Texte intégral
Je suis très heureux, monsieur le Président, d'être dans ce département, qui est grand comme une région - ce qui, pour moi, vous le savez, est un compliment. Et je voudrais dire combien je suis attentif à tout ce que dit cette grande région, ce grand département, qui a montré, dans l'histoire, sa capacité de donner tant à la République. Donc, mon intention, aujourd'hui, est particulièrement sensible. Et je sais combien les gens du Nord sont sensibles à l'idée de solidarité. C'est sans doute pour cela qu'ici - comme beaucoup ailleurs, mais ici tout particulièrement -, la présence de l'Etat est à la fois appréciée et souhaitée. Je voudrais vous dire des mots qui sont ceux de notre conviction, de l'action gouvernementale, en matière d'Etat, d'organisation de l'Etat et du rôle de la fonction publique.
I La Fonction publique et le pacte républicain
D'abord, je voudrais vous dire que le Gouvernement que j'ai l'honneur de diriger, est né de ce mois de mai particulièrement difficile, où on a vu en effet la République à la fois ébranlée, mais en même temps ressaisie. Nous avons mesuré l'exaspération des Français, devant certaines impuissances de l'action publique. Et on a vu, le 1er et le 5 mai, les Français capables de se rassembler, pour défendre ce que la République porte de plus fort en elle-même, ses valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité, cette capacité à vivre ensemble, à défendre le Pacte républicain. C'est d'abord cela l'Etat ; c'est d'abord cela la fonction publique : c'est être les garants de ce Pacte républicain, être le garant de l'intérêt général. S'il y a quelque chose dont je me sens l'ennemi, et que je rencontre assez souvent dans l'exercice de Premier ministre, c'est ce qu'on appelle d'un terme anglais le lobbying", tous ceux qui défendent un intérêt particulier, qui s'organisent pour faire pression pour défendre un intérêt particulier. Nous avons en charge, les uns et les autres, l'intérêt général, et nous avons la mission de placer l'intérêt général au-dessus de tout intérêt particulier. Ce que j'appelle la "fin du pilotage idéologique", c'est cette idée de penser aux intérêts de la France et des Français. Et c'est d'abord cela, la fonction publique. Je tiens à saluer ici tous ceux qui se battent pour la défendre. Et je suis, comme vous, agacé par ceux qui critiquent, à longueur de temps, la fonction publique au nom d'une approche idéologique. Je sais que la fonction publique a la mission de faire face : faire face à notre Pacte républicain, à tout ce qui est la vie difficile et quotidienne, que nous avons souvent à affronter. J'ai vu l'action de la fonction publique dans le Gard, récemment, à l'occasion des inondations. J'ai vu aussi cette bonne coopération entre les élus locaux et la fonction publique. Et je le vois actuellement sur les rivages de l'Atlantique, dans la lutte contre la marée noire. Et vous l'avez vécu ici, sur le difficile dossier de Sangatte, pour lequel je voudrais saluer tous les responsables politiques qui ont contribué à l'issue de ce dossier. Je sais qu'il reste beaucoup à faire. Mais je voudrais avoir un mot particulier pour les fonctionnaires, que vous m'avez présentés ce matin, qui sont dans une cellule particulièrement difficile, où ils sont au contact avec des personnes en situation humaine particulièrement fragile, ceux qui ont tout quitté, ceux qui sont déterminés à franchir ce bras de mer, ceux qui veulent, coûte que coûte, pouvoir passer. Evidemment, ils sont peu sensibles aux attitudes de raison, de droit, de responsabilité que nous leur présentons. Cela demande beaucoup de capacité d'écoute, beaucoup de doigté. Je comprends souvent l'état difficile dans lequel ces fonctionnaires peuvent se trouver, du point de vue de leur moral. Et je voudrais dire notre grand respect et notre grande gratitude. Ce sont des crises graves qu'il faut gérer, avec cette humanité qui fait aussi partie du métier de fonctionnaire. C'est le rôle que joue la fonction publique dans le lien social, et notamment quand ce lien social est soumis à toutes ces tensions des accidents ou des difficultés intolérables.
II L'Etat et la Fonction publique dans la société
Je voudrais aussi saluer, dans la fonction publique, le parcours des fonctionnaires, et notamment rappeler aux Français que les fonctionnaires sont entrés avec des convictions dans la fonction publique. Ils sont entrés par le mérite, par des concours. Il ne faudrait pas oublier cette tradition du concours que l'on cultive dans la fonction publique. C'est la voie privilégiée d'accès à la fonction publique qui, finalement, constitue un ascenseur social. C'est pour cela qu'il faut veiller à ce que l'on puisse toujours valoriser cette approche du concours, et quelques fois même, rendre ces concours plus crédibles, en remontant, dans certains métiers, les moyennes d'accès aux responsabilités, de manière à ce que ceux qui ont accès à ce statut puissent avoir toute la force de la compétence reconnue.
La fonction publique demeure un creuset d'intégration, au sein duquel toute la diversité française doit pouvoir s'exprimer. C'est un des éléments très importants que je veux affirmer ici : l'intégration, dans la fonction publique, de toute la diversité française, et notamment des Français issus de l'immigration, doit être pour nous un objectif. Dans le contrat d'intégration que souhaite le président de la République, il nous faut renforcer cette dimension d'intégration, au sein même de la fonction publique.
L'une des missions que j'ai fixées à mon gouvernement, est de faire tout pour que ne soient pas opposés, dans l'opinion et dans le débat public, le secteur privé et le secteur public. Je ne souhaite pas que puisse apparaître l'idée d'un secteur privé qui serait dynamique, et un secteur public qui, lui, serait peu efficient. C'est inexact, c'est injuste. C'est pour moi quelque chose qui anime un véritable combat, quand on assiste, comme je l'ai fait ce matin, à des réunions concrètes, opérationnelles. On voit la qualité du service public, on voit sa performance, on voit qu'on est capable, dans le service public aujourd'hui, d'avoir les mêmes niveaux de normes ISO 9002, que les entreprises privées. On voit que dans la fonction publique, on est capable aujourd'hui de dégager les développements de qualité qui sont ceux que l'on trouve dans les entreprises.
Cela veut dire qu'il faut veiller à de très nombreux équilibres. Je pense notamment aux équilibres des recrutements. Je ne souhaite pas que l'on puisse épuiser les viviers de recrutement d'un secteur ou de l'autre, de manière à ce que l'on puisse garder cette capacité de qualités humaines, motrice du développement de la fonction publique. C'est un des sujets très importants, sur lequel je suis engagé.
C'est par exemple pour cela que, sur le difficile dossier des retraites, il est évidemment nécessaire de prendre des décisions. Je comprends que tout ceci inquiète parfois les Français. Je voudrais les rassurer, puisqu'il s'agit d'abord et avant tout de sauver le système de répartition. Il s'agit de nous donner les moyens que les générations futures puissent profiter de ce système social parmi les plus avancés du monde, qui est celui de la France. Il nous faut prendre un certain nombre de décisions, dans le dialogue et dans la concertation. Mais je ne veux pas que ce débat soit l'occasion d'un règlement de compte. Je ne veux pas qu'une catégorie de Français soit accusée par les autres.
C'est pour cela que j'ai demandé aux deux ministres, à J.-P. Delevoye, chargé de la Fonction publique, à F. Fillon, chargé du ministère des Affaires sociales, de recevoir ensemble les partis politiques, les partenaires sociaux, de manière à ce qu'on puisse discuter ensemble et qu'on voie bien que le problème qui est posé, ce n'est pas le problème du secteur privé ou du secteur public, c'est le problème de la France et de l'avenir des retraites dans notre pays, et l'avenir de notre système de répartition, c'est-à-dire l'avenir de notre système social. Et je ne souhaite pas qu'on aborde ce débat-là avec la volonté de pouvoir juger le statut des uns par les autres. Il faut mesurer que si les uns et les autres sont dans des statuts différents, c'est parce qu'il y a eu des engagements différents, parce qu'il y a eu des histoires différentes, parce qu'il y a eu des débats sociaux différents, et donc il faut en tenir compte pour pouvoir avoir le jugement équitable souhaité par le président de la République.
- le calendrier de la réforme
Je m'engagerai dans cette réforme des retraites selon un calendrier précis. Pendant le mois de janvier, nous avons un certain nombre de contacts avec les familles politiques. Il est normal que les représentants du peuple français, la représentation nationale soit informée en priorité et qu'il y ait cet échange avec elle sur cet important débat. C'est le débat du mois de janvier. Au début du mois de février, je m'exprimerai au nom du Gouvernement pour poser les grands enjeux qui, selon nous, sont ceux de la réforme de la retraite. Et puis je souhaite qu'il y ait, dans les territoires, des débats qui puissent permettre de faire émerger les préoccupations des uns et des autres en matière de retraite. Et à l'issue de ce débat - fin février début mars -, nous engagerons la discussion avec les partenaires sociaux. Ce sont eux qui seront les partenaires de cette discussion sociale et c'est avec eux que nous préparerons naturellement les décisions qui seront ensuite soumises au Parlement. C'est cette démarche de dialogue, engagée à partir des travaux importants qui ont été faits, y compris par le COR qui a été mis en place par le gouvernement précédent. Et je salue cette initiative parce que nous avons là un pôle d'expertise qui a préparé des débats importants et qui a rassemblé la matière. Et je crois, aujourd'hui, que nous sommes plus dans une situation où il faut débattre des décisions que rassembler les informations. Ne pas opposer secteur privé et secteur public : nous sommes tous Français, tous acteurs de ce "Vivre ensemble", de notre pacte républicain, et je ne souhaite pas mettre en accusation la fonction publique. Cette réforme de l'Etat, qui est nécessaire, sera conduite sous la main ferme, de J.-P. Delevoye, qui est le ministre en charge, avec H. Plagnol, son secrétaire d'Etat. Il est très important que cette réforme soit engagée. Chaque ministre, d'ailleurs, devra s'engager sous notre autorité conjointe, et d'ailleurs, chaque ministre ira présenter ses propositions de réforme au Parlement. C'est une innovation qu'a proposée le président de la République, et donc chacun sera responsable, devant le Parlement, devant vous mesdames et messieurs les parlementaires, des initiatives qui seront présentées. C'est un des éléments très importants, et je validerai moi-même cette grande réforme, de manière à ce que nous puissions faire en sorte que les engagements soient pris avec détermination.
Je recevrai fin mars, pour préparer ce rendez-vous parlementaire, l'ensemble des directeurs des administrations centrales. Il ne vous a pas échappé que, dans l'administration française, il y avait des gens particulièrement importants qui se trouvent entre les ministres et vous-mêmes, et qui finalement sont assez discrets dans le débat public, mais sont assez puissants dans les décisions qu'ils prennent. Et donc je voudrais parler avec eux directement et les mobiliser sur cet engagement de réforme, pour qu'ils puissent à la fois agir et mettre en oeuvre la politique du Gouvernement, mais qu'ils laissent aussi des responsabilités aux représentants de l'Etat qui sont au plus près des administrés. Chacun doit se sentir concerné par cette réforme. Ce n'est pas la réforme des ministres, ni la réforme des administrations centrales ni la réforme des préfets, c'est la réforme de l'ensemble des agents de l'Etat.
- les axes de la réforme
Quelle peut être la directive essentielle même de cette réforme de l'Etat ? J'y vois quatre axes majeurs. Premièrement, c'est la réforme budgétaire. Cette réforme a été engagée d'ailleurs, quand il était parlementaire déjà, par A. Lambert, dans la période précédente, avec les acteurs au Parlement et au gouvernement précédents. C'est une réforme importante. Aujourd'hui, le Parlement fixe des plafonds de dépenses. On dit d'ailleurs toujours que le budget est de tant, mais le Parlement nous autorise à dépenser moins ; le Parlement autorise les plafonds de dépenses. Ce que nous souhaitons, ce que souhaite la loi, c'est que le Gouvernement, avec ses plafonds de dépenses, soit soumis par le Parlement, à des indicateurs concrets de résultats associés au budget. C'est-à-dire qu'à côté des plafonds, il puisse y avoir cette logique de résultats, cette logique d'évaluation qui a été l'un des mots-clés des débats de ce matin.
D'abord la réforme budgétaire. Ensuite, les simplifications ; c'est ce que nous demandent les Français. Je vois qu'ici, vous avez fait, dans les services fiscaux, un système des cartes grises, à la préfecture. Dans bien des domaines, beaucoup d'efforts [ont été faits], mais il y a encore beaucoup d'efforts à faire. Je crois qu'il faut là changer un peu de méthode, parce que pour la simplification, il va falloir être rapide et efficace, et je demande à H. Plagnol, ici présent, de nous préparer, au cours de ce premier semestre, les capacités de légiférer par ordonnance pour aller plus vite et simplifier avec davantage d'audace. Car là, je crois qu'il faudra aller vite pour que les Français aient confiance dans des démarches de simplification ; c'est leur première demande. La fonction publique ne peut pas être perçue en permanence comme étant source de la complexité. Au fond, la source de la complexité, ce n'est pas l'administration. La source de la complexité, c'est la République, c'est parce que chacun veut être traité pour lui-même, et c'est d'ailleurs cela le pacte républicain. Etant reconnu pour soi-même, on demande des différences, c'est-à-dire que la matière humaine ne peut pas être traitée par des machines industrielles ; elle demande, comme la dentelle, à ce qu'on soit traité de manière spécifique, et c'est parce qu'on veut être traité de manière spécifique que le système administratif est naturellement complexe et que toutes les règles ne peuvent pas s'imposer à tout le monde, puisqu'il faut tenir compte de chacun. Et donc cette complexité, elle est dans la République, elle n'est pas dans l'administration, et c'est pour cela qu'il faut faire en sorte que l'administration puisse simplifier ses procédures, pour que le citoyen comprenne bien que c'est lui-même qui est demandeur de complexité. Il arrive même que ce soit les parlementaires - mais c'est exceptionnel ! - qui, par des amendements particulièrement pointus, viennent complexifier. L'administration, naturellement, a toute sa part dans tout cela. C'est pour cela qu'une démarche par ordonnances me paraît mieux adaptée aujourd'hui pour que nous ayons une vraie modernisation de la gestion en matière de simplification.
En ce qui concerne les deux autres objectifs, je voudrais insister sur les chantiers qui concernent directement J.-P. Delevoye, trois chantiers de modernisation : la simplification de la gestion des ressources humaines. Il existe aujourd'hui dans notre administration, la fonction publique, plus de 1 600 corps, ce qui nous fait quand même une organisation assez sophistiquée. Et puis il nous faut déconcentrer la gestion... Je suis sûr que dans le contrat de plan Nord-Pas-de-Calais, vous allez, grâce à la nouvelle fongibilité que nous venons de créer, trouver des possibilités financières. Parce que quand on fait un contrat de plan, surtout sur sept ans, il y a des projets qui sont devenus caducs ou il y a des projets qui n'ont pas eu les évaluations nécessaires, et aujourd'hui, les financements de ces projets sont bloqués. Nous allons permettre aux signataires des contrats de plan de réutiliser l'argent qui n'est pas utilisé pour tel ou tel projet, pour le remettre sur des projets qui, eux, ont avancé ou qui, eux, sont prêts, et de faire en sorte qu'on ne soit pas dans cette situation où il y a des projets prêts qui n'ont pas d'argent et des projets qui sont très lointains et qui, eux, ont des crédits qui ne sont pas affectés. Cela, sous votre autorité, monsieur le préfet, avec les signataires des contrats, vous pourrez faire un certain nombre de progrès.
Il y a des travaux qui sont nécessaires pour que les recrutements dans la fonction publique soient mieux adaptés aux différents métiers, aux différentes carrières, et que les carrières soient appelées à se diversifier, que chaque fonctionnaire puisse avoir plusieurs vies au sein de la fonction publique, et se former tout au long de sa carrière, j'ai vu d'ailleurs ce matin plusieurs responsables de la fonction publique qui avaient eu des parcours très différents et qui avaient fait preuve d'une véritable mobilité.
Je demande à J.-P. Delevoye de proposer des mesures adéquates pour cette gestion des personnels et de veiller d'ailleurs à ce que les conditions de vie fassent partie de la gestion de cette mobilité - je pense notamment aux questions de logement qui sont souvent des freins et qui posent un certain nombre de difficultés dans la vie quotidienne des fonctionnaires -, et qu'ils soient intégrés à cette problématique du dispositif. Et puis, je crois qu'il faudra, au niveau local, aussi, donner de la responsabilité aux acteurs locaux pour que, s'il y a trop de monde dans la DDA et pas assez dans la DDE, ou réciproquement, on puisse, sur le terrain, adapter l'organisation aux besoins de l'usager. Ce qui compte dans le service public, c'est de pouvoir satisfaire le besoin de l'usager selon les normes de la République. Sur ces trois chantiers, J.-P. Delevoye a engagé des discussions avec les organisations syndicales. C'est un sujet que nous voulons mener à bien, ces réformes concernent une véritable modernisation par le dialogue social, de la fonction publique.
III La place de l'Etat dans la décentralisation
Un mot, pour ne pas être trop long, mais il faut l'évoquer quand même, évidemment, sur la décentralisation et la fonction publique, est de vous dire : " n'ayez pas peur de la décentralisation ." C'est compliqué, d'ailleurs, si c'était simple, ç'aurait été déjà fait. Il y a un certain nombre de complexités, pourquoi ? Parce qu'il faut à la fois gérer la cohérence, c'est-à-dire la République, l'égalité, le fait que nous sommes un pays dans lequel on doit se sentir français, et que le jeune Poitevin, Rhône-alpin, ou l'habitant d'Arras, puisse se dire qu'avec son Bac, qu'avec son brevet, qu'avec son CAP, il peut avoir un emploi partout en France, et qu'il n'est pas enfermé dans des frontières infranchissables. Nous avons besoin de la cohérence nationale. Il y a des sujets qui ont besoin de cohérence et il y a des sujets qui ont besoin de proximité, et il faut conjuguer les deux. Si on ne fait que de la proximité, on fera du gaspillage et de l'inéquité, et si on ne fait que de la cohérence, on fera ce qu'on fait, depuis longtemps, du jacobinisme et du centralisme. Ce qui compte pour nous, c'est de définir le bon niveau de compétence. Il faut trouver le bon niveau, et le bon niveau, ce n'est pas toujours le plus bas, ce n'est pas toujours le plus près, ce n'est pas toujours le plus haut non plus. C'est un niveau qui est pertinent pour la décision qui est à prendre, avec une règle majeure qui est la clé de tout : c'est la responsabilisation des acteurs. Vous savez, quand il y a des problèmes, c'est quand les systèmes sont opaques, quand les responsabilités sont confuses, quand au fond, on ne sait pas très bien le qui fait quoi.
Prenons l'exemple de l'Education : la décentralisation dans l'Education, au fond, elle existe et elle fonctionne bien : le principal de collège, le proviseur de lycée, il sait très bien ce qu'il doit demander au président de région et ce qu'il doit demander au recteur. Il ne confond pas les responsabilités.
Mais il y a d'autres systèmes où les responsabilités sont plus ambiguës, où les services se tirent la bourre, où on essaye de se prendre les dossiers, où finalement, quelquefois même, chacun comptant sur l'autre, personne ne fait rien. Et donc, je crois qu'il faut que les choses soient claires, et nous devons, de ce point de vue-là, faire des pas importants. C'est dans cette logique-là que je voudrais que l'Etat joue tout son rôle. Et c'est pour cela, mon cher Jean-Paul, que la réforme de l'Etat est pour nous aussi importante que la décentralisation. Elle doit se faire simultanément, avec le cap qui est le nôtre.
L'Etat conserve donc son rôle comme finalement le coeur du pacte républicain, ce rôle essentiel. D'abord, il est producteur de normes, et c'est lui qui doit en amont fixer la norme et en aval faire l'évaluation, si la norme est appliquée. Que ce soit les services de l'Etat ou que ce soit la collectivité locale, la norme reste nationale, notamment la norme législative reste nationale et l'Etat fixe la norme, et donc avec le Parlement, avec le débat national, et l'évaluation, ensuite, se fait avec l'Etat. Entre les deux, celui qui a la délégation pour exercer la responsabilité, il est l'Etat ou il n'est pas l'Etat, mais en tout cas, l'Etat fixe la norme et fixe l'évaluation. C'est un producteur de normes. Et naturellement, les missions régaliennes sont très importantes ; la sécurité, la justice, l'impôt, la défense, l'éducation, ce qui fait la cohésion sociale, la santé. Le social, c'est très important puisque c'est ce qui, naturellement, est dans le lien social. L'Etat est donc le garant de la cohésion nationale, mais aussi - et c'est un point très important sur lequel je voudrais insister - on a abandonné un peu la priorité, c'est l'Etat stratège.
Ce qui me frappe, c'est qu'au fond, tous les sujets que nous avons abordés sont des sujets compliqués, qui demandent du temps, et il faut toujours agir pour demain matin, et encore, quelquefois avec les journalistes, ils voudraient les conclusions des réunions avant que les réunions soient finies. C'est-à-dire qu'il faudrait quasiment agir pour hier. Donc, on est dans une culture de l'immédiat, d'un côté, et tous les problèmes qui nous sont posés, sont des problèmes qui exigent du temps. Et le marché, les entreprises sont pressés par le temps, et elles n'ont pas forcément le temps de penser à long terme. Et souvent les collectivités locales aussi sont soumises à des pressions, et on a des mandats relativement courts, et donc, même s'ils sont quelquefois trop longs, ils sont globalement courts. Nous avons au fond - cela dépend de qui les exerce, naturellement mais je vous laisse le choix, à chacun, d'apprécier... Ce qui est très important, c'est que l'on puisse avoir un lieu qui pense l'avenir, qui soit capable de dire vraiment quel est l'avenir de la France, dans quels domaines la France, dans dix ans, dans quinze ans, doit-elle rester leader mondial, dans quels domaines devons-nous choisir vraiment un cap stratégique qui nous place au premier rang des pays européens. Penser l'avenir, c'est une mission de l'Etat, c'est l'Etat qui a le plus d'indépendance, qui a le plus de perspective pour ce faire, et je crois que c'est très important.
IV La décentralisation et les agents de l'Etat
Quelques mots - et je termine par là - sur la décentralisation et sur une question qui est très importante pour vous tous, qui est le rôle des personnels. Je voudrais donc m'arrêter un instant, pour que les agents de la fonction publique sachent bien comment nous prenons ce sujet du transfert des personnels. Je comprends l'impatience qui se manifeste parfois pour mieux connaître ce qui va se passer. Mais comme on concerte sur ce qui va se passer, il est difficile d'anticiper les conséquences avant que la concertation soit achevée. Donc, je voudrais dire que nous allons dialoguer sur ces sujets. Mais quatre messages importants :
Un, la fonction publique, quel que soit l'employeur, Etat ou collectivités, continuera de fonder sa mission sur les principes qui sont les siens, ses principes républicains, et l'Etat se porte garant de ce socle commun. C'est un point très important. La neutralité du service public, le principe des carrières, les garanties de liberté mais aussi les devoirs de fonctionnaire ne seront pas affectés par la décentralisation. Ils seront, au contraire, renforcés.
Deuxièmement, l'Etat aidera la fonction publique territoriale à améliorer son attractivité. La fonction publique territoriale n'est plus à construire ; elle est structurée, elle a fait ses preuves, elle est innovante. Il faut qu'elle demeure, nous y veillerons. Mais l'Etat veillera en particulier à garantir que les modalités de formation des agents et les garanties de mobilité soient elles aussi, améliorées.
Troisièmement, les fonctionnaires qui changeront de fonction publique pourront conserver, s'ils le souhaitent, leurs anciens éléments statutaires. Je répète : les fonctionnaires qui changeront de fonction publique pourront conserver, s'ils le souhaitent, les anciens éléments statutaires, donc leur statut précédent. C'est un des éléments d'ouverture qui est proposé à la discussion. Les transferts de compétences seront accompagnés des transferts des personnels correspondant - c'est une question de cohérence. Mais au moment des transferts de compétences, les agents suivront leur service, et il faut faire en sorte que, pour autant, les agents n'intégreront pas les statuts de fonctionnaires territoriaux s'ils le refusent explicitement. Il y aura donc une liberté de choix qui persistera. C'est une garantie statutaire d'origine que nous voulons préserver.
Et nous définirons les modalités de transfert de personnels dans un souci constant de dialogue. C'est un débat qui est ouvert, mais c'est un sujet qui est très préoccupant et pour lequel je voudrais dire très clairement que c'est un sujet sur lequel, je serai avec, J.-P. Delevoye, qui tiendra une table-ronde sur ses modalités de transfert, le 30 janvier, très attentif à cette question-là.
Je voudrais, en terminant, vous saluer les uns et les autres, pour le travail que vous menez, et pour vous dire qu'au fond, il nous faut convaincre les Français qu'ils ont besoin de cette cohérence nationale dont la fonction publique est la colonne vertébrale. Il faut les convaincre d'autant plus nous voyons bien aujourd'hui que le monde connaît des tensions diverses et variées qui inquiètent et qui préoccupent. Face à cette situation de déséquilibre, la France doit garder un message qui est celui de son histoire, son message universel, son message d'humanité, son message de sagesse. Et cette sagesse-là, c'est notre conviction à nous, notre histoire, notre capacité, aujourd'hui, à dire à la mondialisation qu'elle ne doit pas perdre de vue son cap de l'humanisation. Et cela, comment pouvons-nous le dire ? Nous pouvons le dire, certes, en entendant le président de la République s'exprimer à Johannesburg, ou envoyer un message au Conseil de sécurité de l'ONU. Mais nous pouvons le dire aussi en montrant le modèle français, en montrant cette capacité de tolérance, cette capacité d'écoute, cette capacité, au fond, de dialogue, et qu'il y a quelque chose de plus grand que nous, qui dépasse l'esprit partisan : c'est cette République, c'est ce pacte social qui, quelles que soient nos idées, quels que soient nos engagements, quelles que soient nos batailles oratoires à l'Assemblée nationale, au Sénat ou ailleurs. Il y a quelque chose qui est plus grand que nous, qui s'appelle la République. Et cela, chaque fonctionnaire en est le premier des militants, et c'est pour cela qu'il doit être respecté. Merci à tous."
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 16 janvier 2003)
I La Fonction publique et le pacte républicain
D'abord, je voudrais vous dire que le Gouvernement que j'ai l'honneur de diriger, est né de ce mois de mai particulièrement difficile, où on a vu en effet la République à la fois ébranlée, mais en même temps ressaisie. Nous avons mesuré l'exaspération des Français, devant certaines impuissances de l'action publique. Et on a vu, le 1er et le 5 mai, les Français capables de se rassembler, pour défendre ce que la République porte de plus fort en elle-même, ses valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité, cette capacité à vivre ensemble, à défendre le Pacte républicain. C'est d'abord cela l'Etat ; c'est d'abord cela la fonction publique : c'est être les garants de ce Pacte républicain, être le garant de l'intérêt général. S'il y a quelque chose dont je me sens l'ennemi, et que je rencontre assez souvent dans l'exercice de Premier ministre, c'est ce qu'on appelle d'un terme anglais le lobbying", tous ceux qui défendent un intérêt particulier, qui s'organisent pour faire pression pour défendre un intérêt particulier. Nous avons en charge, les uns et les autres, l'intérêt général, et nous avons la mission de placer l'intérêt général au-dessus de tout intérêt particulier. Ce que j'appelle la "fin du pilotage idéologique", c'est cette idée de penser aux intérêts de la France et des Français. Et c'est d'abord cela, la fonction publique. Je tiens à saluer ici tous ceux qui se battent pour la défendre. Et je suis, comme vous, agacé par ceux qui critiquent, à longueur de temps, la fonction publique au nom d'une approche idéologique. Je sais que la fonction publique a la mission de faire face : faire face à notre Pacte républicain, à tout ce qui est la vie difficile et quotidienne, que nous avons souvent à affronter. J'ai vu l'action de la fonction publique dans le Gard, récemment, à l'occasion des inondations. J'ai vu aussi cette bonne coopération entre les élus locaux et la fonction publique. Et je le vois actuellement sur les rivages de l'Atlantique, dans la lutte contre la marée noire. Et vous l'avez vécu ici, sur le difficile dossier de Sangatte, pour lequel je voudrais saluer tous les responsables politiques qui ont contribué à l'issue de ce dossier. Je sais qu'il reste beaucoup à faire. Mais je voudrais avoir un mot particulier pour les fonctionnaires, que vous m'avez présentés ce matin, qui sont dans une cellule particulièrement difficile, où ils sont au contact avec des personnes en situation humaine particulièrement fragile, ceux qui ont tout quitté, ceux qui sont déterminés à franchir ce bras de mer, ceux qui veulent, coûte que coûte, pouvoir passer. Evidemment, ils sont peu sensibles aux attitudes de raison, de droit, de responsabilité que nous leur présentons. Cela demande beaucoup de capacité d'écoute, beaucoup de doigté. Je comprends souvent l'état difficile dans lequel ces fonctionnaires peuvent se trouver, du point de vue de leur moral. Et je voudrais dire notre grand respect et notre grande gratitude. Ce sont des crises graves qu'il faut gérer, avec cette humanité qui fait aussi partie du métier de fonctionnaire. C'est le rôle que joue la fonction publique dans le lien social, et notamment quand ce lien social est soumis à toutes ces tensions des accidents ou des difficultés intolérables.
II L'Etat et la Fonction publique dans la société
Je voudrais aussi saluer, dans la fonction publique, le parcours des fonctionnaires, et notamment rappeler aux Français que les fonctionnaires sont entrés avec des convictions dans la fonction publique. Ils sont entrés par le mérite, par des concours. Il ne faudrait pas oublier cette tradition du concours que l'on cultive dans la fonction publique. C'est la voie privilégiée d'accès à la fonction publique qui, finalement, constitue un ascenseur social. C'est pour cela qu'il faut veiller à ce que l'on puisse toujours valoriser cette approche du concours, et quelques fois même, rendre ces concours plus crédibles, en remontant, dans certains métiers, les moyennes d'accès aux responsabilités, de manière à ce que ceux qui ont accès à ce statut puissent avoir toute la force de la compétence reconnue.
La fonction publique demeure un creuset d'intégration, au sein duquel toute la diversité française doit pouvoir s'exprimer. C'est un des éléments très importants que je veux affirmer ici : l'intégration, dans la fonction publique, de toute la diversité française, et notamment des Français issus de l'immigration, doit être pour nous un objectif. Dans le contrat d'intégration que souhaite le président de la République, il nous faut renforcer cette dimension d'intégration, au sein même de la fonction publique.
L'une des missions que j'ai fixées à mon gouvernement, est de faire tout pour que ne soient pas opposés, dans l'opinion et dans le débat public, le secteur privé et le secteur public. Je ne souhaite pas que puisse apparaître l'idée d'un secteur privé qui serait dynamique, et un secteur public qui, lui, serait peu efficient. C'est inexact, c'est injuste. C'est pour moi quelque chose qui anime un véritable combat, quand on assiste, comme je l'ai fait ce matin, à des réunions concrètes, opérationnelles. On voit la qualité du service public, on voit sa performance, on voit qu'on est capable, dans le service public aujourd'hui, d'avoir les mêmes niveaux de normes ISO 9002, que les entreprises privées. On voit que dans la fonction publique, on est capable aujourd'hui de dégager les développements de qualité qui sont ceux que l'on trouve dans les entreprises.
Cela veut dire qu'il faut veiller à de très nombreux équilibres. Je pense notamment aux équilibres des recrutements. Je ne souhaite pas que l'on puisse épuiser les viviers de recrutement d'un secteur ou de l'autre, de manière à ce que l'on puisse garder cette capacité de qualités humaines, motrice du développement de la fonction publique. C'est un des sujets très importants, sur lequel je suis engagé.
C'est par exemple pour cela que, sur le difficile dossier des retraites, il est évidemment nécessaire de prendre des décisions. Je comprends que tout ceci inquiète parfois les Français. Je voudrais les rassurer, puisqu'il s'agit d'abord et avant tout de sauver le système de répartition. Il s'agit de nous donner les moyens que les générations futures puissent profiter de ce système social parmi les plus avancés du monde, qui est celui de la France. Il nous faut prendre un certain nombre de décisions, dans le dialogue et dans la concertation. Mais je ne veux pas que ce débat soit l'occasion d'un règlement de compte. Je ne veux pas qu'une catégorie de Français soit accusée par les autres.
C'est pour cela que j'ai demandé aux deux ministres, à J.-P. Delevoye, chargé de la Fonction publique, à F. Fillon, chargé du ministère des Affaires sociales, de recevoir ensemble les partis politiques, les partenaires sociaux, de manière à ce qu'on puisse discuter ensemble et qu'on voie bien que le problème qui est posé, ce n'est pas le problème du secteur privé ou du secteur public, c'est le problème de la France et de l'avenir des retraites dans notre pays, et l'avenir de notre système de répartition, c'est-à-dire l'avenir de notre système social. Et je ne souhaite pas qu'on aborde ce débat-là avec la volonté de pouvoir juger le statut des uns par les autres. Il faut mesurer que si les uns et les autres sont dans des statuts différents, c'est parce qu'il y a eu des engagements différents, parce qu'il y a eu des histoires différentes, parce qu'il y a eu des débats sociaux différents, et donc il faut en tenir compte pour pouvoir avoir le jugement équitable souhaité par le président de la République.
- le calendrier de la réforme
Je m'engagerai dans cette réforme des retraites selon un calendrier précis. Pendant le mois de janvier, nous avons un certain nombre de contacts avec les familles politiques. Il est normal que les représentants du peuple français, la représentation nationale soit informée en priorité et qu'il y ait cet échange avec elle sur cet important débat. C'est le débat du mois de janvier. Au début du mois de février, je m'exprimerai au nom du Gouvernement pour poser les grands enjeux qui, selon nous, sont ceux de la réforme de la retraite. Et puis je souhaite qu'il y ait, dans les territoires, des débats qui puissent permettre de faire émerger les préoccupations des uns et des autres en matière de retraite. Et à l'issue de ce débat - fin février début mars -, nous engagerons la discussion avec les partenaires sociaux. Ce sont eux qui seront les partenaires de cette discussion sociale et c'est avec eux que nous préparerons naturellement les décisions qui seront ensuite soumises au Parlement. C'est cette démarche de dialogue, engagée à partir des travaux importants qui ont été faits, y compris par le COR qui a été mis en place par le gouvernement précédent. Et je salue cette initiative parce que nous avons là un pôle d'expertise qui a préparé des débats importants et qui a rassemblé la matière. Et je crois, aujourd'hui, que nous sommes plus dans une situation où il faut débattre des décisions que rassembler les informations. Ne pas opposer secteur privé et secteur public : nous sommes tous Français, tous acteurs de ce "Vivre ensemble", de notre pacte républicain, et je ne souhaite pas mettre en accusation la fonction publique. Cette réforme de l'Etat, qui est nécessaire, sera conduite sous la main ferme, de J.-P. Delevoye, qui est le ministre en charge, avec H. Plagnol, son secrétaire d'Etat. Il est très important que cette réforme soit engagée. Chaque ministre, d'ailleurs, devra s'engager sous notre autorité conjointe, et d'ailleurs, chaque ministre ira présenter ses propositions de réforme au Parlement. C'est une innovation qu'a proposée le président de la République, et donc chacun sera responsable, devant le Parlement, devant vous mesdames et messieurs les parlementaires, des initiatives qui seront présentées. C'est un des éléments très importants, et je validerai moi-même cette grande réforme, de manière à ce que nous puissions faire en sorte que les engagements soient pris avec détermination.
Je recevrai fin mars, pour préparer ce rendez-vous parlementaire, l'ensemble des directeurs des administrations centrales. Il ne vous a pas échappé que, dans l'administration française, il y avait des gens particulièrement importants qui se trouvent entre les ministres et vous-mêmes, et qui finalement sont assez discrets dans le débat public, mais sont assez puissants dans les décisions qu'ils prennent. Et donc je voudrais parler avec eux directement et les mobiliser sur cet engagement de réforme, pour qu'ils puissent à la fois agir et mettre en oeuvre la politique du Gouvernement, mais qu'ils laissent aussi des responsabilités aux représentants de l'Etat qui sont au plus près des administrés. Chacun doit se sentir concerné par cette réforme. Ce n'est pas la réforme des ministres, ni la réforme des administrations centrales ni la réforme des préfets, c'est la réforme de l'ensemble des agents de l'Etat.
- les axes de la réforme
Quelle peut être la directive essentielle même de cette réforme de l'Etat ? J'y vois quatre axes majeurs. Premièrement, c'est la réforme budgétaire. Cette réforme a été engagée d'ailleurs, quand il était parlementaire déjà, par A. Lambert, dans la période précédente, avec les acteurs au Parlement et au gouvernement précédents. C'est une réforme importante. Aujourd'hui, le Parlement fixe des plafonds de dépenses. On dit d'ailleurs toujours que le budget est de tant, mais le Parlement nous autorise à dépenser moins ; le Parlement autorise les plafonds de dépenses. Ce que nous souhaitons, ce que souhaite la loi, c'est que le Gouvernement, avec ses plafonds de dépenses, soit soumis par le Parlement, à des indicateurs concrets de résultats associés au budget. C'est-à-dire qu'à côté des plafonds, il puisse y avoir cette logique de résultats, cette logique d'évaluation qui a été l'un des mots-clés des débats de ce matin.
D'abord la réforme budgétaire. Ensuite, les simplifications ; c'est ce que nous demandent les Français. Je vois qu'ici, vous avez fait, dans les services fiscaux, un système des cartes grises, à la préfecture. Dans bien des domaines, beaucoup d'efforts [ont été faits], mais il y a encore beaucoup d'efforts à faire. Je crois qu'il faut là changer un peu de méthode, parce que pour la simplification, il va falloir être rapide et efficace, et je demande à H. Plagnol, ici présent, de nous préparer, au cours de ce premier semestre, les capacités de légiférer par ordonnance pour aller plus vite et simplifier avec davantage d'audace. Car là, je crois qu'il faudra aller vite pour que les Français aient confiance dans des démarches de simplification ; c'est leur première demande. La fonction publique ne peut pas être perçue en permanence comme étant source de la complexité. Au fond, la source de la complexité, ce n'est pas l'administration. La source de la complexité, c'est la République, c'est parce que chacun veut être traité pour lui-même, et c'est d'ailleurs cela le pacte républicain. Etant reconnu pour soi-même, on demande des différences, c'est-à-dire que la matière humaine ne peut pas être traitée par des machines industrielles ; elle demande, comme la dentelle, à ce qu'on soit traité de manière spécifique, et c'est parce qu'on veut être traité de manière spécifique que le système administratif est naturellement complexe et que toutes les règles ne peuvent pas s'imposer à tout le monde, puisqu'il faut tenir compte de chacun. Et donc cette complexité, elle est dans la République, elle n'est pas dans l'administration, et c'est pour cela qu'il faut faire en sorte que l'administration puisse simplifier ses procédures, pour que le citoyen comprenne bien que c'est lui-même qui est demandeur de complexité. Il arrive même que ce soit les parlementaires - mais c'est exceptionnel ! - qui, par des amendements particulièrement pointus, viennent complexifier. L'administration, naturellement, a toute sa part dans tout cela. C'est pour cela qu'une démarche par ordonnances me paraît mieux adaptée aujourd'hui pour que nous ayons une vraie modernisation de la gestion en matière de simplification.
En ce qui concerne les deux autres objectifs, je voudrais insister sur les chantiers qui concernent directement J.-P. Delevoye, trois chantiers de modernisation : la simplification de la gestion des ressources humaines. Il existe aujourd'hui dans notre administration, la fonction publique, plus de 1 600 corps, ce qui nous fait quand même une organisation assez sophistiquée. Et puis il nous faut déconcentrer la gestion... Je suis sûr que dans le contrat de plan Nord-Pas-de-Calais, vous allez, grâce à la nouvelle fongibilité que nous venons de créer, trouver des possibilités financières. Parce que quand on fait un contrat de plan, surtout sur sept ans, il y a des projets qui sont devenus caducs ou il y a des projets qui n'ont pas eu les évaluations nécessaires, et aujourd'hui, les financements de ces projets sont bloqués. Nous allons permettre aux signataires des contrats de plan de réutiliser l'argent qui n'est pas utilisé pour tel ou tel projet, pour le remettre sur des projets qui, eux, ont avancé ou qui, eux, sont prêts, et de faire en sorte qu'on ne soit pas dans cette situation où il y a des projets prêts qui n'ont pas d'argent et des projets qui sont très lointains et qui, eux, ont des crédits qui ne sont pas affectés. Cela, sous votre autorité, monsieur le préfet, avec les signataires des contrats, vous pourrez faire un certain nombre de progrès.
Il y a des travaux qui sont nécessaires pour que les recrutements dans la fonction publique soient mieux adaptés aux différents métiers, aux différentes carrières, et que les carrières soient appelées à se diversifier, que chaque fonctionnaire puisse avoir plusieurs vies au sein de la fonction publique, et se former tout au long de sa carrière, j'ai vu d'ailleurs ce matin plusieurs responsables de la fonction publique qui avaient eu des parcours très différents et qui avaient fait preuve d'une véritable mobilité.
Je demande à J.-P. Delevoye de proposer des mesures adéquates pour cette gestion des personnels et de veiller d'ailleurs à ce que les conditions de vie fassent partie de la gestion de cette mobilité - je pense notamment aux questions de logement qui sont souvent des freins et qui posent un certain nombre de difficultés dans la vie quotidienne des fonctionnaires -, et qu'ils soient intégrés à cette problématique du dispositif. Et puis, je crois qu'il faudra, au niveau local, aussi, donner de la responsabilité aux acteurs locaux pour que, s'il y a trop de monde dans la DDA et pas assez dans la DDE, ou réciproquement, on puisse, sur le terrain, adapter l'organisation aux besoins de l'usager. Ce qui compte dans le service public, c'est de pouvoir satisfaire le besoin de l'usager selon les normes de la République. Sur ces trois chantiers, J.-P. Delevoye a engagé des discussions avec les organisations syndicales. C'est un sujet que nous voulons mener à bien, ces réformes concernent une véritable modernisation par le dialogue social, de la fonction publique.
III La place de l'Etat dans la décentralisation
Un mot, pour ne pas être trop long, mais il faut l'évoquer quand même, évidemment, sur la décentralisation et la fonction publique, est de vous dire : " n'ayez pas peur de la décentralisation ." C'est compliqué, d'ailleurs, si c'était simple, ç'aurait été déjà fait. Il y a un certain nombre de complexités, pourquoi ? Parce qu'il faut à la fois gérer la cohérence, c'est-à-dire la République, l'égalité, le fait que nous sommes un pays dans lequel on doit se sentir français, et que le jeune Poitevin, Rhône-alpin, ou l'habitant d'Arras, puisse se dire qu'avec son Bac, qu'avec son brevet, qu'avec son CAP, il peut avoir un emploi partout en France, et qu'il n'est pas enfermé dans des frontières infranchissables. Nous avons besoin de la cohérence nationale. Il y a des sujets qui ont besoin de cohérence et il y a des sujets qui ont besoin de proximité, et il faut conjuguer les deux. Si on ne fait que de la proximité, on fera du gaspillage et de l'inéquité, et si on ne fait que de la cohérence, on fera ce qu'on fait, depuis longtemps, du jacobinisme et du centralisme. Ce qui compte pour nous, c'est de définir le bon niveau de compétence. Il faut trouver le bon niveau, et le bon niveau, ce n'est pas toujours le plus bas, ce n'est pas toujours le plus près, ce n'est pas toujours le plus haut non plus. C'est un niveau qui est pertinent pour la décision qui est à prendre, avec une règle majeure qui est la clé de tout : c'est la responsabilisation des acteurs. Vous savez, quand il y a des problèmes, c'est quand les systèmes sont opaques, quand les responsabilités sont confuses, quand au fond, on ne sait pas très bien le qui fait quoi.
Prenons l'exemple de l'Education : la décentralisation dans l'Education, au fond, elle existe et elle fonctionne bien : le principal de collège, le proviseur de lycée, il sait très bien ce qu'il doit demander au président de région et ce qu'il doit demander au recteur. Il ne confond pas les responsabilités.
Mais il y a d'autres systèmes où les responsabilités sont plus ambiguës, où les services se tirent la bourre, où on essaye de se prendre les dossiers, où finalement, quelquefois même, chacun comptant sur l'autre, personne ne fait rien. Et donc, je crois qu'il faut que les choses soient claires, et nous devons, de ce point de vue-là, faire des pas importants. C'est dans cette logique-là que je voudrais que l'Etat joue tout son rôle. Et c'est pour cela, mon cher Jean-Paul, que la réforme de l'Etat est pour nous aussi importante que la décentralisation. Elle doit se faire simultanément, avec le cap qui est le nôtre.
L'Etat conserve donc son rôle comme finalement le coeur du pacte républicain, ce rôle essentiel. D'abord, il est producteur de normes, et c'est lui qui doit en amont fixer la norme et en aval faire l'évaluation, si la norme est appliquée. Que ce soit les services de l'Etat ou que ce soit la collectivité locale, la norme reste nationale, notamment la norme législative reste nationale et l'Etat fixe la norme, et donc avec le Parlement, avec le débat national, et l'évaluation, ensuite, se fait avec l'Etat. Entre les deux, celui qui a la délégation pour exercer la responsabilité, il est l'Etat ou il n'est pas l'Etat, mais en tout cas, l'Etat fixe la norme et fixe l'évaluation. C'est un producteur de normes. Et naturellement, les missions régaliennes sont très importantes ; la sécurité, la justice, l'impôt, la défense, l'éducation, ce qui fait la cohésion sociale, la santé. Le social, c'est très important puisque c'est ce qui, naturellement, est dans le lien social. L'Etat est donc le garant de la cohésion nationale, mais aussi - et c'est un point très important sur lequel je voudrais insister - on a abandonné un peu la priorité, c'est l'Etat stratège.
Ce qui me frappe, c'est qu'au fond, tous les sujets que nous avons abordés sont des sujets compliqués, qui demandent du temps, et il faut toujours agir pour demain matin, et encore, quelquefois avec les journalistes, ils voudraient les conclusions des réunions avant que les réunions soient finies. C'est-à-dire qu'il faudrait quasiment agir pour hier. Donc, on est dans une culture de l'immédiat, d'un côté, et tous les problèmes qui nous sont posés, sont des problèmes qui exigent du temps. Et le marché, les entreprises sont pressés par le temps, et elles n'ont pas forcément le temps de penser à long terme. Et souvent les collectivités locales aussi sont soumises à des pressions, et on a des mandats relativement courts, et donc, même s'ils sont quelquefois trop longs, ils sont globalement courts. Nous avons au fond - cela dépend de qui les exerce, naturellement mais je vous laisse le choix, à chacun, d'apprécier... Ce qui est très important, c'est que l'on puisse avoir un lieu qui pense l'avenir, qui soit capable de dire vraiment quel est l'avenir de la France, dans quels domaines la France, dans dix ans, dans quinze ans, doit-elle rester leader mondial, dans quels domaines devons-nous choisir vraiment un cap stratégique qui nous place au premier rang des pays européens. Penser l'avenir, c'est une mission de l'Etat, c'est l'Etat qui a le plus d'indépendance, qui a le plus de perspective pour ce faire, et je crois que c'est très important.
IV La décentralisation et les agents de l'Etat
Quelques mots - et je termine par là - sur la décentralisation et sur une question qui est très importante pour vous tous, qui est le rôle des personnels. Je voudrais donc m'arrêter un instant, pour que les agents de la fonction publique sachent bien comment nous prenons ce sujet du transfert des personnels. Je comprends l'impatience qui se manifeste parfois pour mieux connaître ce qui va se passer. Mais comme on concerte sur ce qui va se passer, il est difficile d'anticiper les conséquences avant que la concertation soit achevée. Donc, je voudrais dire que nous allons dialoguer sur ces sujets. Mais quatre messages importants :
Un, la fonction publique, quel que soit l'employeur, Etat ou collectivités, continuera de fonder sa mission sur les principes qui sont les siens, ses principes républicains, et l'Etat se porte garant de ce socle commun. C'est un point très important. La neutralité du service public, le principe des carrières, les garanties de liberté mais aussi les devoirs de fonctionnaire ne seront pas affectés par la décentralisation. Ils seront, au contraire, renforcés.
Deuxièmement, l'Etat aidera la fonction publique territoriale à améliorer son attractivité. La fonction publique territoriale n'est plus à construire ; elle est structurée, elle a fait ses preuves, elle est innovante. Il faut qu'elle demeure, nous y veillerons. Mais l'Etat veillera en particulier à garantir que les modalités de formation des agents et les garanties de mobilité soient elles aussi, améliorées.
Troisièmement, les fonctionnaires qui changeront de fonction publique pourront conserver, s'ils le souhaitent, leurs anciens éléments statutaires. Je répète : les fonctionnaires qui changeront de fonction publique pourront conserver, s'ils le souhaitent, les anciens éléments statutaires, donc leur statut précédent. C'est un des éléments d'ouverture qui est proposé à la discussion. Les transferts de compétences seront accompagnés des transferts des personnels correspondant - c'est une question de cohérence. Mais au moment des transferts de compétences, les agents suivront leur service, et il faut faire en sorte que, pour autant, les agents n'intégreront pas les statuts de fonctionnaires territoriaux s'ils le refusent explicitement. Il y aura donc une liberté de choix qui persistera. C'est une garantie statutaire d'origine que nous voulons préserver.
Et nous définirons les modalités de transfert de personnels dans un souci constant de dialogue. C'est un débat qui est ouvert, mais c'est un sujet qui est très préoccupant et pour lequel je voudrais dire très clairement que c'est un sujet sur lequel, je serai avec, J.-P. Delevoye, qui tiendra une table-ronde sur ses modalités de transfert, le 30 janvier, très attentif à cette question-là.
Je voudrais, en terminant, vous saluer les uns et les autres, pour le travail que vous menez, et pour vous dire qu'au fond, il nous faut convaincre les Français qu'ils ont besoin de cette cohérence nationale dont la fonction publique est la colonne vertébrale. Il faut les convaincre d'autant plus nous voyons bien aujourd'hui que le monde connaît des tensions diverses et variées qui inquiètent et qui préoccupent. Face à cette situation de déséquilibre, la France doit garder un message qui est celui de son histoire, son message universel, son message d'humanité, son message de sagesse. Et cette sagesse-là, c'est notre conviction à nous, notre histoire, notre capacité, aujourd'hui, à dire à la mondialisation qu'elle ne doit pas perdre de vue son cap de l'humanisation. Et cela, comment pouvons-nous le dire ? Nous pouvons le dire, certes, en entendant le président de la République s'exprimer à Johannesburg, ou envoyer un message au Conseil de sécurité de l'ONU. Mais nous pouvons le dire aussi en montrant le modèle français, en montrant cette capacité de tolérance, cette capacité d'écoute, cette capacité, au fond, de dialogue, et qu'il y a quelque chose de plus grand que nous, qui dépasse l'esprit partisan : c'est cette République, c'est ce pacte social qui, quelles que soient nos idées, quels que soient nos engagements, quelles que soient nos batailles oratoires à l'Assemblée nationale, au Sénat ou ailleurs. Il y a quelque chose qui est plus grand que nous, qui s'appelle la République. Et cela, chaque fonctionnaire en est le premier des militants, et c'est pour cela qu'il doit être respecté. Merci à tous."
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 16 janvier 2003)