Déclaration de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, sur les nouvelles propositions de la Commission européenne sur la revue à mi-parcours de la PAC et les réserves de la France notamment : le découplage défavorable aux régions ultra-périphériques comme les départements d'Outre Mer, et la mise en place d'une dégressivité des aides, Bruxelles le 27 janvier 2003.

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Circonstance : Conseil agriculture à Bruxelles le 27 janvier 2003

Texte intégral

Après la communication présentée par la Commission en juillet dernier, celle-ci vient de nous adresser sa vision réglementaire de ce qu'elle appelle la revue à mi-parcours.
Nous aurons à l'évidence besoin, sur ces sujets complexes, de discussions techniques approfondies, sans doute d'études supplémentaires, et de débats.
Je voudrais toutefois vous faire part d'une première série de réflexions sur la nature de l'exercice et sur quelques unes des propositions que la Commission soumet à notre Conseil des ministres de l'Agriculture.
La PAC a sans doute besoin, d'adaptations pour corriger les domaines où le fonctionnement peut être amélioré. Nous avons également intérêt, je l'ai déjà dit plusieurs fois dans cette enceinte, à entamer un débat large, ouvert, dépassionné et débarrassé des idéologies, étayé le plus possible sur des études solides, sur l'avenir de notre politique agricole. Je suis donc prêt à participer de manière active et positive au débat qui s'ouvre aujourd'hui en faveur d'une PAC économiquement forte et écologiquement responsable.
Il y a toutefois deux limites à ces discussions :
D'une part, le respect des décisions des Conseils Européens des chefs d'Etat et de gouvernement. A Berlin en 1999, à Bruxelles et à Copenhague en 2002, des décisions très précises ont été prises sur la forme de la PAC jusqu'en 2006, sur son budget jusqu'en 2013. Il n'est pas question de revenir sur cela.
D'autre part, la conduite des négociations agricoles à l'Organisation Mondiale du Commerce. Là aussi, un mandat circonstancié a été élaboré en octobre 2000 par ce Conseil, établissant que la défense de la PAC arrêtée à Berlin en 1999 formait la base de la position européenne. La contribution technique préparée par la Commission, à quelques adaptations près qui ont été réglées tout à l'heure s'inscrit d'ailleurs, je m'en félicite, dans ce cadre. Nous devons nous y tenir. Les changements que nous devons apporter à la PAC doivent être définis en fonction de ses besoins et non pour dégager des marges de manoeuvre supplémentaires de nature à faciliter le travail du négociateur européen.
Dans ce cadre, et sous réserve, naturellement, d'examens techniques, je me réjouis d'un certain nombre des propositions qui nous sont faites et qui vont dans le bon sens.
° Tout d'abord, le développement rural.
La confirmation de deux nouvelles mesures permettant d'encourager la qualité et l'adaptation aux normes est une bonne nouvelle, d'autant que certaines des modalités proposées semblent avoir été revues dans un sens favorable.
L'idée de financer un audit des exploitations leur permettant de mieux apprécier leur situation et les meilleures voies à emprunter pour l'améliorer est également intéressante, à condition, bien sûr, que le système soit incitatif plutôt qu'obligatoire afin d'éviter de monter un de ces mécanismes bureaucratiques, inefficaces et budgétivores qui serait à juste titre rejeté par tous. C'est le même type de raisonnement que j'appliquerais à l'idée de conditionnalité des paiements : voilà une mesure dont la logique est forte, mais dont les modalités proposées par la Commission font frémir. Intégrer dans le système de contrôle des aides de la PAC une liste de 38 règlements et directives, sans qu'aucune priorité n'apparaisse est d'une lourdeur et d'une complexité redoutable, donc inefficace.
° Sans doute faut-il, comme le prévoit la Commission, prévoir un renforcement du développement rural, ne serait-ce que pour financer les nouvelles mesures proposées. Il reste à étudier soigneusement la façon dont ce renforcement peut être mis en oeuvre.
A cet égard, plusieurs critères seront pour moi déterminants : que le niveau des prélèvements reste raisonnable et ne remette pas en danger le revenu des agriculteurs, que la neutralité par rapport aux budgets nationaux soit assurée, que le système soit considérablement simplifié, en respectant la séparation des rubriques budgétaires, que, comme cela est prévu dans les décisions de Berlin, le produit de la modulation puisse être entièrement utilisé dans l'Etat membre où il a été prélevé, que le prélèvement soit le plus linéaire possible. La Commission annonce ne pas vouloir appliquer la dégressivité aux nouveaux Etats membres. Ce serait contraire aux décisions de Copenhague puisque cette proposition de la Présidence danoise avait été clairement écartée.
° Mais nous ne devons pas nous arrêter là, et plusieurs aspects manquent dans les propositions de la Commission : j'ai eu l'occasion de parler de la production d'oléo-protéagineux, pour laquelle il nous faut faire davantage. Il faut également, c'est une ambition essentielle que nous devons avoir, simplifier la Politique Agricole Commune. C'est indispensable, dès maintenant, pour le développement rural. La délégation française remettra, au prochain C.S.A., un document comportant des propositions. Je pense que nous devons faire le même travail dans les organisations communes de marché. Dans le secteur des céréales par exemple, le système des certificats d'exportation doit être radicalement revu.
Mais le cadre qui s'impose à nous et défini par nos Chefs d'état et de gouvernement, ne s'accommode pas de plusieurs aspects essentiels des projets de règlements qui sont sur la table.
° Le découplage proposé par la Commission tout d'abord. Nous avons sur cette proposition de fortes réserves. Si elle devait être adoptée, elle créerait les conditions d'un abandon ou d'une très forte réduction de la production dans les régions et les secteurs fragiles. Par ailleurs, comme mon collègue espagnol l'a dit, les conséquences seraient désastreuses pour les régions ultra périphériques -et je pense à nos départements d'Outre Mer. Cette proposition nous priverait en outre de tout instrument de régulation des marchés, nous laissant démunis en cas de crise comme nous en avons connu de nombreuses ces dernières années. Il fragiliserait la légitimité des aides et la solidarité communautaire. Elle poserait enfin de très grandes questions de faisabilité, de fiscalité, de droit du bail, etc... J'observe d'ailleurs que ces interrogations, qui ont été largement formulées pendant nos discussions de 2002, n'ont absolument pas été traitées dans les études d'impact publiées par la Commission ces derniers jours : le travail reste donc à faire et je regrette que la Commission, en maintenant sa position initiale, n'ait pas écouté le Conseil et n'ait présenté aucune piste par des réflexions alternative.
° Egalement inacceptable est la proposition de décider dès maintenant la mise en place d'une dégressivité des aides. Non qu'il ne faille, bien sûr, respecter les plafonds financiers que nous avons mis en place à Bruxelles l'année dernière, mais parce qu'elle est liée à des réformes (baisse des prix du lait, des céréales) dont l'utilité intrinsèque et l'opportunité actuelle, dans le cadre de règles multilatérales en vigueur, est plus que contestable. Si je me réjouis que l'on envisage maintenant une prolongation du régime des quotas laitiers, je ne puis naturellement accepter que l'on anticipe les réformes de Berlin ou qu'on décrète des baisses de prix complémentaires. Quant aux céréales, j'ai déjà dit à de nombreuses reprises, avec d'ailleurs, beaucoup de mes collègues, que les baisses de prix proposées, de même que la suppression des majorations mensuelles, n'avaient pas de justification. Par ailleurs, dans le cadre d'autres organisations communes de marché, il n'y a pas de raison non plus, pour certaines d'entre elles, je voudrais citer le blé dur tout particulièrement, de rompre le statu quo actuel.
Monsieur le Président, votre tâche s'annonce difficile. Je veux vous assurer de ma disponibilité pour vous aider à la mener à bien. Je crois que vous comprenez tous les progrès que nous avons encore à accomplir pour y parvenir.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 28 janvier 2003)