Déclaration de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, sur les mesures prises pour développer les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) dans les services de l'administration d'Etat et au sein des collectivités locales, Paris le 21 novembre 1999.

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Circonstance : 82ème Congrès de l'Association des Maires de France à Paris du 23 au 25 novembre 1999-participation au débat sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication, le 24

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
On dit souvent qu'un tiers de la croissance des Etats-Unis est " tiré " par les nouvelles technologies pour ajouter aussitôt qu'en France, le commerce électronique ne dépasse pas le chiffre d'affaire d'un supermarché de taille moyenne. Je refuse, pour ma part, de céder à cette tendance à l'autocritique pour relever immédiatement que notre pays compte aujourd'hui entre 5 et 6 millions d'internautes, une entreprise sur deux connectée et plus de 1000 sites de collectivités locales.
Les conseils généraux et les grandes villes comptent en moyenne chacun un peu plus de 500 postes de micro-informatique. Les services de l'Etat ne sont pas en reste depuis le lancement par ce gouvernement, en janvier 1998, " d'un programme d'action gouvernemental pour préparer l'entrée de la France dans la société de l'information " (PAGSI).
Certes, quelques esprits chagrins regrettent que le bureau sans papier ne soit pas déjà une réalité. Je préfère souligner la formidable avancée de notre pays dans le domaine des nouvelles technologies grâce à l'intervention des collectivités locales, au volontarisme des services publics, une avancée telle qu'elle nous conduit déjà à nous interroger sur certaines de ses conséquences.
J'avais moi-même, au début de l'année 1998, chargé un expert reconnu, Monsieur Bacquiast, de formuler des recommandations pratiques pour accompagner le déploiement d'internet dans l'administration de l'Etat. Toute une série d'entre elle ont été mises en uvre :
- développement d'internet : financement d'équipements, de réseaux, de formations... ;
- travailler ensemble : financement et mise en uvre des SIT ;
- donner suite au rapport par une réflexion concrète.
C'est ainsi qu'à la demande du Premier ministre, un conseiller d'Etat, Monsieur Bruno Lasserre, a été chargé d'approfondir cette réflexion en l'élargissant à l'ensemble des nouvelles technologies.
En tant que ministre de la réforme de l'Etat, d'une part, et en tant que ministre de la décentralisation, d'autre part, je constate que l'introduction des nouvelles technologies dans les administrations pose des problèmes de même nature aux collectivités locales et à l'Etat : il s'agit d'analyser et de gérer les changements provoqués par une technique de réseau sur des organisations hiérarchisées, pyramidales, ayant pour vocation d'offrir gratuitement des prestations à un public diversifié.
L'apport des NTIC se décline à la fois en termes d'organisation des administrations et en termes d'offre de nouveaux services au public. D'où la nécessité de nouvelles relations à la fois avec les agents et les usagers.
I - DE NOUVELLES RELATIONS AVEC LES AGENTS -
I - 1. Une première facette de l'apport des NTIC concerne l'amélioration du fonctionnement interne d'une collectivité : c'est le domaine de l'intranet et des messageries, dans lequel les initiatives foisonnent sur le terrain.
Les avantages immédiats ou potentiels des NTIC sont connus :
- accès plus rapide à des correspondants et à des bases d'information qui peuvent être dispersés,
- réduction de la division du travail autorisant plus de réactivité et de coopération dans la gestion des dossiers y compris entre services géographiquement éloignés. Certaines collectivités ont déjà utilisé ces potentialités pour créer, dans les quartiers ou en certains points du département, des antennes à caractère polyvalent.
I - 2. Pour en tirer le bénéfice, il faut s'attacher à insérer la gestion de ces outils dans un système rénové obtenant l'adhésion des agents.
Les NTIC permettront ainsi une véritable mutation du mode d'action de l'administration avec pour objectifs l'innovation dans l'exercice des missions de service public, un nouveau rôle de la hiérarchie, la redéfinition des missions des services informatiques, et une gestion par projet.
Tout cela l'ira pas sans adaptation en terme d'aménagement du temps de travail, de gestion des ressources humaines, de formation pour accompagner l'évolution des métiers :
- les métiers à renforcer (chef de projet, informaticien territorial...) ;
- les métiers en mutation (gestionnaire de réseau informatique, responsable de sécurité informatique...) ;
- les métiers émergents : Webmestre, documentaliste multimédia, directeur des télécoms (actuellement 18 % des villes supérieures à 100.000 habitants en sont dotés), etc...
Le déploiement des NTIC doit être intégré dans une stratégie globale de modernisation des services. Sans vue d'ensemble, les mêmes outils aboutiront à des résultats insatisfaisants.
I - 3. Il convient, également, d'anticiper les lectures diverses qui peuvent être faites des nouvelles organisations du travail.
Le développement des messageries peut être perçu par les agents comme une opportunité d'élargissement de leurs relations professionnelles, de décloisonnement des services ou, à l'inverse, comme destructeur des équipes traditionnelles et comme facteur de marginalisation (cf les réticences vis-à-vis du télétravail).
- Les TIC responsabilisent les agents mais peuvent aussi mettre en évidence l'inadéquation de certains postes face à une exigence nouvelle de polyvalence ou la crainte de nouvelles formes de contrôle.
- Plus généralement, les TIC servent de révélateur en amplifiant les qualités et les défauts de l'organisation du travail.
II - DE NOUVELLES RELATIONS AVEC LES USAGERS -
Les NTIC permettent d'offrir de nouveaux services aux usagers (citoyens, entreprises, autres services publics...).
II - 1. Un nombre en croissance très rapide de collectivités (une vingtaine créent leur site chaque mois) offre des sites Internet. On en compte aujourd'hui plus de 1000.
Deux objectifs sont en général mis en avant : valoriser la commune par la diffusion d'informations susceptibles de la rendre attractive vis-à-vis des investisseurs potentiels et des touristes ou offrir de nouveaux services à la population (mise à disposition de formulaires, prise de rendez-vous avec des élus, courrier électronique avec les services...).
Les expériences d'enrichissement de la démocratie locale (participation à distance à des réunions, lieux d'expression etc...) restent peu nombreuses et les réussites, qui existent (Parthenay, Marly-le-Roy, Issy-les-Moulineaux) insuffisamment connues.
II - 2. Dans ce domaine, les administrations de l'Etat comme des collectivités, s'inscrivent dans une logique de l'offre.
Mais la familiarisation d'un public de plus en plus nombreux avec les ressources et l'utilisation effective des NTIC fait apparaître une demande croissante.
Comme l'a bien montré la consultation sur Internet à l'occasion de la préparation d'un nouveau portail Internet de l'administration d'Etat, les TIC renforcent le niveau d'exigence des citoyens et des entreprises (simplification de l'accès au guichet, amélioration des délais de réponse, suivi et personnalisation des contacts...). Les collectivités locales, par le contact direct avec la population, sont, sans doute, mieux placées pour en cerner les besoins. C'est le mérite de rencontres telles que celle qui nous rassemble aujourd'hui de faciliter la mise en commun d'informations et de réflexions sur des sujets qui restent encore largement à défricher.
II - 3. Prévenir " l'illétrisme numérique "
Il ne faut pas que les NTIC engendrent de nouvelles fractures générationnelles, sociales et géographiques.
Il nous appartient à tous d'y veiller. Le niveau local me paraît à cet égard le mieux placé pour prévenir les discriminations et exclusions à l'égard des nouveaux services par :
- le développement des points publics d'accès,
- le raccordement des établissements scolaires : grâce à l'effort conjoint de l'Etat et des collectivités, 85 % des lycées, 55 % des collèges, 10 % des écoles primaires sont aujourd'hui connectés. Il est certain que la partie la plus décisive se joue là.
III - CE CHANTIER DE LA MODERNISATION DES SERVICES PUBLICS GRACE AUX NTIC DOIT CONDUIRE LES COLLECTIVITES LOCALES ET L'ETAT A TRAVAILLER DE CONCERT -
Les usagers réclament une information globale, indépendamment des attributions respectives des différentes administrations, souvent mal identifiées.
Pour cela, Internet offre des possibilités intéressantes de passerelles. Les différents sites doivent avoir des démarches de type portail avec des liens vers les sites généralistes comme Légifrance ou Admifrance.
Ainsi, au niveau régional ou départemental, on peut penser à des portails associant les services de l'Etat et différentes collectivités locales comme cela se pratique déjà dans certaines préfectures (ex : préfecture de l'Eure, sous-préfecture de Châlon sur Saône, etc...).
L'Etat a dans ce domaine la responsabilité d'adapter les normes juridiques. Plusieurs dossiers sont en cours :
- l'autorisation de techniques de cryptage plus avancées,
- le projet de loi reconnaissant la signature électronique,
- le projet de loi DCRA qui prévoit l'expédition de courrier électronique sous réserve de certification,
- le futur projet de loi sur la société de l'information préparé sous l'égide de mon collègue Christian Pierret.
Mais au-delà des aspects réglementaires, c'est aussi un mode de travail en commun entre l'Etat et les collectivités locales qu'il faut développer.
A l'évidence, le fonctionnement en réseau des services publics rendra beaucoup moins étanches les frontières traditionnelles entre administrations de l'Etat et collectivités locales. Des applications spécifiques pourront faciliter la gestion de nombreux dossiers partagés comme l'urbanisme ou, bien sûr, le contrôle de légalité.
Pour les services déconcentrés de l'Etat, le gouvernement a décidé la généralisation des SIT d'ici la fin de l'année 2000. Lorsque ces SIT auront atteint un rythme de croisière, leur ouverture aux collectivités locales deviendra possible.
En conclusion : il est tentant de voir dans cette révolution technologique le ferment d'une nouvelle forme de société. C'est à cette mutation de la société industrielle vers une " société en réseau " que nous devons tous préparer la France. En l'espace de deux ans, un pas considérable a été franchi.
Ainsi, cet été, l'université de Maastricht a rendu publique une étude sur la bonne utilisation des NTIC par l'administration : cette enquête réalisée dans quinze pays d'Europe a classé la France en première position, juste devant le Danemark, le Royaume-Uni et l'Allemagne.
Mais il nous appartient à tous de faire en sorte que cette mutation ne reproduise pas les exclusions de la société industrielle. Au-delà des miracles de la technique, le facteur humain reste en effet la clef de la réussite.
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 26 novembre 1999)