Interview de M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, à "France 2" le 5 février 2003, sur le bilan du deficit budgétaire 2002, les mesures de politique budgétaire préventive, notamment le "gel" de 4 milliards d'euro, le projet d'allègement de l'impôt sur la fortune, et sur la forte augmentation de la fiscalité locale, due au financement accru de l'aide aux personnes âgées et du RMI.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde-. Les comptes ne sont pas flambants, un déficit qui s'approche des 3%... F. Mer avait une jolie formule, hier, il disait : " Il faut réduire un certain nombre de dépenses parce qu'autrement, nous allons dans le mur, et comme vous le savez, le mur n'est pas très loin.
- "On aurait souhaité des comptes meilleurs, mais on savait en même temps qu'on ne pouvait pas corriger en six mois cinq années de laxisme budgétaire. Donc, on n'est pas tellement surpris, néanmoins, par les résultats. Il demeure que nous avons, à l'occasion de cette gestion 2002, purgé le passé. Cela nous permet de redémarrer en 2003 sur des bases solides. Je suis quand même confiant sur une bonne exécution du budget 2003."
Vous dites cinq années de laxisme budgétaire ; on a un peu l'habitude d'entendre à chaque fois que c'est la faute...
- "L'héritage."
L'héritage... Des exemples concrets de laxisme budgétaire, vous pouvez nous en donner ?
- "Vous laissez filer la dépense parce que la croissance vous apporte des ressources qui sont non pérennes, tout simplement parce que vous avez de bonnes années de croissance ; vous engagez des dépenses pérennes et puis le jour où la croissance vous quitte, vous vous retrouvez avec un excès de dépenses et vous avez un déficit qui jaillit."
Cela veut dire quoi ? Que vous avez trouvé des dépenses qui n'étaient pas du tout financées ?
- "On va prendre un exemple concret. Moi, j'aurais eu à financer cette année trois primes de Noël : la prime de Noël décidée par le présent Gouvernement, qui est celle de 2002, mais aussi celle de 2001 qui n'avait pas été payée ou pas remboursée à la Caisse d'allocations familiales, ni celle de 2000. Nous avons des exemples comme cela, qui montrent qu'en effet nous n'avions pas des comptes qui étaient sincères. Cela étant, il faut travailler pour préparer 2003, dans de bonnes conditions. Je veux vous dire que je reste confiant car, en effet, nous avons des recettes fiscales qui sont quand même au rendez-vous et nous devrions pouvoir tenir le déficit budgétaire que nous avons prévu."
Quand il y a déficit, il y a forcément des recettes qui ne rentrent pas assez, des dépenses qui augmentent ; qu'est-ce qui est le plus préoccupant aujourd'hui ? C'est l'augmentation des dépenses ou la baisse des recettes ?
- "D'abord, il faut que la croissance soit au rendez-vous, puisque c'est elle qui nous offre les recettes fiscales. Je dois vous dire que de ce point de vue, elles ne nous ont pas déçus sur 2002. Pour l'impôt sur les sociétés, qui est l'impôt payé par les entreprises, nous sommes en ligne par rapport à ce que nous avions prévu. Pour l'impôt sur le revenu, qui est payé par les personnes physiques, nous sommes aussi en ligne, en tout cas sur les rôles qui sont émis, même si nous n'avons pas tout à fait encaissé ce que nous aurions souhaité au cours du mois de décembre. Nous avons également une bonne tenue de la TVA, une petite déception cependant sur la TIPP..."
La taxe sur les produits pétroliers, celle qu'on paie à la pompe à essence.
- "Voilà, mais nous sommes à peu près en ligne avec ce que nous avions prévu."
Vous annoncez un gel de 4 milliards - de 3,9 milliards de crédits. Les socialistes disent que c'est un plan de rigueur qui ne dit pas son nom ; 4 milliards, cela fait beaucoup de choses qu'on ne va pas pouvoir financer... Sur quoi allez-vous économiser ?
- " "Gel", ça ne parle pas beaucoup aux Français, sauf à cette période de l'année. Mais le gel c'est une réserve de précaution, c'est-à-dire qu'au sein du budget de l'Etat, nous mettons de côté 4 milliards d'euros pour faire face aux aléas de gestion en cours d'année. Cela représente 1,5% de l'ensemble des dépenses de l'Etat, c'est donc raisonnable. Quel ménage n'accepterait pas, s'il y avait des menaces sur ses ressources, de mettre de côté 1,5% de ses ressources ?"
Donc, vous dites aux administrations concernées, c'est à vous mais vous n'y touchez pas ?
- "Ces crédits vous ont été votés, ils restent dans votre budget, simplement ne les engagez pas au début de l'année, parce qu'il peut y avoir des aléas de gestion en cours d'année et nous verrons à dégeler, ou à vous libérer ces crédits, en cours d'année, en fonction des exécutions."
Il y a quand même un télescopage pour le moins malheureux, pour ne pas dire plus, au moment où vous annoncez que les comptes sont dans une mauvaise passe, que les dépenses augmentent, que les recettes ne sont pas faramineuses, voilà-t-y pas que par-dessus le marché, il faut alléger l'ISF, l'impôt sur la fortune ! On vient de voir que 57% des Français y sont opposés. Cela ne fait pas deux poids deux mesures ? On allège l'impôt des riches et on essaie de combler le déficit public comme on peut ?
- "S'agissant de l'ISF, c'est un sujet qui est tabou mais je pense qu'il faudrait pouvoir, en parler, de manière simple. Il y a des enjeux de compétitivité dans notre pays, il faut pouvoir accueillir, dans notre pays, les entreprises, il faut pouvoir les conserver parce que ce sont les entreprises qui offrent des emplois. Cet impôt a malheureusement pour effet d'inciter un certain nombre d'entrepreneurs à quitter notre territoire. Ceci est contraire à l'intérêt de ceux qui veulent conserver leur emploi..."
...Il y a des familles qui sont parties à l'étranger en emportant le patrimoine familial ?
- "Il y a des familles, en effet, qui ont intérêt à s'implanter à l'étranger - je ne dis pas qu'elles le font toutes d'ailleurs. Mais il demeure que ce que nous voulons pour les Français, ce sont des emplois. Donc, cet impôt est plutôt contraire à l'emploi, il faut le réaménager. Il ne s'agit pas de faire un cadeau à des riches, il s'agit de faire en sorte que l'argent, comme le Premier ministre l'a dit, puisse servir à l'emploi des Français."
Ces comptes publics ne doivent pas dépasser la barre des 3% imposée par Maastricht, mais il n'y a pas que le budget dans les comptes publics, il y a aussi, ce qu'on appelle les comptes sociaux, c'est-à-dire les dépenses de sécurité sociale, les dépenses des collectivités locales. Est-ce que vous pensez qu'on va être limite, en dessous des 3% ? Quand est-ce qu'on le saura ?
- "On doit en approcher. Mais le budget de l'Etat c'est relativement peu par rapport à l'ensemble, avec comptes sociaux, comptes des collectivités locales. Il n'est au pouvoir de personne, aujourd'hui, de dire si nous sommes à 3%. Néanmoins, nous devons en approcher ; nous devrions le savoir courant mars prochain. A partir de là, nous aurons la réponse. Ce que je souhaite c'est que nous soyons un peu en dessous de 3%."
Parmi ce qui pèse dans les comptes publics, arrêtons-nous sur les collectivités locales. Les collectivités locales se plaignent beaucoup de l'augmentation de l'APA, l'aide aux personnes âgées, qu'elles doivent financer, du RMI qui coûte très cher. Est-ce qu'il y a des dispositions qui pourraient être prises pour refinancer, freiner ce type de dépenses et lesquelles ?
- "Oui, les collectivités locales, en effet, doivent payer des droits qui sont d'ailleurs ouverts par le Parlement, ce qui a pour effet d'augmenter considérablement leurs impôts..."
La fiscalité locale.
- "Voilà. Depuis ce matin, on entend parler de cette fameuse APA qui est l'aide aux personnes qui ne sont plus autonomes ; les départements voient exploser leurs dépenses en la matière. Il faudrait donc revoir cette question. Il y a un débat qui mériterait d'ailleurs d'être discuté avec les Français, c'est celui du recours sur succession."
Le recours sur succession, c'est important : cela veut dire que par exemple, je touche le RMI ou je bénéficie de l'APA, mais au moment de mon décès, on prend sur mon héritage, c'est ça l'idée ?
- "J'ai peu de ressources mais j'ai un patrimoine, la collectivité m'aide jusqu'au jour de mon décès pour faire face à mes difficultés, mais chacun comprendra, puisque la collectivité m'a aidé, que le capital dont je dispose puisse servir partiellement au remboursement de la collectivité."
Parce qu'il y a un peu d'abus parfois sur certains allocataires du RMI ou de l'APA ? Parce que tout le monde en profite, parce qu'on se dit qu'on y a droit quel que soit son revenu.
- "Vous pouvez être milliardaire et recevoir l'APA, milliardaire en capital.."
Etre fils de famille et toucher le RMI ?
- "Par exemple. Je crois que tout cela mériterait d'être regardé de près. Si les Français savaient ce qui est fait de leur argent, je pense qu'ils seraient beaucoup plus, beaucoup plus sévères que nous."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 février 2003)