Texte intégral
Mesdames et Messieurs les hauts magistrats,
Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs les auditeurs de justice,
C'est un grand plaisir et un grand honneur pour moi de participer à cette cérémonie solennelle et émouvante. C'est un moment fort, pour le Garde des Sceaux, ministre de la Justice de venir ici à la rencontre de la promotion 2003 des auditeurs de justice. Ce moment marquera aussi, sans doute, un temps fort de votre vie.
Pour la première fois, vous entrez au prétoire revêtus de la robe, insigne de votre mission, symbole de votre nouvel état.
Vous faites ainsi l'expérience personnelle et partagée de la dimension rituelle et symbolique de la justice.
Ce concours, vous l'avez réussi à l'issue d'études difficiles et brillantes, dans les meilleures écoles, les meilleures facultés et, pour certaines et certains d'entre vous, d'une expérience professionnelle déjà riche.
Ce monde de la justice, et c'est tout le sens de l'événement d'aujourd'hui, vous allez apprendre à le connaître mieux. Vous allez maintenant y entrer de plain pied.
Vous allez bientôt, chacune et chacun d'entre vous, mais aussi tous ensemble, dans le cadre de votre scolarité et au-delà, écrire une nouvelle page de votre vie.
Vous avez choisi un métier qui est aussi, vous le savez, une vocation.
Votre carrière est aussi un engagement.
C'est sur cette vocation, sur cet engagement, que je veux aujourd'hui insister devant vous.
Vous serez bientôt magistrats, dans un monde où vous porterez, en particulier dans l'exercice quotidien de votre métier, des valeurs essentielles. Des valeurs qui donneront un sens à votre vie. Des valeurs qui donneront un sens à vos décisions, aux missions que vous serez appelés à assumer.
Je vois principalement trois valeurs essentielles, trois valeurs de justice, dont vous êtes porteurs :
- des valeurs de confiance ;
- des valeurs de responsabilité ;
- des valeurs d'humanité.
La confiance
La confiance dont je veux d'abord vous parler, c'est la confiance en vous-même. Vous avez réussi un concours très difficile, l'un des plus difficiles de la République. Vous accéderez à l'issue de votre scolarité, à des fonctions importantes, au coeur de l'Etat et de la société. Vous incarnez le mérite, valeur essentielle en République. Vous incarnez la capacité, les vertus et les talents qui fondent la confiance des citoyens au sens de l'article VI de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Cette qualité essentielle, vous allez la développer, au cours de votre formation initiale, au fil de vos séminaires et de vos stages et tout au long de votre carrière, par vos expériences, vos échanges et vos confrontations avec vos collègues, par votre formation continue, autre mission fondamentale de l'Ecole.
Ainsi, vous acquerrez toutes les compétences requises pour comprendre toutes les données des litiges qui vous seront soumis par vos concitoyens.
Les compétences et la qualité des magistrats forment en effet le socle d'une bonne justice, d'une justice incontestée, d'une justice sereine et respectée.
Ces compétences sont de nature technique et juridique naturellement. Elles impliquent aussi une grande ouverture sur le monde tel qu'il est. Les juges en effet ne sont pas des docteurs de la Loi. Ils raisonnent en fonction de situations concrètes qui provoquent à chaque instant la réflexion.
La disponibilité intellectuelle et l'intelligence des situations sont des qualités indispensables.
C'est pourquoi, la formation initiale des futurs magistrats doit être aussi complète que possible, associant théorie et pratique et ouverte aux évolutions de la société. Je sais que des efforts importants ont déjà été accomplis dans ce domaine. Ainsi figurent désormais parmi les cours dispensés à l'Ecole des enseignements d'économie, de comptabilité ou de droit européen.
Les magistrats que vous deviendrez, j'en suis convaincu, seront ouverts sur le monde, au fait des expériences étrangères, à même de suivre les problèmes économiques et sociaux sur le plan européen et international.
Mais, aussi complète soit-elle, votre formation initiale n'est pas tout. Il faut encore que vous
ayez la possibilité, tout au long de votre carrière, de perfectionner et de compléter vos connaissances.
J'attache donc une particulière importance à la formation continue des magistrats. Des progrès sensibles ont été réalisés au cours des dernières années. Il faudra encore amplifier ces efforts pour permettre à l'ensemble du corps judiciaire dont vous allez maintenant faire partie d'avancer au même rythme que la société toute entière.
Par vos compétences et vos qualités, vous inspirerez confiance.
Vous serez ainsi porteurs de la confiance due à la justice. Car, dans une société démocratique, seule la confiance en définitive, inspire le respect.
Garants de la liberté individuelle, forts de leurs compétences, les juges que vous serez deviendront les gardiens des promesses de la démocratie.
C'est tout le sens que je donne à l'appellation " d'autorité judiciaire ", " gardienne de la liberté individuelle " inscrite dans la constitution de 1958.
Cette appellation n'est donc selon moi nullement en rupture avec la notion de " pouvoir judiciaire ", ni avec la conception chère à Montesquieu et bien connue ici à Bordeaux de la " puissance de juger ", " séparée de la puissance législative et de l'exécutrice ".
On attend du juge qu'il dise le droit, mais aussi qu'il dise le juste et le vrai.
C'est dire l'importance de l'autorité qui lui est conférée.
Assurer ainsi le règne du droit dans notre société, telle sera donc votre mission. C'est une mission magnifique. Ce n'est pas une mission impossible.
C'est en tout cas une mission claire qui, si elle ne saurait se résumer à un service public, n'en est pas moins au service du public.
C'est pourquoi vous ne pourrez faire abstraction de l'organisation, de la qualité et de la célérité du service rendu.
Vous serez de même souvent confrontés aux effets de vos décisions.
La confiance envers l'institution exige donc que celle-ci s'appuie sur une organisation, des méthodes et des moyens en cohérence avec l'ambition de la tâche qui vous attend.
Il n'y a pas de bonne justice sans une bonne organisation ni sans une bonne administration.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement et le Parlement ont, avec la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, scellé un nouveau contrat avec les Français pour la justice. Une justice modernisée, par les moyens, par la gestion et par le droit.
Il y va autant d'un impératif d'efficacité que d'une saine gestion des deniers publics.
Moderniser, ce n'est pas seulement traiter plus d'affaires plus vite et à un moindre coût.
C'est aussi rendre la justice plus facile d'accès et compréhensible. C'est enfin lui permettre d'accroître la qualité et la sûreté de ses décisions.
De nombreuses actions sont déjà engagées, qu'il s'agisse :
- de la mise en oeuvre de contrats de juridictions ciblés sur une allocation optimisée de moyens ;
- de programmes pilotes et de méthodes modernes de traitement des flux de contentieux ;
- de la constitution de véritables pôles de traitement de contentieux spécialisés offrant une force de frappe efficace en matière économique, de terrorisme ou de santé publique, par exemple.
Dans le même esprit, de la nécessaire confiance envers l'institution que vous représentez, il me paraît indispensable que les juridictions disposent de structures et d'outils performants pour évaluer leur action et les conditions dans lesquelles fonctionnent le service.
Cette confiance envers l'institution repose donc sur une bonne administration de la justice
tout autant que sur la stabilité de l'institution elle-même.
Je veux ici évoquer en particulier l'unité du corps judiciaire qui est un principe essentiel.
Magistrats du siège et du parquet doivent continuer à former un corps unique, animé de la commune mission de veiller, chacun pour ce qui les concerne, à la garantie du droit et des principes fondamentaux.
Vous découvrirez que l'une des richesses de la magistrature est de pouvoir y exercer une pluralité de métiers.
La responsabilité
Forts de cette confiance, vous pourrez assumer les valeurs inhérentes à vos responsabilités.
On choisit de devenir magistrat pour servir la justice. Ne l'oubliez jamais, vous rendrez la justice au nom du peuple français.
Vous agirez au nom du peuple français. Vous répondrez à ses demandes de justice. Votre Ecole doit vous préparer à cela.
Vos concitoyens attendent de faire valoir leurs droits devant des juges compétents, impartiaux, loyaux et attentifs.
Je n'ai pas besoin d'insister sur les responsabilités qui sont les vôtres. Responsabilités à l'égard du droit. Le droit que vous aurez à appliquer, en veillant dans toutes les situations auxquelles vous serez confrontés à mettre en pratique sa prééminence.
Les Français attendent des pouvoirs publics qu'ils sachent définir une règle stable dans un monde où tout évolue et qu'ils fassent prévaloir l'intérêt général sur la diversité des intérêts particuliers. Ils attendent en un mot qu'ils donnent toute sa force à la loi et tout son sens à l'Etat.
Appliquer la loi sera donc votre première responsabilité.
C'était déjà une tâche difficile lorsque l'action des pouvoirs publics se limitait pour l'essentiel au maintien de l'ordre et à la défense de la souveraineté nationale.
Ce l'est encore plus depuis que la loi joue un rôle actif dans les transformations de la société ou dans la correction de ses déséquilibres.
Appliquer la loi c'est bien sûr sanctionner ceux qui l'enfreignent. C'est aussi veiller, surtout, quand -hélas- ! elle n'est plus compréhensible par tous, qu'elle éclaire chacun sur ses droits et ses devoirs.
La raison d'être de la loi, c'est en effet aussi de renforcer le contenu concret des libertés dont vous serez les garants.
Les meilleures lois du monde ne valent que si elles sont bien appliquées. J'ajoute que le justiciable ne peut se contenter des droits que lui reconnaissent les lois et les règlements. Il a également besoin de voies de recours efficaces et rapides pour obtenir justice lorsque ses droits sont méconnus.
Le Gouvernement et le Parlement se sont attachés à mettre la justice en mesure de répondre aux attentes des Français. C'est une exigence essentielle.
Cet engagement de la Nation en faveur de la justice doit évidemment être accompagné d'une indispensable mobilisation des magistrats.
Vous aurez à veiller à l'application effective du droit. Dans vos décisions. Mais aussi en aval de vos décisions. Vous aurez, en particulier, à veiller à l'exécution des décisions de justice. Aux mesures de prise en charge éducatives, familiales, thérapeutiques, qui doivent les accompagner. Vous aurez à coeur de vous préoccuper, non seulement du bien fondé et de l'exécution de ces mesures, mais aussi de leur évaluation.
Appliquer la loi enfin suppose nécessairement, d'accepter la décision du juge lorsqu'elle est rendue. C'est pourquoi je me réjouis de l'attention de plus en plus grande portée aux décisions judiciaires. Cette évolution participe de l'approfondissement de l'Etat de droit. L'esprit de justice commence par le respect du droit et par le respect de ceux qui disent le droit.
Les valeurs de responsabilité sont donc aussi des valeurs de respect.
Respect du droit. Respect des libertés. Respect du principe fondamental de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Respect des principes de la hiérarchie et de l'indivisibilité du parquet. Respect aussi, pour tous les juges, de la déontologie et de la discipline, mission essentielle du conseil supérieur de la magistrature.
Dans une société qui demande à chacun des comptes, nul ne saurait échapper à ses responsabilités, pas même les juges.
Et ces responsabilités sont à la hauteur de la confiance, de l'autorité, du respect que vous représentez. Elles sont aussi à la hauteur des valeurs à mon sens les plus importantes que vous incarnez, les valeurs d'humanité.
L'humanité
Au coeur du droit, au coeur de la justice, au coeur de vos missions futures, il y a en effet l'humain.
J'évoquais il y a un instant les qualités et les compétences techniques, juridiques et professionnelles qui seront les vôtres.
Parmi ces qualités, il en est qui me paraissent primordiales : ce sont en effet les qualités humaines. Les qualités de bon sens, je veux dire du sens commun que réclame ce bien commun qu'est la justice.
Sens de l'essentiel, volonté de comprendre, esprit d'ouverture, refus des certitudes, indépendance, y compris vis-à-vis de l'opinion : autant de traits de caractère indispensables lorsque l'on travaille directement la " pâte humaine " ; lorsque l'on est amené à prendre des décisions qui peuvent bouleverser le cours d'une existence, l'équilibre d'un famille ou le destin d'une entreprise.
Vous aurez à prendre des décisions lourdes de conséquences dans la vie des gens. Vous serez confrontés à la douleur, à la souffrance. Une souffrance parfois si aiguë qu'elle est indicible.
Et pourtant il vous faudra dire le droit, décider, trancher. En toute impartialité. En toute objectivité. Sans vous départir de votre sens de l'humanité.
Vous devrez, en prenant ces décisions, non seulement résoudre les litiges, assurer le respect des règles, mais aussi réduire les fractures de la société et panser les plaies de la vie.
Vous devrez donc être particulièrement attentifs aux justiciables et parmi ceux-ci aux victimes, trop longtemps " oubliées des prétoires ". Trop souvent en effet les victimes souffrent, en plus de leurs douleurs, de l'injustice. Les juges que vous serez peuvent et doivent les aider à reconstruire pour dépasser leurs souffrances. Vous aurez à coeur d'améliorer leur information et de veiller à leur place au cours des procédures.
Les juges que vous serez auront à coeur de veiller d'une manière générale à l'accueil des justiciables, dans des moments souvent importants de leur vie.
Ces valeurs humaines, vous aurez à les traduire dans ces moments parfois intimes. Vous serez non seulement les interprètes éclairés des textes, mais aussi de la société qui vous entoure. Le " motif légitime " d'un licenciement, " l'ordre public ", " les bonnes moeurs ", " l'intérêt de l'enfant ", etc sont des notions vivantes que vous aurez à faire passer dans les faits, en conjuguant le respect du droit et des principes fondamentaux avec les exigences éthiques et humaines qui sont, en de telles matières, décisives.
La dignité et la loyauté dont vous ferez dans quelques instants le serment prendront alors tout leur sens.
Ces valeurs d'humanité, vous les porterez aussi autour de vous, auprès des magistrats et des fonctionnaires de justice qui vous entoureront, vous conseilleront, vous guideront, vous assisteront dans votre tâche.
Car vous ne serez pas seuls, vous ne réussirez pas seuls. Vous serez soumis aux décisions des juges des degrés de juridictions plus élevés. Vous serez soumis à la critique doctrinale de l'université. Vous serez soumis à l'évaluation des chefs de juridictions.
Vous serez de plus en plus des chefs d'équipes, au sein de la justice, et des partenaires actifs de multiples politiques publiques qui ne pourront porter leurs fruits sans votre concours.
Dans une démocratie d'opinion, vous serez aussi parfois soumis au jugement de l'opinion publique. Mais ce n'est pas en soi une valeur.
En définitive, il est une valeur essentielle, qui résume sans doute toutes les autres et que vous aurez à construire au fil du temps : c'est celle de votre conscience. Elle est personnelle et intime, certes.
Elle doit être aussi conscience de la cité, car vous êtes au coeur de la cité. Elle doit être conscience du bien commun qu'est la justice, car vous serez, demain, au coeur de la justice.
Je vous souhaite de tout coeur, à chacune et à chacun d'entre vous, bonne chance et bon courage.
Je vous souhaite une pleine réussite.
Je vous souhaite de vivre pleinement le serment que vous allez prêter.
Je vous remercie.
(source http://www.enm.justice.fr, le 3 mars 2003)
Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs les auditeurs de justice,
C'est un grand plaisir et un grand honneur pour moi de participer à cette cérémonie solennelle et émouvante. C'est un moment fort, pour le Garde des Sceaux, ministre de la Justice de venir ici à la rencontre de la promotion 2003 des auditeurs de justice. Ce moment marquera aussi, sans doute, un temps fort de votre vie.
Pour la première fois, vous entrez au prétoire revêtus de la robe, insigne de votre mission, symbole de votre nouvel état.
Vous faites ainsi l'expérience personnelle et partagée de la dimension rituelle et symbolique de la justice.
Ce concours, vous l'avez réussi à l'issue d'études difficiles et brillantes, dans les meilleures écoles, les meilleures facultés et, pour certaines et certains d'entre vous, d'une expérience professionnelle déjà riche.
Ce monde de la justice, et c'est tout le sens de l'événement d'aujourd'hui, vous allez apprendre à le connaître mieux. Vous allez maintenant y entrer de plain pied.
Vous allez bientôt, chacune et chacun d'entre vous, mais aussi tous ensemble, dans le cadre de votre scolarité et au-delà, écrire une nouvelle page de votre vie.
Vous avez choisi un métier qui est aussi, vous le savez, une vocation.
Votre carrière est aussi un engagement.
C'est sur cette vocation, sur cet engagement, que je veux aujourd'hui insister devant vous.
Vous serez bientôt magistrats, dans un monde où vous porterez, en particulier dans l'exercice quotidien de votre métier, des valeurs essentielles. Des valeurs qui donneront un sens à votre vie. Des valeurs qui donneront un sens à vos décisions, aux missions que vous serez appelés à assumer.
Je vois principalement trois valeurs essentielles, trois valeurs de justice, dont vous êtes porteurs :
- des valeurs de confiance ;
- des valeurs de responsabilité ;
- des valeurs d'humanité.
La confiance
La confiance dont je veux d'abord vous parler, c'est la confiance en vous-même. Vous avez réussi un concours très difficile, l'un des plus difficiles de la République. Vous accéderez à l'issue de votre scolarité, à des fonctions importantes, au coeur de l'Etat et de la société. Vous incarnez le mérite, valeur essentielle en République. Vous incarnez la capacité, les vertus et les talents qui fondent la confiance des citoyens au sens de l'article VI de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Cette qualité essentielle, vous allez la développer, au cours de votre formation initiale, au fil de vos séminaires et de vos stages et tout au long de votre carrière, par vos expériences, vos échanges et vos confrontations avec vos collègues, par votre formation continue, autre mission fondamentale de l'Ecole.
Ainsi, vous acquerrez toutes les compétences requises pour comprendre toutes les données des litiges qui vous seront soumis par vos concitoyens.
Les compétences et la qualité des magistrats forment en effet le socle d'une bonne justice, d'une justice incontestée, d'une justice sereine et respectée.
Ces compétences sont de nature technique et juridique naturellement. Elles impliquent aussi une grande ouverture sur le monde tel qu'il est. Les juges en effet ne sont pas des docteurs de la Loi. Ils raisonnent en fonction de situations concrètes qui provoquent à chaque instant la réflexion.
La disponibilité intellectuelle et l'intelligence des situations sont des qualités indispensables.
C'est pourquoi, la formation initiale des futurs magistrats doit être aussi complète que possible, associant théorie et pratique et ouverte aux évolutions de la société. Je sais que des efforts importants ont déjà été accomplis dans ce domaine. Ainsi figurent désormais parmi les cours dispensés à l'Ecole des enseignements d'économie, de comptabilité ou de droit européen.
Les magistrats que vous deviendrez, j'en suis convaincu, seront ouverts sur le monde, au fait des expériences étrangères, à même de suivre les problèmes économiques et sociaux sur le plan européen et international.
Mais, aussi complète soit-elle, votre formation initiale n'est pas tout. Il faut encore que vous
ayez la possibilité, tout au long de votre carrière, de perfectionner et de compléter vos connaissances.
J'attache donc une particulière importance à la formation continue des magistrats. Des progrès sensibles ont été réalisés au cours des dernières années. Il faudra encore amplifier ces efforts pour permettre à l'ensemble du corps judiciaire dont vous allez maintenant faire partie d'avancer au même rythme que la société toute entière.
Par vos compétences et vos qualités, vous inspirerez confiance.
Vous serez ainsi porteurs de la confiance due à la justice. Car, dans une société démocratique, seule la confiance en définitive, inspire le respect.
Garants de la liberté individuelle, forts de leurs compétences, les juges que vous serez deviendront les gardiens des promesses de la démocratie.
C'est tout le sens que je donne à l'appellation " d'autorité judiciaire ", " gardienne de la liberté individuelle " inscrite dans la constitution de 1958.
Cette appellation n'est donc selon moi nullement en rupture avec la notion de " pouvoir judiciaire ", ni avec la conception chère à Montesquieu et bien connue ici à Bordeaux de la " puissance de juger ", " séparée de la puissance législative et de l'exécutrice ".
On attend du juge qu'il dise le droit, mais aussi qu'il dise le juste et le vrai.
C'est dire l'importance de l'autorité qui lui est conférée.
Assurer ainsi le règne du droit dans notre société, telle sera donc votre mission. C'est une mission magnifique. Ce n'est pas une mission impossible.
C'est en tout cas une mission claire qui, si elle ne saurait se résumer à un service public, n'en est pas moins au service du public.
C'est pourquoi vous ne pourrez faire abstraction de l'organisation, de la qualité et de la célérité du service rendu.
Vous serez de même souvent confrontés aux effets de vos décisions.
La confiance envers l'institution exige donc que celle-ci s'appuie sur une organisation, des méthodes et des moyens en cohérence avec l'ambition de la tâche qui vous attend.
Il n'y a pas de bonne justice sans une bonne organisation ni sans une bonne administration.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement et le Parlement ont, avec la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, scellé un nouveau contrat avec les Français pour la justice. Une justice modernisée, par les moyens, par la gestion et par le droit.
Il y va autant d'un impératif d'efficacité que d'une saine gestion des deniers publics.
Moderniser, ce n'est pas seulement traiter plus d'affaires plus vite et à un moindre coût.
C'est aussi rendre la justice plus facile d'accès et compréhensible. C'est enfin lui permettre d'accroître la qualité et la sûreté de ses décisions.
De nombreuses actions sont déjà engagées, qu'il s'agisse :
- de la mise en oeuvre de contrats de juridictions ciblés sur une allocation optimisée de moyens ;
- de programmes pilotes et de méthodes modernes de traitement des flux de contentieux ;
- de la constitution de véritables pôles de traitement de contentieux spécialisés offrant une force de frappe efficace en matière économique, de terrorisme ou de santé publique, par exemple.
Dans le même esprit, de la nécessaire confiance envers l'institution que vous représentez, il me paraît indispensable que les juridictions disposent de structures et d'outils performants pour évaluer leur action et les conditions dans lesquelles fonctionnent le service.
Cette confiance envers l'institution repose donc sur une bonne administration de la justice
tout autant que sur la stabilité de l'institution elle-même.
Je veux ici évoquer en particulier l'unité du corps judiciaire qui est un principe essentiel.
Magistrats du siège et du parquet doivent continuer à former un corps unique, animé de la commune mission de veiller, chacun pour ce qui les concerne, à la garantie du droit et des principes fondamentaux.
Vous découvrirez que l'une des richesses de la magistrature est de pouvoir y exercer une pluralité de métiers.
La responsabilité
Forts de cette confiance, vous pourrez assumer les valeurs inhérentes à vos responsabilités.
On choisit de devenir magistrat pour servir la justice. Ne l'oubliez jamais, vous rendrez la justice au nom du peuple français.
Vous agirez au nom du peuple français. Vous répondrez à ses demandes de justice. Votre Ecole doit vous préparer à cela.
Vos concitoyens attendent de faire valoir leurs droits devant des juges compétents, impartiaux, loyaux et attentifs.
Je n'ai pas besoin d'insister sur les responsabilités qui sont les vôtres. Responsabilités à l'égard du droit. Le droit que vous aurez à appliquer, en veillant dans toutes les situations auxquelles vous serez confrontés à mettre en pratique sa prééminence.
Les Français attendent des pouvoirs publics qu'ils sachent définir une règle stable dans un monde où tout évolue et qu'ils fassent prévaloir l'intérêt général sur la diversité des intérêts particuliers. Ils attendent en un mot qu'ils donnent toute sa force à la loi et tout son sens à l'Etat.
Appliquer la loi sera donc votre première responsabilité.
C'était déjà une tâche difficile lorsque l'action des pouvoirs publics se limitait pour l'essentiel au maintien de l'ordre et à la défense de la souveraineté nationale.
Ce l'est encore plus depuis que la loi joue un rôle actif dans les transformations de la société ou dans la correction de ses déséquilibres.
Appliquer la loi c'est bien sûr sanctionner ceux qui l'enfreignent. C'est aussi veiller, surtout, quand -hélas- ! elle n'est plus compréhensible par tous, qu'elle éclaire chacun sur ses droits et ses devoirs.
La raison d'être de la loi, c'est en effet aussi de renforcer le contenu concret des libertés dont vous serez les garants.
Les meilleures lois du monde ne valent que si elles sont bien appliquées. J'ajoute que le justiciable ne peut se contenter des droits que lui reconnaissent les lois et les règlements. Il a également besoin de voies de recours efficaces et rapides pour obtenir justice lorsque ses droits sont méconnus.
Le Gouvernement et le Parlement se sont attachés à mettre la justice en mesure de répondre aux attentes des Français. C'est une exigence essentielle.
Cet engagement de la Nation en faveur de la justice doit évidemment être accompagné d'une indispensable mobilisation des magistrats.
Vous aurez à veiller à l'application effective du droit. Dans vos décisions. Mais aussi en aval de vos décisions. Vous aurez, en particulier, à veiller à l'exécution des décisions de justice. Aux mesures de prise en charge éducatives, familiales, thérapeutiques, qui doivent les accompagner. Vous aurez à coeur de vous préoccuper, non seulement du bien fondé et de l'exécution de ces mesures, mais aussi de leur évaluation.
Appliquer la loi enfin suppose nécessairement, d'accepter la décision du juge lorsqu'elle est rendue. C'est pourquoi je me réjouis de l'attention de plus en plus grande portée aux décisions judiciaires. Cette évolution participe de l'approfondissement de l'Etat de droit. L'esprit de justice commence par le respect du droit et par le respect de ceux qui disent le droit.
Les valeurs de responsabilité sont donc aussi des valeurs de respect.
Respect du droit. Respect des libertés. Respect du principe fondamental de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Respect des principes de la hiérarchie et de l'indivisibilité du parquet. Respect aussi, pour tous les juges, de la déontologie et de la discipline, mission essentielle du conseil supérieur de la magistrature.
Dans une société qui demande à chacun des comptes, nul ne saurait échapper à ses responsabilités, pas même les juges.
Et ces responsabilités sont à la hauteur de la confiance, de l'autorité, du respect que vous représentez. Elles sont aussi à la hauteur des valeurs à mon sens les plus importantes que vous incarnez, les valeurs d'humanité.
L'humanité
Au coeur du droit, au coeur de la justice, au coeur de vos missions futures, il y a en effet l'humain.
J'évoquais il y a un instant les qualités et les compétences techniques, juridiques et professionnelles qui seront les vôtres.
Parmi ces qualités, il en est qui me paraissent primordiales : ce sont en effet les qualités humaines. Les qualités de bon sens, je veux dire du sens commun que réclame ce bien commun qu'est la justice.
Sens de l'essentiel, volonté de comprendre, esprit d'ouverture, refus des certitudes, indépendance, y compris vis-à-vis de l'opinion : autant de traits de caractère indispensables lorsque l'on travaille directement la " pâte humaine " ; lorsque l'on est amené à prendre des décisions qui peuvent bouleverser le cours d'une existence, l'équilibre d'un famille ou le destin d'une entreprise.
Vous aurez à prendre des décisions lourdes de conséquences dans la vie des gens. Vous serez confrontés à la douleur, à la souffrance. Une souffrance parfois si aiguë qu'elle est indicible.
Et pourtant il vous faudra dire le droit, décider, trancher. En toute impartialité. En toute objectivité. Sans vous départir de votre sens de l'humanité.
Vous devrez, en prenant ces décisions, non seulement résoudre les litiges, assurer le respect des règles, mais aussi réduire les fractures de la société et panser les plaies de la vie.
Vous devrez donc être particulièrement attentifs aux justiciables et parmi ceux-ci aux victimes, trop longtemps " oubliées des prétoires ". Trop souvent en effet les victimes souffrent, en plus de leurs douleurs, de l'injustice. Les juges que vous serez peuvent et doivent les aider à reconstruire pour dépasser leurs souffrances. Vous aurez à coeur d'améliorer leur information et de veiller à leur place au cours des procédures.
Les juges que vous serez auront à coeur de veiller d'une manière générale à l'accueil des justiciables, dans des moments souvent importants de leur vie.
Ces valeurs humaines, vous aurez à les traduire dans ces moments parfois intimes. Vous serez non seulement les interprètes éclairés des textes, mais aussi de la société qui vous entoure. Le " motif légitime " d'un licenciement, " l'ordre public ", " les bonnes moeurs ", " l'intérêt de l'enfant ", etc sont des notions vivantes que vous aurez à faire passer dans les faits, en conjuguant le respect du droit et des principes fondamentaux avec les exigences éthiques et humaines qui sont, en de telles matières, décisives.
La dignité et la loyauté dont vous ferez dans quelques instants le serment prendront alors tout leur sens.
Ces valeurs d'humanité, vous les porterez aussi autour de vous, auprès des magistrats et des fonctionnaires de justice qui vous entoureront, vous conseilleront, vous guideront, vous assisteront dans votre tâche.
Car vous ne serez pas seuls, vous ne réussirez pas seuls. Vous serez soumis aux décisions des juges des degrés de juridictions plus élevés. Vous serez soumis à la critique doctrinale de l'université. Vous serez soumis à l'évaluation des chefs de juridictions.
Vous serez de plus en plus des chefs d'équipes, au sein de la justice, et des partenaires actifs de multiples politiques publiques qui ne pourront porter leurs fruits sans votre concours.
Dans une démocratie d'opinion, vous serez aussi parfois soumis au jugement de l'opinion publique. Mais ce n'est pas en soi une valeur.
En définitive, il est une valeur essentielle, qui résume sans doute toutes les autres et que vous aurez à construire au fil du temps : c'est celle de votre conscience. Elle est personnelle et intime, certes.
Elle doit être aussi conscience de la cité, car vous êtes au coeur de la cité. Elle doit être conscience du bien commun qu'est la justice, car vous serez, demain, au coeur de la justice.
Je vous souhaite de tout coeur, à chacune et à chacun d'entre vous, bonne chance et bon courage.
Je vous souhaite une pleine réussite.
Je vous souhaite de vivre pleinement le serment que vous allez prêter.
Je vous remercie.
(source http://www.enm.justice.fr, le 3 mars 2003)