Interview de M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, à France-Inter le 5 août 2002, sur les revendications concernant le regroupement des détenus en Corse, le bilan de la session extraordinaire du Parlement et les relations entre la majorité et l'opposition.

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Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson.- Avant de parler de la session extraordinaire qui s'est achevée samedi, je voudrais que l'on s'arrête un peu sur la Corse. Le Gouvernement a-t-il intérêt à faire un geste en direction des nationalistes, comme ils le demandent, en favorisant le regroupement des détenus sur l'île ?
- "Je crois d'abord que la loi doit être la même pour tous, que vous soyez originaires de Haute-Normandie, de Bretagne ou de Corse. Pour ce qui concerne le regroupement des détenus, il faut que la loi s'applique. Et quelle est la loi ? Lorsque vous êtes prévenu, c'est-à-dire que vous n'avez pas été condamné définitivement, vous êtes à la disposition du juge qui instruit votre affaire. Lorsque vous êtes condamné, c'est de la responsabilité de l'administration de la détention pénitentiaire que dépend l'exécution des peines, et l'administration pénitentiaire essaie de favoriser la réinsertion du condamné, généralement, en le mettant, si cela est possible et si l'ordre public n'est pas menacé, proche de sa famille. Voilà la réalité."
C'est plutôt oui, alors ?
- "Ce n'est pas "plutôt oui", c'est "appliquons la loi". Et s'il est possible, non pas pour les prévenus, mais pour les condamnés de les mettre dans un centre de détention proche de leur famille et si cela ne trouble pas l'ordre public, il n'y a pas de raison de leur appliquer un régime dérogatoire du droit commun. Par conséquent, appliquons la loi, rien que la loi et que la loi."
C'est le juriste qui parle ou c'est le politique qui trace la voie ?
- "C'est le magistrat parce que j'ai été longtemps magistrat avant de devenir député de l'Eure. Le magistrat veille à ce que la loi de la République soit la même pour tous."
On dit toujours que les textes difficiles doivent passer pendant les premiers mois d'une législature. A cet égard, êtes-vous satisfait de la session extraordinaire ? Est-ce que le contrat est rempli ?
- "Je suis satisfait parce que les textes qui ont été votés par le Parlement sont une rupture avec le passé. Nous avons d'abord voté l'amnistie. Amnistie traditionnelle mais, cette fois-ci, elle ne concerne que les contraventions de stationnement interdit et non dangereux et les tout petits délits alors qu'on avait pris, jadis, une orientation différente. Rupture dans le collectif budgétaire parce qu'au lieu de toujours augmenter les impôts, pour la première fois, on les baisse. Rupture dans la sécurité car des crédits importants ont été affectés pour renforcer la sécurité de nos concitoyens. Rupture dans la justice en faisant en sorte que la législation pénale soit adaptée aux mineurs délinquants, en faisant en sorte qu'il y ait une justice de proximité. Rupture avec les contrats-jeunes puisqu'il s'agit de favoriser les jeunes sans formation dans les entreprises privées. Alors oui, je suis content de cette rupture. Pourquoi je suis content ? Parce que dans la campagne électorale, à la fois présidentielle et législatives, nous avions pris un certain nombre d'engagements - J. Chirac avait pris un certain nombre d'engagements - et ils commencent à être tenus."
Un peu agacé quand même par cette histoire de rémunération des ministres ? Pour l'image, ce n'est pas très bon ?
- "Je ne suis pas agacé. D'abord, je suis content que les députés ont corrigé un amendement de monsieur Charasse, qui était un amendement mal fait, mal fabriqué où on prévoyait une rétroactivité et une défiscalisation partielle du traitement des ministres. Donc, L'Assemblée nationale a bien corrigé les choses. Mais je pense qu'en France, il faut éviter ces amendements de circonstance. Il faudra un jour que l'on se pose la question de la rémunération des élus qu'ils soient municipaux, départementaux, régionaux ou nationaux. Si nous ne voulons pas que la fonction politique soit entièrement dans la main des fonctionnaires, il faut permettre à celles et à ceux qui ne sont pas de la fonction publique de venir dans la fonction politique et lorsqu'ils ont terminé leur temps dans la fonction politique de repartir. C'est cela le statut de l'élu et je pense que nous perdons, à chaque fois, des occasions d'essayer d'élaborer un statut qui permette à tous les Français de s'engager dans la politique. Car un pays où il n'y a pas d'engagements politiques est un pays qui laisse son fonctionnement à une classe, à une catégorie, et c'est mauvais."
Mais cela peut venir de vous ?
- "Je le souhaite et je milite beaucoup depuis un certain temps pour qu'il y ait enfin un statut de l'élu digne de la fonction politique."
Les priorités pour la prochaine session, en dehors du budget qui est un sujet incontournable ?
- "Elles sont dans le prolongement de ce que je viens de dire : continuer à respecter et à transcrire dans la réalité juridique les promesses de J. Chirac et faire une rupture avec ce que nous avons connu. Rupture sur les 35 heures - il faut assouplir les 35 heures, permettre des heures supplémentaires ; rupture avec une attitude qui était absurde depuis quelques années [qui consistait à] ne pas voir le problème des retraites et, enfin, avoir une action décisive et une législation qui permettent à tous les Français d'avoir une retraite digne et acceptable."
Il faut quand même un certain temps aussi pour préparer ce genre de réformes puisque la majorité souhaite laisser les partenaires sociaux négocier entre eux ?
- "C'est pour cela qu'en ce qui concerne les 35 heures, me semble-t-il, et en ce qui concerne les retraites, elles n'ont pas fait partie des textes de la session extraordinaire et qu'elles ont été renvoyées à la session ordinaire du mois d'octobre, justement, pour permettre - cela aussi c'est une rupture avec le passé - qu'il y ait un dialogue entre le Gouvernement et les partenaires sociaux."
Le PS étant encore sous le choc de sa défaite, c'est l'UDF qu'on a beaucoup entendu ruer dans les brancards, notamment sur le projet pour la justice. Vous pensez que cela peut aller plus loin ?
- "J'aime les choses claires. Je crois qu'il y a, aujourd'hui, du fait du résultat des élections une majorité et une opposition. C'est cela d'ailleurs la République et la démocratie et qu'à force d'être ailleurs on est nulle part."
L'opposition, elle, trouve qu'on est pas très gentil à son égard au Parlement, compte tenu du faible effectif et que vos députés sont un peu trop remuants. Quel style de président êtes-vous ?
- "Je l'ai dit et que j'ai mis en application ce que je voulais : un Parlement digne où l'opposition est respectée. J'étais très heureux de constater dans Le Figaro de samedi que M. Ayrault reconnaissait les efforts que je fais pour que l'opposition soit entendue."
Il trouve quand même que les députés de la majorité sont trop chahuteurs.
- "Que se passait-il avant ? Je crois que nous serions bien inspirés à être plus disciplinés... Mais les Français sont ainsi et les députés sont à l'image de la France : volontiers frondeurs et indisciplinés. Ce qui est important, au final, c'est que des lois, des bonnes lois soient respectées. Je souhaite que le Gouvernement légifère mieux mais moins ; je souhaite qu'il n'utilise pas trop souvent l'urgence ; je souhaite que la majorité soit cohérente et je souhaite - et c'est de ma responsabilité ; l'une de mes responsabilités - que l'opposition puisse faire entendre sa voix. Car quelle est la finalité du Parlement dans une République ? C'est de faire en sorte que dans ce lieu magique qu'est l'Hémicycle, le Palais Bourbon, des hommes et des femmes quelle que soit leur tendance, quel que soit leur itinéraire passé, quelle que soit leur condition puissent s'exprimer librement. C'est ce qui distingue la République des régimes totalitaires."
Vous avez toujours en tête une réforme du fonctionnement de l'Assemblée, avec notamment le regroupement des questions d'actualité ?
- "Je réunis régulièrement - c'est aussi une rupture avec le passé - les présidents des groupes parlementaires, de tous les groupes parlementaires et, avec eux, je propose des modifications de fonctionnement de l'Assemblée nationale. J'y vais lentement, j'y vais sûrement car j'ai une conviction : l'Assemblée nationale, le Parlement est nécessaire à la démocratie mais la démocratie doit se moderniser."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 août 2002)