésion à la Convention européenne des Droits de l'Homme n'est pas dans l'intention du gouvernement.
Enfin, soyons réalistes, la Cour de Justice des Communautés européennes a déjà la faculté de recourir, pour élaborer sa jurisprudence, aux principes contenus dans la CEDH. En effet, en vertu de l'article 6 paragraphe 2 du traité de l'Union, "l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales", et ce respect est assuré par l'intermédiaire de la CJCE.
Encore une fois, la Charte devrait, au contraire des craintes qui ont pu apparaître, aller dans le sens d'une plus grande sécurité juridique, puisque, d'une certaine façon elle donne une traduction précise de l'article 6.
Mais je veux maintenant en venir à ce qui est pour le gouvernement le plus important : le contenu de cette Charte.
Le but essentiel de ce projet, ainsi que le rappellent les conclusions de Cologne, est avant tout de montrer aux citoyens que l'Union européenne ne saurait se réduire à un grand marché, doté d'une monnaie unique. C'est pourquoi la Charte doit devenir un "référentiel de valeurs", soulignant que l'Union est avant tout une communauté de civilisation, régie par des principes communs et par les droits fondamentaux de la personne humaine.
C'est pourquoi les conclusions de Cologne ont défini trois "corbeilles" de droits que doit contenir ce texte. Je les cite :
1. Première corbeille : la liberté, l'égalité et "les droits de procédure tels que garantis par la CEDH et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes généraux du droit communautaire",
2. Deuxième corbeille : "les droits fondamentaux réservés aux citoyens de l'Union", comme le droit de vote aux élections municipales et européennes,
3. Enfin la troisième corbeille doit contenir "des droits économiques et sociaux tels qu'énoncés dans la Charte sociale européenne et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, dans la mesure où ils ne justifient pas uniquement des objectifs pour l'action de l'Union".
C'est bien entendu cette dernière "corbeille" des droits économiques et sociaux qui constitue le coeur de cette démarche, puisqu'elle souligne le caractère global du projet et qu'elle traduira la réalité du modèle social européen.
Il est vrai, ne nous le cachons pas, que les premiers débats ont montré que, sur ce point, les choses n'allaient pas de soi pour tous nos partenaires. Certains pays nordiques et nos amis Britanniques s'opposent à nous sur l'ampleur et la portée de ces droits. Ainsi, le droit de négocier et de conclure des conventions collectives, le droit de grève, mais aussi le droit à un salaire minimum - ou, du moins, l'insertion dans la Charte européenne de tels droits - ont pu être contestés par certains. Par ailleurs, au-delà d'une opposition de fond sur certains droits, la position de plusieurs Etats membres consiste à refuser l'inscription de droits qui ne constitueraient que des objectifs programmatiques et non des droits effectifs.
Je crois que sur ce point il faut avoir une lecture souple et volontariste de la "feuille de route" dessinée par les conclusions du Conseil européen de Cologne. Le droit à l'emploi ne saurait être évincé, au prétexte qu'il s'apparente plus à un objectif qu'à un droit effectif. Cette conception peut d'ailleurs être aisément contrée, si on se rappelle que l'ensemble des dispositifs mis en oeuvre depuis Amsterdam - lignes directrices pour l'emploi, pacte européen pour l'emploi... - ont donné corps à ce droit à l'emploi, qui ne constitue plus seulement un objectif, mais aussi un moyen d'action de l'Union européenne.
La France accorde une importance toute particulière à ces droits : pour nous, cet exercice n'a, en vérité, de sens que s'il comprend un volet substantiel en termes de droits économiques et sociaux. Il est effectivement clair que droits civils, droits politiques et droits économiques et sociaux sont interdépendants : la liberté d'association, de pensée, d'opinion, et la liberté syndicale, de manifestation ou de négociation sont ainsi intimement liées. Mais il faut également avoir à l'esprit que nous ne sommes pas seuls et qu'il convient d'établir un texte qui soit acceptable par l'ensemble des Etats membres.
De ce point de vue la France a une responsabilité particulière puisque c'est, vous le savez, sous notre Présidence que devra se conclure cette initiative.
Enfin, la question a également été soulevée de savoir si d'autres droits, dits nouveaux droits ou droits de 3éme génération, pouvaient être intégrés dans le projet de Charte : il s'agit notamment des droits relatifs à la protection de l'environnement, à la bioéthique ou encore à la transparence administrative. Ces questions sont importantes pour nos concitoyens, et le président Herzog semble lui-même favorable à leur intégration. Il est certain que c'est également à travers l'inscription de tels droits que la valeur ajoutée de cette charte se confirmera. Il me paraît donc important d'avoir une attitude ouverte face à ces propositions, à la condition expresse qu'aucun de ces droits ne constitue une création "ex nihilo". Un droit énoncé doit forcément se rattacher, soit à un texte communautaire (traité ou droit dérivé), soit à un texte international ratifié par les Quinze, soit encore à une tradition constitutionnelle partagée par tous les Etats membres.
Je veux enfin dissiper un dernier malentendu, concernant les bénéficiaires de cette Charte. Certains ont assuré que seuls les citoyens européens seraient concernés par ce texte. Ce n'est certainement pas notre tradition juridique, qui nous place au contraire parmi les pays les plus ouverts sur cette question. Pour nous, la Charte doit bien évidemment être destinée au plus grand nombre possible : les citoyens européens bien sûr, mais aussi les ressortissants des pays tiers résidant régulièrement dans les Etats de l'Union, voire dans certaines circonstances les ressortissants des Etats tiers en séjour irrégulier, notamment en ce qui concerne les droits de la première corbeille.
Mais je crois également - et je reprends là une idée du sénateur Fauchon - qu'il serait tout à fait judicieux que soit mentionné dans ce texte l'idée de "devoirs". La citoyenneté bien sûr, mais plus généralement l'appartenance à une société, exigent que chacun soit aussi conscient de ce que l'on attend de lui.
C'est sur ce dernier point que je voudrais conclure. Les événements autrichiens ont mis en exergue, de façon aiguë, l'absence d'un référentiel de valeurs suffisant au sein de l'Union et ont accentué la nécessité d'un exercice tel que celui de l'élaboration de la Charte.
En effet, la Charte, en détaillant les valeurs qui constituent le "contrat européen" - valeurs aujourd'hui énoncées de façon très générale par l'article 6, alinéa 1 du traité - pourrait permettre demain une application plus aisée de l'article 7 de ce même traité, qui prévoit la possibilité de suspendre les droits d'un Etat membre lorsqu'est constatée une violation grave et persistante des valeurs fondamentales. L'existence de la Charte faciliterait donc l'identification sans équivoque d'éventuelles violations de ces valeurs fondamentales, voire permettrait de mettre en garde contre de simples menaces de violation, si, comme cela semble envisagé, l'article 7, dans le cadre de l'actuelle CIG, est renforcé pour introduire une procédure d'"alerte précoce".
L'Union européenne n'est pas un vaste marché, auquel chacun participerait selon ses intérêts. Alors que nous célébrerons, le 9 mai prochain, les 50 ans de la déclaration de Robert Schuman, il me parait essentiel de rappeler que la construction européenne obéit avant tout à une exigence morale : asseoir définitivement, sur notre continent tant de fois meurtri, la paix, la démocratie, la liberté. Cinquante ans après, au moment où l'Europe rencontre à la fois de formidables succès, mais connaît aussi des interrogations sur son avenir, il est important qu'un texte fort rappelle ce que sont les valeurs essentielles sur lesquelles se fonde notre modèle européen. C'est en tout cas, pour moi, le sens premier que revêt la rédaction de la Charte des droits fondamentaux.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 2000)
Mesdames, Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Tout d'abord, je salue la présence parmi nous de M. Stefano Rodota, représentant du gouvernement italien au sein de la Convention.
Je tiens ensuite à remercier le président Alain Barrau pour cette nouvelle initiative qui permet à la représentation nationale, mais aussi dans le cas présent à la société civile, de pouvoir débattre de ce qui sera incontestablement un élément très important de la prochaine présidence française de l'Union : l'adoption d'une Charte des droits fondamentaux.
Vous êtes réunis depuis le début de l'après-midi sur ce thème, et je sais que vous avez abordé un certain nombre de points dont certains constituent, pour les acteurs et les observateurs avertis que vous êtes, des difficultés. Je ne prétends pas ici vous faire la démonstration que la rédaction de cette Charte n'en pose aucune à nos yeux. Je ne vous livrerai pas non plus ce que pourrait être la vision idéale qu'aurait le gouvernement français de ce texte.
J'entends, en effet, respecter le travail de la Convention, menée de façon particulièrement intelligente et responsable par le président Herzog, dont je veux saluer l'action en cette occasion.
Néanmoins, je tiens à souligner devant vous quelques points qui paraissent particulièrement importants aux yeux du gouvernement, et qui définissent ainsi notre approche de ce que doit être la Charte des droits fondamentaux.
Comme vous le savez, c'est à Cologne, à l'initiative de la présidence allemande, que les chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze ont choisi de confier à une enceinte ad hoc, qui s'est elle-même dénommée "Convention", le soin de rédiger une Charte réunissant les droits fondamentaux, je cite, "afin d'ancrer leur importance exceptionnelle et leur portée de manière visible pour les citoyens de l'Union".
Les conclusions du Conseil européen de Cologne précisent par ailleurs la "feuille de route" - je préfère cette expression au terme "mandat" que certains utilisent - que doit suivre la Convention ; feuille de route qui insiste tout particulièrement sur les grandes lignes du contenu de cette Charte - ce que l'on désigne désormais couramment comme "les trois corbeilles" de ce texte, et sur lesquelles je reviendrai un peu plus tard.
A la suite du Conseil européen de Cologne, le Conseil de Tampere a défini la composition et les modalités de travail de la Convention. Je ne vous décrirai pas le détail - que vous connaissez mieux que moi encore - de la composition de la Convention, mais je veux insister sur le caractère radicalement nouveau de la démarche retenue. En effet, pour la première fois, est confié à une enceinte composée en majorité de parlementaires nationaux et européens, ainsi qu'à des personnalités représentants les chefs d'Etat et de gouvernement, le soin de rédiger un texte qui est appelé à être avalisé par le Parlement européen, la Commission et le Conseil européen. Cette expérience peut être appelée à être un grand succès et donc renouvelée, ou au contraire, aboutir à un échec et donc être écartée.
Cette volonté d'intégrer les parlementaires a été fortement soutenue par la France, car il nous paraissait indispensable, s'agissant des droits fondamentaux, de recourir à un processus qui associe au mieux les représentants des citoyens. C'est pour cette même raison que nous sommes également très satisfaits de la large consultation de l'ensemble des représentants de la société civile qui est faite, tant au niveau de la Convention - je crois savoir d'ailleurs que la Convention va y consacrer ces deux prochaines journées de travail, jeudi et vendredi prochain - qu'au niveau des différents Etats membres. Cet exemple de transparence est, je crois, à souligner, même si une telle démarche implique une gestion parfois complexe et surtout un travail considérable pour ceux qui participent à la Convention.
Mais surtout cette initiative montre, à l'heure où sont engagées des réformes fondamentales des Institutions de l'Union, dans le cadre de la Conférence intergouvernementale, que l'Union européenne sait aussi innover de façon pragmatique et concrète.
C'est en décembre dernier que la Convention a commencé ses travaux et elle aborde, depuis le début du mois d'avril, la dernière partie de sa mission - la plus délicate aussi, sans doute - en discutant des droits économiques et sociaux.
Dès le début, un certain nombre de grandes questions se sont posées : certaines relèvent de la compétence de la Convention, d'autres, tout aussi légitimes, ressortissent au contraire exclusivement à la compétence du Conseil européen. Je veux aborder devant vous les plus importantes de ces questions, sans prétendre être exhaustif.
En tout premier lieu, je veux évoquer la question qui a pu vous mobiliser cet après-midi encore et que je crois nécessaire de relativiser : la valeur de la Charte.
Vous le savez, les conclusions de Cologne sont particulièrement claires à ce sujet : le premier objectif fixé à la Convention est de rédiger un projet de Charte qui sera transmis au Conseil en vue de sa proclamation par les trois grandes Institutions de l'Union. Ce texte se veut donc avant tout un acte politique et je ne vois rien, à l'heure où chacun appelle de ses voeux une Europe plus politique, qui permette de dire qu'il s'agit là d'un pis-aller ou d'un manque d'ambition.
Bien au contraire, et je crois que ceux qui participent directement aux travaux de la Convention - je tiens à saluer bien entendu Guy Braibant, mais aussi nos parlementaires nationaux, François Loncle, Hubert Haenel, et leurs suppléantes, Mmes Marie-Madeleine Dieulangard et Nicole Ameline, ainsi que nos parlementaires européens, Pervenche Beres et Georges Berthu - ne me contrediront pas. Cet objectif représente déjà un énorme enjeu.
Mais surtout, il me paraît de bon sens de ne s'interroger sur une éventuelle valeur contraignante de cette Charte que lorsque nous connaîtrons le projet rédigé par la Convention. Plus ce texte sera percutant, fort, concis, lisible, plus la question de sa valeur juridique et de son éventuelle insertion dans les traités sera pertinente. Je crois donc qu'il est important sur ce point de ne pas inverser la logique et de ne pas se tromper de débat.
A ce titre, je tiens aussi à rappeler que conférer un caractère contraignant à ce texte poserait pour certains de nos partenaires des difficultés particulières. Je pense notamment au Danemark, pour lequel une telle option conduirait nécessairement à l'organisation d'un référendum. Pour d'autres, il y aurait sûrement des questions constitutionnelles qui se poseraient.
A titre personnel, je suis favorable à une intégration dans un second temps de la Charte dans les traités, mais j'attends d'en avoir la preuve.
En tout en état de cause, l'objectif pour nous est donc de disposer du meilleur texte possible lors du Conseil européen de Nice qui doit conclure notre présidence. Et je crois que l'urgence pour l'Union en ce domaine est avant tout politique.
Au demeurant, il me semble que la ligne choisie par le président Herzog est la bonne. Il a fait le choix de conduire les travaux de rédaction du projet de Charte comme si cette Charte devait être un jour contraignante. C'était sans doute la meilleure solution et je lui fais toute confiance pour parvenir à un résultat probant.
Une autre question, le plus souvent formulée sous forme critique, a également surgi dès le début des travaux de la Charte : le fait que le projet de Charte constituerait une sorte de "doublon" de la Convention européenne des Droits de l'Homme, risquant d'entraîner par là une confusion aux yeux des citoyens, voire de créer "une Europe des Droits de l'Homme à deux vitesses."
Là encore, je crois qu'il est nécessaire de mieux évaluer un tel risque. En termes de contenu tout d'abord, la Charte constituera un texte plus global que la Convention européenne des Droits de l'Homme, et je l'espère plus avancé, puisqu'elle doit non seulement contenir les droits civiques et politiques, tels qu'on peut les trouver dans la CEDH, mais aussi les droits inhérents à la citoyenneté européenne ainsi que les droits économiques et sociaux. Son contenu est donc plus large et un tel projet a tout à fait sa légitimité propre, ainsi que l'ont d'ailleurs eux-mêmes reconnu récemment les membres de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, dans leur résolution relative à la Charte.
S'agissant du risque de confusion ou même d'éventuelle concurrence entre la Cour de Luxembourg et celle de Strasbourg, il est certain que lorsque la Charte reprend des droits directement issus de la CEDH, elle doit veiller à une formulation la plus proche possible de celle-ci et de la jurisprudence de la Cour des Droits de l'Homme, afin d'assurer la plus grande sécurité juridique. Il faut qu'il y ait, chaque fois que c'est possible, identité des termes, sauf lorsque ces droits méritent d'être actualisés.
Autre élément qui doit permettre de réduire les inquiétudes, me semble-t-il, la Charte concernera d'abord les Institutions de l'Union, conformément aux conclusions de Cologne, et, de ce point de vue, les partisans des Droits de l'Homme que nous sommes tous ici ne peuvent que se réjouir, car cette initiative comble un vide, la Communauté en tant que telle n'étant pas justiciable - et nous souhaitons que cela demeure ainsi - de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Je tiens en effet à souligner qu'une adhésion à la Convention européenne des Droits de l'Homme n'est pas dans l'intention du gouvernement.
Enfin, soyons réalistes, la Cour de Justice des Communautés européennes a déjà la faculté de recourir, pour élaborer sa jurisprudence, aux principes contenus dans la CEDH. En effet, en vertu de l'article 6 paragraphe 2 du traité de l'Union, "l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales", et ce respect est assuré par l'intermédiaire de la CJCE.
Encore une fois, la Charte devrait, au contraire des craintes qui ont pu apparaître, aller dans le sens d'une plus grande sécurité juridique, puisque, d'une certaine façon elle donne une traduction précise de l'article 6.
Mais je veux maintenant en venir à ce qui est pour le gouvernement le plus important : le contenu de cette Charte.
Le but essentiel de ce projet, ainsi que le rappellent les conclusions de Cologne, est avant tout de montrer aux citoyens que l'Union européenne ne saurait se réduire à un grand marché, doté d'une monnaie unique. C'est pourquoi la Charte doit devenir un "référentiel de valeurs", soulignant que l'Union est avant tout une communauté de civilisation, régie par des principes communs et par les droits fondamentaux de la personne humaine.
C'est pourquoi les conclusions de Cologne ont défini trois "corbeilles" de droits que doit contenir ce texte. Je les cite :
1. Première corbeille : la liberté, l'égalité et "les droits de procédure tels que garantis par la CEDH et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes généraux du droit communautaire",
2. Deuxième corbeille : "les droits fondamentaux réservés aux citoyens de l'Union", comme le droit de vote aux élections municipales et européennes,
3. Enfin la troisième corbeille doit contenir "des droits économiques et sociaux tels qu'énoncés dans la Charte sociale européenne et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, dans la mesure où ils ne justifient pas uniquement des objectifs pour l'action de l'Union".
C'est bien entendu cette dernière "corbeille" des droits économiques et sociaux qui constitue le coeur de cette démarche, puisqu'elle souligne le caractère global du projet et qu'elle traduira la réalité du modèle social européen.
Il est vrai, ne nous le cachons pas, que les premiers débats ont montré que, sur ce point, les choses n'allaient pas de soi pour tous nos partenaires. Certains pays nordiques et nos amis Britanniques s'opposent à nous sur l'ampleur et la portée de ces droits. Ainsi, le droit de négocier et de conclure des conventions collectives, le droit de grève, mais aussi le droit à un salaire minimum - ou, du moins, l'insertion dans la Charte européenne de tels droits - ont pu être contestés par certains. Par ailleurs, au-delà d'une opposition de fond sur certains droits, la position de plusieurs Etats membres consiste à refuser l'inscription de droits qui ne constitueraient que des objectifs programmatiques et non des droits effectifs.
Je crois que sur ce point il faut avoir une lecture souple et volontariste de la "feuille de route" dessinée par les conclusions du Conseil européen de Cologne. Le droit à l'emploi ne saurait être évincé, au prétexte qu'il s'apparente plus à un objectif qu'à un droit effectif. Cette conception peut d'ailleurs être aisément contrée, si on se rappelle que l'ensemble des dispositifs mis en oeuvre depuis Amsterdam - lignes directrices pour l'emploi, pacte européen pour l'emploi... - ont donné corps à ce droit à l'emploi, qui ne constitue plus seulement un objectif, mais aussi un moyen d'action de l'Union européenne.
La France accorde une importance toute particulière à ces droits : pour nous, cet exercice n'a, en vérité, de sens que s'il comprend un volet substantiel en termes de droits économiques et sociaux. Il est effectivement clair que droits civils, droits politiques et droits économiques et sociaux sont interdépendants : la liberté d'association, de pensée, d'opinion, et la liberté syndicale, de manifestation ou de négociation sont ainsi intimement liées. Mais il faut également avoir à l'esprit que nous ne sommes pas seuls et qu'il convient d'établir un texte qui soit acceptable par l'ensemble des Etats membres.
De ce point de vue la France a une responsabilité particulière puisque c'est, vous le savez, sous notre Présidence que devra se conclure cette initiative.
Enfin, la question a également été soulevée de savoir si d'autres droits, dits nouveaux droits ou droits de 3éme génération, pouvaient être intégrés dans le projet de Charte : il s'agit notamment des droits relatifs à la protection de l'environnement, à la bioéthique ou encore à la transparence administrative. Ces questions sont importantes pour nos concitoyens, et le président Herzog semble lui-même favorable à leur intégration. Il est certain que c'est également à travers l'inscription de tels droits que la valeur ajoutée de cette charte se confirmera. Il me paraît donc important d'avoir une attitude ouverte face à ces propositions, à la condition expresse qu'aucun de ces droits ne constitue une création "ex nihilo". Un droit énoncé doit forcément se rattacher, soit à un texte communautaire (traité ou droit dérivé), soit à un texte international ratifié par les Quinze, soit encore à une tradition constitutionnelle partagée par tous les Etats membres.
Je veux enfin dissiper un dernier malentendu, concernant les bénéficiaires de cette Charte. Certains ont assuré que seuls les citoyens européens seraient concernés par ce texte. Ce n'est certainement pas notre tradition juridique, qui nous place au contraire parmi les pays les plus ouverts sur cette question. Pour nous, la Charte doit bien évidemment être destinée au plus grand nombre possible : les citoyens européens bien sûr, mais aussi les ressortissants des pays tiers résidant régulièrement dans les Etats de l'Union, voire dans certaines circonstances les ressortissants des Etats tiers en séjour irrégulier, notamment en ce qui concerne les droits de la première corbeille.
Mais je crois également - et je reprends là une idée du sénateur Fauchon - qu'il serait tout à fait judicieux que soit mentionné dans ce texte l'idée de "devoirs". La citoyenneté bien sûr, mais plus généralement l'appartenance à une société, exigent que chacun soit aussi conscient de ce que l'on attend de lui.
C'est sur ce dernier point que je voudrais conclure. Les événements autrichiens ont mis en exergue, de façon aiguë, l'absence d'un référentiel de valeurs suffisant au sein de l'Union et ont accentué la nécessité d'un exercice tel que celui de l'élaboration de la Charte.
En effet, la Charte, en détaillant les valeurs qui constituent le "contrat européen" - valeurs aujourd'hui énoncées de façon très générale par l'article 6, alinéa 1 du traité - pourrait permettre demain une application plus aisée de l'article 7 de ce même traité, qui prévoit la possibilité de suspendre les droits d'un Etat membre lorsqu'est constatée une violation grave et persistante des valeurs fondamentales. L'existence de la Charte faciliterait donc l'identification sans équivoque d'éventuelles violations de ces valeurs fondamentales, voire permettrait de mettre en garde contre de simples menaces de violation, si, comme cela semble envisagé, l'article 7, dans le cadre de l'actuelle CIG, est renforcé pour introduire une procédure d'"alerte précoce".
L'Union européenne n'est pas un vaste marché, auquel chacun participerait selon ses intérêts. Alors que nous célébrerons, le 9 mai prochain, les 50 ans de la déclaration de Robert Schuman, il me parait essentiel de rappeler que la construction européenne obéit avant tout à une exigence morale : asseoir définitivement, sur notre continent tant de fois meurtri, la paix, la démocratie, la liberté. Cinquante ans après, au moment où l'Europe rencontre à la fois de formidables succès, mais connaît aussi des interrogations sur son avenir, il est important qu'un texte fort rappelle ce que sont les valeurs essentielles sur lesquelles se fonde notre modèle européen. C'est en tout cas, pour moi, le sens premier que revêt la rédaction de la Charte des droits fondamentaux.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 2000)