Interview de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, à RMC le 17 juillet 2002, sur la décentralisation comme moyen de renforcer l'action publique, la péréquation entre les régions, la simplification de l'administration, la réduction du nombre des fonctionnaires et le coût de la collecte de l'impôt.

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Texte intégral

O. Truchot .- Cet après-midi, vous serez avec J.-P. Raffarin en Lorraine pour lancer ce qui sera sans doute l'un des grands chantiers de ce quinquennat : le chantier de la décentralisation. Vous-même, lundi, avez parlé de la règles des trois D : décentraliser, déconcentrer, déléguer. Soyons concrets : expliquez-moi pourquoi il y a urgence aujourd'hui à décentraliser, donnez-moi des exemples.
- "Tout simplement pour renforcer l'efficacité de l'action publique. Je prends un seul exemple : on voit bien aujourd'hui, notamment par une application un peu brutale des 35 heures, qu'un certain nombre d'entreprises ne trouvent pas les employés dont elles ont besoin et un certain nombre de chômeurs n'arrivent pas à rentrer dans l'entreprise parce qu'ils ne sont pas formés à la demande des entreprises. Si vous mettez la formation professionnelle sous la responsabilité des régions, qui sont par définition le bassin naturel de l'emploi et de l'économie, vous faites en sorte que les circuits de formation professionnelle correspondent d'une façon plus convergente avec les besoins des entreprises locales. Et le fait de mettre en place une politique de proximité renforce l'efficacité au profit des demandeurs d'emploi et des entreprises."
Mais vous savez bien que toutes les régions ne sont pas égales entre elles, elles n'ont pas la même vitalité économique. Donner plus de pouvoir aux régions ne va-t-il pas renforcer ces régions ? Il y a celles qui s'en sortent et celles qui sont à la traîne...
- "C'est un faux procès parce qu'on dit que l'Etat est forcément égalitaire, et en même temps que la répartition des moyens de sécurité de police et de gendarmerie sur le territoire n'est pas égalitaire. En même temps, le poids des universités n'est pas égalitaire... Donc, on s'aperçoit - et chacun se rappelle Paris et le désert français - que c'est un faux débat. Le vrai problème, c'est que plus vous donnez de liberté, et à l'évidence, plus les régions dynamiques vont être dynamiques et plus les régions les plus faibles seront plus faibles. Cela impose donc à l'Etat la correction de ces disparités et de ces inégalités. C'est ce qu'on appelle "la péréquation", - c'est un terme un peu technique. Aujourd'hui, il faut absolument relever le défi de la croissance économique. Nous avons devant nous des dépenses de santé, des dépenses de retraites, des dépenses pour maintenir notre confort et des dépenses pour assurer la sécurité, donner les moyens à la justice. Ces dépenses-là, il faudra les payer. Pour les payer, il faut la croissance ; pour la croissance, il faut soutenir celles et ceux qui la créent : ce sont les entreprises et les hommes et les femmes mieux formés, mieux adaptés aux exigences de l'économie moderne."
Cela veut dire que l'Etat intervient moins d'en haut : plus de proximité, plus de pouvoir à ceux qui ont le pouvoir économique et à ceux qui créent des richesses ?
- "L'Etat doit revenir à ses vraies missions : être un Etat stratège. Quels sont les défis que nous devons relever pour être performants et puissants dans les dix ou quinze années qui viennent ? C'est à l'évidence le défi de la recherche et le développement parce que c'est ce qui va assurer demain les produits industriels. C'est à l'évidence la défense, la construction européenne pour équilibrer le poids américain, le poids chinois..."
Ce sont les missions de l'Etat ?
- "Ce sont les missions de l'Etat."
Alors expliquez-moi pourquoi le Gouvernement veut intervenir dans les plans sociaux ?
- "Le Gouvernement a souhaité mettre en place autour du ministère des Affaires sociales - et nous avions aussi associé cela pour l'aménagement du territoire - ce qu'on appelle une task force pour accompagner les mutations économiques évidentes. Et on voit bien que lorsque l'on n'a pas cette capacité d'anticipation ou cette capacité de reconversion, des territoires sont frappés par la disparition d'une entreprise qui semble les condamner à mort. Nous souhaitons simplement faire en sorte que, dans un cycle économique où aujourd'hui on ne peut plus garantir l'emploi à vie, qu'on puisse garantir à chaque personne concernée que le jour où elle perd un emploi par disparition de son entreprise ou mutation de son entreprise, qu'il puisse y avoir une capacité de rebondissement sur le territoire. C'est donc un accompagnement et une capacité de rebondissement."
Réformer l'Etat, tous les Gouvernements l'annoncent, le disent à peu près depuis vingt ans... Et finalement, à l'épreuve des faits, c'est plus douloureux. Prenons un exemple concret : simplifier les procédures administratives, la paperasserie qui touche aussi bien les particuliers que les chefs d'entreprise. Comment allez-vous faire pour simplifier tout cela ?
- "Il peut y avoir une démarche excessivement simple. Il y a deux étapes dans les processus administratifs. Il y a la démarche : à qui faut-il confier son dossier ? Puis, il y a le traitement de ce dossier. La simplification des démarches peut être rapide, il suffit de mettre en place le guichet unique auquel vous apportez votre dossier. Ensuite, l'administration pourrait parfaitement se charger du traitement de ce dossier. Nous sommes en train de réfléchir à la distinction de ces deux étapes : simplification des démarches qui rendrait plus facile le travail pour les particuliers, et l'administration devant gérer la difficulté du traitement des dossiers. Et si l'administration gère elle-même ce dossier, si les procédures sont compliquées, vous verrez que l'administration trouvera les moyens de rendre les procédures plus simples. Deuxième élément : vous avez aujourd'hui un vrai problème des fonds structurels européens. L'Europe : 15 milliards d'euros pour la France, et qu'est-ce que vous entendez : "je ne vais pas demander les fonds européens parce que les dossiers sont trop compliqués à fabriquer", c'est absolument insupportable !"
C'est comme les agriculteurs qui passent plus de temps à remplir les dossiers que dans leurs champs...
- "Donc arrêtons, mettons en place un Etat qui soit un partenaire et peut-être même confions aux régions la gestion de ces fonds structurels pour faire en sorte que la constitution du dossier soit accompagnée par un Etat partenaire, une région partenaire et que ce ne soit pas le parcours du combattant. Qu'ensuite, on soit très rigoureux sur le contrôle et la qualité de ce dossier, la réponse est nécessaire. Mais si vous soignez les wagons et pas les locomotives, forcément le train n'avance pas."
Le Gouvernement semble s'engager à vouloir réduire le nombre de fonctionnaires, en tout cas ne pas remplacer forcément tous les départs à la retraite pour que la fonction publique fonctionne peut-être d'une façon plus souple. Aujourd'hui, il y a 4,8 millions de fonctionnaires. On annonce des créations de postes dans la sécurité, la justice ; on sait qu'à l'hôpital, il manque du monde. Donc, il va falloir faire des choix.
- "Le débat sur le nombre de fonctionnaires est un faux débat. Ce qui est important, c'est de savoir si les moyens sont en adéquation par rapport aux objectifs. Lorsque vous voulez répondre à la première priorité des Françaises et des Français sur la sécurité, vous augmentez les moyens pour y répondre. Lorsque vous professionnalisez la défense, vous recrutez des fonctionnaires par rapport à cet objectif politique. Donc le préalable de la réforme de l'Etat, ce n'est ni son coût de fonctionnement ni ses dépenses, ni son nombres de fonctionnaires, c'est quelle mission doit-il faire et pour ces missions, quels moyens devons-nous mettre en place ?"
Donc il y a des priorités à définir ?
- "C'est la raison pour laquelle le Premier ministre a très clairement dit que des administrations verront leur effectif augmenter, d'autres stabiliser et d'autres baisser."
Par exemple, les impôts - cela a fait tomber un ministre dans le gouvernement Jospin - : la collecte de l'impôt coûte environ deux fois plus cher en France que dans les pays européens comparables. Vous allez revoir l'administration fiscale ?
- "La direction générale des impôts a entrepris ce qu'elle appelle d'un ton un peu barbare un "bench marking" ; c'est-à-dire une analyse comparative des coûts par rapport aux autres administrations européennes. Et elle a elle-même enclenché depuis un certain nombre d'années - et nous allons évidemment poursuivre cet effort - ce qu'elle a appelé elle-même et ce que le Premier ministre a évoqué dans son discours de politique générale, "l'administration des services", c'est-à-dire qu'elle a introduit la notion de client et d'usager et la notion de rapport/coût. Le président de la République et le Premier ministre ont très clairement indiqué que chaque ministre devrait devant le Parlement venir expliquer l'évaluation de son programme. Bien évidemment, nous souhaitons que chaque ministère, chaque ministre, soit un employeur de ses agents publics pour les missions qu'il doit accomplir et pouvoir présenter au Parlement les missions qu'il entend relever et les effectifs qu'il entend défendre."
Donc chaque ministre est un peu chef d'entreprise et va agir comme cela ?
- "Chef d'une administration. Il est tout à fait normal, et c'est dans la loi organique des finances, qu'il soit responsable de la gestion de ses ressources humaines, des conditions de travail de ses fonctionnaires et des moyens adaptés pour répondre à ses missions."
Il pourra décider, dans certaines administrations, de diminuer le nombre de fonctionnaires quand c'est utile ?
- "Absolument. C'est le critère-même de la qualité d'un gestionnaire. Nous n'avons pas à recruter des fonctionnaires pour le plaisir de recruter des fonctionnaires. Nous devons faire en sorte de relever trois défis : augmenter l'efficacité de l'action publique, satisfaire l'usager et le contribuable et favoriser l'épanouissement du fonctionnaire dans l'exercice de son mandat."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 juillet 2002)