Discours de M. Alain Savary, ministre de l'éducation nationale, sur la politique gouvernementale d'aide aux handicapés, Paris le 26 novembre 1981

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Circonstance : Journées d'études du comité de coordination de l'action en faveur des handicapés novembre 1981

Texte intégral

Il a fallu bien des années pour que l'on se rende compte que le discours sur la réduction des inégalités sociales et culturelles ne recouvrait pas celui sur la prise en compte des handicaps, et que l'intégration des handicapés avait d'autres exigences.
Votre action, comme celle de tous ceux qui se sont attachés à ce problème, a permis non seulement d'engager un large débat social et politique mais d'inscrire dans les faits un début de changement d'attitude de notre société vis-à-vis de l'insertion des handicapés.
En la matière, les acquis existent et vous en témoignez, même si l'essentiel du chemin reste à faire.
Je ne dirai pas que les gouvernements précédents n'ont pas eu conscience de l'exigence d'intégration.
La loi d'orientation, dite " en faveur des handicapés " du 30 juin 1975, a manifesté, au contraire, des intentions intégratives sur lesquelles s'était réalisé un large accord. Ses textes d'application, lents à paraître, incomplets à plus d'un titre, marquaient cependant un recul par rapport au projet du législateur. On renouait dans les faits, malgré la loi, avec une logique du développement économique et social qui, vous le savez, n'est pas la nôtre, et qui signifie en l'espèce :
- écrasement de tous ceux qui, du fait d'inaptitudes relatives, ont au départ des chances minorées,
- éloignement de la vie collective et donc repliement sur soi ou sur le petit groupe de ceux qui ont les mêmes difficultés,
- recours, pour survivre, aux mécanismes de l'assistance.
Il y a lieu de briser cette logique, ce fonctionnement de la société qui secrète l'exclusion, qui maintient dans l'exclusion. Il y a lieu de mettre en place des mécanismes de soutien et plus largement de créer les conditions de la plus grande autonomie des handicapés. Il y a lieu d'aménager l'accès à l'emploi, tant dans le secteur privé que dans le secteur public.
Préparant l'action sur les structures nous n'ignorerons pas l'action sur les comportements, sur les mentalités d'un corps social qui n'est pas habitué à vivre avec la différence et qu'il faut rendre au moins tolérant, et mieux, accueillant. Des dispositions seront prises pour informer l'opinion, pour sensibiliser chacun aux difficultés des handicapés et à l'exigence de l'insertion, pour préparer les cadres de l'accueil.
Dans un moment ou il faut répondre à tous et à tout, aucun instant n'a été perdu pour préparer le changement auquel aspirent les handicapés et leurs associations.
Les décisions gouvernementales qui pouvaient être prises sans délai l'ont été. C'est ainsi que l'effort pour le recrutement d'auxiliaires de vie a été entrepris, que des personnels supplémentaires ont été mis à la disposition des commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel, que surtout l'allocation aux adultes handicapés a été portée a 1 700 f par mois au ler juillet et qu'elle atteindra 2 000 f au ler janvier prochain. Une majoration de plus de 40 % en six mois marque mieux qu'un long discours la priorité que le gouvernement reconnaît à ceux auxquels il en attribue le bénéfice. Dans le même temps, et en attendant de nouvelles dispositions, les textes de la fonction publique ont fait l'objet d'interprétations plus favorables, moins restrictives à l'emploi des handicapés et les règles en vigueur seront strictement appliquées en ce qu'elles déterminent des planchers d'effectifs.
Un bilan de la loi d'orientation a été demandé pour que les infléchissements nécessaires soient préparés dans les meilleures conditions et servent au mieux la politique d'insertion sociale. On ne remplace pas une réglementation par une autre, dans le domaine de la garantie de ressources ou du financement des établissements par exemple, sans en maîtriser toutes les conséquences, sans consultation des partenaires de la politique suivie.
Le gouvernement a donc retenu une démarche progressive qui garantit que les évolutions sur le court terme vont dans le sens des orientations à long terme.
Dès à présent l'efficacité à long terme se prépare.
A cet égard le rôle de l'école est éminent, chacun en est conscient et il faut en tirer toutes les conclusions nécessaires. Pour ce qui me concerne, j'entends que les institutions dont j'ai la responsabilité trouvent et prennent leur place, toute leur place. dans la préparation de cet avenir. Tous nos choix ne sont pas arrêtés et des négociations interministérielles sont en cours sur quelques points, aussi n'évoquerai-je que de grands axes. Je les préciserai dans quelques temps dans les structures auxquelles le plus gros effort sera demandé : l'école.
Je ne vous apprendrai pas qu'on peut être frappé aujourd'hui par la modestie du rôle des institutions scolaires dans l'accueil des jeunes et des adolescents handicapés. J'ai la conviction que le grand service public de l'éducation nationale à la mise en place duquel je m'emploie, doit prendre en charge tous les enfants parce que chaque enfant a droit à entrer dans le système éducatif, à s'y développer autant qu'il est possible. L'école doit assumer les responsabilités qui découlent de ce choix de principe et cesser d'en laisser le soin à d'autres structures.
Il faut l'y aider et notre action va dans ce sens.
Les recrutements nouveaux de personnels enseignants, dont on mesure mal les effets aujourd'hui parce que ces personnels sont encore largement en formation, abaisseront à terme proche les effectifs des classes. Ceci permettra une meilleure adaptation de la pédagogie aux besoins des enfants, limitera les exclusions dont l'école est trop souvent encore génératrice, facilitera l'insertion individuelle lorsqu'elle apparaîtra possible.
Plus nombreux, les maîtres devront aussi être mieux préparés à cette mission nouvelle pour eux, et les dispositions seront prises pour qu'une formation leur soit dispensée.
Les structures scolaires ordinaires ne sont évidemment pas seules concernées. Il faut aussi répondre aux besoins d'intégration scolaire collective. C'est par elle que l'insertion des handicapés les plus lourds aura la plus grande réalité et c'est elle qu'il faut viser - sauf à se cantonner dans des interventions plus élitistes, mais il faut que les écoles nationales de perfectionnement ou les sections d'éducation spécialisées n'accueillent que ceux dont le cas ne pourrait pas être pris en charge dans les classes ordinaires, éventuellement allégées, avec un soutien psycho-pédagogique. Participant à la scolarisation de handicapés plus lourds, elles devront disposer de plus de maîtres, mieux formés.
Parlant d'insertion scolaire la plus large des handicapés, je le fais sans esprit de système et souhaite vous convaincre que cette orientation sera menée avec tout le discernement, avec toute la souplesse, qui permettront de trouver la meilleure réponse à chaque cas particulier.
L'accueil de handicapés plus nombreux exige :
1°) une adaptation des locaux qui figure à notre programme d'équipement dès 1982.
2°) la mise en place dans les établissements de centres de soins et de réadaptation dont les personnels seront partie prenante à l'équipe éducative.
Sans unité du projet intégratif dans toutes ses dimensions, pédagogique, médicale, psychologique et sociale, l'insertion scolaire est un leurre, en quelque sorte une bonne conscience collective, un danger pour les handicapés auxquels sont réservées les désillusions proches et les difficultés d'un rattrapage ultérieur.
Parce que la scolarisation précoce des enfants est appelée à progresser plus encore, l'école doit déjà être le lieu d'une observation des enfants, d'une prévention des handicaps et de leur aggravation, le lieu où sont mises en oeuvre des techniques de compensation, de soins, de réadaptation. A cet égard la place et le rôle des services de santé scolaire doivent être redéfinis, comme les interventions de leurs personnels. J'ai saisi le ministre de la santé. auquel sont dévolues ces attributions depuis 1964, d'une demande en ce sens. L'efficacité préventive et le rôle correcteur de l'école seront d'autant plus grands que l'échange avec les parents sera complet, fréquent et que renaîtra la confiance des parents dans l'institution scolaire. C'est l'une des tâches générales que je me suis assigné et dont le point précis de l'insertion scolaire des handicapés souligne à la fois l'intérêt et l'urgence.
Le fait que vous ayiez consacré deux journées d'étude aux problèmes posés par l'insertion scolaire des handicapés montre assez qu'en cette matière les principes ni la volonté ne suffisent à définir une politique. Elle s'avère difficile parce que la place des différents intervenants est à redéfinir, parce que chaque décision concerne finalement des enfants, des familles, des collectivités et que c'est leur avenir qu'on prépare. C'est votre honneur que d'y consacrer votre temps, d'affronter des remises en cause pour qu'ensemble, nous répondions mieux aux besoins.
A mon sens, et ce sera là mon dernier propos, c'est à la transformation des mentalités, au delà des moyens engagés, qu'on pourra mesurer réellement l'efficacité de la politique qui s'engage.
Le jour où plus aucune décision concernant l'école ne sera prise sans que la question de la place du handicap n'ait été au moins posée, ce jour-là, je crois que le mouvement sera devenu irréversible.
Le jour où chaque partenaire de l'acte éducatif pourra lui-même prendre place dans l'action de l'insertion des handicapés, dans la vie quotidienne de l'école, alors je le crois, l'école sera vraiment- devenue l'école pour tous.
Vous comprendrez que ce n'est pas seulement un vu, mais le sens exact de l'action que nous devons mener.