Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur le projet de budget de l'Union européenne pour l'an 2000, la contribution française à ce budget et les principaux chantiers de la construction européenne, à l'Assemblée nationale le 21 octobre 1999.

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Circonstance : Débat parlementaire sur la contribution française au budget de l'Union européenne à l'Assemblée nationale le 21 octobre 1999

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur général,
Madame et Messieurs les Rapporteurs,
Monsieur le Président de la Délégation pour l'Union européenne,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Comme chaque année, le gouvernement, par la voix du ministre délégué chargé des Affaires européennes, rend compte à la représentation nationale du projet de budget de l'Union européenne pour l'année à venir et de ses conséquences sur le budget de l'Etat, à travers le prélèvement européen. En ce qui me concerne, c'est la troisième fois que je me livre devant vous à cet exercice.
Le projet de budget communautaire pour 2000 inaugure la mise en oeuvre des nouvelles perspectives financières décidées en mars dernier au Conseil européen de Berlin.
Ma première réflexion sera de dire que ce projet de budget confirme pleinement ce que j'exprimais à cette même tribune le 16 mars 1999, lors du débat parlementaire sur l'Agenda 2000. Le paquet financier de Berlin est un bon paquet pour la France. J'aurai l'occasion d'y revenir, mais les grands traits de ce projet de budget montrent que la fermeté de nos positions durant la négociation de l'Agenda 2000 a finalement permis de ménager au mieux nos intérêts.
- Le budget de la PAC est stabilisé, avec néanmoins une montée en régime du "deuxième pilier" de la PAC, entièrement consacré au développement rural et à la déclinaison territoriale du concept de "multifonctionnalité".
- Les fonds structurels sont globalement en augmentation de 6,5% pour les Quinze; les retours de la France sont stabilisés à 100 milliards de Francs environ, soit très exactement le volume des crédits dont la France disposait au titre de la programmation d'Edimbourg.
- Enfin, globalement, le budget communautaire reste maîtrisé, avec une croissance limitée à 2,8 % en valeur en 2000.
- La contribution française augmentera à un rythme légèrement plus soutenu de 3,7 %, mais sans réelle discontinuité par rapport aux évolutions antérieures. L'augmentation de notre effort, qui est significative tout en restant raisonnable, résulte notamment de la montée en régime de la ressource assise sur le PNB, en lieu et place de la ressource TVA, ce qui permettra de rendre un peu plus équitable le système de ressources propres de l'Union européenne, conformément à l'esprit des décisions de Berlin sur le volet ressources propres.
A Berlin, nous avons donc remis de l'ordre dans les finances de l'Union européenne. C'était un préalable indispensable pour remettre l'Europe en ordre de marche, et il faut féliciter le chancelier Gerard Schröder de l'avoir compris dès le tout début de l'année, c'est-à-dire, soyons honnêtes, un peu avant tout le monde.
Au cours des six derniers mois, une nouvelle Commission a été nommée et un nouveau Parlement européen s'est installé dans un nouvel hémicycle à Strasbourg.
L'Union européenne a réussi à se donner les moyens d'assumer les responsabilités internationales nouvelles qui sont les siennes dans les Balkans à la suite de la tragédie du Kosovo.
Enfin, l'Union européenne a décidé de faire face aux défis qui l'attendent, c'est-à-dire :
- d'abord, la réussite du processus d'élargissement avec la proposition d'un mouvement beaucoup plus inclusif ;
- mais aussi, l'indispensable réforme des institutions avant l'élargissement, avec la convocation prochaine d'une nouvelle Conférence intergouvernementale ;
- les progrès vers l'Europe de la défense, avec notamment la fusion Aérospatiale-Matra-Dasa ;
- la poursuite des efforts pour bâtir l'Europe de l'emploi et de la croissance avec le Sommet spécial prévu à Lisbonne en mars prochain, afin de donner de la chair au Pacte européen pour l'emploi adopté à Cologne ;
- enfin, la préparation du prochain cycle de négociations commerciales multilatérales, qui s'ouvrira à Seattle le 30 novembre prochain, et qui fera l'objet d'un débat spécifique, ici même, mardi prochain.
L'avenir de l'Union dépend de ces grands chantiers. Vous ne serez donc pas étonnés qu'ils constituent le coeur des priorités de la prochaine présidence française, au deuxième semestre de l'an 2000, priorités fixées - cela va de soi - en totale harmonie entre le président de la République et le Premier ministre.
Avant d'entrer plus avant dans le vif du sujet, je voudrais remercier M. Didier Migaud, rapporteur général du budget de l'Etat, Madame Marie-Hélène Aubert, rapporteur pour avis de la Commission des affaires étrangères, et M. Gérard Fuchs, rapporteur spécial de la Commission des Finances, ainsi que M. Alain Barrau, président de la Délégation pour l'Union européenne, qui exerce en permanence, en particulier en application de l'article 88-4 de la Constitution, la vigilance de votre Assemblée sur les actes de la Communauté et leur traduction en droit interne. Mes collaborateurs et moi-même avons travaillé avec eux tous de manière étroite et extrêmement positive, et je veux saluer ici la qualité de leur réflexion et de notre coopération.
* * *
Je tiens, en premier lieu, à vous donner quelques éléments d'information sur la manière dont la procédure budgétaire communautaire s'est déroulée jusqu'à aujourd'hui.
La Commission a présenté son avant-projet de budget pour 2000 en mai dernier, en progression de 4,7 % en crédits de paiements, par rapport au budget pour 1999. En engagements, l'avant-projet de budget marquait une baisse de 4,4 % en raison du niveau exceptionnellement élevé des crédits d'engagements des fonds structurels en 1999, dernière année de la programmation d'Edimbourg.
Lors du Conseil Budget du 16 juillet dernier, les Quinze ont ramené la progression des paiements à un taux plus raisonnable de 2,8%, soit une augmentation en volume de 0,8 % compte tenu d'une inflation communautaire évaluée à 2 %.
Cet ajustement a été obtenu essentiellement à travers un abattement forfaitaire de 375 millions d'euros sur les dépenses de marché de la PAC d'une part, une économie de 1 milliard d'euros sur les fonds structurels d'autre part. Cette économie de 1 milliard d'euros résulte de l'adoption du nouveau règlement "fonds structurels" qui ramène l'avance sur projets de 4 % à 3,5 %, étant entendu que les crédits d'engagement proposés par la Commission, eux, n'ont pas été modifiés, puisqu'il s'agit d'une dépense à statut privilégié.
Avec un taux de progression en volume de 0,8 %, le projet de budget de l'Union pour 2000 évolue à un rythme compatible avec l'objectif général de stabilisation en francs constants des dépenses de l'Etat pour 2000.
Compte tenu du système de ressources de l'Union, l'évaluation de notre contribution au budget de l'Union s'établit à 98,5 milliards de Francs. Cette contribution représentera 6,2 % du produit attendu des recettes fiscales nettes de l'Etat pour 2000, contre une estimation à ce jour de 6 % pour 1999.
J'en viens, à présent, au fond du projet de budget pour l'an 2000 adopté par le Conseil en première lecture.
Les crédits de la Politique agricole commune s'établissent à 40,5 milliards d'euros, soit une augmentation de 0,2 % par rapport à 1999.
Au sein de cette masse financière, les crédits de développement rural s'élèvent à 3,6 milliards d'euros. Conformément aux décisions de Berlin, ces crédits regroupent, de façon plus cohérente, l'ensemble des actions de développement rural, y compris celles qui étaient traditionnellement financées dans le cadre de la politique structurelle. Les politiques de développement rural, véritable "deuxième pilier" de la PAC, visent à prendre pleinement en compte la ruralité dans toutes ses dimensions, agricole, mais aussi sociale et environnementale. Ce "deuxième pilier" de la PAC était au coeur de la réforme décidée à Berlin, centrée sur le renforcement de la multifonctionnalité. Il est normal qu'il trouve une pleine traduction budgétaire dès 2000.
Les dépenses de marché de la PAC sont en réduction de 2,3 %, essentiellement du fait de la suppression de l'avance consentie au titre de l'aide aux oléagineux, qui entraîne une économie de 1,2 md d'euros dans le projet de budget pour 2000. Cette mesure technique de trésorerie résulte de l'alignement du régime oléagineux sur le régime des céréales décidé à Berlin. Pour le reste, les baisses de prix garantis sur les céréales et la viande bovine n'ont pas d'impact sur le volume des aides compensatoires en 2000, puisque la première phase de baisse des prix sera déclenchée pour la campagne 2000/2001 avec un coût budgétaire financé, par conséquent, sur le budget 2001.
La rubrique 2 du budget communautaire, consacrée à la politique structurelle, a fait l'objet d'un accord politique à Berlin même, l'enveloppe globale des crédits pour la période 2000-2006 étant arrêtée à 213 milliards d'euros. Cette enveloppe représente une augmentation de 6,5 % par rapport à la programmation précédente, qui va se clore dans quelques semaines. Elle correspond à un effort financier important de l'Union, indispensable pour maintenir la cohésion économique et sociale d'un ensemble démographique vivant désormais avec la même monnaie. Pour reprendre l'expression de Jacques Delors, les Quinze ont fait preuve "d'esprit de famille" à Berlin. Chaque pays de l'Union - et en particulier les pays du Sud - peut continuer à être directement intéressé au développement des actions communautaires, à travers notamment les programmes d'objectif 1 et les financements du fonds de cohésion.
La France, qui est la deuxième puissance économique de l'Union, a pris sa part de cet effort de solidarité communautaire, puisqu'elle verra la population métropolitaine couverte par les zonages d'objectif 2 diminuer d'un quart.
Mais la France est aussi un pays qui, à bien des égards, a besoin que la solidarité communautaire s'exerce à son bénéfice. Ainsi, ses retours au titre des départements d'outre-mer augmenteront, pour s'établir à plus de 21 milliards de francs sur la prochaine période. Par ailleurs, nous serons le principal bénéficiaire, avec l'Allemagne, du nouvel objectif 3, consacré entièrement à l'emploi et à la cohésion sociale, et qui doit être pleinement mobilisé, en appui aux actions en faveur de l'emploi menées par l'Etat, les collectivités locales, ou encore par les acteurs de l'économie sociale.
Au total, la France verra ses retours globalement reconduits de période sur période autour de 100 milliards de Francs.
Le projet de budget pour 2000 fixe, au total, le montant des crédits structurels à 32,7 milliards d'euros en crédits d'engagement et 31 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une progression de 1,8 %. Ces crédits de paiement serviront à la fois :
- à apurer la moitié environ des restes à liquider au titre du paquet Delors II, soit 22,2 milliards d'euros ;
- à mettre en place l'avance immédiate de 3,5 % sur les futurs programmes, prévue par le règlement "fonds structurels", soit 7,4 milliards d'euros ;
- à prévoir les premiers paiements nécessaires pour couvrir les crédits d'engagement ouverts en 2000, soit 1,3 milliard d'euros.
Les autres politiques internes, regroupées traditionnellement dans la rubrique 3 du budget communautaire, ont fait l'objet d'une attention particulière dans le cadre de la programmation de Berlin, même si cela été un peu occulté par les réformes importantes de la PAC et des fonds structurels, qui constituaient le coeur de l'Agenda 2000.
En effet, le plafond de ces dépenses pour les Quinze progressera de 11,3 % en euros constants entre 2000 et 2006, notamment pour tenir compte de la communautarisation, prévue par le traité d'Amsterdam, d'une partie du "troisième pilier" relatif à la justice et aux affaires intérieures.
Pour l'an 2000, les crédits de la rubrique 3 seront stables, avec 5,8 milliards d'euros en crédits d'engagements, soit précisément le même niveau qu'en 1999. Pour autant, les Quinze ont réaffirmé nettement les priorités que constituent, au sein de cette rubrique 3, la recherche, d'une part, les réseaux transeuropéens, d'autre part.
- Les crédits de recherche augmentent ainsi de 5,2 % en engagements pour s'établir à 3,6 milliards d'euros; les interventions seront plus concentrées, autour de quatre priorités thématiques principales, de manière à répondre aux critiques émises sur le précédent PCRD, qui a cherché à embrasser un champ d'activités trop vaste.
- Les réseaux trans-européens voient leurs crédits augmenter de 12 % en engagements, pour s'établir à 656 millions d'euros. Ces crédits permettent d'amorcer le tour de table des bailleurs de fonds pour la mise en oeuvre du programme de grands travaux adopté lors du Conseil européen d'Essen en décembre 1994. Ils ne sont pas suffisants à l'évidence, et doivent être complétés par des cofinancements nationaux et aussi par des prêts de la Banque européenne d'investissement ainsi que le Conseil européen extraordinaire de Luxembourg sur l'emploi l'a souhaité.
J'en viens maintenant aux actions extérieures de l'Union européenne, financées au sein de la rubrique 4, dotée de 4,6 milliards d'euros en engagements et 3,4 milliards d'euros en paiements dans le projet de budget pour 2000.
Cette enveloppe permettra de financer l'ensemble des programmes d'action extérieure de l'Union européenne, notamment la politique méditerranéenne, la coopération avec les nouvelles républiques indépendantes issues de l'éclatement de l'Union soviétique, et la coopération avec l'Amérique latine.
Mais la rubrique 4 autorise, au-delà de la continuité des actions traditionnelles de l'Union, le financement d'un plan d'aide à la région des Balkans.
A l'initiative de la délégation française, le Conseil a décidé à l'unanimité la création d'une réserve de 500 millions d'euros destinée à financer la reconstruction du Kosovo proprement dit, ainsi qu'une enveloppe de 420 millions d'euros pour les autres types d'interventions - notamment l'aide alimentaire et l'aide humanitaire - indispensables pour favoriser la stabilisation des Balkans dans leur ensemble.
Cet effort de près de 1 milliard d'euros, soit 1 % du budget communautaire, était absolument indispensable pour que l'Union européenne assume ses responsabilités nouvelles dans les Balkans, à la suite de la tragédie du Kosovo, qui a succédé elle-même à d'autres tragédies dans la région. Il n'en reste pas moins que cet effort est méritoire compte tenu des contraintes qui pesaient sur l'élaboration d'un budget 2000, caractérisé par une progression d'ensemble très encadrée des dépenses.
Comme je vous l'indiquais dans mon propos introductif, la présentation du budget communautaire doit, bien sûr, être resituée dans la perspective des échéances qui nous attendent.
J'évoquais, dans ce propos introductif, les principaux chantiers européens du futur : élargissement, réforme des institutions, stratégie européenne pour la croissance et l'emploi. Ces chantiers seront au coeur de la préparation de la Présidence française, et c'est la raison pour laquelle je souhaiterais les évoquer brièvement devant vous.
La stratégie européenne pour la croissance et l'emploi, tout d'abord.
A Cologne, à l'initiative de la Présidence allemande, les Quinze ont lancé un pacte européen pour l'emploi.
Cette réflexion sur l'emploi en Europe succédait elle-même à d'autres travaux puisque, depuis deux ans, toutes les Présidences ont mis, à notre initiative, au premier plan de leurs préoccupations les questions d'emploi : Amsterdam et la résolution sur la croissance et l'emploi ; Luxembourg et le Sommet extraordinaire sur l'emploi ; Cardiff et le thème de la réforme économique au service de l'emploi ; Vienne, enfin, avec l'engagement des Quinze d'élaborer un Pacte européen pour l'emploi.
Les conclusions de Cologne permettent de réaliser une première synthèse des engagements antérieurs de l'Union européenne. C'est leur principal mérite, mais aussi leur limite. Car, à l'évidence, avec plus de 17 millions de chômeurs dans l'Union, il nous faut faire des pas supplémentaires dans le rééquilibrage de la construction européenne en faveur de l'emploi et de la croissance.
C'est la raison pour laquelle le gouvernement souhaite travailler en étroite concertation avec le Portugal, qui assumera la Présidence de l'Union à partir de janvier prochain, et qui a pris l'engagement de réunir un Sommet social européen spécial à Lisbonne, les 23 et 24 mars prochains.
Nous avons eu des premiers échanges avec le gouvernement portugais lundi dernier, à l'occasion de la venue en France d'Antonio Gutteres. Pour notre part, nous considérons qu'un dépassement qualitatif de la démarche de Luxembourg sur l'emploi passe par trois initiatives, certes ambitieuses, mais réellement indispensables pour remettre l'emploi au coeur de la stratégie économique de l'Union :
- Tout d'abord, il faut réfléchir à l'enrichissement des lignes directrices pour l'emploi adoptées à Luxembourg, et qui font l'objet d'une révision annuelle, en fonction des évolutions du marché du travail en Europe. Cette démarche commune sur l'emploi est emblématique de notre volonté de créer un processus de convergence sur l'emploi, à l'égal de ce que nous avons connu dans le domaine économique et monétaire. Il faut la faire vivre, l'enrichir de nouveaux objectifs quantifiés, tout en faisant preuve de la souplesse indispensable pour tenir compte de situations de départ assez contrastées dans les quinze pays de l'Union.
- Il faut aussi remettre cette démarche coordonnée sur l'emploi au coeur de la coordination des politiques économiques. Celle-ci ne doit pas se limiter à la surveillance étroite d'un certain nombre d'agrégats économiques et monétaires, mais doit intégrer des préoccupations relatives au partage des fruits de la croissance, à la politique salariale et au financement du modèle social européen. C'est une condition impérative pour que l'Union économique et monétaire fonctionne réellement au service des citoyens.
- Enfin, il nous faut créer un espace de dialogue social européen, à travers la création d'un forum économique et social associant les gouvernements des Quinze, les organisations syndicales et patronales, la Commission et la Banque centrale européenne, autour d'une réflexion collective sur les mutations économiques et sociales qui travaillent en profondeur l'espace européen, et qui doivent de plus en plus trouver une réponse appropriée à ce niveau européen : financement de l'investissement, restructurations industrielles, impact des évolutions démographiques, nouvelles technologies de l'information... Ce ne sont pas les sujets qui font défaut ; ils méritent d'être mieux appréhendés au niveau européen, pour éviter le risque d'une vision à trop court terme de l'euro.
Deuxième chantier essentiel : l'élargissement.
Comme vous le savez, nous sommes un peu à la croisée des chemins. Six négociations ont été engagées au mois de mars 1998, avec la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, l'Estonie, la Slovénie et Chypre. Elles se poursuivent à leur rythme, sans difficultés insurmontables à ce stade, mais il est vrai aussi que les secteurs les plus difficiles - je pense notamment à l'agriculture, mais aussi à la politique sociale, à la fiscalité ou à l'adoption de la monnaie unique - n'ont pas encore été ouverts à la négociation. A cet égard, il est évident que les vraies difficultés sont devant nous.
Or, dans le même temps, la Commission européenne a publié, le 13 octobre, il y a quelques jours seulement, un certain nombre de rapports concernant notamment les progrès effectués par les cinq autres pays candidats, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas encore entrés en négociation mais qui - chacun peut le comprendre - aspirent à le faire le plus rapidement possible. Ce que j'en retiens, c'est que la Commission recommande au Conseil européen qui se tiendra dans quelques semaines à Helsinki, d'ouvrir, en l'an 2000, les négociations avec tous ces pays, je veux parler de Malte, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Slovaquie, mais aussi de la Roumanie et de la Bulgarie. J'observe enfin qu'elle recommande que l'Union européenne accorde à la Turquie le statut plein et entier de candidat à l'adhésion, même si, naturellement, cette candidature devra être appréciée au regard des efforts que la Turquie doit encore accomplir, en ce qui concerne notamment le respect des normes démocratiques et des droits fondamentaux.
Au fond, que voyons-nous ? D'abord, non pas une accélération du calendrier : en dépit des propos de son nouveau président, Romano Prodi, il y a quelques semaines, la Commission ne propose pas de fixer dès à présent une date pour l'adhésion des six premiers candidats. C'est une bonne chose. Nous pensons, en ce qui nous concerne, que fixer in abstracto une telle date, alors que les négociations les plus difficiles n'ont pas encore commencé, aurait tout simplement abouti à dénaturer le processus d'adhésion, et à faire aux pays candidats une promesse dont nous ne savons pas aujourd'hui, pas plus qu'eux-mêmes d'ailleurs, si elle pourra être tenue.
Que voyons-nous ensuite ? C'est que la Commission a parfaitement tenu compte du souci exprimé par certains Etats membres, au premier rang desquels la France, que le prochain Conseil européen d'Helsinki ne marginalise les six candidats du second groupe, que je citais il y a un instant, étant entendu, naturellement, que l'ouverture des négociations avec ces pays devra être accompagnée par des calendriers de négociation différenciés et adaptés, en fonction de la situation de chacun d'entre eux.
Troisième chantier fondamental, enfin: la réforme des Institutions.
Je viens de dire que nous ne serions pas favorables, à Helsinki, à une accélération du calendrier. Je l'ai dit parce que nous récusons toute fuite en avant dans le processus d'élargissement, mais aussi parce que nous souhaitons que la réforme des Institutions de l'Union que vous avez consacrée, dans l'article 2 de la loi de ratification du traité d'Amsterdam, en préalable aux futurs élargissements de l'Union, soit conduite à son terme sans y ajouter la pression du calendrier.
Je n'insisterai pas ici sur le contenu détaillé de la réforme institutionnelle que nous souhaitons. Nous aurons l'occasion d'en reparler. Ce que je veux dire, c'est que les travaux préparatoires ont commencé, sur la base des décisions qui ont été prises lors du Conseil européen de Cologne, en juin dernier, décisions qui valident notre approche d'une réforme se concentrant sur les trois grandes questions qui n'ont pu trouver une solution lors de la négociation du traité d'Amsterdam: je veux parler de l'extension du champ du vote à la majorité qualifiée, de la composition du collège des Commissaires et de la repondération des voix au Conseil, sans lesquelles une extension de l'Union à plus de 15 Etats membres serait impossible.
Reste, à présent, à confirmer cette approche - ce sera l'un des enjeux du Conseil européen d'Helsinki - et, naturellement, à commencer la négociation proprement dite, vers la fin du mois de mars prochain, juste après le Sommet social qui sera organisé par la Présidence portugaise de l'Union.
En tout état de cause, nous le savons tous ici, ces travaux seront complexes. Nonobstant les décisions de Cologne que j'évoquais il y a un instant, il est clair que certains Etats membres et la Commission souhaiteraient ce qu'ils appellent une Conférence intergouvernementale "plus large", ou "plus ambitieuse", c'est-à-dire allant au-delà des trois reliquats d'Amsterdam. Contrairement au "rapport des Sages" commandé par la Commission, qui vient d'être rendu public, nous plaidons pour un travail réellement intergouvernemental à l'occasion de cette CIG, et nous pensons qu'une approche "constitutionnelle" de la question institutionnelle, telle que le propose ce rapport, serait prématurée. Parce que nous savons qu'à trop vouloir charger la barque on risque de la faire échouer, nous plaidons pour plus de réalisme.
Ce que nous pouvons entrevoir, en effet, c'est que le prochain élargissement de l'Union, dans quatre ou cinq ans, concernera un nombre limité de candidats, peut-être cinq ou six, pas davantage. La prochaine CIG doit donc d'abord préparer l'Union à fonctionner avec 20 membres environ. Au-delà, on sait bien qu'il faudra reprendre les travaux pour aboutir à une réforme plus profonde des institutions, permettant à une Union de près de 30 membres de fonctionner correctement ; mais ce sera, dans notre esprit, l'objet d'une deuxième phase, une fois les premiers candidats entrés dans l'Union. C'est pourquoi, dans ce domaine aussi, notre position se veut ambitieuse, mais sérieuse et réaliste, car nous sommes convaincus que c'est la meilleure attitude possible pour éviter que les prochains élargissements ne conduisent à une fuite en avant de l'Union.
* * *
En conclusion, je me contenterai d'indiquer que tous les chantiers que je viens d'évoquer seront naturellement au coeur des priorités de la Présidence française qui s'ouvrira le 1er juillet 2000.
Il nous reviendra de les faire progresser de manière significative voire, pour certains d'entre eux, de les faire aboutir. La responsabilité particulière de notre pays dans la construction européenne, depuis cinquante ans, devra nous conduire à prendre les moyens nécessaires pour consolider les bases d'une nouvelle phase de l'intégration européenne. N'ignorons pas, en même temps, qu'une Présidence de l'Union est un moment fort dans une continuité, celle de la construction européenne. Nous sommes attendus, nous voulons être à la hauteur de cette attente, mais nous voulons nous garder de toute forme "d'arrogance française".
Tout en étant modestes, réalistes, ouverts au travail avec tous nos partenaires européens, nous voulons réussir ce grand rendez-vous de l'an 2000. Nous devons être capables de concevoir tout à la fois une Union qui enrichisse les politiques communes menées à 15, une Union qui se montre accueillante aux demandes d'adhésion de pays très proches de nous, une Union capable d'exister sur la scène internationale - y compris sur le plan de la défense -, une Union, enfin, qui puisse fonctionner comme une puissance politique, même à 20 ou 25 Etats membres.
Ce sont là des défis considérables pour notre pays. Gageons qu'il saura les relever - avec les énergies de tous ceux qui voudront bien y concourir - afin de répondre aux attentes de tous ceux qui, en France, dans les autres pays de l'Union, dans les pays d'Europe centrale et orientale, n'envisagent pas leur avenir sans une Union européenne forte.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 octobre 1999)