Déclaration de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur les mesures gouvernementales dans le domaine des nouvelles technologies de l'information, Paris le 15 septembre 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Clôture de la réunion "Global Business Dialogue on E-commerce", à Paris, le 15 septembre 1999

Texte intégral

Mesdames, messieurs les ministres,
Mesdames, messieurs les présidents,
Chers amis représentants ici les gouvernements et les entreprises,
Je voudrais tout d'abord exprimer tout l'intérêt que le Gouvernement français porte à vos travaux. Je me réjouis que vous ayez choisi Paris pour discuter des différents enjeux de la nouvelle régulation d'Internet car la France entre désormais rapidement dans la société de l'information.
La France entre massivement dans le commerce électronique
Vous êtes bienvenus ici d'abord parce que la France a une tradition désormais ancienne du commerce en ligne. Le succès français du Minitel a permis à plusieurs dizaines de millions de nos concitoyens de découvrir, bien avant Internet, cette relation particulière : écran/clavier/téléphone/transaction. Est-il aujourd'hui plus facile de changer de technologie, de passer sur Internet, que de trouver des clients ?
La réponse n'est pas évidente car, comme cela arrive souvent, cette avance sur l'usage d'un réseau national et dédié, comme le Minitel, a contribué à retarder l'appropriation de l'Internet par les entreprises et les consommateurs français.
Ce constat fait il y a deux ans a amené le Premier ministre, Lionel Jospin, à engager une politique très volontariste, résolument tournée vers la large diffusion de ces technologies et le soutien massif au développement de l'innovation, afin d'accélérer l'entrée de la France dans la société de l'information.
La prise de conscience de l'ensemble des acteurs, citoyens, entreprises, pouvoirs publics, a été réelle et l'année 1998 marque le décollage de l'Internet et du commerce électronique en France.
Peu à peu, les acteurs qui ont fait le succès du Minitel prennent position sur le Web, rejoints en cela par les vendeurs traditionnels, ou les nouveaux venus qui commercent directement dans le monde en ligne.
Les investissements informatiques des entreprises ont fortement progressé très fortement en 1998, et plus de la moitié d'entre elles sont maintenant connectées à l'internet.
Le nombre d'internautes français a plus que doublé en un an, dépassant les 5 millions. L'objectif de 10 millions d'internautes dans notre pays que j'ai fixé pour la fin 2000 sera atteint. Dans ce domaine, comme précédemment lors d'autres ruptures technologiques, notre pays rattrape son retard brutalement et non progressivement. Nous avons vécu ce phénomène avec l'équipement téléphonique des ménages dans les années 70, puis avec le développement du téléphone portable depuis trois ans, et désormais avec l'utilisation d'Internet. D'ailleurs, les offres d'accès à l'internet se sont fortement enrichies et la France s'est progressivement placée au meilleur niveau des pays européens pour les coûts d'accès à l'internet.
Les technologies de l'information et de la communication ont représenté en France en 1998 plus de 5 % du PIB, c'est à dire plus que tourisme et autant que les secteurs de l'automobile et de l'énergie réunis.
Bien entendu, l'Internet et le commerce électronique ont poursuivi leur croissance exceptionnelle chez nos grands partenaires, et les progrès significatifs enregistrés en France en 1998 ne nous ont pas encore permis d'effacer notre démarrage plus tardif. C'est pourquoi les pouvoirs publics se préoccupent naturellement de favoriser l'accès de tous les citoyens et de tous les territoires du pays aux opportunités nouvelles offertes par l'Internet. Car comme l'exprime une vieille formule française, le progrés ne vaut que s'il est partagé par tous.
2 . Les citoyens attendent d'abord de meilleurs services et le respect de principes clairs .
L'Etat doit d'abord se moderniser et offrir de meilleurs services aux citoyens et aux entreprises, en s'appuyant sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Au-delà de l'utilisation du Web pour la diffusion d'information, nous voulons offrir de véritables services administratifs sur l'internet ; ainsi la télédéclaration complète et le télépaiement de la TVA pour toutes les entreprises de France seront opérationnels en 2000. Cette innovation majeure peut être pour les petites et moyennes entreprises françaises ce que les professionnels du logiciel appellent une " killer application " car elle fera entrer sur le réseau des centaines de milliers d'entreprises encore hésitantes sur l'utilisation d'Internet.
Mais au delà de l'amélioration des services publics, le Gouvernement conduit des réflexions approfondies, en étroite concertation avec les acteurs du secteur privé, dans le cadre d'une Mission que nous avons confiée à Francis Lorentz. La conférence organisée par l'OCDE à Ottawa l'an dernier à laquelle nous avait accueillis Monsieur Manley, le ministre canadien de l'industrie, nous a amené à énoncer clairement les principes qui guident notre action en matière de commerce électronique.
Internet n'est pas un espace de non droit, et les dispositions juridiques existantes pour le commerce hors ligne doivent s'appliquer, chaque fois que cela est possible.
L'établissement de la confiance des acteurs est l'objet même de l'action des pouvoirs publics. La confiance repose sur les principes complémentaires de liberté d'exercice des activités en réseau et de responsabilité vis-à-vis des autres.
Le développement des pratiques d'autorégulation est nécessaire, en même temps qu'un cadre réglementaire minimal, pour créer la sécurité juridique des transactions électroniques et garantir les droits fondamentaux des personnes. Je me félicite que depuis la conférence d'Ottawa, un large consensus international a pu se formé autour d'un équilibre entre les responsabilités respectives des pouvoirs publics, des entreprises et des citoyens.
3 . Une grande loi pour faire évoluer la régulation d'Internet
Le Premier ministre m'a demandé de coordonner la préparation d'un projet de loi sur la société de l'information qui sera adopté l'année prochaine. Sans créer un droit spécifique à Internet, nous allons, lorsque cela est nécessaire, adapter notre droit aux nouveaux réseaux pour y assurer le respect des principes fondamentaux auxquels les citoyens sont attachés car ces principes constituent les fondements de nos sociétés démocratiques : liberté d'expression, protection des mineurs, protection de la vie privée et de la correspondance privée, égalité d'accès aux réseaux, protection du droit d'auteur et de la propriété industrielle, diversité culturelle.
La définition du cadre juridique de la société de l'information que je proposerai dans cette loi sera élaborée en concertation avec l'ensemble des acteurs du commerce électronique dans le cadre d'une large consultation publique organisée cet automne. Je lancerai cette concertation en octobre sur la base d'un document d'orientation que nous sommes en train de préparer.
Cette loi participera à la constitution d'un environnement plus favorable au commerce électronique. A l'évidence, nos propositions prendront en compte la dimension internationale du commerce électronique et en particulier le marché unique européen autour de l'euro qui offre des opportunités immenses à tous les acteurs européens du commerce électronique. Un accord doit être trouvé rapidement sur l'actuelle proposition de directive européenne sur le commerce électronique et le processus de convergence européenne sur ces sujets est tout à fait remarquable. La France, pour sa part, a fortement contribué à l'élaboration d'une politique communautaire dans ce domaine en présentant en février 1998 un mémorandum sur le commerce électronique qui définissait notre position sur le sujet. Notre pays continuera d'être une force de proposition dans ce domaine.
Cette loi ne sera pas une initiative isolée pour mettre en place un cadre juridique déconnecté des réalités internationales ; ce sera tout au contraire un grand rendez-vous législatif entre le Gouvernement, le Parlement et l'ensemble du pays pour faire évoluer toutes les dispositions légales nécessaires pour faire entrer plus rapidement la France dans la société de l'information. Dans une démocratie moderne, il nous est apparu essentiel que l'ensemble des responsables publics et privés puissent débattre largement des implications juridiques de la révolution numérique et puissent concevoir un ensemble cohérent de règles applicables à ce nouveau monde.
4 . Les questions évoquées par le GBDe appellent des réponses nuancées
Sans pouvoir examiner l'ensemble des positions du GBDe présentées aujourd'hui, je voudrais sur certains points importants rappeler les positions qui ont déjà été adoptées au niveau européen ou français, et qui vont être prochainement inscrites dans le droit.
Assurer à la signature électronique une validité équivalente à celle de la signature manuscrite est une de vos attentes. Comme vous le savez, une directive européenne a été adoptée dans ce sens. Un projet de loi appliquant cette directive européenne a été adopté par le Gouvernement français il y a quinze jours et sera soumis au parlement dans les prochaines semaines.
La liberté totale des moyens de cryptologie est également une demande forte des acteurs du commerce électronique. La France, qui avait une législation restrictive en la matière, a décidé de libéraliser totalement l'usage des moyens de cryptologie. La grande loi sur l'Internet consacrera la liberté complète d'utilisation de la cryptologie, que nous avons déjà autorisée jusqu'à 128 bits.
Le développement d'actions contentieuses à l'encontre d'intermédiaires techniques a montré la nécessité de clarifier le rôle et les limites de responsabilités des différents acteurs sur l'internet. Ce point est abordé dans le projet de directive européenne sur le commerce électronique et dans un projet de loi dans notre pays. Pour être efficace, le dispositif envisagé doit s'accompagner du développement des pratiques d'autorégulation.
Enfin la question de la protection des données personnelles fait encore l'objet, comme vous le constatez d'approches différentes voire divergentes au niveau international, tant dans le secteur privé qu'au niveau des gouvernements. La France a adopté depuis longtemps une législation dans ce domaine en faveur du droit de la personne, et reste fermement attachée aux positions adoptées par l'Union européenne dans sa directive sur la protection des données à caractère personnel.
Le dialogue que vous avez initié doit sans doute se poursuivre. Sachez que le Gouvernement français, comme toutes les entreprises de notre pays présentes ici ce soir, sera un interlocuteur ouvert, constructif et actif dans les mois qui viennent pour travailler à la construction de la confiance des citoyens dans les nouveaux réseaux. Car cette révolution numérique est sans doute l'un des plus grands défis que nos démocraties doivent maîtriser dans les années à venir.
J'espère vous revoir bientôt à Paris pour poursuivre ces échanges.
(source http//www.finances.gouv.fr. le 24 septembre 1999)