Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
J'ai souhaité donner cette année un relief et un retentissement particuliers à la remise du rapport annuel de la Commission Consultative des Droits de l'Homme parce que cette présentation coïncide avec le lancement de l'année européenne contre le racisme ; j'ai tenu également à inviter la presse pour assister à nos travaux et je la remercie de s'être déplacée aussi nombreuse.
Je déclare nos travaux ouverts et, cher Jean Kahn, je vous donne tout de suite la parole.
(allocution de Jean Kahn)
Je vous remercie, Monsieur le Président, de la présentation très complète que vous venez de faire de ce remarquable rapport. J'ai tout de suite noté l'importance que votre Commission va être amenée à jouer dans le cadre de l'année européenne contre le racisme.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, nous voilà réunis aujourd'hui pour la seconde fois, depuis que je suis Premier ministre, pour la remise de votre rapport annuel.
Comme l'année dernière, je me réjouis de me trouver devant une assemblée pluraliste qui couvre un large éventail de représentants de la société civile.
Je voudrais d'emblée saluer les nouveaux membres de votre Commission, qui ont été désignés en mars puis en décembre de l'année dernière. Votre commission est devenue une véritable assemblée puisqu'elle compte désormais 82 membres.
82 membres aujourd'hui, contre 10 en 1947, voilà une augmentation qui témoigne de l'importance que nous accordons aux droits de l'homme dans notre pays.
Vous venez de le rappeler, Monsieur le Président, la responsabilité première de votre commission consiste à m'alerter, dès lors qu'un problème se pose, avec le souci de me faire des propositions constructives et réalistes.
Vous savez que les observations ou les propositions que vous êtes amenés à formuler sur tel ou tel projet de loi font l'objet, dans tous les ministères, d'un examen particulièrement attentif, et que nous sommes tout à fait ouverts aux avis pertinents que vous exprimez dès lors qu'ils sont susceptibles d'enrichir un projet de loi.
Vous avez beaucoup travaillé cette année. D'autant que vous ont été confiées des responsabilités nouvelles par rapport à l'année dernière. Je ne citerai que quelques exemples qui me tiennent à cur.
Lorsque Xavier Emmanuelli, Secrétaire d'État chargé de l'Action Humanitaire d'Urgence, me l'a proposé, j'ai aussitôt accepté de modifier le décret du 30 janvier 1984 afin d'élargir les compétences de votre commission à l'action humanitaire.
Votre commission doit maintenant favoriser la concertation entre les administrations concernées et les représentants des différentes organisations et institutions non gouvernementales agissant dans le domaine des droits de l'homme et de l'action humanitaire.
Vous avez désormais toute latitude pour évoquer l'ensemble de ces questions, et procéder à des échanges d'informations sur les dispositifs permettant de faire face à des situations d'urgence et enfin étudier des mesures propres à assurer l'application du droit international humanitaire.
L'attribution de nouvelles compétences a donc justifié que soit élargie la composition de votre Commission. De nouvelles personnalités, membres des organisations non gouvernementales uvrant dans le domaine de l'action humanitaire, ont pu ainsi devenir membre à part entière de votre Commission.
Sur ce thème précis, Monsieur le Secrétaire d'État chargé de l'Action Humanitaire d'Urgence vous avait fixé, dans son discours du 12 septembre 1996, trois objectifs prioritaires :
- la promotion en France du droit international humanitaire, je viens d'en parler,
- la question des mines anti-personnels,
- et l'exploitation sexuelle des enfants.
Sur ces trois fronts, des progrès substantiels ont été réalisés, et certains objectifs sont en passe d'être atteints.
* Prenons d'abord la question des mines anti-personnels.
Sur l'interdiction de la fabrication et de l'exportation des mines antipersonnel, le Conseil des Ministres du 2 octobre 1996 en avait déjà débattu et, nous avions indiqué à l'époque la volonté de la France de parvenir à un accord international concernant l'interdiction de la fabrication et de l'exportation des mines anti-personnels.
Afin de prévoir un caractère juridiquement contraignant en droit français, un projet de loi a été élaboré interdisant la fabrication et l'exportation des mines anti-personnels. Le cadre contraignant prévoira des peines importantes en cas de non respect de ces interdictions.
* Sur le dernier point, l'exploitation sexuelle des enfants, le Parlement est saisi du projet de loi renforçant la prévention et la répression des atteintes sexuelles commises sur les mineurs et des infractions portant atteinte à la dignité de l'enfant. Il était grand temps, et l'actualité récente nous en fournit des exemples effrayants, d'agir vite et concrètement.
Le projet de loi qui va être proposé au Parlement dans quelques jours, a pour mérite principal d'instituer une peine avec suivi médico-social. Il s'agira d'une peine prononcée par la juridiction de jugement sous le contrôle du juge d'application des peines, comportant une injonction de soins. La durée du traitement pourra être de 5 ans si la peine est prononcée pour un délit et de 10 ans si elle est prononcée pour un crime.
En outre, la responsabilité des personnes morales sera instituée par le délit d'association de malfaiteurs, qui sera notamment applicable aux agences de voyage proposant du tourisme sexuel, cette forme dévoyée d'un tourisme odieux où la découverte de l'autre se traduit exclusivement par son avilissement.
Il sera procédé à l'extension de l'application de la loi française pour l'ensemble des crimes ou délits commis à l'étranger sur des mineurs par des Français ou des personnes résidant habituellement sur le territoire français. C'est ainsi que l'on pourra réprimer toutes les formes de tourisme sexuel.
Comme vous le voyez, le Gouvernement avance ; et il avance plus vite et d'autant mieux qu'il peut s'appuyer sur la qualité des travaux de votre Commission.
Vous avez accompli en 1996 un travail considérable. Le fonctionnement même de votre commission, par la création de 7 sous-commissions, chacune chargée d'un thème spécifique, vous a permis de répondre dans des délais rapides aux demandes nombreuses d'avis formulées par le Gouvernement.
Ces avis nous ont été précieux. Je ne les citerai pas tous, je pense par exemple à celui que vous avez rendu sur les questions relatives aux étrangers, au racisme, à l'éthique et aux questions internationales qui ont permis, dans certains cas, d'améliorer les projets de loi soumis à la représentation nationale.
Sur la question des étrangers dits "sans papiers", vous avez, le 12 décembre 1996, formulé un certain nombre de propositions au Gouvernement.
Vous avez été par ailleurs saisi du projet de loi portant diverses dispositions sur l'immigration. Lors de votre assemblée plénière du 14 novembre 1996, vous avez examiné avec un soin tout particulier les articles de ce projet de loi, et notamment l'article 1 sur les certificats d'hébergement, vous inquiétant du fait que la déclaration de départ de l'étranger risquait d'engendrer des pratiques de délation.
Je ne reviendrai pas sur les débats qui ont eu lieu, sauf pour déplorer les abus de langage et les dérapages verbaux qui ont été commis à l'époque.
J'ai retenu dans cette affaire que votre Commission s'était montrée sensible à la volonté affichée du Gouvernement de lutter contre l'immigration clandestine dans le respect des libertés fondamentales. Toutefois, vous avez émis des réserves sur ce texte qui risquait selon vous de faire planer une menace sur les libertés individuelles.
Sur cette question, j'ai rappelé à l'Assemblée Nationale le 18 février 1996, quelques principes de bon sens ; en renvoyant dos à dos ceux qui souhaitaient expulser tous les étrangers considérés comme des boucs émissaires des difficultés que nous rencontrons et ceux qui souhaitaient les accueillir tous sur notre territoire.
Ma position n'a pas varié, vous la connaissez ; elle se situe entre cet extrémisme d'un côté qui alimente le racisme et la xénophobie, et cet angélisme de l'autre, qui conduit au laxisme le plus absolu.
Cette position est claire : combattre l'immigration illégale, tout simplement, comme le rappelait justement un de mes prédécesseurs, parce que nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde. Ce combat doit également s'accompagner d'une action énergique pour favoriser l'intégration des étrangers en situation régulière qui respectent nos lois et qui veulent partager toutes les valeurs qui nous rassemblent au sein de la République : liberté, égalité, fraternité, et j'ajouterai laïcité.
Mais ce dispositif n'est pas, en lui-même, suffisant. Il doit être complété en faisant porter nos efforts en faveur de l'aide au développement des pays d'immigration, et de manière à ce que leurs habitants soient moins tentés de venir s'installer sur notre sol.
Et ce d'autant plus que ces populations séduites par les promesses scandaleuses qu'on leur fait miroiter, doivent très vite déchanter, se trouvant de fait, dès leur arrivée, prisonnières de véritables réseaux esclavagistes.
Il était donc de notre devoir, par respect pour ces hommes et ces femmes, de combattre les filières des fraudes aux entrées.
Comme vous le savez, le dispositif relatif au certificat d'hébergement qui était prévu à l'origine par le texte a été remplacé par un système qui me parait maintenant satisfaisant.
Ne mélangeons pas l'immigration légale dont nous avons besoin et l'immigration clandestine.
Je dois vous avouer que ma surprise a été grande d'entendre certaines personnalités mélanger ces deux questions pourtant bien distinctes et appeler à refuser l'application de la loi. On est allé jusqu'à parler de "désobéissance civile". Cet appel à l'incivisme m'a profondément choqué, mais j'ai pu heureusement constater que depuis lors, les choses s'étaient quelque peu apaisées.
Mesdames et Messieurs, vous avez été saisis de bien d'autres textes importants. Je pense en particulier au projet de loi d'orientation relative au renforcement de la cohésion sociale. Dans votre avis, vous avez justement relevé que ce texte ne visait pas à créer un droit des exclus, mais à organiser l'accès de tous aux droits de tous en réaffirmant l'égale dignité de tous les êtres humains.
Afin de réduire puis de résorber la fracture sociale, conformément à l'impulsion du Président de la République, le Gouvernement, dès son installation, avait augmenté le SMIC, réduit les charges sociales sur le travail non qualifié, mis en place le contrat d'initiative emploi, arrêté un plan d'urgence pour l'emploi, un programme d'urgence pour le logement des plus défavorisés et un nouveau contrat pour l'école ainsi que la prestation spécifique dépendance.
C'est pour compléter ces actions que, comme s'y était engagé le Président de la République, le Gouvernement a élaboré ce projet de loi et le programme d'action qui l'accompagne.
Les situations de grande pauvreté ne sont certes pas des phénomènes nouveaux. Mais la situation s'est dégradée au cours de ces dernières années avec l'apparition du phénomène dit de l'exclusion. Les situations de pauvreté et d'exclusion ont souvent pour effet de remettre en cause les droits fondamentaux de l'individu et c'est pour cela que le Gouvernement, dans ce projet de loi de cohésion sociale, a souhaité, dans tous les domaines de la vie sociale, mieux garantir une égalité réelle des chances à tous les citoyens.
Le Parlement débattra de ce projet de loi qui porte, comme vous le savez, sur l'accès aux droits fondamentaux, qui crée le contrat d'initiative locale, pour substituer une logique d'activité et d'insertion à une logique d'assistance, qui améliore très concrètement l'accès aux soins et au logement, et fait de la lutte contre l'illettrisme une priorité nationale.
S'agissant maintenant du racisme, le Garde des Sceaux a préparé un projet de loi relatif à la lutte contre le racisme. Ce texte, après des débats au sein de la sous-commission "Racisme et Xénophobie" et lors de l'assemblée plénière a fait l'objet d'un avis favorable. Le texte est actuellement entre les mains de la Commission des Lois de l'Assemblée Nationale qui va prochai-nement désigner un rapporteur.
Le Garde des Sceaux, lorsqu'il vous a reçu à la Chancellerie, vous a réaffirmé sa volonté de faire adopter rapidement ce texte. Il sait qu'il a mon entier soutien.
Ce projet m'apparaît excellent car la loi du 29 juillet 1981 sur la liberté de la presse s'est révélée inadaptée en ce qui concerne la diffusion des idées racistes ou xénophobes. Sans entrer dans la technique, le texte sur la presse imposait un délai de prescription de trois mois alors que comme vous le savez, le délai de prescription en matière de droit comme en matière délictuelle est de trois ans.
La conséquence immédiate était que lorsque des écrits racistes ou xénophobes étaient diffusés publiquement, le faible nombre d'exemplaires empêchait le Parquet ou les associations de réagir en temps utile pour engager des poursuites. De même, la règle qui interdisait au juge de requalifier les faits faisait qu'en cas d'erreur de qualification du plaignant ou du Ministère Public, le tribunal était contraint de relaxer l'auteur des écrits ou des propos racistes.
Le présent projet de loi permettra d'éviter ces écueils. Tout en respectant la liberté de la presse, il permettra d'instituer un dispositif plus souple, plus efficace et plus cohérent.
Voilà, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, résumées quelques-unes des actions concrètes que nous conduisons en ce moment. Vous savez que le fruit de vos réflexions nous est constamment précieux.
Je ne saurais, avant de conclure, oublier qu'il me revient aujourd'hui de lancer en France l'année européenne contre le racisme à la suite de la résolution du 23 juillet 1996 du Conseil et des représentants des États membres réunis au sein du Conseil.
Les objectifs de l'année européenne contre le racisme tels qu'ils ont été définis sont au nombre de 5 :
- souligner la menace que constituent le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme,
- encourager la réflexion et la discussion sur les mesures requises pour lutter contre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme,
- promouvoir l'échange d'expériences en ce qui concerne les bonnes pratiques et les stratégies efficaces élaborées au niveau local, national et européen,
- diffuser l'information sur ces pratiques et stratégies parmi les acteurs,
- faire connaître les avantages des politiques d'intégration menées au niveau national, particulièrement dans le domaine de l'emploi, de l'éducation, de la formation professionnelle et du logement.
La Commission Européenne est chargée de la mise en uvre de cette résolution, assistée dans chaque État membre par un Comité National de Coordination. En France, votre commission a été choisie comme Comité National de Coordination. Cette année européenne contre le racisme verra les associations, syndicats et organisations non gouvernementales prendre des initiatives. Pour sa part, l'État organisera un certain nombre de manifestations d'envergure et lancera différentes campagnes d'information.
Plusieurs ministères vont initier des actions. Le Ministère de la Justice organisera un séminaire à l'École Nationale de la Magistrature de Bordeaux destiné aux magistrats de tous les pays de la communauté européenne, la Cour de Cassation organisera un colloque sur les crimes contre l'humanité et la Chancellerie va éditer un nouveau guide de la législation anti-raciste.
Le Ministère de l'Intérieur, par une circulaire de décembre 1996, a demandé aux Préfets de relancer l'activité des cellules départementales de lutte contre le racisme. Le Ministère de l'éducation Nationale, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche initiera les différentes actions visant à sensibiliser les élèves contre le racisme.
Au cours de la semaine du 17 au 21 mars, les directeurs d'école et les chefs d'établissements seront invités à susciter, au sein de leurs établissements, une réflexion sur ce thème. La remise de la médaille René Cassin récompensera des projets artistiques conçus pendant l'année scolaire contre le racisme. Le 10 décembre sera fêté, dans les établissements scolaires, le jour anniversaire de la Déclaration des Droits de l'Homme.
Enfin, le programme d'action communautaire "Socrates", qui concerne tous les niveaux d'enseignement de la maternelle à l'université, met d'ores et déjà l'accent sur la lutte contre le racisme et le rapprochement des peuples.
Le Ministère de l'Aménagement du Territoire, de la Ville et de l'Intégration va porter ses efforts sur les actions en milieu scolaire. C'est ainsi que le FAS participera financièrement à la semaine d'éducation contre le racisme. Des conférences d'information sur l'immigration et le droit de la nationalité auront lieu et un appel d'offre international a été lancé afin de confier à un ou plusieurs opérateurs la mission d'assurer la réalisation de ces conférences.
Dans le domaine culturel, des actions seront financées. A titre d'exemple, une aide a été accordée à l'Association des Comités d'Entreprises de Nantes et de sa région pour le projet "Tissé Métisse". Des actions seront présentées dans le domaine de la formation professionnelle. Enfin, une convention sera prochainement signée par M. Gaudin, la Présidente du FAS, vous-mêmes et le Comité National Français.
Cette convention aura deux volets : le Comité National Français informera les organismes auxquels il aura délivré le label "année européenne contre le racisme" et le FAS sélectionnera les actions qui seront subventionnées.
Par ailleurs, le Comité National de Coordination a organisé ce soir même à la Sorbonne une manifestation publique avec notamment l'organisation d'un concert donné par l'Orchestre Philharmonique Européen. Mon emploi du temps ne me permettra pas hélas de participer à cette cérémonie, ce que je regrette, mais elle donnera l'occasion aux personnalités politiques invitées de s'exprimer sur ce thème.
Comme vous le voyez, les pouvoirs publics, à quel que niveau que ce soit, sont extrêmement mobilisés et très actifs. Je ne doute pas un instant que cette année européenne contre le racisme sera couronnée de succès.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de la Commission Consultative des Droits de l'Homme, je voudrais pour conclure rendre hommage à la qualité exceptionnelle de votre travail et vous redire que le Gouvernement étudie toutes vos propositions avec le plus grand soin.
Pour défendre les droits de l'homme, chaque fois que c'est nécessaire, vous trouverez toujours en moi un interlocuteur ouvert et en permanence disponible.
Mesdames et Messieurs,
J'ai souhaité donner cette année un relief et un retentissement particuliers à la remise du rapport annuel de la Commission Consultative des Droits de l'Homme parce que cette présentation coïncide avec le lancement de l'année européenne contre le racisme ; j'ai tenu également à inviter la presse pour assister à nos travaux et je la remercie de s'être déplacée aussi nombreuse.
Je déclare nos travaux ouverts et, cher Jean Kahn, je vous donne tout de suite la parole.
(allocution de Jean Kahn)
Je vous remercie, Monsieur le Président, de la présentation très complète que vous venez de faire de ce remarquable rapport. J'ai tout de suite noté l'importance que votre Commission va être amenée à jouer dans le cadre de l'année européenne contre le racisme.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, nous voilà réunis aujourd'hui pour la seconde fois, depuis que je suis Premier ministre, pour la remise de votre rapport annuel.
Comme l'année dernière, je me réjouis de me trouver devant une assemblée pluraliste qui couvre un large éventail de représentants de la société civile.
Je voudrais d'emblée saluer les nouveaux membres de votre Commission, qui ont été désignés en mars puis en décembre de l'année dernière. Votre commission est devenue une véritable assemblée puisqu'elle compte désormais 82 membres.
82 membres aujourd'hui, contre 10 en 1947, voilà une augmentation qui témoigne de l'importance que nous accordons aux droits de l'homme dans notre pays.
Vous venez de le rappeler, Monsieur le Président, la responsabilité première de votre commission consiste à m'alerter, dès lors qu'un problème se pose, avec le souci de me faire des propositions constructives et réalistes.
Vous savez que les observations ou les propositions que vous êtes amenés à formuler sur tel ou tel projet de loi font l'objet, dans tous les ministères, d'un examen particulièrement attentif, et que nous sommes tout à fait ouverts aux avis pertinents que vous exprimez dès lors qu'ils sont susceptibles d'enrichir un projet de loi.
Vous avez beaucoup travaillé cette année. D'autant que vous ont été confiées des responsabilités nouvelles par rapport à l'année dernière. Je ne citerai que quelques exemples qui me tiennent à cur.
Lorsque Xavier Emmanuelli, Secrétaire d'État chargé de l'Action Humanitaire d'Urgence, me l'a proposé, j'ai aussitôt accepté de modifier le décret du 30 janvier 1984 afin d'élargir les compétences de votre commission à l'action humanitaire.
Votre commission doit maintenant favoriser la concertation entre les administrations concernées et les représentants des différentes organisations et institutions non gouvernementales agissant dans le domaine des droits de l'homme et de l'action humanitaire.
Vous avez désormais toute latitude pour évoquer l'ensemble de ces questions, et procéder à des échanges d'informations sur les dispositifs permettant de faire face à des situations d'urgence et enfin étudier des mesures propres à assurer l'application du droit international humanitaire.
L'attribution de nouvelles compétences a donc justifié que soit élargie la composition de votre Commission. De nouvelles personnalités, membres des organisations non gouvernementales uvrant dans le domaine de l'action humanitaire, ont pu ainsi devenir membre à part entière de votre Commission.
Sur ce thème précis, Monsieur le Secrétaire d'État chargé de l'Action Humanitaire d'Urgence vous avait fixé, dans son discours du 12 septembre 1996, trois objectifs prioritaires :
- la promotion en France du droit international humanitaire, je viens d'en parler,
- la question des mines anti-personnels,
- et l'exploitation sexuelle des enfants.
Sur ces trois fronts, des progrès substantiels ont été réalisés, et certains objectifs sont en passe d'être atteints.
* Prenons d'abord la question des mines anti-personnels.
Sur l'interdiction de la fabrication et de l'exportation des mines antipersonnel, le Conseil des Ministres du 2 octobre 1996 en avait déjà débattu et, nous avions indiqué à l'époque la volonté de la France de parvenir à un accord international concernant l'interdiction de la fabrication et de l'exportation des mines anti-personnels.
Afin de prévoir un caractère juridiquement contraignant en droit français, un projet de loi a été élaboré interdisant la fabrication et l'exportation des mines anti-personnels. Le cadre contraignant prévoira des peines importantes en cas de non respect de ces interdictions.
* Sur le dernier point, l'exploitation sexuelle des enfants, le Parlement est saisi du projet de loi renforçant la prévention et la répression des atteintes sexuelles commises sur les mineurs et des infractions portant atteinte à la dignité de l'enfant. Il était grand temps, et l'actualité récente nous en fournit des exemples effrayants, d'agir vite et concrètement.
Le projet de loi qui va être proposé au Parlement dans quelques jours, a pour mérite principal d'instituer une peine avec suivi médico-social. Il s'agira d'une peine prononcée par la juridiction de jugement sous le contrôle du juge d'application des peines, comportant une injonction de soins. La durée du traitement pourra être de 5 ans si la peine est prononcée pour un délit et de 10 ans si elle est prononcée pour un crime.
En outre, la responsabilité des personnes morales sera instituée par le délit d'association de malfaiteurs, qui sera notamment applicable aux agences de voyage proposant du tourisme sexuel, cette forme dévoyée d'un tourisme odieux où la découverte de l'autre se traduit exclusivement par son avilissement.
Il sera procédé à l'extension de l'application de la loi française pour l'ensemble des crimes ou délits commis à l'étranger sur des mineurs par des Français ou des personnes résidant habituellement sur le territoire français. C'est ainsi que l'on pourra réprimer toutes les formes de tourisme sexuel.
Comme vous le voyez, le Gouvernement avance ; et il avance plus vite et d'autant mieux qu'il peut s'appuyer sur la qualité des travaux de votre Commission.
Vous avez accompli en 1996 un travail considérable. Le fonctionnement même de votre commission, par la création de 7 sous-commissions, chacune chargée d'un thème spécifique, vous a permis de répondre dans des délais rapides aux demandes nombreuses d'avis formulées par le Gouvernement.
Ces avis nous ont été précieux. Je ne les citerai pas tous, je pense par exemple à celui que vous avez rendu sur les questions relatives aux étrangers, au racisme, à l'éthique et aux questions internationales qui ont permis, dans certains cas, d'améliorer les projets de loi soumis à la représentation nationale.
Sur la question des étrangers dits "sans papiers", vous avez, le 12 décembre 1996, formulé un certain nombre de propositions au Gouvernement.
Vous avez été par ailleurs saisi du projet de loi portant diverses dispositions sur l'immigration. Lors de votre assemblée plénière du 14 novembre 1996, vous avez examiné avec un soin tout particulier les articles de ce projet de loi, et notamment l'article 1 sur les certificats d'hébergement, vous inquiétant du fait que la déclaration de départ de l'étranger risquait d'engendrer des pratiques de délation.
Je ne reviendrai pas sur les débats qui ont eu lieu, sauf pour déplorer les abus de langage et les dérapages verbaux qui ont été commis à l'époque.
J'ai retenu dans cette affaire que votre Commission s'était montrée sensible à la volonté affichée du Gouvernement de lutter contre l'immigration clandestine dans le respect des libertés fondamentales. Toutefois, vous avez émis des réserves sur ce texte qui risquait selon vous de faire planer une menace sur les libertés individuelles.
Sur cette question, j'ai rappelé à l'Assemblée Nationale le 18 février 1996, quelques principes de bon sens ; en renvoyant dos à dos ceux qui souhaitaient expulser tous les étrangers considérés comme des boucs émissaires des difficultés que nous rencontrons et ceux qui souhaitaient les accueillir tous sur notre territoire.
Ma position n'a pas varié, vous la connaissez ; elle se situe entre cet extrémisme d'un côté qui alimente le racisme et la xénophobie, et cet angélisme de l'autre, qui conduit au laxisme le plus absolu.
Cette position est claire : combattre l'immigration illégale, tout simplement, comme le rappelait justement un de mes prédécesseurs, parce que nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde. Ce combat doit également s'accompagner d'une action énergique pour favoriser l'intégration des étrangers en situation régulière qui respectent nos lois et qui veulent partager toutes les valeurs qui nous rassemblent au sein de la République : liberté, égalité, fraternité, et j'ajouterai laïcité.
Mais ce dispositif n'est pas, en lui-même, suffisant. Il doit être complété en faisant porter nos efforts en faveur de l'aide au développement des pays d'immigration, et de manière à ce que leurs habitants soient moins tentés de venir s'installer sur notre sol.
Et ce d'autant plus que ces populations séduites par les promesses scandaleuses qu'on leur fait miroiter, doivent très vite déchanter, se trouvant de fait, dès leur arrivée, prisonnières de véritables réseaux esclavagistes.
Il était donc de notre devoir, par respect pour ces hommes et ces femmes, de combattre les filières des fraudes aux entrées.
Comme vous le savez, le dispositif relatif au certificat d'hébergement qui était prévu à l'origine par le texte a été remplacé par un système qui me parait maintenant satisfaisant.
Ne mélangeons pas l'immigration légale dont nous avons besoin et l'immigration clandestine.
Je dois vous avouer que ma surprise a été grande d'entendre certaines personnalités mélanger ces deux questions pourtant bien distinctes et appeler à refuser l'application de la loi. On est allé jusqu'à parler de "désobéissance civile". Cet appel à l'incivisme m'a profondément choqué, mais j'ai pu heureusement constater que depuis lors, les choses s'étaient quelque peu apaisées.
Mesdames et Messieurs, vous avez été saisis de bien d'autres textes importants. Je pense en particulier au projet de loi d'orientation relative au renforcement de la cohésion sociale. Dans votre avis, vous avez justement relevé que ce texte ne visait pas à créer un droit des exclus, mais à organiser l'accès de tous aux droits de tous en réaffirmant l'égale dignité de tous les êtres humains.
Afin de réduire puis de résorber la fracture sociale, conformément à l'impulsion du Président de la République, le Gouvernement, dès son installation, avait augmenté le SMIC, réduit les charges sociales sur le travail non qualifié, mis en place le contrat d'initiative emploi, arrêté un plan d'urgence pour l'emploi, un programme d'urgence pour le logement des plus défavorisés et un nouveau contrat pour l'école ainsi que la prestation spécifique dépendance.
C'est pour compléter ces actions que, comme s'y était engagé le Président de la République, le Gouvernement a élaboré ce projet de loi et le programme d'action qui l'accompagne.
Les situations de grande pauvreté ne sont certes pas des phénomènes nouveaux. Mais la situation s'est dégradée au cours de ces dernières années avec l'apparition du phénomène dit de l'exclusion. Les situations de pauvreté et d'exclusion ont souvent pour effet de remettre en cause les droits fondamentaux de l'individu et c'est pour cela que le Gouvernement, dans ce projet de loi de cohésion sociale, a souhaité, dans tous les domaines de la vie sociale, mieux garantir une égalité réelle des chances à tous les citoyens.
Le Parlement débattra de ce projet de loi qui porte, comme vous le savez, sur l'accès aux droits fondamentaux, qui crée le contrat d'initiative locale, pour substituer une logique d'activité et d'insertion à une logique d'assistance, qui améliore très concrètement l'accès aux soins et au logement, et fait de la lutte contre l'illettrisme une priorité nationale.
S'agissant maintenant du racisme, le Garde des Sceaux a préparé un projet de loi relatif à la lutte contre le racisme. Ce texte, après des débats au sein de la sous-commission "Racisme et Xénophobie" et lors de l'assemblée plénière a fait l'objet d'un avis favorable. Le texte est actuellement entre les mains de la Commission des Lois de l'Assemblée Nationale qui va prochai-nement désigner un rapporteur.
Le Garde des Sceaux, lorsqu'il vous a reçu à la Chancellerie, vous a réaffirmé sa volonté de faire adopter rapidement ce texte. Il sait qu'il a mon entier soutien.
Ce projet m'apparaît excellent car la loi du 29 juillet 1981 sur la liberté de la presse s'est révélée inadaptée en ce qui concerne la diffusion des idées racistes ou xénophobes. Sans entrer dans la technique, le texte sur la presse imposait un délai de prescription de trois mois alors que comme vous le savez, le délai de prescription en matière de droit comme en matière délictuelle est de trois ans.
La conséquence immédiate était que lorsque des écrits racistes ou xénophobes étaient diffusés publiquement, le faible nombre d'exemplaires empêchait le Parquet ou les associations de réagir en temps utile pour engager des poursuites. De même, la règle qui interdisait au juge de requalifier les faits faisait qu'en cas d'erreur de qualification du plaignant ou du Ministère Public, le tribunal était contraint de relaxer l'auteur des écrits ou des propos racistes.
Le présent projet de loi permettra d'éviter ces écueils. Tout en respectant la liberté de la presse, il permettra d'instituer un dispositif plus souple, plus efficace et plus cohérent.
Voilà, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, résumées quelques-unes des actions concrètes que nous conduisons en ce moment. Vous savez que le fruit de vos réflexions nous est constamment précieux.
Je ne saurais, avant de conclure, oublier qu'il me revient aujourd'hui de lancer en France l'année européenne contre le racisme à la suite de la résolution du 23 juillet 1996 du Conseil et des représentants des États membres réunis au sein du Conseil.
Les objectifs de l'année européenne contre le racisme tels qu'ils ont été définis sont au nombre de 5 :
- souligner la menace que constituent le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme,
- encourager la réflexion et la discussion sur les mesures requises pour lutter contre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme,
- promouvoir l'échange d'expériences en ce qui concerne les bonnes pratiques et les stratégies efficaces élaborées au niveau local, national et européen,
- diffuser l'information sur ces pratiques et stratégies parmi les acteurs,
- faire connaître les avantages des politiques d'intégration menées au niveau national, particulièrement dans le domaine de l'emploi, de l'éducation, de la formation professionnelle et du logement.
La Commission Européenne est chargée de la mise en uvre de cette résolution, assistée dans chaque État membre par un Comité National de Coordination. En France, votre commission a été choisie comme Comité National de Coordination. Cette année européenne contre le racisme verra les associations, syndicats et organisations non gouvernementales prendre des initiatives. Pour sa part, l'État organisera un certain nombre de manifestations d'envergure et lancera différentes campagnes d'information.
Plusieurs ministères vont initier des actions. Le Ministère de la Justice organisera un séminaire à l'École Nationale de la Magistrature de Bordeaux destiné aux magistrats de tous les pays de la communauté européenne, la Cour de Cassation organisera un colloque sur les crimes contre l'humanité et la Chancellerie va éditer un nouveau guide de la législation anti-raciste.
Le Ministère de l'Intérieur, par une circulaire de décembre 1996, a demandé aux Préfets de relancer l'activité des cellules départementales de lutte contre le racisme. Le Ministère de l'éducation Nationale, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche initiera les différentes actions visant à sensibiliser les élèves contre le racisme.
Au cours de la semaine du 17 au 21 mars, les directeurs d'école et les chefs d'établissements seront invités à susciter, au sein de leurs établissements, une réflexion sur ce thème. La remise de la médaille René Cassin récompensera des projets artistiques conçus pendant l'année scolaire contre le racisme. Le 10 décembre sera fêté, dans les établissements scolaires, le jour anniversaire de la Déclaration des Droits de l'Homme.
Enfin, le programme d'action communautaire "Socrates", qui concerne tous les niveaux d'enseignement de la maternelle à l'université, met d'ores et déjà l'accent sur la lutte contre le racisme et le rapprochement des peuples.
Le Ministère de l'Aménagement du Territoire, de la Ville et de l'Intégration va porter ses efforts sur les actions en milieu scolaire. C'est ainsi que le FAS participera financièrement à la semaine d'éducation contre le racisme. Des conférences d'information sur l'immigration et le droit de la nationalité auront lieu et un appel d'offre international a été lancé afin de confier à un ou plusieurs opérateurs la mission d'assurer la réalisation de ces conférences.
Dans le domaine culturel, des actions seront financées. A titre d'exemple, une aide a été accordée à l'Association des Comités d'Entreprises de Nantes et de sa région pour le projet "Tissé Métisse". Des actions seront présentées dans le domaine de la formation professionnelle. Enfin, une convention sera prochainement signée par M. Gaudin, la Présidente du FAS, vous-mêmes et le Comité National Français.
Cette convention aura deux volets : le Comité National Français informera les organismes auxquels il aura délivré le label "année européenne contre le racisme" et le FAS sélectionnera les actions qui seront subventionnées.
Par ailleurs, le Comité National de Coordination a organisé ce soir même à la Sorbonne une manifestation publique avec notamment l'organisation d'un concert donné par l'Orchestre Philharmonique Européen. Mon emploi du temps ne me permettra pas hélas de participer à cette cérémonie, ce que je regrette, mais elle donnera l'occasion aux personnalités politiques invitées de s'exprimer sur ce thème.
Comme vous le voyez, les pouvoirs publics, à quel que niveau que ce soit, sont extrêmement mobilisés et très actifs. Je ne doute pas un instant que cette année européenne contre le racisme sera couronnée de succès.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de la Commission Consultative des Droits de l'Homme, je voudrais pour conclure rendre hommage à la qualité exceptionnelle de votre travail et vous redire que le Gouvernement étudie toutes vos propositions avec le plus grand soin.
Pour défendre les droits de l'homme, chaque fois que c'est nécessaire, vous trouverez toujours en moi un interlocuteur ouvert et en permanence disponible.