Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Vous êtes appelés à vous prononcer sur le projet de loi organisant une consultation de la population de Mayotte.
Mayotte, île de 373 km², comptait au dernier recensement, effectué en 1997, 131 000 habitants auxquels il faut ajouter environ 15 000 Mahorais vivant soit à La Réunion, soit en métropole. La croissance démographique est extrêmement rapide puisque la population a quadruplé en 30 ans.
Mayotte est devenue française en 1841, avant le reste de l'archipel des Comores. L'esclavage y a été immédiatement aboli. Rattachée par la suite administrativement aux Comores, Mayotte a de tout temps cultivé un réel particularisme au sein de l'archipel. Celui-ci devait se manifester au moment où les autres îles se sont engagées sur la voie de l'indépendance. Pour en tenir compte, la loi du 3 juillet 1975 a permis aux Mahorais de choisir le maintien dans la République en prévoyant que le référendum d'autodétermination des Comores serait mis en uvre île par île.
La question du statut de Mayotte est demeurée en suspens depuis près de 25 ans. Le 8 février 1976, les Mahorais rejetaient l'indépendance à la quasi-unanimité (99,4%), puis refusaient le 11 avril 1976 le maintien du statut de territoire d'outre-mer. La loi du 24 décembre 1976 érigeait Mayotte en collectivité territoriale dotée d'un statut propre en vertu de l'article 72 de la Constitution. La loi de 1976 reconnaissait en outre le caractère temporaire de ce régime et prévoyait que les Mahorais seraient consultés dans un délai de trois ans sur le futur statut de leur île.
La loi du 29 décembre 1979 a prorogé ce délai pour une nouvelle durée de cinq ans. Mais, depuis lors, cette consultation n'a pas été organisée et le régime statutaire, conçu comme provisoire en 1976, a perduré. Plusieurs tentatives ont été engagées par la suite - dont notamment le projet de loi présenté par le Gouvernement en 1984 - mais aucune n'a abouti.
Il faut y voir, bien sûr, le poids du contexte international, mais aussi l'impossibilité pour les gouvernements successifs de se situer dans le cadre des options prévues en 1976 quant au contenu de la consultation.
Cette situation précaire a entraîné une réelle incertitude sur le droit applicable à Mayotte dans de nombreux domaines. Le Sénat a ainsi eu à connaître de nombreux textes, souvent sous la forme d'ordonnances, étendant en les adaptant certains pans entiers de la législation métropolitaine, par exemple en matière de droit du travail, de droit rural, de droit pénal ou de droit des assurances. La dernière loi d'habilitation du 26 octobre 1999 a ainsi encore habilité le gouvernement à établir par ordonnances des règles en matière d'état des personnes, de régime de l'état civil, d'entrée et de séjour des étrangers.
Lors du déplacement que j'ai effectué à Mayotte en novembre 1997, j'ai pris l'engagement au nom du Gouvernement d'ouvrir les discussions avec l'ensemble des forces politiques mahoraises pour organiser la consultation attendue et doter l'île d'un statut qui ne soit plus provisoire. Cette démarche s'est appuyée, en particulier, sur deux commissions de travail, animées à Paris par le préfet BONNELLE et à Mayotte par le préfet BOISADAM. Ces travaux, publiés à la Documentation française, ont progressivement permis de rapprocher les points de vue, tant des représentants des forces politiques et de la société mahoraises que des différentes administrations concernées de l'Etat.
Les négociations ont abouti à un accord conclu le 4 août 1999 à Paris avec les représentants des principales formations politiques de Mayotte. Ce texte a été soumis à la consultation du conseil général et des conseils municipaux de l'île : il a été approuvé par 14 conseillers généraux sur 19 et par 16 des 17 communes. Cet accord a été signé officiellement le 27 janvier dernier à Paris et publié au Journal officiel de la République française du 8 février 2000. Il constitue le texte sur lequel les Mahorais auront à se prononcer avant le 31 juillet 2000. Cette démarche correspond au vu émis par le Président de la République le 3 décembre dernier lors du sommet de la commission de l'Océan Indien, prenant acte d'un contexte international qui paraît aujourd'hui apaisé.
Cet accord n'a pas été signé par les parlementaires de Mayotte. Je le regrette car j'y vois plutôt la consécration de l'action inlassable qu'ils ont menée depuis plus de 25 ans pour affirmer l'enracinement de Mayotte dans la République. Cette donnée n'est plus contestée aujourd'hui. Et il faut prendre acte des évolutions intervenues pour mieux préparer l'avenir de Mayotte. Cet accord signifie pour la collectivité la fin de l'immobilisme.
Si les Mahorais approuvent le texte, les orientations qu'il contient serviront de base au futur projet de loi organisant le statut de Mayotte qui devra être déposé au parlement avant la fin de l'année 2000. Mayotte se verrait alors conférée l'appellation de " collectivité départementale ". L'île continuerait comme auparavant à constituer une collectivité " sui generis " de l'article 72 de la Constitution. Ainsi, l'accord - et ce point a été tout à fait clair tout au long des négociations avec les représentants des forces politiques mahoraises - n'entérine pas la transformation immédiate de Mayotte en département d'outre-mer. L'écart des niveaux de vie et des conditions économiques et sociales ainsi que le fait que près de 95 % de la population de l'île reste régi par un statut de droit personnel obéissant au droit coranique -comme la mission que votre Commission a faite récemment à Mayotte a pu le constater- excluent aujourd'hui une telle transformation. Le point 4 de l'accord tire les conséquences de ce choix en maintenant à Mayotte l'application du principe de spécialité législative.
Mais, le futur statut esquissé par le document d'orientation ouvre clairement une phase de transition au cours de laquelle le régime statutaire de Mayotte sera rapproché du droit commun départemental tout en respectant les spécificités de la société mahoraise. Ainsi l'identité législative sera progressivement instaurée.
Dans le domaine institutionnel, l'exécutif de la collectivité sera transféré du préfet au président du conseil général. Les compétences de cette assemblée seront progressivement élargies pour se rapprocher de celles exercées par les départements et les régions de métropole.
Déjà les élections du Conseil Général qui étaient fixées en mars 2000 ont été alignées par la loi sur le calendrier national et se tiendront en mars 2001.
L'organisation et les compétences des communes seront alignées sur le régime de droit commun pour que les principes de la décentralisation initiés à partir de 1982 en métropole puissent s'y appliquer pleinement et pour que celles-ci disposent d'une fiscalité propre ce qui suppose l'existence d'un cadastre. Le code des communes sera modernisé et un programme de formation des élus et des agents sera défini.
Dans le cadre du contrat de plan prévu pour la période 2000-2004, l'ensemble des concours de l'Etat sera de l'ordre de 4 milliards de francs. C'est plus qu'un doublement des moyens consacrés au cours de la période précédente au développement de l'île.
Ce contrat de plan s'orientera comme je l'ai indiqué lors de ma visite les 15 et 16 février derniers autour de trois axes stratégiques :
asseoir les bases du développement économique,
former les hommes et les femmes de Mayotte,
poursuivre et amplifier les programmes d'équipement et de développement social.
Compte-tenu du potentiel financier plus faible de la collectivité territoriale de Mayotte, l'Etat est prêt à prendre en charge entre 80 et 90 % du financement de ce contrat de plan. C'est une disposition unique en France.
Enfin, la rénovation de l'état-civil et la clarification du statut personnel devront permettre une application plus complète des principes républicains. Deux ordonnances du 8 mars 2000 relatives aux règles de détermination du nom des personnes et à l'état civil permettront de doter les Mahorais d'un état-civil fiable. Une mission conjointe du secrétariat d'Etat à l'outre-mer et de la chancellerie se rendra dans les prochains jours à Mayotte pour préparer la mise en place de cette importante réforme.
L'accord détermine une " clause de rendez-vous " fixé en 2010. A cette date, le Gouvernement et les principales forces représentatives de Mayotte feront le bilan d'application du statut de "collectivité départementale" et devront se prononcer pour doter l'île d'un statut définitif. Toutes les options sont laissées ouvertes par l'accord, y compris la transformation en département d'outre-mer, étant entendu qu'à cette date les traits et les caractéristiques des collectivités aujourd'hui régies par l'article 73 de la Constitution pourraient aussi avoir évolué.
Le présent projet de loi, en organisant la consultation des Mahorais sur l'accord dont je viens de rappeler les éléments fondamentaux, répond au souci exprimé par le législateur en 1976 et renouvelé en 1979, de sortir d'un statut conçu alors comme provisoire mais également de consulter les populations intéressées sur leur avenir institutionnel.
Avant de conclure, je voudrais rapidement revenir sur les deux principales questions juridiques que pose le présent projet de loi.
La première question a trait à la constitutionnalité de la consultation ainsi prévue. Cette consultation ne se situe pas dans le cadre de l'article 11 de la Constitution puisque si elle porte certainement sur l'organisation des pouvoirs publics, l'ensemble de la population de la République ne sera pas appelée à y participer. Il ne s'agit pas d'organiser un référendum visant à l'adoption d'un projet de loi, comme cela avait pu être le cas en 1988 pour la Nouvelle-Calédonie après la conclusion des accords de Matignon. L'objectif est ici de consulter les populations intéressées afin d'éclairer le gouvernement pour la préparation du futur statut de l'île.
Nous ne nous situons pas non plus dans le cadre prévu par le troisième alinéa de l'article 53 de la Constitution, dès lors que la question posée ne porte en aucun cas sur une éventuelle accession à l'indépendance de ce territoire.
L'organisation d'une consultation est tout à fait légitime au regard des principes démocratiques et connaît un précédent à Mayotte même. Le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 30 décembre 1975 n'avait rien trouvé à redire au principe d'une consultation de ce type pour celle qui a été organisée le 11 avril 1976, donnant le choix aux Mahorais du maintien ou non du statut de territoire d'outre-mer. Les lois de 1976 et de 1979, déjà citées, prévoyaient elles aussi des consultations qui n'ont pu se tenir dans les délais prévus. De même, le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 2 juin 1987, à propos de la consultation qui devait être organisée en Nouvelle-Calédonie le 13 septembre 1987, a également admis que les Néo-Calédoniens qui étaient aussi interrogés sur la question de l'indépendance, puissent se prononcer sur le futur statut qui leur serait appliqué. A ce titre, le Gouvernement réfléchit actuellement à l'institution d'un mécanisme comparable pour les départements d'outre-mer. Les changements statutaires devraient aussi être préalablement soumis pour consultation à l'avis des populations locales quand ils portent sur des modifications substantielles.
Deuxièmement, s'agissant d'interroger les populations intéressées, le projet de loi doit nécessairement répondre aux obligations de clarté et de loyauté de la question posée, comme l'a rappelé le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 2 juin 1987. Cette double condition est effectivement remplie par le présent projet de loi : il n'y a pas d'ambiguïté à ce titre entre le statut de collectivité départementale et celui de département d'outre-mer puisque l'accord prend soin de préciser que le principe de spécialité législative continue de s'y appliquer. Je signale à cet égard qu'une partie du débat local qui a eu lieu à Mayotte dans les six derniers mois a justement porté sur le fait que le document d'orientation différait la transformation immédiate de l'île en département d'outre-mer qui aurait été incompatible avec le maintien d'un statut civil particulier. Par ailleurs, il faut rappeler qu'il y a 25 ans les Mahorais ont refusé le statut de territoire d'outre-mer qui apparaîtrait toujours à leurs yeux comme une régression juridique.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Ce projet de loi marque une nouvelle étape de l'histoire de Mayotte dans la République. Depuis un quart de siècle, Mayotte vit dans l'incertitude. L'accord signé le 27 janvier va permettre d'engager Mayotte sur la voie de la modernisation, dans le respect de l'identité locale.
C'est pourquoi, je vous invite à l'approuver.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 24 mars 2000)