Interview de M. Dominique Perben, ministre de la justice, à RFI le 5 mai 2003, sur la réunion des ministres de la justice du G8 à Paris, avec la participation notamment du ministre américain, pour coordonner la lutte contre le terrorisme et les paradis fiscaux, pour les échanges d'information sur les "fichiers ADN", sur la situation des détenus de Guantanamo et sur les réformes mises en oeuvre par le gouvernement.

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Circonstance : Réunion des ministres de la justice du G8 à Paris le 5 mai 2003

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

P. Ganz-. Bonjour D. Perben.
- "Bonjour."
Aujourd'hui à Paris, les huit ministres de la Justice et les huit ministres de l'Intérieur, de ce que l'on appelle le G8, ce groupe des pays les plus riches du monde plus la Russie - qui se réunira d'ailleurs en sommet à Evian au début du mois de juin - donc tous ces hommes sont réunis autour de vous et N. Sarkozy pour préparer des dispositions concernant la Justice et la Sécurité. Parmi ces hommes, il y a l'Américain J. Ashcroft. Est-ce que cela signifie que les désaccords franco-américains font partie désormais du passé ?
- "Sans doute et puis surtout ça signifie qu'en matière de coopération policière et judiciaire, les choses ne se sont jamais arrêtées et je peux en porter témoignage. La coopération ça marche, avec les Etats-Unis comme avec les autres pays et en particulier dans la perspective de la lutte anti-terroriste. Nous avons toujours collaboré d'une manière extrêmement positive, aussi bien au niveau des services d'enquêtes qu'au niveau judiciaire et je n'ai cessé d'avoir de contacts avec mon collègue J. Ashcroft qui, effectivement, est à Paris depuis hier soir. "
Même pendant que J. Chirac et G. Bush ne se parlaient pas, vous continuiez à maintenir ce sommet.
- "Nous avons l'habitude de nous téléphoner régulièrement avec M. Ashcroft."
Alors, vous allez pendant cette journée, D. Perben, avec toutes ces personnalités, parler notamment de la lutte contre le terrorisme qui va être en filigrane de ces discussions. Il y a le projet d'adopter 29 principes pour améliorer le contrôle, la saisie, le gel des capitaux. Est-ce qu'il ne faut pas aussi mettre en cause le principe des paradis fiscaux, des lieux off-shore ?
- "Bien sûr, vous avez mille fois raison. Qu'est-ce que c'est le G8 ? Le G8 c'est donc les huit puissances les plus importantes. Nous convenons de règles pour nous-mêmes, mais nous avons aussi la prétention de faire en sorte que, par conviction, nous amenions d'autres pays à adopter les mêmes règles, par exemple en matière de gel des avoirs ou de contrôle des mouvements de capitaux. Et le fait que ces huit pays soient d'accord pour faire quelque chose ensemble, ça pèse quand même assez lourd sur l'ensemble du monde et donc cela peut amener les autres pays et nous allons faire en sorte que les autres pays adoptent les mêmes règles."
Est-ce que vous pourriez faire quelque chose ensemble contre ces pays qui sont des paradis fiscaux.
- "Eh bien, c'est aussi le but de ces réunions, bien sûr."
Par exemple.
- "De faire en sorte que les échanges d'informations que nous nous passons entre nous, en particulier sur les mouvements bancaires, permettent de savoir ce qui se passe sur certains paradis fiscaux, parce que les paradis fiscaux c'est bien mais en général, je crois que les gens aiment bien en sortir à un moment donné, ou il leur arrive aussi d'y rentrer. Donc si l'ensemble des autres pays concernés ont des informations et les échangent entre eux, ça peut permettre, effectivement, de suivre certains circuits d'argent sale."
Est-ce qu'il n'y a pas un maillon faible dans le G8 sur ce dossier de l'argent sale qui serait la Russie ?
- "La Russie fait un très gros effort de normalisation de son système judiciaire et de son système policier."
Est-ce que vous souhaitez que les contacts entre magistrats qui enquêtent par exemple sur des flux d'argent suspect, soient plus rapides, qu'ils court-circuitent la voie diplomatique ?
- "Les mesures que nous allons adopter aujourd'hui sortent des soucis, ont été proposées par les praticiens, c'est ça qu'il faut bien comprendre. Notre but c'est d'être concret, donc ce sont des magistrats, des policiers, qui nous ont proposé ces codes de bonne conduite que nous allons adopter au niveau des ministres. Cela veut donc dire, bien entendu, que c'est dans cet esprit que vous dites que nous allons travailler, faire en sorte par exemple que les magistrats soient moins gênés que jusqu'ici de par la durée des échanges d'informations. Sur le plan européen, je propose dans le texte " Grande criminalité " qui sera examiné par l'Assemblée nationale en mai prochain, dans quelques jours maintenant, la possibilité pour les magistrats au sein de l'Europe, de communiquer, de se communiquer directement les informations, sans passer par la voie diplomatique."
Cela pourrait se faire aussi vers la Russie, vers les Etats-Unis, vers le Canada, vers le Japon ?
- "Pour l'instant, honnêtement, on n'en est pas là. Ça suppose un degré de confiance réciproque entre magistrats, extrêmement élevé, mais je dirais qu'au sein de l'Europe, nous donnons l'exemple et c'est vrai que pour les magistrats, ce sera un avantage par rapport au passé tout à fait important pour leurs enquêtes."
Vous allez travailler aussi aujourd'hui, dans le cadre de cette lutte contre la criminalité, à l'échange d'informations ADN entre magistrats, entre policiers. Quelle délinquance cela va-t-il concerner ?
- "Cela peut concerner toute forme de délinquance. Vous savez que les fichiers ADN, c'est un peu les empreintes digitales du monde moderne, c'est-à-dire que ça permet effectivement d'identifier sans trop se tromper et sans quasiment aucun risque de se tromper, même, l'auteur éventuel d'un délit, donc tous ces pays sont en train de se doter de fichiers ADN. La France, à l'initiative de N. Sarkozy, a modifié ses textes, là-dessus, il y a quelques mois, et on va avoir enfin un fichier digne de ce nom. Certains pays ne l'ont pas encore fait, comme la Russie qui ne dispose pas de ça. Mais ceux qui l'ont fait, nous allons mettre au point un système d'échange d'informations nous permettant de bénéficier des fichiers des autres."
Mais est-ce qu'à terme, ces fichiers seront interconnectés ?
- "Je ne pense pas que l'on puisse parler d'interconnexion au sens technique, mais ce qu'il faut c'est que lorsque nous demandons une information à un pays, c'est que cette information se présente d'une façon telle qu'elle soit exploitable par nous."
Et est-ce que ça ne pose pas des problème de garantie des droits des personnes ?
- "Ah non, je pense que ça défend plutôt les droits des personnes puisque c'est le moyen, l'ADN, on l'a vu sur certaines affaires criminelles récentes, de disculper quelqu'un qui pourrait être c'est comme une empreinte digitale."
Il faut que les normes de droit soient les mêmes dans les huit pays.
- "Et c'est le but de cette réunion de cet après-midi."
D. Perben, à propos de normes de droit, on s'interroge beaucoup sur la situation judiciaire des personnes retenues à Guantanamo. Il y a notamment six Français. Est-ce que vous allez en parler avec J. Ashcroft ?
- "J'aurai un entretien bilatéral en fin d'après-midi à mon ministère avec J. Aschroft qui a bien voulu accepter de venir me rencontrer pour évoquer un certain nombre de sujets d'intérêt commun et bien sûr nous parlerons de la situation de Guantanamo, en particulier des Français. J'avais déjà eu l'occasion d'en parler avec lui lorsque je m'étais rendu à Washington à l'automne dernier pour souligner le fait que l'on ne pouvait pas rester dans cette situation de non droit, c'est-à-dire que l'on ne sait pas quel est le statut de ces personnes, les Français comme les autres. Je vais, évidemment, interroger J. Ashcroft sur ses intentions ou plus exactement les intentions du gouvernement américain."
Et est-ce que vous souhaitez, par exemple, que ces personnes, ces Français, reçoivent la visite d'avocats ?
- "Ce serait la moindre des choses, oui."
Est-ce que vous pensez qu'on peut concevoir qu'ils restent encore longtemps détenus sans charges ?
- "Je ne pense pas que cela puisse durer bien longtemps."
On va peut-être, un instant, parler d'un anniversaire. Il y a un an jour pour jour, J. Chirac était réélu. Est-ce que comme beaucoup le disent ce matin, le plus difficile est devant vous, je parle de l'équipe gouvernementale ?
- "Oh, vous savez, ne faisons pas de masochisme. On avait des dossiers difficiles que l'on a commencé très largement à traiter. Je crois que ce qui est encourageant, je le dis sans fausse modestie déplacée, c'est la quantité de travail que l'on a abattue en un an, en termes de réformes. Tout à l'heure, j'entendais les commentaires de votre station sur le travail qui a été fait en matière de sécurité, le travail que j'ai fait en matière de justice, le nombre de textes, le nombre de modernisations de nos institutions, l'engagement de réforme sur l'allègement des 35 heures, sur les recréations d'entreprises. Nous sommes maintenant dans le débat des retraites. J'espère qu'au 14 juillet, ce dossier sera derrière nous. Nous travaillons sur les questions d'assurance-maladie. Bien sûr, le contexte international ne nous est pas favorable, mais je dirais que ce n'est pas parce que l'économie internationale est un peu amorphe qu'il faut pour autant laisser les réformes de côté. Je dirais, au contraire, faisons les réformes pour profiter de la croissance quand elle reviendra."
Mais est-ce que ce ne sont pas maintenant les réformes les plus difficiles à faire comprendre aux Français ?
- "Je pense que les Français savent bien que les retraites doivent être réformées, pour prendre cet exemple. Je crois qu'il faut faire la part entre le désir profond que peuvent avoir nos concitoyens de voir les choses se traiter, se réformer et puis l'inquiétude légitime qu'ils peuvent avoir sur les modalités d'une réforme. Je crois qu'une des erreurs de Jospin, ça a été justement de donner le sentiment de reculer devant les difficultés. Et ce gouvernement auquel j'appartiens, nous ne reculerons pas devant les difficultés."
Sept Français sur dix pensent que J. Chirac doit se représenter en 2007. Est-ce que vous faites partie de ces sept Français sur dix ?
- "Pourquoi pas, pourquoi pas. Ce serait une bonne solution, mais vous savez, en matière de candidature à l'élection présidentielle, quatre ans à l'avance, c'est loin."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 mai 2003)