Déclaration de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur les objectifs de la France concernant les prochaines négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), à l'Assemblée nationale le 26 octobre 1999.

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Circonstance : Débat sur les prochaines négociations commerciales de Seattle (Etats-Unis) à l'Assemblée nationale le 26 octobre 1999

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le gouvernement vous présente aujourd'hui, après le débat de juin, ses orientations sur les prochaines négociations de l'OMC. L'occasion est particulièrement opportune parce qu'elle se situe au moment où l'Europe a fixé sa position commune et où commencent à Genève les discussions sur le projet de déclaration ministérielle qui devra être adoptée à Seattle.
Permettez moi de revenir en introduction sur les caractéristiques fondamentales de l'OMC qui restent souvent méconnues.
L'OMC ne doit être ni diabolisée, ni idéalisée.
1) L'OMC n'est pas un organe supranational qui imposerait mécaniquement ses lois aux Etats et aux peuples. L'OMC n'édicte pas de règles, elle fournit le cadre où les Etats décident des règles. L'OMC est donc une organisation internationale constituée sur un mode démocratique : chaque gouvernement peut faire entendre sa propre voix et dispose en quelque sorte d'un droit de veto puisque toutes les décisions sont prises par consensus.
Le modèle de l'OMC n'est pas celui de la domination des forts sur les faibles , mais davantage celui, cher à notre tradition politique , du contrat social, d'un contrat social international entre partenaires libres et égaux .
2) En deuxième lieu, l'OMC ne met pas en place des contraintes irréversibles, qui pour issues qu'elles soient de la libre volonté des Etats, les enfermeraient ensuite dans un carcan.
Un Etat membre dispose toujours de l'option de se soustraire à l'application d'un engagement qu'il a préalablement souscrit à l'OMC, s'il propose une compensation. Le système multilatéral prévoit aussi qu'un Etat puisse prendre des mesures de protection s'il se trouve dans une situation grave : il peut à ce titre bénéficier de sauvegardes ou de dérogations.
3) L'OMC serait aussi pour certains une organisation marquée irrévocablement par une idéologie particulière, le libre échange. Je crois la réalité plus complexe. D'abord, l'OMC est une enceinte de discussions qui traite d'autres sujets que les tarifs douaniers. Mais plus fondamentalement, le principe de base de l'OMC n'est pas l'ouverture commerciale en tant que telle, mais plutôt l'égalité de traitement. Si un pays impose des normes sanitaires à une certaine catégorie de produits importés, il doit aussi y soumettre ses producteurs locaux. Si un Etat décide d'accorder des facilités commerciales à un autre Etat, parce qu'il y trouve des avantages directs ou indirects, il doit les accorder à tous les membres de l'OMC.
On dit parfois que dans l'OMC coexiste potentiellement un volet "d'ouverture commerciale" et un volet de "régulation" avec en particulier les nouveaux sujets, concurrence, investissement, normes sociales, environnement.
Il me semble que l'ouverture commerciale et la baisse des tarifs, telles qu'elles sont négociées, organisées, dosées en fonction des capacités de chacun, enfin contrôlées par l'OMC, sont déjà pleinement de la régulation.
De la régulation, dont aux niveaux national, européen et international, l'économie a besoin, ainsi que l'a affirmé avec force le Premier ministre à Strasbourg.
4) Enfin, dernière observation sur les principes fondamentaux de l'OMC, sa méthode de règlement des conflits. Qui dit en effet régulation, dit règles, mais aussi conflit de règles, interprétation de règles, application de règles. C'est donc tout à fait logiquement que l'OMC dispose d'un tribunal qui permette de faire vivre, de rendre effective la règle du droit.
Le système de règlement des différends de l'OMC représente l'un des grands acquis du cycle d'Uruguay, pour l'Union européenne comme pour ses partenaires, parce qu'il interdit l'unilatéralisme comme mode de résolution des conflits commerciaux internationaux. Il faut se rappeler des guerres commerciales des années 70, - soja, acier, aéronautique -, et de leurs escalades permanentes où la loi du plus fort l'emportait à coup sûr.
Au total, depuis la création de l'Organe de Règlement des Différends, l'ORD, l'Union européenne a remporté plus de panels qu'elle n'en a perdus et les sanctions subies sur la banane ou les hormones n'ont pas un caractère définitif. De plus, sur l'acier, vis-à-vis des Etats-Unis, sur l'automobile à l'égard du Canada, ou sur les aides fiscales à l'exportation américaines, les perspectives nous sont très favorables.
Je vois néanmoins plusieurs directions sur lesquelles nous devons travailler pour améliorer l'ORD.
La première est celle de l'accès au droit. Les pays pauvres, disons le franchement, n'ont pas toujours les moyens d'argumenter dans un panel. Nous devons améliorer les choses si l'on veut que l'ORD soit vraiment un instrument juridictionnel mondial.
Deuxième orientation : la transparence. Surtout quand les sujets traités ont une dimension extra-économique, en matière d'environnement par exemple, il faut que la société civile puisse faire entendre son point de vue. Les modalités ne sont pas toujours simples mais nous devrons trouver le bon équilibre entre transparence et respect de la confidentialité de certaines informations.
Enfin, il y a le problème des sanctions. Le bon sens, et je dirais même le sens inné de la justice qui est en chacun de nous, comprend mal que souffrent des décisions de l'ORD, des secteurs, des entreprises et en dernier ressort des hommes et des femmes qui n'étaient pas parties au litige.
C'est un sujet très complexe sur le plan juridique, mais où l'OMC joue en partie sa crédibilité : l'objectif d'une meilleure régulation internationale est trop important pour qu'on puisse le fragiliser pour des raisons, techniquement peut-être justifiées, mais politiquement et moralement peu explicables.
Je le répète, l'OMC, est une institution démocratique, si l'on change ou si l'on fait évoluer le système des sanctions, il faudra le faire d'un commun accord. Cela ne nous dispense pas de faire des propositions.
Mais au-delà de ces améliorations de l'ORD, nous devons considérer que tous les problèmes nouveaux, auxquels la communauté internationale se trouve confrontée dans le domaine commercial, ne peuvent être résolus par des juges.
Certains voudraient que le droit de l'OMC s'adapte à l'évolution des besoins de l'économie ou des préoccupations de la société civile selon une voie seulement jurisprudentielle.
Tel n'est pas le point de vue de la France ni de l'Union européenne.
Pour des raisons d'efficacité et de légitimité, il est nécessaire que les Etats réexaminent ensemble, périodiquement, au-delà de la jurisprudence, le cadre normatif sur lequel celle-ci doit s'appuyer. Créer de nouvelles règles, modifier les règles existantes ou en préciser la portée, ne peut incomber à des juges, mais relève de la volonté des membres de l'OMC, des Etats souverains. C'est un des enjeux du prochain cycle.
Au-delà des principes qu'il était, je crois, utile de rappeler, il y a la réalité, correspondant à ce que l'on appelle parfois le bilan de l'OMC.
C'est un exercice extrêmement difficile car la vie économique internationale dépend de facteurs monétaires, financiers et politiques qui dépassent largement la capacité de régulation de l'OMC. En particulier, il me semble inexact d'attribuer aux accords de l'OMC une responsabilité dans la crise asiatique de 1997-1998 - qui est également issue de l'inadaptation de certains cadres juridiques internes des pays qui en furent victimes, en particulier sur le plan des droits bancaire et boursier. J'ajoute que les nations frappées par cette crise sont souvent loin de s'être engagées dans des politiques d'ouverture commerciale accélérée mais ont conclu à Marrakech des baisses de tarifs limitées assorties de périodes de transition importantes.
Le bilan de l'OMC me semble plutôt positif et il l'est en tout cas certainement pour la France.
Notre pays, grâce aux efforts de nos concitoyens, a en effet renoué avec une suite spectaculaire d'excédents commerciaux depuis 1993. Aujourd'hui, près de la moitié de notre production industrielle est exportée. Dans le domaine agro-alimentaire, notre balance commerciale est excédentaire depuis maintenant 30 ans avec une progression régulière de 4,5 % par an depuis 1986.
L'économie française a prouvé sa compétitivité au niveau international et n'a pas à craindre de nouvelles négociations commerciales, d'autant plus que les perspectives de croissance de l'économie mondiale sont très favorablement orientées.
L'enjeu du nouveau cycle n'est pas le partage de la rareté mais bien au contraire l'accompagnement et le renforcement de la croissance par des mesures contrôlées d'ouverture et des disciplines appropriées.
Je n'ignore pas que certains pays en développement ont le sentiment de ne pas avoir tiré les bénéfices escomptés de l'accord de Marrakech.
N'oublions pas tout d'abord qu'un certain nombre d'accords signés à Marrakech ne sont toujours pas entrés en vigueur. Les pays en développement ont bénéficié de périodes de transition qui s'appliquent jusqu'aux années 2000 ou 2005.
Les pays en développement considèrent néanmoins que de nombreuses dispositions des accords qui formaient l'équilibre du cycle d'Uruguay n'ont pas été respectées. Ils mettent en avant l'accès au marché pour l'agriculture et le textile, le recours par les pays industrialisés à l'antidumping. Ils considèrent en outre que les pays industrialisés n'ont pas mis en oeuvre leurs engagements en matière de coopération et de transfert de technologie, leur permettant de disposer des capacités de mise en oeuvre des accords.
Certains de ces reproches sont fondés, mais, ce n'est pas la polémique qui fera évoluer le débat : c'est au sein de l'OMC que les pays en développement doivent présenter leurs propositions pour améliorer la mise en oeuvre des accords : c'est un autre enjeu du prochain cycle.
Permettez-moi de conclure sur cette question difficile par une simple observation : aujourd'hui une trentaine de pays, aussi différents que le Vietnam ou l'Algérie, ont engagé des négociations d'accession à l'OMC. C'est un signe qui plaide sûrement en faveur de cette organisation.
Parce que l'existence et le fonctionnement de l'OMC constituent un atout pour notre pays, nous devons envisager les futures négociations avec beaucoup de résolution.
D'abord à cause nos intérêts économiques, que je viens de rappeler.
En deuxième lieu, parce que les objectifs que nous poursuivons nous semblent partagés par la très grande majorité des français comme viennent de le rappeler la résolution adoptée par votre assemblée et la déclaration commune des cinq grandes centrales syndicales.
Le gouvernement a abordé la préparation de Seattle dans la transparence, non pas seulement a posteriori en informant la société civile de positions déjà arrêtées, mais a priori en consultant les organisations professionnelles, syndicales, et les associations pour élaborer ses positions. Le rapport présenté par Mme Marre mentionne, et je l'en remercie, ces différentes consultations qui se sont tenues souvent à Bercy mais toujours dans une dimension interministérielle, et en association avec les parlementaires. Je n'y insiste pas mais vous constaterez que cette démarche est tout à fait inverse de celle de l'AMI.
Enfin, notre résolution est confortée par l'unité de vues qui est celle de l'Union européenne. Aujourd'hui à Bruxelles, seront adoptées formellement les conclusions du Conseil qui serviront de cadre à la Commission pour préparer Seattle. Les difficultés qui, comme c'est normal dans un texte important et précis, ont subsisté à la fin du travail intra-communautaire, ont été rapidement aplanies.
Au total, l'Europe n'est jamais apparue aussi soudée à l'approche de négociations commerciales.
Je crois que cet accord européen et ce consensus au sein de l'opinion française repose sur une double conviction, selon laquelle le développement des échanges est un gage de croissance mais aussi selon laquelle l'économie n'est pas une fin mais un moyen, au service de valeurs supérieures au simple commerce.
Dans l'exemple de la culture, l'Union Européenne a ainsi réaffirmé que les biens et services culturels n'étaient pas des produits comme les autres. A Marrakech, l'Union européenne a utilisé les deux possibilités inscrites dans l'accord de l'OMC sur les services : celle de ne faire aucune offre de libéralisation en matière audiovisuelle, celle de déposer des dérogations à la clause de la nation la plus favorisée pour développer ses instruments de soutien au secteur culturel et audiovisuel. Les conclusions du Conseil adoptées aujourd'hui réaffirment cette orientation.
On dit parfois que la France est le dernier bastion de la spécificité culturelle. Permettez-moi de rappeler que sur 134 membres de l'OMC, seuls 19 ont pris des engagements de libéralisation dans le secteur audiovisuel. C'est dire qu'une écrasante majorité de pays - et je l'ai constaté encore très récemment en m'entretenant avec mes homologues africains réunis à Abidjan - partage notre souci de maintenir leurs souveraineté culturelle.
Au niveau international, ne l'oublions jamais, c'est l'exception culturelle qui est la règle et la libéralisation qui est l'exception.
Ce qui est vrai de la culture, l'est aussi d'autres domaines du secteur des services. Certains craignent, parce qu'ils ont une vision fausse de l'OMC comme d'une organisation supranationale et sans contrôle, que nos services publics soient mis en péril par les nouvelles négociations, en particulier dans le domaine de l'éducation de la santé.
Je rappelle que selon l'accord sur les services de l'OMC, on ne libéralise que ce que l'on veut libéraliser, ce que l'on offre volontairement à ses partenaires dont on attend la réciprocité.
Permettez-moi d'affirmer ici avec une certaine solennité qu'il n'est pas question pour la France de s'engager dans un processus de négociation sur l'éducation ou la santé, et qu'en conséquence, nos services publics ne sont en rien menacés par l'OMC.
J'aborde maintenant les perspectives et les enjeux du prochain cycle de négociation.
Lors de la signature des accords de Marrakech, tous les membres de l'OMC se sont entendus pour reprendre à partir de l'an 2000 un certain nombre de négociations, en particulier dans les domaines des services et de l'agriculture : c'est ce que l'on appelle le "programme intégré" de l'OMC. En se rapprochant de l'échéance de l'an 2000, plusieurs membres de l'OMC dont l'Union européenne, le Japon, les Etats-Unis, le Canada et certains pays en développement, ont pris position pour compléter ce programme : si l'on doit négocier dans les secteurs primaire (agriculture) et tertiaire (services) pourquoi ne pas aussi négocier dans le secondaire (industrie) ? Mais peut-on mettre aussi à profit cette opportunité pour développer de nouvelles règles commerciales dont le besoin se fait aujourd'hui sentir ?
C'est pourquoi, la France et l'Europe se sont engagés dans la voie d'un cycle large assorti d'un accord unique. Comme l'a dit le Premier ministre "rien ne sera acquis, quand tout ne sera pas acquis ". C'est ce principe qui doit permettre de trouver le bon équilibre entre les priorités de chacun des participants. C'est pourquoi, un cycle trop court ou des récoltes précoces ne permettront pas de répondre à notre objectif d'un cycle global et équilibré.
Le rapport de la délégation à l'Union européenne vous a présenté de manière précise les différents thèmes de négociation. Permettez-moi d'en rappeler seulement quelques uns .
Agriculture
Dans le domaine de l'agriculture, l'Union, souvent accusée de protectionnisme, est en fait importatrice nette car ses exportations ne couvrent que 85 % de ses importations. Elle absorbe 20 % des exportations mondiales de produits agro-alimentaires, soit autant que les Etats-Unis. Pour l'Union européenne les prochaines négociations recouvrent trois objectifs majeurs.
Premier objectif : La réduction des protections tarifaires devra être gérée avec fermeté pour assurer sa compatibilité avec la réforme de la PAC, qui constituera le socle permanent de la position européenne. Dans le même temps, l'Union devra rechercher une amélioration de l'accès aux marchés des pays tiers.
La négociation devra également porter sur certaines pratiques de nos partenaires, comme les monopoles d'importation ou la gestion des contingents d'importation.
Deuxième objectif : les soutiens à l'exportation. Certes, l'Europe devra faire face à la pression conjuguée des Etats-Unis et des pays du groupe de Cairns pour la suppression de ces soutiens. Mais, cette négociation devra aussi être l'objet d'une attitude offensive de l'Europe contre des pratiques comme les crédits à l'exportation, l'aide alimentaire ou les monopoles d'exportation, qui ont les mêmes effets que les restitutions européennes.
L'Europe devra aussi veiller à ce que progressent les travaux décidés à Marrakech sur la protection des appellations d'origine.
Troisième objectif : les soutiens internes donneront lieu à des négociations, dans lesquels le partenaire américain, qui a accru massivement les aides à ses agriculteurs dans la période récente, devra lui aussi justifier de ses propres soutiens.
Mais, ces trois objectifs sont englobés dans une perspective plus large qui va au-delà de l'approche classique de l'agriculture à l'OMC: L'Union souhaite en effet élargir le champ de la négociation en prenant en compte les véritables enjeux de l'agriculture, ses implications majeures sur l'environnement, l'aménagement du territoire, la qualité de l'alimentation et la santé.
La multifonctionnalité de l'agriculture maintenant reconnue par tous nos partenaires européens, doit être prise en compte par tous les pays dans leur propre intérêt, celui de la santé des consommateurs ou du maintien des populations rurales dans leur cadre de vie ; sinon, les agriculteurs du monde entier, de moins en moins nombreux, s'épuiseront dans une guerre des prix qui ne favorisera que quelques multinationales de l'agro-industrie.
Services
Dans le domaine des services, nous devons adopter une attitude ambitieuse car nos intérêts y sont importants, la France étant le troisième exportateur mondial de services.
Sur le plan des règles, l'accord sur les services devra être complété par des dispositions sur les marchés publics, les subventions et les sauvegardes.
Sur celui de l'ouverture des marchés, les télécommunications et les services financiers, qui ont fait l'objet d'accords en 1997, figurent au premier rang des intérêts offensifs de l'Union européenne. La distribution devrait constituer pour la France un secteur d'intérêt prioritaire, en raison d'une implantation à l'étranger déjà très diversifiée et de son impact sur le domaine des marchandises. Le secteurs de la construction, du tourisme et surtout des services environnementaux constituent également des objectifs majeurs pour notre pays.
Industrie
Un autre enjeu pour notre économie est celui des tarifs industriels, qu'il est de notre intérêt de voir figurer dans le prochain cycle.
Les tarifs industriels de l'Union européenne sont faibles comparés à ceux de ses principaux partenaires. La moyenne du tarif extérieur de l'Union européenne est de 3 %, à comparer aux moyennes du Japon (1,7 %) et des Etats-Unis (1,5 %). Dès à présent, 40 % des droits du tarif extérieur commun de l'Union européenne sont en franchise.
L'Union européenne présente également une structure tarifaire relativement harmonisée. Dans le secteur sensible des textiles et de l'habillement, les droits européens sont inférieurs à ceux de ses principaux partenaires. Par contraste, les Etats-Unis maintiennent 650 lignes tarifaires supérieures à 15 %. Des pics tarifaires importants subsistent dans la plupart des secteurs sensibles des pays les plus développés.
Dans les pays en développement, la moyenne des tarifs est de 4 à 5 fois supérieure à celle des tarifs de l'Union. Les tarifs sur des secteurs clés tels que l'automobile ou les spiritueux peuvent atteindre 50 %, et de nombreux secteurs tels que les équipements mécaniques, la chimie, la pharmacie ou l'acier atteignent fréquemment des taux de l'ordre de 15 à 20 %.
La France, avec l'Union européenne, a donc un intérêt réel à reprendre la négociation sur les tarifs industriels. Les Etats-Unis, le Canada, le Japon, et plus généralement les membres de l'APEC, abordent la question tarifaire sous l'angle d'une libéralisation sectorielle consistant à réduire ou supprimer des droits de douane dans 8 secteurs prioritaires. L'Union européenne se prononce pour un traitement des tarifs industriels dans tous les secteurs, ce qui permettrait à chacun des partenaires d'obtenir des ouvertures en fonction de ses intérêts propres.
Les nouveaux sujets
Nos intérêts pour la prochaine négociation ne se limitent pas uniquement aux sujets classiques que je viens d'évoquer, malgré leur importance pour nos entreprises, pour la croissance de notre économie et pour l'emploi.
Ils concernent également des thèmes nouveaux, qui doivent renforcer la régulation de l'économie internationale et répondre aux exigences de nos concitoyens pour une mondialisation au service du développement durable.
L'investissement
En ce qui concerne l'investissement, l'accord sur les "mesures d'investissement liées au commerce" (MIC) reste d'une portée très limitée. La France et l'Union européenne sont favorables à l'élaboration de règles dans l'enceinte de l'OMC, des règles qui sécuriseraient les investissements directs, seraient déterminées en accord avec les Pays en développement et permettraient à chaque Etat de garder la maîtrise de ce qu'il entend négocier.
La concurrence
Dans chaque pays, des règles de concurrence devraient permettre un accès équilibré et égal aux marchés pour tous les opérateurs et surtout la mise en place d'un système de contrôle des pratiques anticoncurrentielles internationales (cartels mondiaux, positions dominantes) qui, à l'heure actuelle, fait défaut, aux dépens des pays les plus faibles .
Les marchés publics
Dans le domaine des marchés publics, la France et l'Union soutiennent l'objectif d'un accord à l'OMC sur la transparence et l'ouverture qui doit permettre de lutter contre les pratiques de corruption.
L'environnement
Il n'existe pas aujourd'hui de règles pour régir les possibles conflits entre objectifs de développement du commerce international et protection de l'environnement.
Il faut donc que le prochain cycle permettent des avancées sur l'articulation entre les règles de l'OMC et les Accords multilatéraux sur l'Environnement (AME) ; la réglementation des démarches "d'éco-étiquetage" des produits ; la clarification des relations entre l'OMC et les principes environnementaux fondamentaux; la coopération entre l'OMC et les institutions internationales qui traitent d'environnement, notamment la Banque mondiale, la CNUCED et les secrétariats des AME.
Je dirai seulement quelques mots sur le principe de précaution qui est au coeur des préoccupations de nos opinions publiques. Consacré par le droit international de l'environnement, ce principe est intégré dans le droit français et le droit communautaire. Il figure, de manière implicite, dans les accords de l'OMC, en particulier l'accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires.
Mais le contentieux sur les hormones a montré que sa mise en oeuvre pouvait se révéler difficile, en l'absence d'évaluation scientifique du risque. L'appel au jugement des scientifiques, et le renvoi par l'OMC à des normes édictées dans des enceintes spécialisées (accords environnementaux, Codex alimentarius) n'épuisent pas le débat en cours sur le principe de précaution. Ils offrent en revanche des garanties contre des mesures arbitraires, unilatérales et discriminatoires de la part de nos partenaires à l'encontre de nos propres produits.
L'Union européenne propose donc de renforcer à l'occasion du prochain cycle la manière dont l'OMC intègre le principe de précaution.
Les normes sociales
L'essor du commerce international met indirectement en cause les divergences entre les organisations sociales des différents pays.
C'est particulièrement le cas en matière de réglementation du travail. Ainsi, les pays qui interdisent sur leur territoire certaines pratiques, pour des motifs d'ordre public (comme le travail des enfants) ne veulent pas accepter l'entrée sur leur territoire de biens produits ailleurs en ayant recours à ces pratiques ; simultanément, ils ne peuvent imposer leurs propres réglementations à d'autres Etats souverains. Il y a donc matière à clarifier les liens entre normes sociales et commerce international.
L'Organisation internationale du Travail (OIT) est l'enceinte chargée de l'élaboration des principes fondamentaux devant régir l'activité de l'homme au travail.
Si l'OMC n'a pas vocation à s'y substituer elle pourrait en revanche avoir vocation à traiter de l'articulation de ces normes avec les disciplines du commerce international. C'est la raison pour laquelle l'Union européenne et les Etats-Unis ont proposé en 1996 la création à l'OMC d'un groupe de travail spécialisé sur ce thème.
Cette proposition n'a pu aboutir en raison d'une opposition de nombreux pays, notamment du monde en développement : ceux-ci redoutent l'institution de nouvelles barrières protectionnistes, car ils considèrent que le progrès de leurs normes sociales ne peut résulter que du progrès de leur développement économique, alors que le développement social peut paraître au contraire comme une des conditions fondamentales du progrès économique.
L'Union européenne, notamment à l'initiative de la France et de l'Allemagne, propose donc pour Seattle une enceinte permanente de travail associant l'OMC et l'OIT, sur le lien entre développement social et commerce. C'est une proposition équilibrée qui tient compte de la sensibilité des pays en développement et des responsabilités respectives des deux organisations.
Le travail de préparation de la Déclaration ministérielle a, vous le savez, commencé à Genève, et comme il est naturel dans le début d'un processus de discussion, les positions restent assez divergentes. L'Union européenne n'est pas pour autant isolée : d'autres pays européens, les pays de l'Est, le Canada également, ont des positions similaires. Le Japon n'en est pas très éloigné.
La position américaine revêt une importance particulière. À ce stade, comme je l'ai indiqué lors de ma visite à Washington, les Etats-Unis abordent la réunion de Seattle plus en simple participant, avec des intérêts propres, qu'en pays-hôte, assumant la Présidence de la conférence ministérielle et ayant pour devoir à ce titre de faciliter le compromis. Comme l'a souligné le Premier ministre "le souhait des Etats-Unis de limiter l'agenda de Seattle aux quelques sujets qui ont leur préférence est irréaliste".
Certes, il ne faut pas sous-estimer les difficultés internes de l'administration américaine . Cependant, des déclarations hostiles et partielles à l'encontre de la politique agricole européenne, la volonté de réduire les "nouveaux sujets" à de simples conversations séparées du cycle proprement dit ne correspondent, à ce stade, ni aux responsabilités que les Etats-Unis ont acceptées en accueillant la prochaine conférence ministérielle, ni aux enjeux d'une meilleure organisation économique internationale, ni aux interrogations légitimes des opinions publiques, de part et d'autre de l'Atlantique, sur les conséquences de la mondialisation.
L'Europe et ses alliés ont quelques semaines pour convaincre leurs partenaires de l'intérêt commun à se rallier à un cycle global. Les Etats-Unis , avec lesquels nous partageons certaines préoccupations, peuvent encore se rapprocher de nos thèses. Les Pays en développement et les Pays les moins avancés n'ont pas forcément intérêt à différer les avantages qu'ils pourraient tirer d'un nouveau cycle de négociations.
Le gouvernement tiendra informé régulièrement le Parlement de l'avancée des discussions de Genève que plus que jamais l'Europe devra mener avec fermeté.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Je vous ai rappelé les positions françaises et européennes pour un cycle large qui corresponde à nos intérêts mais aussi à ceux de toutes les nations en faveur d'une régulation équilibrée de la mondialisation.
Notre ambition, comme l'a indiqué Dominique Strauss-Kahn, le 11 octobre dernier, est de construire une OMC plus légitime, plus régulatrice, plus généreuse et au service de la croissance.
Le développement économique et social, la diversité culturelle, la protection de l'environnement, le renforcement du droit sont des valeurs qui font partie de notre modèle de civilisation.
Nous devons donc aborder ces négociations dans un esprit offensif nouveau, car ces valeurs, nous souhaitons non seulement les défendre, mais aussi les propager en faveur d'un monde plus prospère et plus juste.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 octobre 1999)