Déclaration de M. Charles Pasqua, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, sur le projet de loi sur les étrangers et l'exercice du droit d'asile, ainsi que sur l'aménagement du territoire, Strasbourg le 4 septembre 1993.

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Circonstance : Université d'été des jeunes RPR à Strasbourg les 4 et 5 septembre 1993

Texte intégral

Mes Chers Compagnons,
J'éprouve toujours la même joie quand j'ai l'occasion de me retrouver devant vous, les jeunes du RPR. Vous incarnez en effet ce renouvellement continu, permanent, éternel sans doute, d'un mouvement qui, sous des appellations diverses et quelles qu'aient été les circonstances, les succès et aussi les échecs, a toujours été le plus important de France, parce qu'il représente plus que les autres l'idée à laquelle notre pays aspire, à chaque fois que le destin semble hésiter à le maintenir à son rang privilégié parmi les nations.
Voilà pourquoi nous ne sommes pas un parti comme les autres.
Que tout aille bien, et les Français ont tendance à regarder ailleurs ; mais que reviennent les temps difficiles, et les Français se souviennent que c'est ici, chez les Gaullistes, que se trouve le parti du redressement, le parti de la France.
Le Général de Gaulle, qui n'aimait cependant pas les partis, l'a voulu ainsi, parce qu'il lui semblait qu'il faudrait toujours, dans ce pays qui est plus enclin au doute et au découragement que les autres, dans ce pays où le parti du dénigrement national et ce depuis toujours, je ne vise personne dans l'actualité occupe souvent le devant de la scène, et quelquefois remporte les élections, il faudrait toujours un mouvement un peu différent ! Un mouvement qui chercherait à rassembler les Français autour des objectifs de la France, et peu importe alors, qu'ils viennent de la droite ou de la gauche, du Nord ou du Midi, de la classe ouvrière ou de la bourgeoisie. Ils seraient la France, voilà tout.
De cette volonté-là, vous êtes les héritiers ! Et tout vous indique que c'est là aussi, à nouveau, la volonté des Français !
Alors, ne les décevons pas ! Ils ne nous ont pas marchandé, il y a quelques mois, leur confiance en nous accordant une majorité sans précédent. Tout nous montre que cette confiance ne s'est pas érodée depuis, bien au contraire.
Redressons la France ! Rendons-lui et son rang et sa confiance en elle-même, qui vont de pair, sans trop nous préoccuper du reste, je veux dire d'une compétition à venir qui occupe la classe politico-médiatique et fait vivre les instituts de sondage, mais qui ne concerne pas encore les Français, confrontés qu'ils sont aux difficultés, réelles celles-ci, de la vie quotidienne.
Alors, de grâce, ne compromettons pas cette entreprise en engageant prématurément un combat politique que les Français n'attendent pas et qu'ils auraient plutôt tendance à redouter. Nul n'aurait à mon sens à y gagner, si ce n'est nos adversaires.
Mes chers Compagnons, il y a pour les pays comme pour les personnes, des moments où l'on sent bien que le destin hésite, et qu'il ne faudrait pas grand chose pour que le meilleur succède rapidement au pire. Je crois que la France vit un de ces moments-là, parce qu'elle a enfin pris conscience qu'elle avait fait fausse route en cherchant son salut, soit dans les idéologies, soit chez les autres.
La France est redevenue lucide et, ayant compris l'origine de ses difficultés, elle a entrepris de les résoudre. Les Français le voient bien et pour la première fois depuis longtemps, ils avancent ensemble dans la même direction, et du même pas que nous.
C'est que notre pays vit depuis vingt ans avec la crise. Crise économique, crise sociale, crise monétaire, crise d'identité enfin. Pour la plupart d'entre vous, vous êtes nés avec cette crise et vous n'avez connu que cela.
Pour toute votre génération, l'horizon semble se borner à une série d'écueils, entre lesquels il lui faut apprendre à naviguer. L'écueil du chômage, le plus abrupt celui du Sida, le plus inquiétant ; celui de la drogue, le plus sournois. Le monde dans lequel vous allez vivre semble plus aléatoire que jamais, alors que les plus grands dangers qui, nous, nous préoccupaient c'était la guerre, tout simplement paraissent s'être momentanément éloignés.
Telle est aussi la situation de notre pays. La France est une vieille nation qui ne savait plus comment aborder l'avenir. Confrontée, à peine sortie de son histoire coloniale, à l'internationalisation accélérée de son économie, entrevoyant son avenir européen sans parvenir à le maîtriser, la France s'est peu à peu retrouvée sans volonté propre, ballottée au gré des événements considérables que connaissait notre continent, et les Français déboussolés tant il leur semblait que le navire n'était plus dirigé.
Nous sommes sortis de ce pot-au-noir. Bien sûr, les difficultés n'ont pas disparu comme par enchantement, mais nous les identifions clairement et nous avons entrepris de les réduire. Ainsi les Français ont-ils conscience que le gouvernail est maintenant en de bonnes mains et que la direction qui a été choisie est enfin susceptible de les rassembler.
Ils jugeront certes aux résultats, mais ils sont prêts à l'effort, voire aux sacrifices nécessaires pour arriver à bon port, parce qu'ils ont compris que le Gouvernement et la majorité nouvelle qui le soutient ont choisi de rompre avec les vieilles lunes du passé, d'abandonner les vieilles recettes, pour préparer le pays à aborder un nouveau chapitre de son Histoire, celui qu'il vous appartiendra d'écrire, vous qui avez vingt ans aujourd'hui.
II n'y a pas à mes yeux de plus belle ambition que celle-là. Et je me réjouis que, cette fois encore, le pays ait confié pour ce faire sa direction aux Gaullistes, dont c'est la vocation, j'allais dire la raison d'être. Qu'ils se trouvent au Gouvernement ou au sein de notre mouvement, peu importe : c'est, pour les Français, un seul et même équipage.
Le Gouvernement, pour sa part, s'est attaqué à bras-le-corps au principaux problèmes du pays. Je crois que chacun conviendra qu'il est en train de se donner les moyens de maîtriser sa politique, dans des domaines essentiels. J'en aperçois notamment trois : la maîtrise des déficits, la maîtrise de l'immigration clandestine, la maîtrise des négociations européennes et internationales qui déterminent l'avenir de notre économie, de notre monnaie, de notre industrie, de notre agriculture et qui sont, par conséquent, une des grandes clés de l'emploi.
Maîtrise des déficits budgétaires et sociaux. Le Gouvernement a pris des mesures courageuses, et les Français l'ont accepté. Ce qui démontre bien qu'ils sont bien plus civiques qu'on ne le dit, pour peu qu'on les y convie.
Maîtrise des négociations européennes et internationales, dans lesquelles la France a retrouvé sa voix et, partant, l'oreille de ses partenaires. Il est fini le temps où l'avenir de la France était pour ainsi dire sous-traité à un aréopage de fonctionnaires de la Commission de Bruxelles, tout aussi éloignés des réalités que du suffrage universel.
Tout le monde perçoit bien aujourd'hui que le point de vue national prévaut de nouveau, sans agressivité mais sans faiblesse. Dans ce domaine comme dans bien d'autres, conformément à l'article 20 de la Constitution, le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation, principe d'égale valeur pour les affaires intérieures comme pour les affaires extérieures de la France.
La maîtrise de l'immigration clandestine procède de la même volonté.
Et je voudrais, sur ce sujet, que l'on en revienne à l'essentiel. Les récents développements consécutifs à la décision du Conseil Constitutionnel ne doivent pas rester l'arbre qui cache la forêt.
La loi que j'ai présentée et que le Parlement a votée, s'inscrit dans le droit fil de la tradition républicaine de la France. Elle ne renie aucun de nos principes, elle n'écorne aucun de nos engagements européens ou internationaux. La France a une parole et elle s'y tient.
La France est un Etat républicain. La France est également un Etat de droit. La France est enfin et avant tout un pays conscient de son Histoire, respectueux de ses traditions, et fier de l'idée qu'il représente aux yeux des autres pays, lui qui a inventé les Droits de l'Homme et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Elle bannit pour toujours le racisme et la xénophobie.
Mais la France est aussi un pays qui entend garder la maîtrise de son identité. Elle entend définir par elle-même, la situation, la qualité, l'origine, de ceux qui sont ou qui seront associés à la communauté nationale, dans l'esprit des valeurs de sa République, dans le cadre de sa propre Constitution et dans le respect du droit international auquel elle a librement consenti.
Cette loi n 'est pas en effet un texte de circonstance. C'est un texte complet, dont l'ambition est de fournir au gouvernement de la France les moyens de conduire et de maîtriser sa politique de l'immigration, y compris, si tel devait être ultérieurement le cas, si notre pays décidait d'accepter de nouveaux immigrants, que ce soit pour les besoins de son économe ou pour toute autre considération, d'ordre humanitaire par exemple.
Notre pays n'a sur ce sujet de leçon à recevoir de personne. Avec plus de quatre millions d'étrangers régulièrement installés sur son sol, qui bénéficient et qui continueront de bénéficier pour l'essentiel des mêmes droits que les nationaux, la France ne saurait être montrée du doigt par qui que ce soit.
Quant au droit d'asile, il est et restera - qui en a jamais douté ? - un principe fondamental de la République française pour tous ceux qui sont persécutés. La France a toujours respecté cette règle et elle continuera de le faire. Mais il n'est pas possible pour la France, comme il n'est pas possible pour chacun des autres Etats européens, de permettre que la seule invocation de ce droit, même si elle est manifestement infondée, soit en quelque sorte un visa d'entrée sur leur territoire national.
Il n'y a là aucune pusillanimité de la part des Etats européens qui ont signé ensemble les Conventions de Schengen et de Dublin, et qui adaptent les uns après les autres - Allemagne, Italie, Portugal, Espagne, Pays-Bas - leur législation nationale à leur accord commun. Il y a la nécessité - partagée par tous et encore approuvée en décembre dernier, au Sommet Européen d'Edimbourg, nous n'étions pas au pouvoir à ce que je sache - d'adopter des règles communes relatives, je cite, au "traitement des demandes d'asile manifestement infondées".
Le Conseil Constitutionnel a jugé que notre Constitution ne nous permettait pas d'appliquer ces règles communes, que le texte que j'ai présenté devant le Parlement se bornait à transcrire dans la loi, puisqu'il a considéré qu'il suffisait de se "prévaloir" du 4e alinéa du préambule de la Constitution de 1946 pour que la demande doive être étudiée par la France et le demandeur accueilli sur notre territoire.
La conséquence est que la France, où il apparaîtra possible d'une part de déposer une demande en même temps que dans un autre Etat signataire des conventions de Dublin et de Schengen et d'autre part de faire en quelque sorte appel d'un refus opposé par un autre Etat aura à accueillir pendant le délai nécessaire à la décision une part importante des 600 000 demandes d'asile qui, chaque année, sont présentées auprès des Etats européens.
Les étrangers autorisés à séjourner dans l'attente qu'il soit statué sur leur demande, se fondront donc sur le territoire. Ils seront introuvables.
C'est largement le cas aujourd'hui. Ils ne répondent à aucune convocation et font en sorte de ne pas avoir d'adresse.
En 1992, 53 000 décisions de reconduite à la frontière ont été prises. 6 838 seulement ont été exécutées, dont la moitié concernait des demandeurs d'asile. Cela signifie que si, à titre d'hypothèse - et c'est une hypothèse basse - 100 000 demandes d'asile supplémentaires sont adressées à la France chaque année, 80 000 clandestins supplémentaires demeureront sur le territoire.
L'utilisation du droit d'asile sera en peu de temps la principale cause d'une nouvelle immigration clandestine.
L'hypothèse de placer les demandeurs en rétention aux frontières pendant les 7 jours que les textes autorisent ne peut être acceptée. Il faudrait, compte tenu des effectifs en cause, créer de véritables camps de rétention. Que ceux qui souhaitent cela le disent clairement et ne se cachent plus derrière des paravents ! Car c'est la seule solution que nous ouvre la décision du Conseil Constitutionnel si on ne réforme pas la Constitution.
Voilà pourquoi il était absolument nécessaire de procéder à une révision de la Constitution qui nous permette d'appliquer effectivement les accords de Schengen et de Dublin, et de mettre ainsi, autant que faire se peut, notre pays à l'abri d'une vague de réfugiés économiques, contre lesquels nous n'avons rien mais que nous n'avons tout bonnement pas davantage que les autres les moyens d'accueillir.
Cessons donc de mettre de l'idéologie partout. L'organisation des Nations-Unies elle-même, l'an dernier à Rome, devant la pression migratoire qu'elle pressent d'ici la fin du siècle, - 100 millions de personnes dont 20 en Europe - a indiqué qu'il était du devoir des Etats d'adopter des législations permettant de contrôler les flux. Car enfin, mais qui ne le voit pas ? , c'est le développement du racisme, de la xénophobie, qui nous guette, c'est la ghettoïsation qui nous attend, s'il n'est pas maîtrisé, ce mouvement inexorable qui pousse des populations misérables du Sud vers le Nord et de l'Est vers l'Ouest !
Aussi, le Gouvernement est-il décidé à mener à bien l'indispensable révision de la Constitution à laquelle il est contraint. Nous nous en serions volontiers passés, puisque la loi que le Parlement a votée répondait aux objectifs que nous nous étions fixés, au mandat que nous avons reçu du peuple français.
Quoi qu'il en soit, il appartient maintenant au pouvoir constituant de permettre à notre pays de mettre en uvre les accords qu'il a signés. La voie de la révision par les deux Assemblées réunies en Congrès correspond donc bien à l'objectif limité, précis mais indispensable que nous poursuivons.
Je ne doute donc pas que ce sera, après la proposition du Gouvernement, celle qu'autorisera le Président de la République.
J'aimerais donc, mes chers Compagnons, que les choses redeviennent claires pour tout le monde. La loi sur la maîtrise de l'immigration que j'ai proposée est, je l'ai dit à l'Assemblée Nationale, la dernière chance du modèle français d'intégration. La politique de la France face au problème de l'immigration a trois volets complémentaires et indissociables : la lutte contre l'immigration clandestine, l'intégration des étrangers qui vivent sur notre sol régulièrement et paisiblement, la coopération et l'aide au développement des pays du Sud et de l'Est qui sont à la source de l'émigration.
Cette politique française d'intégration a une philosophie et une logique, qui sont d'associer à la communauté nationale les individus et les familles qui vivent sur notre sol. Elle a même une ambition qui est d'accueillir au sein de la nation française, dès que cela est possible, tous ceux à qui un séjour durable dans notre pays a fait partager nos valeurs communes.
Cette conception de la République, cette idée de la France, je les ai chevillées au corps. La France n'est ni un lieu de transit, ni une terre vierge ouverte à des peuplements nouveaux. C'est une communauté de destin, ouverte à ceux qui acceptent ses valeurs, sa culture, son mode de vie et qui, passé un temps raisonnable d'adaptation, ont la volonté de partager les espoirs comme les difficultés de tous les Français.
C'est dans ce sens - celui de la volonté - que nous avons réformé le code de la nationalité.
C'est dans cet esprit que nous avons voulu maîtriser le phénomène d'immigration incontrôlée, parce qu'il menaçait précisément ce modèle républicain.
Parce que nous sommes en retard d'une intégration, chacun le perçoit bien.
Cette conception exigeante de la communauté nationale, la République a en effet commencé par l'imposer aux Français eux-mêmes. Si les traits de la France que nous connaissons sont à peu près établis et définitifs au sortir de la Révolution française, être Français, au sens où nous l'entendons, attendra un siècle de plus et le passage des "hussards noirs de la République". L'histoire et la littérature du même siècle fourmillent de ces récits où Bretons, Savoyards, Lorrains, Auvergnats, Provençaux, n'avaient jusque là d'autre patriotisme que celui de leur province ni, bien souvent, d'autre langue.
Puis, la première partie du même siècle verra le même moule assimiler sans trop prendre de gants : Italiens, Polonais, Espagnols et tant d'autres, que nous ne saurions plus, aujourd'hui, différencier des Français dits "de souche".
Le troisième temps de l'intégration, nul doute là-dessus, est le plus difficile pour le creuset français. C'est celui de l'intégration de ces populations venues d'Afrique, et notamment d'Afrique du Nord. Des populations qui ont été liées à la France par un passé commun, tumultueux et trop souvent sanglant, et qui sont venues sur notre sol, à notre demande, pour contribuer à son essor économique.
Les grands peuples sont ceux qui ne renient pas leur histoire et qui ne bafouent pas leurs valeurs. Aussi ne doit-il subsister aucune ambiguïté : les étrangers qui sont régulièrement installés sur notre sol - sans qu'il y ait discrimination, je pense particulièrement à tous ceux qui sont originaires de pays qui ont été français - ont parfaitement le droit d'y rester et d'y vivre à l'abri de nos lois. Ils ne seront ni plus ni moins concernés que les Français par les mesures que nous venons de prendre.
La même idée vaut pour ce que j'appelais tout à l'heure le troisième volet de la politique française en matière d'immigration : l'aide au développement.
Nous légiférons aujourd'hui afin de ne plus subir un phénomène incontrôlé et qui menace les fondements mêmes de notre cohésion nationale. Mais nous savons que la plupart de ceux qui cherchent à entrer chez nous par tous les moyens le font, mus par une impérieuse nécessité certes, mais aussi par ce qu'ils considèrent encore et toujours la France un peu comme leur seconde patrie.
Aussi, à la ferme volonté que nous manifestons par la loi doit correspondre un engagement tout aussi ferme d'accroître autant que faire se peut, les moyens que nous consacrons au développement de ces pays. Faute de quoi, toutes les lois que nous pourrions faire n'y pourraient mais, tant la pression deviendrait irrésistible.
Je souhaite que les difficultés du moment ne nous fassent pas perdre de vue cet objectif essentiel. Il est conforme aux intérêts de la France. Il est surtout à la hauteur de ce que notre pays représente de par le monde quand il est digne de son histoire, c'est-à-dire beaucoup plus que lui-même.
Tel a toujours été et tel est encore le message de tous ceux qui se réclament du Gaullisme : porter haut et fort le message de la France. Cela ne les a jamais empêchés de préserver et de protéger les Français des périls qui les menacent.
La recherche de la paix n'interdit pas, bien au contraire, de moderniser les moyens de notre Défense ; la construction de l'Europe n'oblige nullement à renoncer à nos intérêts nationaux ; la volonté d'aider les pays défavorisés, ce que nous faisons davantage que tous les autres, ne nous impose pas davantage d'avoir à accueillir tous leurs ressortissants.
La France n'a pas à rougir de sa politique. Elle est celle d'un grand pays, attentif aux graves problèmes du monde, mais soucieux aussi de son propre destin. Telle est, en tous cas, ma conviction et celle de tout le Gouvernement.
Le destin des Français, mes chers Compagnons, et quelles que soient les évolutions, les avancées, les progrès de la construction européenne, que ce soit la Grande ou que ce soit la Petite, qu'elle soit confédérale ou qu'elle soit fédérale, ce destin se joue d'abord sur le territoire national. Ce qui paraît une évidence a, semble-t-il, été oublié depuis longtemps, tant notre regard, ces dernières années, avait été attiré vers des horizons artificiels.
Notre pays souffre en effet depuis près de vingt ans de l'abandon de toute vision d'ensemble de l'avenir de son territoire. Il a ainsi subi, sans la comprendre et sans la maîtriser, une évolution qui peut directement le conduire à l'éclatement, dès lors que les Français n'auraient plus la perception d'un intérêt commun, selon qu'ils vivent ici ou là en France.
L'observation de grands pays voisins démontre qu'il ne s'agit pas là d'une anticipation de pure forme. L'Allemagne, l'Italie l'Espagne et d'une certaine façon l'Europe toute entière, s'interrogent sur leur avenir. Chacun perçoit bien qu'au cur de cette interrogation, c'est le maintien ou l'abandon des solidarités traditionnelles, entre les territoires, entre les métiers, entre les générations elles-mêmes, qui est en cause.
De la réponse qui sera apportée rapidement, au sein de chacun de nos pays, comme à l'échelle du continent européen, dépend évidemment tout le reste. Voilà pourquoi, le débat sur l'Aménagement du Territoire que le Gouvernement va engager dans les prochains jours, est en fait un débat sur la société française dans son ensemble, sur ses solidarités, sur ses libertés, sur ses valeurs.
C'est aussi un débat sur le rôle de l'Etat et sur les responsabilités des collectivités locales et territoriales.
C'est enfin un débat sur la construction européenne, tant sont désormais imbriqués nos décisions et nos moyens d'action.
C'est bien, le grand débat national dont la France a malheureusement fait l'économie, depuis qu'elle est sortie de son histoire de puissance impériale pour essayer de bâtir, avec les autres vieilles nations européennes, un espace commun de liberté, de sécurité et de prospérité.
Aveuglés par une "politique de l'instant" et sans véritable vision de l'avenir, nous n'avons pas su utiliser le développement tertiaire et la dynamique urbaine des années 70 et 80 comme leviers pour occuper plus harmonieusement notre territoire. Ces négligences ont un coût : la surconcentration dans les grandes villes des activités et des hommes, comme l'exode et le vieillissement qui frappent des départements ruraux déjà peu peuplés.
Et cependant ! La croissance et la qualification montante des emplois de services, la mobilité effective de notre population, le développement de l'enseignement supérieur tout particulièrement en province, la montée en puissance de l'action économique et sociale des collectivités locales, notre croissance démographique, le progrès de la technologie et de la productivité, la mise en uvre des contrats entre l'Etat et les Régions auraient pu donner aux Français le sentiment d'appartenir à une société en construction et non en déliquescence.
Peut-on envisager aujourd'hui d'inverser la tendance de ces dernières années, alors que la crise économique sévit dans les pays développés, que la restructuration du tertiaire va supprimer des dizaines de milliers d'emplois, que la dislocation sociale est déjà à l'uvre dans les villes et dans les campagnes, que le budget de l'Etat connaît un déficit important, que la dette publique s'alourdit gravement et que la France compte officiellement trois millions et plus de chômeurs ?
Je crois que oui. Je crois même qu'il y a, pour la prospérité de la France et pour l'emploi des générations à venir, un exceptionnel réservoir de croissance et de développement dans la reconquête de son territoire.
II y a là, à notre portée, un vaste champ ouvert à l'action, à l'initiative, à l'imagination, à l'esprit d'entreprise, de tous les Français.
II y a là, sur notre propre sol, une grande ambition nationale, qui est tout simplement de faire coïncider à nouveau le développement économique de la France et sa géographie. Cette ambition n'est exclusive de nulle autre et il ne s'agit pas pour la France de se replier sur elle-même.
Mais il s'agit bien, chacun doit le comprendre, de trouver en nous-mêmes, par nous-mêmes, le ressort d'une croissance nouvelle, supplémentaire et qui profite d'abord à l'emploi sur notre propre territoire.
Nous n'avons pas d'autre choix, même si les conditions n'ont jamais parues aussi peu favorables pour engager à la fois un effort exceptionnel de redressement économique et un vaste projet de restructuration humaine et sociale.
Mais ce peut être une chance. Les Français nous le savons bien, n'ont plus envie de subir mais de décider. Ils reviennent à un sentiment plus collectif de leur destin, ayant compris que le chacun pour soi ne les conduirait nulle part. Ils réclament du courage et sont prêts à l'effort. Le moment me parait donc propice pour les associer à la définition de l'avenir de leur pays.
La participation de tous nos concitoyens est, en effet, indispensable à une authentique vision de l'avenir. La parole de chacun doit se faire entendre, pour mieux accompagner ce vaste processus de reconquête, de redistribution et de répartition de tous les moyens du développement et non plus seulement de ceux de la solidarité.
Voilà, mes Chers Compagnons, l'enjeu considérable du débat que nous allons engager. Il s'agit, ni plus ni moins, de réinstaller le développement de la France sur l'ensemble de son territoire.
C'est bien la France du XXIème siècle qu'il nous faut inventer.
Le Gouvernement va proposer aux Français cette démarche novatrice sans précédent. Parce que seul, me semble-t-il, le sentiment d'appartenir à une société en marche peut susciter l'espoir, la confiance et l'ambition collective nécessaires pour engager durablement le pays vers l'avenir.
C'est clairement dans cette voie-là, celle d'une France retrouvée et réconciliée avec elle-même, prête de ce fait à faire entendre de nouveau dans le monde le message qui n'appartient qu'à elle, que nous voulons engager le pays.
Compagnons, faisons-le tous ensemble, militants ou ministres, c'est ensemble que nous avons regagné la confiance des Français. C'est ensemble, n'en doutez pas, que nous la mériterons.
Vive le Rassemblement Pour la République.
Vive la France !