Déclaration de M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille, sur la notion de "parentalité", somme de droits et de devoirs des parents vis-à-vis de leurs enfants, les problèmes de l'adoption, la délinquance des mineurs, leur santé, leur éducation et l'aide aux familles en difficulté, Périgueux le 7 novembre 2002.

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Circonstance : Colloque sur la parentalité à Périgueux (Dordogne), le 7 novembre 2002

Texte intégral

Monsieur le ministre
Madame la présidente,
Mesdames, messieurs,
Permettez-moi de vous remercier pour l'occasion qui m'est offerte d'intervenir sur les terres de mon ami Xavier Darcos, au travers d'un sujet aussi important, la parentalité, et de surcroît devant un parterre de spécialistes.
Je sais que les travaux que vous avez menés ce matin ont vocation à s'inscrire dans la durée. Aussi, il me paraît important de vous dire ce qu'évoque pour moi la parentalité et d'aborder devant vous les orientations qui sont et seront les miennes dans les mois à venir.
Première surprise: ce mot n'a pas de définition consensuelle, ni même d'existence juridique. Dès lors, on le restreint le plus souvent au concept d'autorité parentale. Décliné sous de multiples formes, (monoparentalité, homoparentalité, co-parentalité pour ne citer que les expressions les plus connues) il est le reflet des évolutions, des transformations que la famille a pu connaître ces dernières années et qui ont eu tendance à remettre en cause le modèle familial traditionnel. Même si, faut-il rappeler, plus de 8 enfants sur 10 vivent encore avec deux parents, que la famille reste largement plébiscitée chez nos concitoyens et qu'elle demeure le lieu de la solidarité et du soutien intergénérationnel. Les transferts financiers entre générations sont d'ailleurs là pour le prouver. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai demandé que soit doublé, dans le projet de loi de finances 2003, l'abattement pour les donations entre grands-parents et petits-enfants.
La parentalité peut néanmoins apparaître comme la résultante de l'émergence de familles au pluriel mais aussi des principes de la Convention de New York des droits de l'enfant de 1989 qui, au concept d'autorité parentale, substitue celui de responsabilité parentale.
La parentalité est pour moi une sorte d'alchimie de droits et de devoirs. Je serais enclin à dire qu'elle s'apparente à tout ce qui peut concourir à structurer l'enfant.
Des droits, tout d'abord. Je les illustrerai par un exemple. C'est une évidence que de relever depuis plusieurs années l'évolution significative des aspirations de nos enfants et plus particulièrement des pré-adolescents et des adolescents.
L'avancée de l'âge de la puberté peut expliquer pour partie ce phénomène. Elle ne signifie pas pour autant avancée concomitante de la maturité. On rejoint ici le débat actuel sur le rôle des médias. Une politique de la parentalité doit reposer sur une éthique des médias. Peut-on laisser impunément certains de ceux-ci déresponsabiliser de jeunes adolescents qui ne sont encore que des enfants et n'ont que trop tendance à confondre image et réalité?
La lutte que le Conseil supérieur de l'audiovisuel, en la personne de son président Dominique Baudis, mène contre la violence, prise dans son sens le plus large, et dans laquelle mon ministère se trouve en première ligne, s'inscrit dans le droit fil de ce que je viens de dire. Il n'est point question de morale mais bien de l'avenir de nos enfants.
Des devoirs ensuite. Cette aspiration à l'émancipation, dont je viens de parler, peut venir heurter de plein fouet le besoin d'institution, autre pilier de la parentalité, ce besoin de référentiel commun, de valeurs partagées, en un mot en un seul les devoirs qu'incarnent l'ordre familial, l'autorité parentale.
La aussi j'éclaire mon propos par un exemple qui est l'occasion pour moi de dissiper des malentendus: j'ai installé, avec Xavier Darcos et d'autres ministres du gouvernement, le 1er octobre dernier, un groupe de travail sur les obligations scolaires.
Parce que je considère que la scolarité est un moment essentiel sur le chemin de la citoyenneté, il m'est apparu, il nous est apparu nécessaire d'aider les parents mais aussi le corps enseignant qui, au quotidien, se trouve confronté à de nombreuses formes d'incivilités dont l'absentéisme, qui concerne semble-t-il près de 15 % des enfants de plus de 11 ans, est un exemple.
Trop longtemps, le discours politique a privilégié les droits des enfants sans valoriser suffisamment l'autorité des parents. Trop longtemps, nous parents avons transféré aux enseignants une partie de nos devoirs.
La volonté qui est la nôtre est non seulement de faire prendre conscience de leurs devoirs en matière de scolarité, à ceux qui voudraient s'y soustraire mais aussi de soutenir des parents qu'il ne s'agit point de stigmatiser mais bien de responsabiliser !
Ce mal touche ou peut toucher peu ou prou n'importe quelle famille. Rappelons-nous cet article 371 du Code civil, trop souvent oublié : " l'enfant à tout âge doit honneur et respect à ses père et mère. " Certains pourraient être enclins à le trouver désuet. Je suis de ceux qui, au contraire, lui reconnaissent le ton de la modernité.
Il est vrai aussi de dire qu'une société ne sort pas indemne de périodes économiquement difficiles, d'une lente déstructuration, voulue ou non, de la société, de la cellule familiale.
Si comme je vous l'ai dit, 8 enfants sur 10 vivent avec leur père et leur mère, un enfant sur cinq dont les parents sont séparés ne voient leur père que moins d'une fois par mois et un quart d'entre eux ne le voit jamais. Or, la présence paternelle est aussi essentielle. A tout le moins, il convient de réexaminer de manière globale notre droit de la famille et vraisemblablement aussi notre système de protection sociale afin de faciliter le maintien d'une relation permanente entre l'enfant et les parents. La place du père est souvent fragilisée dans les situations de rupture du couple. Le père ne peut devenir un parent secondaire.
Mais, il nous faut aussi uvrer en amont, dans une démarche préventive à travers le soutien au développement de structures de conseil conjugal et familial et des formations des personnes ressources. Le Conseil national de la médiation familiale s'inscrit dans cette perspective. Les travaux qu'il a accomplis sur la formation des médiateurs familiaux sont porteurs d'espoir. J'espère être en mesure d'annoncer la création de ce diplôme à la fin du premier semestre 2003.
On ne peut éluder par ailleurs la question de l'adoption. J'ai mis en place le 12 septembre dernier avec J-F Mattéi, le Conseil national d'accès aux origines personnelles. Je ne crois pas le lieu choisi pour m'exprimer sur ce qui est, en soi, un sujet à part entière. Il n'en reste pas moins que se pose la question de l'exercice de la parentalité hors de toute filiation. Elle est réalité. Pourtant, les moments difficiles de l'adolescence, plus que dans tout autre situation, s'avèrent souvent ceux de la remise en question de liens tissés, moment que nombre de parents abordent avec appréhension. Il nous faudra vraisemblablement nous pencher sur le nécessaire accompagnement des parents et des enfants, que de telles situations exigent comme il nous faudra accompagner les familles dans leurs démarches en vue de l'adoption et plus particulièrement lorsqu'il s'agit d'enfants d'origine étrangère. Enfin, l'on ne saurait passer sous silence le cas de ces 2000 pupilles d'État qui, pour la plupart, en raison de problèmes physiques restent sans projet d'adoption. La mise en place, avant la fin de l'année, du système SIAPE devrait faciliter le développement de ses projets car il est nombre de familles prêtes à accueillir ces enfants qui ont droit aussi à vivre leur enfance au milieu d'une famille aimante.
Au-delà, quelques données doivent nous inquiéter : en 2001, plus de 177.000 mineurs ont été mis en cause à l'occasion de crimes ou de délits contre 93.000 en 1993. Comment dès lors ne pas être préoccupé !
La montée de la violence et de la délinquance mais aussi du mal-être, les comportements à risques, de plus en plus fréquents, chez des mineurs, toujours plus nombreux, témoignent de la nécessité de faire de l'adolescence et des adolescents une des priorités de la politique de la famille, dans les années à venir.
Cette période de la vie, en effet, est restée le parent pauvre des actions menées en la matière. Or, les constats alarmants, faits sur les jeunes adultes dans nombre de rapports, ne peuvent se comprendre qu'à la lumière d'une analyse des maux qui traversent cette période charnière de la construction de la personne.
La commission des affaires sociales du Sénat, présidée par Jean-Louis Lorrain, en s'emparant de ce sujet conforte le constat de carence qui est le mien. En outre, la prise en compte de cette dimension essentielle dans la politique familiale permettrait d'aborder la question de l'exercice de l'autorité parentale sous un jour nouveau.
Mais, la violence est, souvent, l'expression d'une souffrance. Les actes qu'elle suscite n'apparaissent jamais comme des conduites isolées et les comportements qu'elle engendre sont fortement associés à des souffrances psychologiques, voire à des problèmes d'insertion.
D'après le Haut comité de la santé publique, 7 % des jeunes de 11 à 19 ans auraient fait une tentative de suicide. Ce taux a triplé depuis les années 60. Le suicide est la deuxième cause de décès des adolescents après les accidents de la route. Dans un tiers des cas, il y a récidive. Les tentatives de suicide concernent d'abord les jeunes filles mais les garçons sont plus nombreux à en mourir.
Parallèlement, 1 % des jeunes filles sont anorexiques : 5 % d'entre elles meurent d'anorexie dans l'année qui suit et d'après des études menées au Québec, entre 15 et 20 % décèdent dans les cinq ans suivant le déclenchement de cette affection.
Il nous faut combattre ces fléaux !
Même s'il est difficile d'en parler en des termes génériques, le rôle des services et des maisons de l'adolescent, qui recueillent ces jeunes en difficultés, dépressifs ouanorexiques est essentiel tant dans leur prise en charge que dans celle des parents. Je me permets de saluer ici leur action. Je crois que, pour que le dialogue soit renoué, il faut qu'enfants, adolescents et parents soient écoutés, entendus.
Les approches menées en ce sens au Havre ou encore à Bordeaux sont de nature à permettre aux deux parties, parents et enfants, de se retrouver au milieu du gué. Peut-être nous faudra-t-il réfléchir à une extension des services proposés par ces maisons, pour l'heure strictement médicaux, à des prestations éducatives ou d'insertion sociale car il est des cas où tout est à rebâtir.
La réflexion doit mûrir en concertation avec les gens de terrain et les spécialistes des adolescents. Je me rendrai pour cela le mois prochain à Bordeaux pour visiter le "Pôle aquitain de l'adolescence". Ce sera pour moi l'occasion de prendre la mesure du travail accompli et des problèmes auxquels ces structures se trouvent confrontés.
Nous le voyons, parents et enfants semblent dans bien des cas se heurter à une incompréhension mutuelle. Ils se doivent de se reparler et remettre au centre du débat le principe de protection, autre pilier de la parentalité.
La protection de l'enfance concerne chaque année plusieurs centaines de milliers d'enfants et, au total, aura marqué la vie de plusieurs millions de personnes dans notre pays : enfants et adolescents, parents et proches, professionnels et nombre de bénévoles d'associations. Le plus souvent, pour des raisons objectives, la justice décide de séparer les enfants des parents, éventuellement et malencontreusement, disperse les fratries.
En ce sens, pour aussi nécessaires que soient les mesures prises dans le cadre de la protection de l'enfance, celle-ci n'en constitue pas moins, par ces effets, un problème de société douloureux. Elle exige une attention particulière de la part des pouvoirs publics pour que le retour de ces enfants soit rendu possible au sein de leurs familles redevenues aptes à les recevoir. Les difficultés nombreuses que ces dernières traversent, affectives, sociales ou économiques et qui ont conduit à ces séparations, sont connues. Elles nécessitent désormais une approche plus large alliant nombre de compétences de la part de l'ensemble des professionnels de la protection de l'enfance.
L'action conjuguée de l'État et des collectivités territoriales a beaucoup évolué au cours de ces dix dernières années, en particulier, vers plus d'efficacité. De nombreux rapport sur le sujet, les travaux sur le parrainage témoignent de ces transformations. Les disparités d'un département à l'autre restent cependant encore trop marquées et, pour certaines d'entre elles, inacceptables. Le travail en réseau, dans une perspective pluridisciplinaire, est insuffisamment développé. L'incompréhension mutuelle des différentes parties prenantes, parents, enfants, juges, travailleurs sociaux, équipes médico-sociales demeure encore perceptible.
Le chemin à parcourir reste donc long pour que les actions des multiples intervenants répondent pleinement aux attentes de parents souvent stigmatisés, d'enfants, fragilisés par un passé difficile. Pourtant, de nombreux rapports, études, expériences ont montré des voies à suivre, sans que l'on puisse considérer le sujet comme épuisé. Une mobilisation est certes sensible mais sa traduction opérationnelle doit être renforcée, accélérée au regard des enjeux humains en lice.
Pour ces raisons, en accord avec les ministres concernés par la protection de l'enfance, notamment le Garde des sceaux et le ministre de l'intérieur, j'ai décidé de créer un groupe de travail portant sur " la protection de l'enfance ", groupe de travail qui sera installé dans quelques semaines. Il permettra de m'éclairer sur les décisions à prendre pour rendre ce dispositif plus efficace. J'ai par ailleurs décidé le 26 septembre dernier, lors d'une journée de travail à Lyon au sein du service du professeur Daligand, de créer l'observatoire de l'enfance maltraitée. Parce que le traumatisme ne s'arrête pas à l'acte subi, cet observatoire doit constituer le premier jalon vers un suivi des victimes, dans la durée, sur les modalités duquel j'entends aussi me pencher.
Dans cette optique de droits et de devoirs réconciliés à travers la politique familiale, le gouvernement entend agir en concertation avec les collectivités locales, les partenaires, en particulier, associatifs, afin non seulement de soutenir les parents d'adolescents dans l'exercice de leur autorité et de leur responsabilité parentales mais aussi d'accompagner les adolescents eux-mêmes.
La mise en place des réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents a correspondu, en partie, à cette attente. Leur action pourrait être amplifiée. Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour saluer leur action.
Je sais aussi ce que sont les inquiétudes des acteurs de terrain engagés dans cette mission, à l'égard de l'avenir de la fonction d'animation, exercée par la cellule nationale d'appui technique. Mon prédécesseur a décidé, unilatéralement, de mettre un terme à la convention qui liait cette cellule au CEDIAS. Je puis vous annoncer aujourd'hui que cette mission ne sera pas abandonnée puisque j'étudie actuellement les conditions de sa reprise par la Délégation interministérielle à la famille.
Mais la protection doit aller bien au-delà !
Si le suicide est la deuxième cause de décès parmi les adolescents, peut-être faut-il rappeler que les jeunes de 15 à 24 ans représentent 26,5 % des tués sur la route, que c'est là la première cause de mortalité chez les jeunes. Que dire du nombre de handicapés, de ces familles brisées à tout jamais ? J'ai envie de dire, après le président de la république, assez !
Une fois de plus, le rôle des parents est prépondérant. Nous sommes, si vous me permettez cette expression, les principaux "enseignants de la conduite". Chaque jour, en effet, tous les enfants " apprennent la route " à nos côtés, nous observent et finissent par adopter, consciemment ou non, le même type de comportement que les nôtres. Comment s'étonner alors qu'ils reproduisent à l'âge adulte, voire même plus tôt - l'actualité est malheureusement là pour en témoigner - certaines attitudes négatives au volant, s'ils nous ont vus nous comporter ainsi pendant de trop longues années ?
A ce titre, j'entends tout faire pour favoriser le développement d'une véritable "éducation routière", qui participe de l'éducation citoyenne, d'un respect des règles élémentaires de comportement. La cellule familiale constitue le point central de cet apprentissage. Je reçois en ce moment les principales associations d'usagers de la route, en abordant notamment avec elles les conditions d'accueil et de prise en charge, par les services publics, des familles de victimes. Je m'attacherai à sensibiliser les associations familiales afin qu'elles initient ou relaient, à mes côtés, tous types d'action en ce domaine. Je ne peux finir sur ce sujet sans me féliciter du dépôt à l'Assemblée nationale d'une proposition de loi visant à sanctionner l'usage de la drogue au volant. Rappelons-nous tout de même que près de 56 % des garçons et 45 % environ des jeunes filles ont fumé du cannabis avant 18 ans. Au-delà, le ministère de la famille s'associera à toute opération de prévention contre l'usage de la drogue par les jeunes.
Enfin, il nous faut lutter contre un mal de notre temps, je veux parler de l'obésité et du surpoids. Le nombre d'enfants obèses en France a plus que doublé depuis les années 80. De par sa progression, l'obésité représente aujourd'hui un problème de santé publique. Les raisons de l'obésité sont multiples et entrelacées. Elles sont d'ordre nutritionnel, génétique, métabolique, psychologique et social. Je n'irai pas plus loin dans leur analyse pour l'heure. L'obésité met en danger notre capital personnel, pour reprendre une expression chère à J-F Mattei. Là encore, je voulais vous annoncer que mes services s'associeront à cette lutte dans le cadre de la sensibilisation des familles et, partant, du Plan national de nutrition santé.
Voilà, mesdames et messieurs. La parentalité n'est pas un vain mot. Bien au contraire, vous êtes là pour en témoigner. J'espère vous avoir convaincus qu'elle est au centre de mes préoccupations, de mes réflexions et de mon action. Un des groupes de travail chargés de préparer la Conférence de la famille qui se tiendra sous la présidence du Premier ministre, le printemps prochain, est chargé, en particulier, de revisiter et de faire évoluer les modalités de son exercice. Je voudrais qu'elle passe par un dialogue retrouvé, raffermi, qu'elle ne soit pas vue sous le seul angle des familles en difficulté qu'il nous faudra aider mais bien sous un jour nouveau en ce qu'elle doit être au cur des préoccupations de toutes les familles sans exception.
Je vous remercie.

(source http://www.social.gouv.fr, le 29 novembre 2002)