Déclaration de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, sur la décentralisation, la mise en oeuvre de l'expérimentation et de l'égalité entre les collectivités territoriales et sur les transferts de compétence en matière de fiscalité et de péréquation fiscale, Rennes le 4 novembre 2002.

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Circonstance : 5èmes assises des libertés locales à Rennes (Ille-et-Vilaine), le 4 novembre 2002

Texte intégral

Monsieur le Président du Conseil Régional
Monsieur le Maire de Rennes
Madame la Préfète
Madame et Messieurs les élus
Madame et Messieurs les membres du gouvernement

Je suis heureux de vous accueillir ici, dans ces 5ème Assises des Libertés Locales.
Je voudrais vous dire d'abord un mot sur la signification de ces Assises des Libertés Locales. Destinées à rassembler les élus, les responsables territoriaux et l'ensemble des acteurs locaux, elles sont précédées d'ateliers départementaux thématiques. Les sujets choisis dans vos départements ont été l'eau, l'environnement, le tourisme et naturellement l'agriculture, mais d'autres sujets encore et ils serviront à animer les tables rondes qui auront lieu ce matin.
Ces Assises sont destinées à faire s'exprimer très librement toutes les appréciations sur le processus de décentralisation. Quand on fait de la concertation, on ne peut tomber que sous deux reproches : soit on a la liberté et certains veulent la confondre avec le désordre, soit c'est téléguidé et certains diront que c'est un faux semblant. Je préfère pour ma part que ce soit la liberté.
J'ai entendu que ce débat était éclairé par quelques craintes et je voudrais en parler brièvement en introduction. Craintes sur l'expérimentation, craintes sur l'égalité, craintes sur la fiscalité.
Craintes sur l'expérimentation : d'abord je veux dire que l'expérimentation n'est pas un fait nouveau. Nous avons en effet déjà utilisé ce procédé à de nombreuses reprises, et sous presque tous les gouvernements. Nous avons d'abord utilisé l'expérimentation avec la loi Simone Veil sur l'interruption volontaire de grossesse. La loi de 1975 prévoyait en effet un rendez-vous cinq ans après pour savoir si cette loi devait perdurer. Ce rendez-vous a eu lieu en 1979, et naturellement la loi a été maintenue. L'expérimentation a également été utilisée à partir de 1995, au sujet des trains express régionaux. Sept régions, six d'abord plus une septième ensuite, ont expérimenté la compétence sur les trains express régionaux. Cette expérimentation a été très fructueuse : le Président du Conseil Régional d'Alsace, Adrien Zeller, explique souvent qu'elle a permit de gagner 5% de productivité par an , les voyageurs étaient contents, les personnels motivés, les trains partaient à l'heure, bref tout le monde était satisfait. Au final, cette expérimentation a été généralisée. Dans la loi démocratie et proximité du précédent gouvernement, l'expérimentation a aussi été prévue pour les ports, les aéroports, l'inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. C'est donc un procédé qui a été largement utilisé et qui la plupart du temps a donné satisfaction.
Ce qui a été dans le passé sera dans l'avenir. Naturellement l'expérimentation doit être encadrée, et ne doit pas conduire à une France disparate comme certains le craignent. Mais qu'ils se rassurent : le Sénat a d'ores et déjà, par un amendement qui a été accepté par le gouvernement, apporté deux critères d'encadrement :l'expérimentation doit avoir une durée limitée, et elle doit avoir un objet limité. J'y ajouterais pour ma part encore d'autres critères qui seront précisés par de la loi organique, mais qui sont simples à concevoir. Une expérimentation doit être réversible. Elle doit faire l'objet d'une évaluation. Enfin, l'expérimentation doit être le fait de volontaires, et seulement de volontaires.
En réalité l'expérimentation est un outil de modernisation. L'Etat d'ailleurs l'utilise régulièrement. Par exemple, et c'est le cas aujourd'hui, lorsqu'à peu près un tiers des Préfectures ont leur crédit en gestion globalisée. C'est une expérimentation qui dure depuis une dizaine d'années à peu près, qui monte en puissance, qui produit d'heureux résultats, et dont personne ne parle. Quand c'est l'Etat, on accepte l'expérimentation, quand c'est les collectivités territoriales on a d'avantage de réticences. Mais en réalité le procédé est le même et le fait qu'il puisse être inscrit dans la Constitution lui donnera un encadrement juridique. En effet, l'expérimentation n'était jusqu'à présent qu'une construction jurisprudentielle, instable, soumise à des revirements éventuels de jurisprudence et en tous les cas à quelques incertitudes juridiques. Grâce à sa constitutionnalisation, l'expérimentation sera un outil permanent de notre modernisation. Elle permet aussi naturellement de contourner les conservatismes, parce que bien souvent il est vrai, il n'y a que des volontaires pour expérimenter une nouvelle technique, une nouvelle approche, et c'est lorsque ceux-ci ont fait leur preuve que les plus frileux acceptent de s'y soumettre. Par conséquent, c'est une bonne méthode et il n'y a nul lieu de craindre qu'elle soit facteur de division dans notre pays.
Je veux à cet égard rappeler que naturellement, l'uniformité n'est pas l'unité. L'unité, c'est quelque chose de beaucoup plus profond et notre pays depuis très longtemps est assuré dans son indivisibilité. Il en est assuré d'abord par son histoire : n'oublions pas que la nation française a été soumise à la révolution de 1789, l'a surmontée sans aucune division, est restée profondément unie, et y a même trouvé le creuset de son unité. Cette même nation a connu après Napoléon quatre occupations étrangères, qui n'ont pas plus altéré son unité. Aujourd'hui, ce n'est ni une réforme de la Constitution, ni la décentralisation qui menacent son unité!
Deuxième sujet de préoccupation, l'égalité : oui l'égalité c'est ce que nous souhaitons de plus pour nos citoyens et pour nos territoires. Regardez la carte de France : les TGV, les autoroutes, les lignes aériennes, tout cela converge vers Paris. Ai-je besoin en Bretagne de parler de l'inégalité des territoires ? Vous le vivez au quotidien, vous savez parfaitement ce qu'est un territoire situé loin de la capitale, loin des grands axes, qui très souvent a été abandonné et laissé en jachère par la République. L'inégalité c'est exactement ce dont nous souffrons aujourd'hui! Dans la réforme de la Constitution et pour la première fois dans notre histoire, l'Etat aura l'obligation de corriger ces inégalités des territoires. Jusque-là c'était un programme politique, maintenant cela devient une obligation constitutionnelle. Cette obligation représente un grand progrès social et l'Etat s'en acquittera par tous les moyens, dont la péréquation. Par conséquent, qu'on ne vienne pas nous dire que le fait de donner plus de liberté aux acteurs locaux, le fait de faire respirer nos territoires, de ressusciter la capacité d'initiative des élus et des acteurs économiques et sociaux de nos territoires, tout ceci serait une menace pour l'égalité!
J'en viens à la question fiscale, car je sais que vous avez beaucoup travaillé sur cette question ici, et là encore la réforme constitutionnelle apportera un certain nombre de satisfactions. En effet, elle pose quatre principes fiscaux qui jusque là étaient méconnus par le droit et en tous les cas qui n'avaient pas force constitutionnelle :
- Le premier principe : c'est la libre disposition par les collectivités territoriales de leurs ressources. Combiné avec d'autres principes, cette libre disposition empêchera l'Etat de reproduire ce qu'il a fait, par exemple, pour l'aide aux personnes âgées. Vous vous souvenez de ce qui s'est passé il y a quelques années. L'Etat a évalué le coût de cette politique à 800 millions d'euros; aujourd'hui, en 2002, elle coûte 2 milliards d'euros et l'année prochaine en 2003, elle coûtera 3 milliards et demi d'euros. L'Etat s'est trompé ou a sous-estimé le coût de la mesure. La différence est évidemment à la charge des départements qui voient leur fiscalité exploser. Si la fiscalité locale augmente, ce n'est pas dû à l'irresponsabilité des élus locaux , c'est souvent parce que l'Etat s'est comporté à l'égard des collectivités territoriales avec un impérium qui ne leur laisse d'autres choix que de l'augmenter.
- Le deuxième principe qui intervient : c'est celui de l'honnêteté des transferts de compétences. Chaque fois qu'une compétence sera transférée à une collectivité territoriale, l'Etat devra transférer en même temps les ressources qu'il employait à l'exercice de cette compétence. Ce n'est pas un principe nouveau que de l'affirmer, puisque dans sa réforme, Gaston Defferre l'avait prévu. Mais, c'était jusqu'à présent du domaine de la loi ordinaire; aujourd'hui cela devient un principe constitutionnel. La différence est importante parce que le Conseil Constitutionnel ne faisait pas droit à cette obligation jusque là. Lorsqu'elle sera inscrite dans la Constitution, cette obligation sera naturellement contraignante et l'Etat devra la respecter.
- Troisième principe inscrit dans la Constitution et qui assure une restauration de la fiscalité locale : la part des ressources propres des collectivités territoriales doit être "déterminante" par rapport à l'ensemble de leurs ressources. Je sais bien qu'il y a un débat sur ce terme, mais pour moi, "déterminant" c'est ce qui donne le sens, ce qui détermine.
- Enfin 4ème principe : celui de la péréquation. En matière de péréquation, il y a deux approches possibles : la péréquation horizontale, (on prend à certaines collectivités pour donner à d'autres), et la péréquation verticale (ce que l'Etat donne, il le donne de manière différenciée aux uns ou aux autres pour corriger les inégalités). On le voit bien avec la dotation globale de fonctionnement. Actuellement, celle-ci représente 18 milliards d'euros, plus 12 milliards d'euros de dotations annexes, soit un total de 30 milliards. Cette somme est distribuée selon des critères qui sont le fruit de l'histoire et ne tiennent pas toujours compte des inégalités actuelles. Dans ce domaine, une remise à plat pourra permettre une péréquation verticale qui serait plus utile et plus pertinente que celle que nous pratiquons aujourd'hui.
Vous le voyez, cette réforme de la Constitution est une réforme très importante. Elle est non seulement destinée à donner davantage de libertés et de responsabilités aux élus, mais en réalité, elle est aussi et surtout faite pour le citoyen. C'est une réforme, je l'ai dit dans les autres assises et je le répète ici, qui n'est ni de droite ni de gauche. Il est bien vrai que jusque-là, nous avons les uns et les autres joué au petit jeu politicien de la droite contre la gauche, de la gauche contre la droite, quelque soit le sujet. En 1969, le vaste projet de décentralisation du Général de Gaulle a été combattu activement, par la gauche pour des raisons qui la plupart du temps n'avait rien à voir avec le contenu du projet. En 1982, mes amis politiques ont à leur tour combattu systématiquement le projet de Gaston Defferre pour des raisons qui avaient souvent peu à voir avec le contenu de la réforme. J'aimerais qu'aujourd'hui nous n'assistions pas au troisième épisode. Chacun doit comprendre que cette décentralisation est d'abord destinée au citoyen, afin qu'il ait un meilleur service public. Car si l'Etat décentralise aujourd'hui, c'est parce qu'il considère que le service public qu'il rend est souvent insuffisant, et que c'est par un service de proximité qu'il le rendra meilleur.
C'est vos travaux, en tous les cas, qui vont permettre d'analyser ceci plus avant. La décentralisation est un chantier complexe. Il s'agit notamment de trouver le niveau pertinent pour exercer les compétences. Il y a des évidences, mais il y a d'autres domaines dans lequel les choses sont moins certaines. C'est pour cela que ces assises sont utiles, et c'est pour cela que le travail préparatoire et les tables rondes que vous allez avoir maintenant sont indispensables.
Je vous remercie.

(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 18 novembre 2002)