Eléments de la déclaration de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, sur la décentralisation et les libertés locales, la territorialisation des politiques publiques et le principe de péréquation, Marseille le 25 octobre 2002.

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Circonstance : Réunion des assises des libertés locales de Provence-Alpes-Côtes-d'Azur, à Marseille le 25 octobre 2002

Texte intégral

Introduction : la décentralisation est une chance pour mobiliser les territoires
La décentralisation, débat de spécialistes, devient un débat de société. L'un des objectifs de ces assises est d'y associer les Français. Ceux-ci s'y intéressent parce qu'ils sentent bien qu'il s'agit d'un débat de fond qui peut profondément influer, positivement ou négativement, sur leur vie quotidienne.
La décentralisation ne doit nuire à personne, elle doit être porteuse de valeur ajoutée, fondée sur une logique gagnant/gagnant : il faut dissiper les inquiétudes et clarifier les termes de la future équation des territoires et des pouvoirs.
1 - le sens de la décentralisation : faire confiance aux territoires
2 - la condition de la décentralisation : garantir la solidarité entre territoires
3 - la dimension humaine de la décentralisation : la réforme de l'Etat
1 - Le sens de la décentralisation : faire confiance aux territoires
La décentralisation n'est pas une fin, elle est un moyen au service d'un projet : celui d'une France plus efficace, plus solidaire et plus citoyenne.
L'objectif est de répondre aux besoins des Français au niveau le plus efficace et le plus pertinent, à partir du constat que ce n'est plus à l'Etat de tout contrôler et de tout régenter.
Faire confiance aux territoires, c'est faire le pari qu'ils sauront mieux ensemble réunir les conditions de leur attractivité, en terme de services, d'équipements, de qualité de vie et d'environnement, mais aussi en termes de solidarité, de participation, de gouvernance.
Faire confiance aux territoires c'est faire le pari de leur responsabilisation.
Les territoires ont-ils la capacité et la volonté d'assumer leur développement, sans la tutelle de l'Etat ? Sont-ils capables de dépasser les logiques de pouvoir qui les opposent et conduisent à accroître inégalités et disparités ? Sont-ils capables de s'entendre sur une allocation optimale de l'espace et des ressources financières et fiscales ?
Pour éviter la concurrence, voire les oppositions entre niveaux de collectivités, il faut que la décentralisation se donne pour objectif de les faire converger, de les réunir autour des projets et des contrats de territoire.
Or le débat est centré sur les enjeux institutionnels, sur la place de la région et du département, qui ont évidemment un rôle essentiel à jouer en termes de cohérence pour la première et de proximité pour le second. Mais la décentralisation ne doit pas avoir pour effet de conforter des féodalités qui confisqueraient les libertés locales.
La recomposition des territoires, le formidable mouvement de la coopération entre communes qui leur donne les moyens de maîtriser leur destin, en cours depuis 10 ans, est la grande nouveauté.
L'intercommunalité devrait être l'un des socles de la nouvelle décentralisation. Or elle est quelque peu occultée, voire absente des débats. Pourquoi taire cette recomposition des territoires à partir des communautés et des pays, alors qu'elle constitue une chance pour la décentralisation et lui donne une toute autre perspective ?
2- La condition de la décentralisation : garantir la solidarité entre territoires
Comment répondre à la dénonciation de la " décentralisation peau de chagrin " ou libérale, dans laquelle l'Etat se désengagerait, selon laquelle il n'entendrait plus assurer la solidarité entre territoires, les livrant à eux-mêmes, ne garantissant plus l'égalité des chances ni la présence des services publics ?
La correction des inégalités et des déséquilibres a un nom : c'est la péréquation. La bonne péréquation consiste à assurer l'égalité des chances et non l'égalité des situations. La mauvaise péréquation a pour effet le saupoudrage et l'assistanat. L'inefficacité de la péréquation nationale actuelle est avérée. Personne ne nie qu'il faut totalement la repenser. Le débat sur la décentralisation en est l'occasion.
La repenser en fonction de nouveaux paramètres et de nouvelles échelles : quels sont les vrais déséquilibres entre bassins de vie (et non plus entre communes), en terme de pouvoir d'achat global, en terme d'équipements et de services, en terme de revenus ? Comment comparer les territoires les uns aux autres ? Comment faire des choix qui soient de vraies réponses aux déséquilibres constatés et non du saupoudrage ?
L'Etat a un rôle majeur à jouer en terme de péréquation pour garantir l'égalité des chances mais il n'est plus le seul : l'Europe, la région, le département font de la péréquation dans tous les domaines en soutenant des projets, en réalisant infrastructures et équipements
La péréquation passe à l'avenir par le soutien à des projets globaux porteurs de valeur ajoutée, et non plus par un saupoudrage de dotations qui a montré ses limites et ses effets pervers.
Il faut ainsi renforcer les mécanismes de péréquation " par le bas ", volontaires et souples, qui permettent de mutualiser les richesses et les charges et de corriger les disparités de richesses et de développement entre les communes. L'intercommunalité montre la voie.
Le partage de la taxe professionnelle permet une vraie péréquation entre les communes, à travers le financement de projets communs comme à travers les dotations de solidarité communautaire.
La DGF intercommunale, largement répartie en fonction du potentiel fiscal, est un outil efficace de péréquation entre les communes. Mais elle ne pèse que 5% de la masse. Sa consolidation au niveau des territoires démultiplierait son effet péréquateur.
3 - La dimension humaine de la décentralisation : la réforme de l'Etat
La décentralisation est aussi, et avant tout, une affaires d'hommes et de femmes, sa dimension humaine est essentielle. Il faut la prendre en compte, contrairement à l'expérience de 82/83. L'adhésion des agents de l'Etat à cette seconde étape de la décentralisation est une condition de son appropriation, de son acceptation et donc de son succès.
Est-ce que les hommes et les femmes qui servent l'Etat sont prêts à jouer le jeu de la décentralisation, à se mettre " au service des territoires " ?
Deux voies conjointes doivent conduire à cette réforme de l'Etat :
- le transfert des compétences de l'Etat vers les collectivités s'accompagnera du transfert d'une partie de ses agents, à condition que leur nouveau statut leur soit favorable,
- la convergence des politiques et des acteurs publics autour des territoires de projet obligera l'Etat à se réorganiser et à engager sa propre territorialisation.
La réforme de l'Etat ne saurait se réduire à la question du nombre de fonctionnaires, mais doit être axée sur celle de la qualité du service public qu'attendent nos concitoyens. Ceux-ci contestent l'action de l'Etat et des collectivités locales lorsqu'elle n'est ni efficace, ni de bonne qualité ni d'un coût accepté.
L'action de l'Etat et des collectivités locales sera d'autant plus efficace que leurs agents seront motivés. Ceux-ci le seront d'autant plus qu'ils seront reconnus dans leur fonction, associés à l'action et considérés dans leurs conditions de travail.
Territorialiser les politiques publiques, c'est aussi rationaliser, responsabiliser et apprendre à évaluer. C'est enfin rendre compte au citoyen, usager et contribuable. Cela demande patience et détermination.
Notre gouvernement en a l'ambition.
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 30 octobre 2002)