Déclaration de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, sur la nouvelle étape de la décentralisation, fondée sur trois principes : l'expérimentation, le principe d'adaptation souple aux réalités du terrain, et le principe de la sagesse fiscale, Châlons-en-Champagne, le 2 décembre 2002.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assises des libertés locales à Châlons-en-Champagne, le 2 décembre 2002

Texte intégral

Messieurs les ministres, chers collègues,
Monsieur le préfet de Région,
Mesdames, Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs
On ne conclut pas de telles assises.
Grâce à vous tous, à votre travail dans les ateliers, à ces assises remarquablement préparées, nous vivons un grand moment.
Un nouveau livre de la décentralisation et des libertés locales va bientôt s'ouvrir.
Quelques mots tout d'abord sur la forme.
Quand je vois tout ce travail accompli localement et que je sais que certains se sont interrogés sur la forme de ces rencontres !
"Quelle drôle d'idée de demander leur avis aux territoires ", ont dit certains à Paris. Moi, j'ai envie de dire, quelle grande idée! Et quel progrès démocratique par rapport à 82-83 où tout avait été décidé et imposé d'en haut.
Depuis le début de cette rencontre, je vous écoute bien sûr avec beaucoup d'attention.
Et j'ai perçu et noté une profusion d'idées originales, une multitude de convictions fortes et de propositions argumentées.
J'ai perçu avec bonheur votre envie d'assumer, votre envie d'agir, votre volonté d'être responsable de ce que vous entreprenez et réalisez, votre volonté d'exister sans quémander mais simplement en exigeant l'équité.
J'ai bien entendu aussi les conseils de prudence, les arguments, les craintes de ceux qui pensent que si l'État ne gère pas tout, la France alors s'éparpille, se disloque et s'écroule.
Je souhaite faire un sort à cette idée fausse selon laquelle l'État s'affaiblirait à cause de la décentralisation. L'État, c'est nous, l'administration centrale mais aussi vous les collectivités.
Le Président de la République a répondu à ces craintes d'un État affaibli par la décentralisation dans son discours de Rouen et je vais le citer, si vous le permettez :
"Nécessaire aux temps fondateurs de la Nation, la centralisation est devenue aujourd'hui un handicap pour la France. L'esprit d'initiative et les libertés locales ont trop longtemps été étouffés. Aucun des grands pays d'Europe n'est affecté du même mal".
Oui c'est vrai, songez en effet que tous les États, tous ceux qui sont à la fois démocratiques et prospères, sont des États décentralisés ! De la Suisse aux États-Unis, de l'Australie à la Suède, tous les exemples le prouvent.
Ces craintes sur ce nouveau souffle décentralisateur sont d'autant moins fondées à mon sens que le Premier Ministre a souhaité donner toute sa place à trois principes : le principe d'expérimentation, le principe d'adaptation souple aux réalités du terrain, et enfin le principe de la sagesse fiscale.
Premier principe, l'expérimentation.
C'est une vieille connaissance de notre vie politique.
Devant des problèmes complexes, c'est l'expérimentation qui a souvent permis de progresser dans le consensus: la Loi DEBRE sur la liberté de l'enseignement en 1959, la loi VEIL sur l'interruption volontaire de grossesse en 1975, plus près de nous la loi de 1988 sur le RMI.
Ou encore le chèque emploi- service le 20/12/93. A l'inverse, on aurait dû parfois mieux expérimenter, je pense notamment à l'APA !
L'expérimentation, c'est le principe de précaution adapté aux institutions, une modestie devant un monde de plus en plus complexe.
On donne sa chance à l'audace comme à l'initiative sans prendre le risque de l'irrattrapable.
J'ai le sentiment que l'expérimentation peut devenir la marque de fabrique, la signature de la décentralisation à la Française, et doit notamment nous servir à adapter au terrain nos règles habituelles. Voilà pour l'expérimentation.
La Proximité aussi souvent que possible, c'est bien le second axe fort que je retiens du cahier des charges du Premier Ministre.
Partout, nous devons rechercher le meilleur échelon pour l'efficacité de la démocratie. Pourquoi ne pas imaginer par exemple que ce qui relève du département en zone rurale puisse relever d'un conseil d'agglomération en zone urbaine, si cela permet une gestion plus efficace ?
Et pour quelle raison faudrait-il empêcher qu'une région, par accord, délègue certaines compétences aux départements qui la composent, si cela doit apporter un "plus" dans le service de nos concitoyens ?
Il n'est écrit nulle part qu'une répartition uniforme des compétences et des responsabilités soit la meilleure garantie d'une gestion publique performante, l'expérience prouve même le contraire.
J'ai une conviction : la société française, la société européenne, sera complexe dans l'avenir. Tous ceux qui promettent la simplification extrême, souvent, sont des menteurs. (RAFFARIN) Il n'y a que les dictatures qui sont très simples. Finalement la politique, c'est souvent de la dentelle ; il faut tenir compte des uns et des autres.
Nous sommes trop habitués à raisonner en fonction de catégories anciennes, avec d'un côté la décentralisation, pour tout ce dont l'État accepte de se dessaisir, et de l'autre la déconcentration, pour les missions dont il entend garder la maîtrise mais qu'il admet devoir exercer au plus près des réalités.
Il est temps de raisonner autrement. Le principe de délégation est particulièrement adapté à notre temps. Il ne s'agit pas de déléguer des politiques mais seulement leur mise en oeuvre, pour introduire une gestion de proximité plus adaptée aux besoins et aux réalités, plus souple dans ses moyens, plus efficace, plus économe des deniers publics, et sans doute aussi plus facile à évaluer.
Naturellement, cela suppose aussi une délégation de ressources qui tiennent compte à la fois d'un juste transfert des compétences et des ressources, y compris et surtout des ressources humaines, mais aussi d'une indispensable péréquation nationale entre régions à potentiels inégaux.
C'est pourquoi la question des ressources et en particulier celle de la fiscalité nous interpelle bien entendu.
Peut-on transférer de nouvelles compétences aux collectivités territoriales sans provoquer une explosion de la fiscalité locale ? On comprend cette inquiétude quant on repense au passé.
La décentralisation jusqu'alors s'est faite au détriment des finances locales, l'État n'ayant jamais transféré les moyens financiers et humains à hauteur des charges qu'il abandonnait.
Aujourd'hui la méthode de la réforme a changé.
Avant, l'État central imposait aux collectivités des compétences nouvelles qu'elles n'avaient pas forcément choisies et des moyens qu'il avait lui-même et tout seul évalués.
L'époque où l'État aimait à transférer ce qu'il ne pouvait plus payer est je le crois définitivement révolue.
Aujourd'hui, nous vous proposons une réforme radicalement différente. Nous discutons des domaines qui devraient selon les uns ou les autres relever des collectivités pour être plus efficacement gérés
Sur ces questions financières, on nous dit aussi et je le comprends : "attention, n'allez pas favoriser, l'inégalité des territoires".
D'accord mais où est-elle aujourd'hui l'égalité des territoires quand on veut avoir le téléphone mobile en Hautes Alpes ?
Où est l'égalité des territoires aujourd'hui dans tous les collèges de France ?
Où est l'égalité des territoires dans tous les lycées de France ?
Où est l'égalité des territoires dans toutes les communes ?
Où est cette égalité républicaine, aujourd'hui, dans tous nos territoires ?
Il y a beaucoup de disparités quand même... Je crois qu'aujourd'hui, nous devons chercher justement à ce que la décentralisation d'aujourd'hui à une meilleure égalité des territoires, cette égalité des chances à laquelle nous sommes attachés.
Il y aura évidemment une péréquation nationale. Cette péréquation devra cependant veiller dans le temps à ce que l'État n'ait pas à combler en permanence les déficits d'une éventuelle et exceptionnelle mauvaise gestion ou de décisions hasardeuses car la décentralisation des pouvoirs doit être aussi la décentralisation des responsabilités.
Tout en restant garant de cette cohésion nationale, l'État doit amplifier son rôle de stratège vigilant au service des objectifs nationaux et des légitimes ambitions de projets locaux.
L'État central n'abandonnera pas les territoires à leurs seuls moyens. Il doit au contraire adapter ses priorités aux préoccupations locales afin de mieux assurer son rôle de synthèse, de régulation et d'animation globale.
Plus de réactivité, plus de souplesse, plus de responsabilité. Telle est la première orientation donnée à la réforme de l'État territorial.
C'est un témoignage de confiance qui est adressé aux fonctionnaires qui, à travers le pays, servent avec conviction. Des agents dont les périmètres de carrière doivent s'élargir. La décentralisation doit aussi être une chance pour les fonctionnaires.
Je voudrais conclure en rappelant devant vous une évidence que nos débats juridiques et techniques sur la décentralisation oublient parfois.
A la base du développement local, il y aura toujours et avant toute chose le dynamisme d'un projet local, porté par des hommes, par des équipes.
La décentralisation doit aider les élus à prendre leur destin en main mais ne remplace pas et ne remplacera jamais l'esprit entrepreneurial.
Quel que soit le montage institutionnel, c'est l'esprit d'équipe, le travail en réseau qui fait et fera toujours la différence.
Prenons garde de ne pas créer une technocratie locale. C'est à ceux qui ont l'esprit pionnier, à ceux qui ont l'esprit d'initiative que nous voulons donner les moyens d'agir.
Cet enthousiasme, ce dynamisme local, c'est lui, le véritable levier de la réforme, c'est lui que j'ai formidablement perçu à Chalons en Champagne.
C'est grâce à lui que la décentralisation sera une chance pour les communes, les conseils généraux, le Conseil Régional de Champagne Ardennes et sera une chance pour les citoyens de la France.
Merci à chacun de vous y employer déjà !
(source http://www.equipement.gouv.fr, le 29 janvier 2003)