Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur la mobilisation pour l'emploi des jeunes et notamment l'action des préfets et la déconcentration des crédits et des responsabilités en matière d'aides à l'emploi, Tours le 17 février 1997.

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Circonstance : Déplacement à Tours à l'occasion d'une réunion des préfets, suite à la Conférence nationale pour l'emploi des jeunes, 17 février 1997.

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Préfets,
Il y a une semaine, jour pour jour, j'ai réuni à Matignon la Conférence Nationale pour l'Emploi des Jeunes.
Avec un objectif clair et simple : mobiliser tous les partenaires et tous les acteurs dont dépend l'emploi des jeunes. Non pas seulement, comme à l'accoutumée, le gouvernement et les seuls partenaires sociaux, mais tous ceux qui ont une responsabilité à l'égard de notre jeunesse dans ce domaine : représentants du Parlement, élus régionaux, départementaux et municipaux, organisations étudiantes, associations, missions locales, ANPE... Pour qu'enfin la préoccupation de chacun - l'emploi de nos enfants - se transforme en un véritable engagement collectif.
Grâce aux efforts de tous, nous avons pu certes stabiliser en 1996 le nombre de jeunes au chômage. Mais nous ne pouvons nous satisfaire de ce premier résultat.
Le chômage de notre jeunesse est sans doute en effet le plus grave échec de notre société. L'ampleur de cet échec exige que tout soit remis à plat, que l'on se pose de nouveau toutes les interrogations, que l'on se demande si toute notre approche ne doit pas être revue.
Et, en particulier, le rôle de l'État par rapport à celui des différents partenaires de l'emploi comme l'articulation entre les politiques globales et l'action locale.
L'État, au niveau central, a bien évidemment une responsabilité éminente. La définition de la politique économique et des grands équilibres macro économiques relève en premier chef de sa compétence.
J'observe à cet égard que l'assainissement progressif de notre économie nous autorise maintenant à tabler sur un taux de croissance qui doit permettre d'offrir des perspectives plus sereines en termes d'emploi.
Mais l'État ne peut tout faire à lui seul. Il faut aujourd'hui mobiliser bien davantage l'ensemble des partenaires de l'emploi, les jeunes eux-mêmes d'abord, les élus, les entreprises, les missions locales, les services de l'emploi et bien entendu l'ensemble des partenaires sociaux. Il y va en effet de la cohésion même de notre communauté nationale.
Contrairement aux attentes sceptiques des esprits chagrins, la Conférence Nationale pour l'Emploi des Jeunes a permis de formaliser des engagements précis. C'est à dire de déterminer ensemble des objectifs chiffrés, de convenir de procédures et de méthodes de travail pour les atteindre, et de fixer des calendriers pour faire converger les efforts. C'est là, je crois, un progrès essentiel. Au-delà d'un simple accord de méthode, a été scellé pour la première fois, un pacte collectif pour le premier emploi des jeunes.
Je ne reviendrai pas sur tout le contenu de cette Conférence Nationale. M. BARROT et Mme COUDERC vont tout à l'heure vous en préciser les éléments. Pour ma part, je souhaite devant vous insister sur l'aspect à mes yeux le plus novateur de cette démarche, celui dont dépend tout le reste ; la mobilisation des initiatives et des énergies sur le terrain.
C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité, Mesdames et Messieurs les Préfets, m'adresser à vous aujourd'hui, non pas à Matignon, non pas Place Beauvau, mais à Tours, au cur de la France. Pour affirmer ma conviction que pour être efficace, l'action pour l'emploi des jeunes doit partir du terrain. Et pour vous demander d'apporter votre soutien total et absolu à tous les efforts qui se déploient au niveau local. L'exemple du contrat d'accès à l'emploi créé par la ville de Tours illustre combien ces efforts peuvent être porteurs d'innovation.
Cette formule qui permet d'enchaîner un stage de formation professionnelle et un contrat de travail en entreprise a facilité la création d'un millier d'emplois depuis trois ans.
Ce dispositif est maintenant expérimenté dans d'autres villes. C'est cela que j'ai appelé la contagion des bonnes idées. Cela ne veut pas dire qu'une même solution est applicable partout, cela signifie seulement que la volonté et surtout l'imagination lorsqu'elles ne sont pas bridées par des règles tatillonnes, et bureaucratiques, permettent de trouver, au niveau local, des solutions innovantes qui en quelque sorte fait tache d'huile.
J'ai la conviction que dans les grandes sociétés industrialisées, et en particulier en France, l'action publique doit passer désormais de plus en plus par les relais les plus proches des citoyens et des acteurs économiques et sociaux. Dans cette mutation, votre rôle est décisif.
C'est pourquoi je voudrais vous dire très précisément ce que le Gouvernement attend de vous, dans cette croisade pour l'emploi des jeunes à laquelle le Président de la République a appelé la Nation toute entière.
Je vous demande d'avoir dans chacun de vos départements, une priorité, et je dirais même une obsession : libérer les initiatives, donner libre cours au bouillonnement des idées, faciliter l'émergence des projets. Ceux des entrepreneurs. Ceux des collectivités locales. Ceux des associations. Ceux des jeunes eux-mêmes qui cherchent à inventer leur avenir, qui est notre avenir.
Car c'est dans ce foisonnement et ce formidable dynamisme des initiatives locales et des projets construits à taille humaine, que se révèleront dans chaque bassin d'emploi, les gisements d'emplois nouveaux qui sont des emplois pour les jeunes.
Avec les chartes initiative-emploi, avec les programmes régionaux pour l'emploi des jeunes, vous vous êtes engagés sur cette voie. Une voie difficile qui suppose de la part des administrations placées sous votre autorité un total changement d'esprit, je dirais même la nécessité parfois de faire leur révolution culturelle. Pour faire confiance, puis évaluer, plutôt que d'avoir un réflexe de méfiance a priori, d'interprétation tatillonne des textes, de contrôle suspicieux.
Tout au long de l'année qui s'est écoulée, au rythme d'au moins un déplacement par mois, je suis allé à votre rencontre dans les départements. Vous m'avez dit votre engagement. Vous m'avez présenté les expériences et les dispositifs qu'avec les partenaires locaux de l'emploi vous avez mis au point. Vous m'avez surtout comme fait toucher du doigt la diversité des situations des jeunes face à l'emploi et par là même la diversité des solutions à mettre en uvre.
Déplacement après déplacement, j'ai mesuré les résultats de cette action opiniâtre. Parfois, et même souvent, dans le jugement inhabituellement positif d'un chef d'entreprise sur le rôle de l'administration. Et surtout, dans le témoignage de ces jeunes qui avaient cessé de "galérer", et retrouvé espoir.
C'est pourquoi j'ai souhaité que certains d'entre vous puissent tout à l'heure présenter les actions de mobilisation qu'ils ont engagées et qui me paraissent illustrer parfaitement la démarche qu'il nous faut aujourd'hui amplifier.
Mais, au cours de ces rencontres sur le terrain, nombreux sont parmi vous ceux qui m'ont fait part des difficultés insurmontables, ou presque, auxquelles ils se heurtaient du fait de nos procédures centralisées et de la rigidité de nos règles budgétaires.
Voilà pourquoi j'ai décidé lundi dernier d'anticiper sur la réforme de l'État, au nom de l'emploi des jeunes, et de mettre immédiatement en uvre à votre profit une véritable déconcentration des crédits et des responsabilités en matière d'aide à l'emploi.
D'abord par la création dans chaque département d'un fonds départemental pour l'emploi des jeunes.
Ces fonds départementaux seront dotés au total d'un milliard de francs, totalement libres d'emploi et placés sous votre seule responsabilité.
Un seul objectif : l'emploi des jeunes, au concret, sur le terrain, en soutenant les initiatives nouvelles. Qu'il s'agisse de l'aide à l'émergence et au pilotage de nouvelles formes d'organisation, comme, par exemple, les groupements d'employeurs. Qu'il s'agisse de la mise en place ou de l'extension de réseaux de développeurs. Qu'il s'agisse de la prospection pour l'apprentissage et l'alternance, en appui de ce que font déjà les partenaires sociaux et les organismes consulaires. Qu'il s'agisse d'expérimenter de nouvelles modalités d'accès à l'entreprise, comme le contrat d'accès à l'emploi. Qu'il s'agisse de faciliter les mises en relation entre les entreprises et les jeunes... Le champ est sans limite, dès lors, encore une fois, que le projet est sérieux et s'ancre sur une dynamique de partenariat.
L'ensemble des crédits dont vous disposerez devra être mobilisé selon cette logique partenariale pour la mi-juillet. A défaut, les crédits non utilisés seront repris.
C'est pourquoi je vous demande d'engager sans délai une concertation active avec les différentes collectivités territoriales. Leurs représentants, lors de la Conférence Nationale pour l'emploi des jeunes de la semaine dernière, m'ont fait part de leur volonté de s'engager dans cette démarche.
Cette déconcentration s'exprime ensuite, par l'expérimentation d'une procédure de globalisation des crédits d'aide à l'emploi dans six régions.
Dans les six régions de Lorraine, Nord Pas-de-Calais, Auvergne, Limousin, Bretagne et Poitou-Charentes, les Préfets de département pourront librement pondérer les différentes mesures de politique de l'emploi (CES, CIE, stages...) en fonction des besoins locaux et des objectifs qu'ils se fixeront dans le respect des priorités gouvernementales.
J'attends de cette expérimentation, qui fera l'objet d'une évaluation en fin d'année, qu'elle puisse être généralisée l'an prochain.
Cette déconcentration sous ces deux aspects, je voudrais y insister, il vous appartient de lui donner toute sa véritable dimension.
Au-delà des changements des procédures et des règles, tout dépend désormais de vous et de votre engagement.
Permettez-moi de vous rappeler des vérités d'évidence, mais qui doivent fonder votre action.
La déconcentration se conçoit à Paris, mais c'est dans chacun de vos départements qu'elle s'applique. Je sais les freins, je sais les résistances, je sais les blocages parfois des administrations centrales.
C'est le but de la Réforme de l'État que de lever ces blocages. Soyez assurés de ma détermination à le faire. Mais cette détermination sera vaine si elle ne rencontre pas la vôtre.
Vous avez pleine autorité sur les services extérieurs de l'État. Cette autorité, il vous appartient de l'exercer, et de l'exercer complètement, en particulier dans le domaine de l'emploi.
Tout réussira par votre implication personnelle, j'allais dire grâce à votre équation personnelle. Faites-les jouer à plein. Investissez-vous personnellement.
Sachez être opérationnels en matière d'emploi comme vous l'êtes dans la gestion des crises auxquelles vous êtes confrontés.
Soyez fédérateurs d'énergie pour l'emploi des jeunes comme vous savez l'être dans l'animation locale en impulsant, en coordonnant, en facilitant.
Votre légitimité est totale. C'est un véritable mandat que je vous confie. N'hésitez pas à vous en prévaloir et à en user.
Mesdames et Messieurs les Préfets, je vous demande donc, je demande personnellement à chacun d'entre vous, d'être les croisés de l'emploi des jeunes.
Avec un esprit d'humilité, parce que l'emploi ne se décrète pas. Parce que ce sont les entreprises qui créent l'emploi et non les Préfets. Parce qu'il n'y a pas de solution toute faite, mais des réponses adaptées à chacun qu'il s'agit d'inventer.
Avec un esprit de résolution, parce qu'il s'agit d'une cause qui engage toutes les autres puisqu'il y va de l'avenir et de la cohésion de notre pays.
Et surtout avec une volonté de dialogue avec tous ceux qui peuvent être des éléments moteurs de la préparation, de l'accompagnement ou de la création du premier emploi de chaque jeune.
Dans cette mission, soyez assurés de toute ma confiance et de celle du gouvernement tout entier.