Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, notamment sur l'élargissement de l'Union européenne à l'Europe de l'Est et la réforme des institutions communautaires, Paris le 26 octobre 1999.

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Circonstance : Débat à l'initiative de l'Alliance israëlite universelle sur le thème : "L'Union européenne pour la paix et la solidarité", Paris le 26 octobre 1999

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Je suis très heureux de me retrouver aujourd'hui parmi vous. C'est sans hésiter que j'ai répondu favorablement à votre invitation, afin de faire le point avec vous sur les grands enjeux européens du moment, qui vous intéressent tout particulièrement.
Ma présence ici m'offre d'abord l'occasion de rendre hommage à l'Alliance Israélite Universelle. A mes yeux, son existence se confond avec l'histoire de notre pays et de notre culture occidentale. Sa portée s'impose bien au-delà des cercles communautaires. Comment ne pas citer, Monsieur le Président Steg, quelques unes des illustres personnalités qui vous ont précédé ? Je pense en particulier à Adolphe Crémieux et aussi à René Cassin. Sous la double inspiration du judaïsme et de la République, tous deux éclairés par leur ouverture sur le monde, ils ont contribué de manière éminente à façonner nos valeurs fondées sur la démocratie, la justice et la solidarité. A titre personnel, j'y retrouve le message du judaïsme dans toute sa force d'humanité.
Ma présence traduit aussi mon souhait de dialoguer avec un acteur à part entière de la construction européenne. Dès sa création, l'Alliance Israélite Universelle s'est fixée pour ambition de porter haut et fort les idéaux de liberté et d'égalité de la Révolution de 1789 avec, à la base, une croyance profonde dans le pouvoir de l'éducation. C'est ainsi que son activité pédagogique s'est développée au bénéfice des communautés d'Europe centrale et orientale et du pourtour méditerranéen. Elle a contribué très précocement à l'édification d'un espace commun, favorisant également la francophonie.
Pour entrer maintenant dans le vif du sujet, je voudrais évoquer quelques uns des principaux enjeux les plus actuels. Comme vous le constaterez, ils font directement écho à vos préoccupations et incarnent, me semble-t-il, l'engagement de l'Europe pour promouvoir des valeurs dans lesquelles vous vous reconnaîtrez.
En effet, qu'il s'agisse de l'élargissement, de la constitution d'un espace de liberté, de sécurité et de justice ou de l'affirmation de l'Europe sur la scène internationale, tous ces défis illustrent l'ambition de l'Union européenne pour la paix et la solidarité.
Commençons donc par l'élargissement, en partant de quelques considérations simples :
- l'Union européenne est confrontée à une situation inédite, par rapport aux élargissements antérieurs : il lui faut à la fois répondre au défi du nombre - 12 pays candidats, (10 Pecos + Chypre + Malte) + Turquie - au défi de l'hétérogénéité et du développement, compte-tenu des caractéristiques politiques et économiques des pays candidats.
- la perspective d'une Union européenne élargie est d'ores et déjà inscrite dans la réalité : n'ayons pas de doute, l'élargissement se fera. Accueillir nos voisins d'Europe centrale et orientale, c'est parachever l'œuvre fondatrice entamée au lendemain de la seconde guerre mondiale, contrainte pendant plus de quarante ans par le rideau de fer, et consolider la démocratie dans ces pays.
C'est donc un devoir historique et politique pour en quelque sorte réunifier notre Europe. Point n'est besoin de vous convaincre que son cœur bat aussi fort à Prague ou à Varsovie qu'à Paris ou à Berlin. C'est aussi, j'en suis convaincu, une formidable chance pour créer, un espace de croissance et de prospérité à l'échelle du continent
- La question n'est donc plus de savoir s'il faut élargir l'Europe mais plutôt de préciser comment réaliser au mieux cette entreprise. Nous touchons là à ce que j'appellerai la maîtrise politique du processus d'élargissement.
Nous avons à gérer deux enjeux, qui peuvent apparaître difficilement conciliables :
- d'un côté, répondre à l'attente des pays candidats, voire même à leur impatience. Les négociations sont ouvertes avec 6 d'entre eux depuis mars 1998 (Pologne, Hongrie, République tchèque, Estonie, Slovénie, Chypre). Il est probable que le Conseil européen d'Helsinki, en décembre prochain, suivra la récente recommandation de la Commission d'ouvrir les négociations avec tous les autres; je veux parler de Malte, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Slovaquie, mais aussi de la Roumanie et de la Bulgarie qui nous sont proches. Elle propose également d'accorder à la Turquie, le statut de candidat, sachant que les négociations ne pourront être ouvertes qu'en fonction des efforts que ce partenaire important doit encore accomplir, notamment en matière de respect de droits de l'homme.
Je m'en réjouis car cette approche positive est conforme à notre vision d'un processus d'élargissement ne créant pas de fractures nouvelles en Europe mais progressant de manière différenciée en tenant compte des progrès de chaque candidat.
Quant au calendrier, prenons garde à maintenir une approche réaliste et à ne pas créer d'illusions. En d'autres termes, je ne suis pas favorable à afficher une date d'adhésion.
- Car, et c'est le second point que je souhaite aborder, il nous faut, de notre côté, nous y préparer pour que l'Union sorte renforcée de cette évolution. L'Union européenne doit être mise en état d'aborder l'élargissement. Force est de constater que l'Union européenne à Quinze fonctionne difficilement, tant les mécanismes d'origine, ceux d'une Europe à Six, ont été à peine retouchés au fil des élargissements successifs.
Après avoir adapté son cadre financier pour la période 2000-2006, à la suite des décisions du Conseil européen de Berlin, en mars dernier, l'Union européenne doit impérativement procéder à des réformes institutionnelles profondes.
Vous vous souvenez sans doute que la conférence intergouvernementale de 1997 qui a abouti au traité d'Amsterdam, n'a pas permis de trouver un accord sur trois points essentiels : le format de la Commission, l'extension du champ de vote à la majorité qualifiée et la repondération des voix au Conseil.
Nous avons plaidé sans relâche pour qu'une solution soit apportée à ces trois grandes questions non réglées à Amsterdam, avant toute nouvelle adhésion, faute de quoi l'Union européenne risque la paralysie par le seul effet du nombre. Une nouvelle conférence intergouvernementale pour réformer les institutions devrait en principe s'ouvrir l'année prochaine. La France a bien l'intention de conclure ces réformes sous sa présidence de l'Union européenne, qu'elle exercera à partir du 1er juillet 2000, si ses autres partenaires le veulent.
Quant à l'adhésion, elle est fondée sur un principe majeur : la reprise de l'acquis communautaire, c'est-à-dire le respect de l'ensemble de règles et d'obligations qui s'imposent à tout Etat membre. N'oublions pas qu'il ne s'agit pas uniquement d'appliquer une masse de directives et de règlements. Un socle de valeurs fondamentales s'impose également pour que ce vaste mouvement permette de consolider la démocratie. Des événements récents, comme les crises dans l'ex-Yougoslavie ou les élections en Autriche, montrent que cet acquis est plus fragile qu'on ne le pense.
Vous le savez, les populations de l'Est ne sortent pas indemnes de la période précédente : la réécriture du passé, les manipulations de l'esprit, le gel des mémoires, laissent des traces. Force est de constater que des odeurs pestilentielles du passé peuvent parfois resurgir. Ce sont les minorités qui - loi éternelle de l'Histoire que nous ne connaissons que trop - en sont les premières victimes. C'est pourquoi l'Union est extrêmement attentive à faire respecter les principes communs de liberté, de démocratie, du respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, tels que réaffirmés dans le traité d'Amsterdam, entré en vigueur en mai dernier.
C'est dans ce cadre que s'inscrivent ses efforts pour lutter contre toutes les discriminations; le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie. Je remarque au passage qu'ils complètent les travaux du Conseil de l'Europe qui joue un rôle important car son enceinte plus large concerne 40 pays européens, dont la Russie.
Je ne prendrai que trois exemples concernant l'Union européenne:
- le traité d'Amsterdam, tout en réaffirmant les principes communs qui fondent l'Union, contient des dispositions innovantes qui permettent de prendre des sanctions en cas de violation grave et persistante par un Etat membre de ses obligations. Ainsi, le Conseil peut décider de suspendre certains des droits conférés par les Traités, y compris le droit de vote au Conseil. Ces dispositions ont été introduites dans la perspective des futurs élargissements.
- d'autres dispositions nouvelles illustrent la détermination de l'Union à intervenir, en prenant des mesures pour combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les croyances, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.
- je rappellerai aussi que c'est à l'initiative de la France et de l'Allemagne qu'a été créée la Commission consultative "Racisme et xénophobie", présidée par Jean Kahn. Composée d'éminentes personnalités, celle-ci a défini une stratégie globale de l'Union en matière de lutte contre le racisme et la xénophobie. Suite à ses propositions, il a été décidé de créer un observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes, basé à Vienne. La France y joue un rôle de plan puisqu'il est présidé par Jean Kahn, que je salue en rendant hommage à son action.
Enfin, nous devons aussi être capables de montrer par des gestes forts notre engagement. Je pense ainsi à la visite de Lionel Jospin à Auschwitz, où je l'avais accompagné, lors de son voyage en Pologne en juillet dernier.
Je tiens également à mentionner un projet qui, je le sais, vous intéressera, celui d'une charte européenne des droits fondamentaux civiques et sociaux. Il s'agit ainsi de réaffirmer solennellement les droits fondamentaux, de rendre les droits existants plus intelligibles à nos peuples et de leur offrir de nouveaux droits. Son principe a été arrêté par le Conseil européen de Cologne, en juin dernier et le récent Conseil européen de Tampere, dont je vais maintenant vous parler, a permis de progresser dans la procédure d'élaboration.
J'en viens donc au deuxième enjeu, que je souhaite évoquer aujourd'hui, la constitution d'un espace de liberté, de sécurité et de justice. Il est mobilisateur à un double titre : d'abord parce qu'il concerne nos concitoyens dans leur vie quotidienne. Ils doivent pouvoir circuler librement dans l'espace de l'Union européenne, en toute sécurité. Ensuite, parce que ces matières touchent à nos valeurs les plus profondes et posent un certain nombre de questions sensibles : quel équilibre trouver entre la liberté et la sécurité, avec sa dimension répressive, quelle relation instaurer avec l'autre, l'étranger, en veillant à maîtriser l'immigration, mais aussi à assurer une approche de l'asile conforme à notre tradition ?
Ce sont les traités de Maastricht puis d'Amsterdam qui ont contribué à faire entrer ces matières, la Justice et les Affaires intérieures, le IIIème pilier en jargon communautaire, dans le champ de la construction européenne.
Les résultats commencent à être significatifs, comme l'illustrent les conclusions du Conseil européen qui s'est tenu, il y a quelques jours à Tampere en Finlande. Il s'agissait du premier Sommet européen entièrement consacré aux affaires de justice et de police. Il a permis de définir un programme de travail pour les prochaines années, sur la base d'une approche globale et progressive. Elle s'applique d'abord à l'immigration avec le souci d'intégrer les ressortissants de pays tiers entrés légalement en Europe, de renforcer la coopération contre l'immigration clandestine, de progresser vers un régime commun d'asile. L'objectif est aussi de donner de la substance à un véritable espace judiciaire européen, sur la base du principe général de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière utile et pénale. Enfin, la lutte contre la criminalité organisée constitue le troisième volet de ce programme.
Mais notre vision de l'Europe, vous l'avez compris, n'est pas celle d'un espace refermé sur lui-même, crispé sur la préservation de ses politiques communes au bénéfice égoïste de ses membres, satisfaite d'une ambition qui se résumerait à l'euro. L'idée est bien d'apporter une contribution à la paix et à la prospérité du monde. C'est ce que j'appellerai donner vie à l'Europe-puissance. Il ne faut y voir aucune visée hégémonique mais simplement le souci de jouer un rôle sur la scène mondiale à la mesure de notre poids économique et de l'engagement que méritent nos valeurs fondatrices.
Or, la faiblesse de l'Europe sur la scène internationale est malheureusement une réalité. Mais les choses bougent dans le bon sens, plus qu'on ne le dit : la crise du Kosovo a provoqué une prise de conscience salutaire du chemin à parcourir. Au Conseil européen de Cologne, en juin dernier, les Quinze ont affirmé leur détermination de construire cette Europe de la Défense. Il reviendra à la France de faire avancer le dossier sous sa présidence. Doit être aussi mentionnée la prise de fonction, il y a quelques jours de M. Javier Solana, comme Haut Représentant pour la Politique étrangère et de sécurité commune, la PESC. Ce "M. PESC" donne enfin un visage et un numéro de téléphone à la politique étrangère de l'Union. La PESC, dont le cadre et les mécanismes ont été fixés par les traités de Maastricht et d'Amsterdam, prend donc corps progressivement, avec un certain nombre de points d'application. Le processus de paix au Proche-Orient en fait évidemment partie.
Tel est le troisième enjeu que je souhaite évoquer. Il est important, indépendamment de l'intérêt très fort que vous portez à Israël et à son environnement régional, en ce qu'il met bien en lumière tout l'intérêt d'une politique étrangère et de sécurité commune, mais aussi ses limites.
L'arrivée au pouvoir de Ehud Barak, a fait souffler un nouveau vent d'espoir sur cette région. Le climat a changé comme l'a montré l'accord de Charm El Cheikh. J'ai eu l'occasion de rencontrer Ehud Barak, lors de sa visite à Paris, le mois dernier. J'ai été frappé par sa lucidité, sa courageuse détermination face à ses responsabilités qu'il considère à juste titre historiques.
Dans un tel contexte quel peut être l'apport de l'Union européenne à ce processus ?
Je souhaite partir de quelques idées simples pour préciser de notre ambition et la "valeur ajoutée européenne":
- un premier constat s'impose : le sort de la paix est avant tout entre les mains des protagonistes. Le premier service à lui rendre est de ne pas être interventionniste. Aucune partie extérieure, y compris les Etats-Unis, ne peut se substituer aux Israéliens et aux Palestiniens. On a bien vu combien les pressions de Washington sont restés sans effet sur M. Netanyahou. Aujourd'hui, les dirigeants israéliens et Palestiniens sont prêts à assumer leurs responsabilités politiques.
- dans ce contexte, l'Union européenne, comme d'ailleurs les Etats-Unis, doit se fixer des objectifs réalistes pour trouver ses marques dans le paysage de la négociation, avec le seul objectif d'être utile. Notre attitude se résume en un mot : être disponible. Au fil de la négociation, qui connaîtra nécessairement des hauts et des bas, il s'agira évidemment de décliner cette posture : accompagner, faciliter, passer des messages.
Concrètement, l'Union européenne dispose d'une palette de moyens pour apporter sa contribution.
- je voudrais tout d'abord rappeler que l'Union européenne s'attache à développer une stratégie globale pour la région. Le partenariat euro-méditerranéen a été lancé à la Conférence de Barcelone en 1995. Son objectif est de créer une zone de sécurité régionale et de libre échange à l'horizon 2010.
Ce partenariat s'appuie sur différents instruments. Au plan bilatéral, je mentionnerai la série d'accords d'associations conclus par l'Union européenne avec les pays méditerranéens concernés, dont celui signé avec Israël en 1995. Notre pays, est avec la Belgique, le seul à ne pas l'avoir ratifié. Dans le nouveau climat, une issue positive est en vue. Si la décision appartient à l'Assemblée nationale et au Sénat, le Premier Ministre avait exprimé sans ambiguïté la position favorable du gouvernement, juste après la victoire électorale de M. Barak. Le texte sera présenté à l'Assemblée nationale le mois prochain.
Ce partenariat euro-méditerranéen comprend aussi des actions d'assistance financière dans le cadre du programme MEDA.
Au plan multilatéral, l'approche est articulé autour de trois corbeilles : politique et sécurité, économique et financière, social culturel et humain.
La prochain échéance importante est la 4ème conférence ministérielle l'année prochaine. Elle se tiendra sous présidence française. Le Président de la République a également proposé la tenue d'un Sommet euro-méditerranéen, si les circonstances le permettent.
Parallèlement, l'Union européenne met en œuvre sa coopération au développement pour contribuer à construire un Etat palestinien économiquement viable et politiquement démocratique, ce qui correspond à l'intérêt d'Israël. Même si la comptabilisation n'est pas aisée, l'Union européenne et ses Etats membres est globalement le premier contributeur. Je rappellerai enfin le rôle de l'Union dans le cadre du volet multilatéral du processus de paix fixé à Madrid en octobre 1991. L'Union européenne préside le groupe de travail sur le développement économique régional, un des 5 groupes mis en place (les autres concernant la maîtrise des armements, les réfugiés, l'environnement, les ressources en eau).
Ce volet est actuellement en sommeil. Mais je suis convaincu qu'une fois réactivé, il peut permettre de faire émerger des projets extrêmement intéressants.
Ainsi, vous pouvez constater que l'action de l'Union européenne est multiforme. A partir de ces acquis, nous sommes conscients de la nécessité de donner une plus grande visibilité et une meilleure cohérence à sa politique.
Deux initiatives me semblent à cet égard dignes d'intérêt :
- La Méditerranée, incluant évidemment le processus de paix, figure parmi les enjeux retenus en priorité par le Conseil européen de Vienne, en décembre 1998, pour mettre au point une stratégie commune au titre de la PESC. Décidée à l'unanimité par le Conseil européen, elle devra fixer des objectifs et des moyens que l'Union et ses Etats membres s'assigneront sur une période donnée, sur les bases des acquis que je viens de vous présenter. Il s'agit là, me semble-t-il, d'un travail prioritaire auquel pourraient s'atteler en l'an 2000 les Présidences portugaises et françaises.
- la nomination de M. Solana est également porteuse d'espoir. L'envoyé spécial pour le processus de paix que l'Union européenne avait désigné en 1996, M. Angel Moratinos, a su progressivement trouver sa place grâce à sa bonne connaissance des acteurs et de la région. Il a en quelque sorte préfiguré le rôle de M. PESC.
Au delà de ces initiatives, je suis convaincu que l'Union européenne peut aussi faire valoir un apport que j'appellerai conceptuel, au processus de paix.
Nous avons réussi à bâtir un modèle unique d'organisation régionale, sans équivalent dans le monde. Toutes choses égales par ailleurs, il pourrait inspirer, une fois que les conditions politiques seront réunies, les artisans de la paix au Proche-Orient. Mon idée n'est pas de plaquer nos mécanismes sur une réalité régionale différente. Mais l'expérience européenne est riche d'enseignements. La méthode "Monnet", privilégiant une approche graduelle d'intégration commençant par le domaine économique, est pertinente. Et les points d'application ne manqueraient pas, par exemple, pour réaliser de grands projets d'infrastructures structurant à l'échelle de la région.
Ce n'est pas rêver que de s'inspirer des termes célèbres de la déclaration de Robert Schuman, le 9 mai 1950, appelant à nouer entre la France et l'Allemagne, une solidarité de production de charbon et d'acier pour rendre toute guerre "non seulement impensable mais matériellement impossible".
Avant de répondre à vos questions, je voudrais, en guise de conclusion, pour faire part d'une réflexion plus personnelle.
Une véritable politique européenne, c'est d'abord une vision de l'Europe fondée sur des valeurs. Au fil des ans, la question avait été reléguée au second plan derrière les préoccupations premières liées à l'intégration économique avec le marché unique et l'euro. Aujourd'hui, la chute du mur a ouvert l'espace européen. Un certain sentiment de finitude de l'entreprise européenne émerge, en même temps qu'il reste à satisfaire les ambitions de l'Europe politique et les exigences d'une Europe citoyenne. Pour toutes ces raisons, les interrogations relatives au sens du projet européen reviennent au premier plan.
Comment nous situer dans ce contexte ? Etant un responsable politique, je sais ce que signifie la notion d'élu. L'élection implique d'abord des responsabilités et des devoirs. L'Alliance Israélite Universelle en est l'incarnation militante. Elle est ainsi fidèle à Emmanuel Lévinas, un de ses illustres membres, qui, évoquant la tradition judéo-chrétienne à la source de l'Europe, y voyait fondamentalement l'affirmation d'un "lien primordial de responsabilité pour l'autre". C'est pourquoi, il est plus important que jamais que l'Alliance continue à s'impliquer dans ce qui est fondamentalement un combat pour des valeurs.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 octobre 1999)