Interview de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et de l'environnement durable, à RMC le 20 août 2003, sur l'ouverture de la chasse aux canards, les conséquences de la canicule et de la sécheresse et sur le reboisement après les incendies de forêt.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

O. Truchot - Le Conseil d'Etat a suspendu, hier soir, un arrêté que vous aviez pris concernant l'ouverture de la chasse pour les canards, notamment, sur le littoral, dès le 9 août. Un nouveau camouflet ?
- "C'est une situation un peu ubuesque, puisque le Conseil d'Etat ne juge pas au fond, il juge uniquement en référé, j'allais dire, sur la jurisprudence. Nous avions réussi à trouver un accord basé sur des données scientifiques incontestables, d'ailleurs aidés en cela par l'ensemble des associations, qu'elles soient des associations de chasseurs ou naturalistes, dans un travail aigu de réconciliation. Maintenant, ce que je souhaite, c'est que l'affaire soit jugée le plus rapidement au fond, pour que nous puissions sortir de cette situation ridicule."
C'est la deuxième fois en 15 jours que le Conseil d'Etat bloque l'ouverture...
- "Mais c'est normal, puisque, en référé, le Conseil d'Etat ne juge que sur la jurisprudence antérieure et ne juge pas au fond. C'est en cela qu'évidemment, la situation peut être qualifiée d'ubuesque."
Chasseurs et écologistes, cela fait 20 ans qu'ils se battent devant les tribunaux sur l'interprétation de ces dates ?
- "Oui, à peu près une quinzaine d'années. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé la création de cet Observatoire de la faune sauvage, pour retrouver les chasseurs et les écologistes autour de données scientifiques incontestables. Le fait est que j'y suis arrivée, puisque ces dates ont été validées par l'ensemble des grandes associations naturalistes, et bien entendu, par les fédérations de chasseurs. Evidemment, le Conseil d'Etat est prisonnier de sa jurisprudence antérieure, et en référé ne peut faire que de s'incliner devant cette jurisprudence. J'ai hâte que l'affaire soit enfin jugée au fond."
La canicule, la polémique fait rage ; le directeur général de la Santé a démissionné, le ministre de la Santé est dans le collimateur. Il reconnaît qu'il y a eu des dysfonctionnements, en tout cas il a nommé des experts pour essayer d'analyser ce qui n'a pas marché. Le Gouvernement a-t-il été vraiment à la hauteur ?
- "Ce que je constate, c'est que nous venons de vivre une situation exceptionnelle, d'une canicule conjuguée à une sécheresse exceptionnelle. Ceci a provoqué une catastrophe humaine considérable. Ce que je sais, c'est que J.-F. Mattei est un humaniste, c'est un homme de coeur, c'est un homme de compétence. Et, à l'évidence, des dysfonctionnements se sont avérés dans un système qui privilégie sans doute pas assez la prévention. Donc, devant une situation, dont j'estime, moi, comme ministre de l'Ecologie, que la canicule que nous vivons n'est que la préfiguration de ce qui va se passer dans les années à venir. Nous allons dans un phénomène de réchauffement global de la planète, nous allons être obligés de considérablement réviser nos systèmes d'alerte, nos moyens de prévention, de précaution. C'est à une nouvelle société, c'est à des nouveaux modes de vie que nous sommes appelés. J.-F. Mattei a nommé une mission d'expertise. Il faut, avant de faire, j'allais dire, la moindre évaluation politique, se référer à ce que vont dire les experts, bien entendu."
Vous le dites, effectivement, il va falloir peut-être s'habituer à ces changements climatiques, donc c'est peut-être à vous aussi, responsables politiques, de prendre les mesures pour...
- "Oui, bien entendu."
...qu'on puisse adapter notre société, notre façon de vivre à ces nouvelles conditions climatiques. Ecoutons un auditeur qui voudrait réagir aux conseils qui ont été délivrés, notamment par vous, au plus fort de cette canicule.
Guy, un auditeur : "Mes hommages madame, je vous ai entendue un soir, j'avoue que j'ai même été étonné, parler justement des précautions à prendre et vous avez même parlé à un moment, "d'être assez civique à tous points de vue", et en particulier de "garer sa voiture à l'ombre pour qu'elle soit moins chaude", etc. J'ai cru que c'était une blague, mais non. Vous êtes un Gouvernement, vous êtes dans le Gouvernement, M. Mattei, j'ai beaucoup de respect pour lui, je pense qu'il a eu pas mal d'ennuis avec tous les gens qu'il avait autour de lui. Il y en a un qui a démissionné, c'était le seul socialiste qui était resté dans le groupe, c'est une coïncidence, certainement. Je pose la question : est-il normal que M. Falco, ministre des Personnes âgées, ait déclaré l'année dernière et bloqué 100 millions d'euros pour les maisons de retraite ? Premier point. Et que l'année dernière, en prenant ses fonctions, il a déclaré : "L'ardoise que nous ont laissés les socialistes, c'est l'APA". Ne pensez-vous pas, madame la ministre, que s'il y a des personnes de plus en plus âgées et surtout qu'il fait de plus en plus chaud, comme vous le dites, donc, que ce n'est pas du tout le moment de geler les crédits pour les maisons de retraite d'une part ? Et, en somme, "d'euthanasier" les vieux, de la laisser... de ne rien faire etc... ?
- "Il y a des mots évidemment, ce que vient de dire votre auditeur, qui sont absolument inadmissibles sur l'euthanasie des personnes âgées. Mais je voudrais revenir au départ, sur quelque chose qui est de ma responsabilité. Vous avez peut-être trouvé ridicule de parler de la climatisation utilisée par nos véhicules. Mais savez-vous qu'une voiture climatisée utilise 20 % de carburant de plus et rejette dans l'atmosphère des gaz à effet de serre, qui sont précisément responsables, nous le savons maintenant, du réchauffement climatique. Donc, une utilisation raisonnée de la climatisation automobile, faire en sorte qu'il y ait un équilibre thermique, entre l'extérieur et l'intérieur, avant de monter dans sa voiture, faire un refroidissement relatif et non un refroidissement absolu, est quelque chose qui est absolument nécessaire. Donc, on est tout à fait devant quelque chose de caractéristique. Tout le monde sait bien qu'il y a un réchauffement climatique, tout le monde connaît l'impact de nos activités humaines sur ce réchauffement climatique, et en particulier l'automobile, et en particulier la climatisation, mais chaque fois qu'on donne un conseil précis, on se fait moquer ! Personne ne veut y obéir, ne veut s'y conformer ! "
Je ne veux pas me moquer de vous sur ce conseil à propos de la climatisation, mais c'est plus compliqué la climatisation, puisqu'effectivement, vous avez demandé aux Français de moins utiliser la climatisation pour des raisons de pollution mais aussi parce qu'il y avait un problème de pénurie d'électricité...
- "Oui, alors là, c'est la climatisation dans les habitations..."
Le problème, c'est qu'aujourd'hui, il y a des familles des victimes qui vous reprochent ce conseil, et tout à l'heure nous avions une association qui a décidé de porter plainte contre vous, car elle dit que, lorsque vous avez demandé d'arrêter les ventilateurs et la climatisation pour économiser l'énergie, certaines personnes âgées qui ont suivi le conseil sont peut-être décédées ensuite...
- "Oui, enfin... Je crois qu'il faut être raisonnable. Je ne condamne pas la climatisation. Je la condamne quand elle utilisée à mauvais escient, bien entendu. La climatisation est un élément de confort et bien entendu, il ne s'agit pas de l'éteindre auprès d'un malade ou d'une personne âgée en fragilité. Mais quand on voit certains magasins, par exemple, qui utilisent la climatisation et qui laissent les portes ouvertes, on peut se dire qu'on n'utilise pas la climatisation d'une façon raisonnée. Avoir une utilisation raisonnée de l'électricité et de la climatisation n'empêche pas d'avoir un comportement intelligent et adapté."
La semaine dernière, vous avez donc demandé aux Français de moins utiliser l'électricité,. L'appel a été entendu, puisqu'EDF nous dit qu'aujourd'hui que tout est rentré dans l'ordre. Mais n'est-il pas temps d'arrêter de tout miser sur le nucléaire, parce qu'on voit bien que le système est quand même assez fragile, et de favoriser d'autres sources d'énergie ?
- "Oui, bien entendu. Nous devons diversifier notre bouquet énergétique. Il faut savoir évidemment qu'aucune solution n'est la solution miracle. Il nous faut d'abord avoir une économie pauvre en carbone, c'est-à-dire ce qui est le plus urgent, c'est de sortir des industries fossiles, c'est-à-dire, le pétrole, le gaz, le charbon en France n'est plus guère utilisé mais il est utilisé dans d'autres pays européens. Et l'on sait bien que la question des gaz à effet de serre est une question largement internationale. Donc, développer les énergies renouvelables ; l'éolien, par exemple. Mais nous savons bien que l'éolien n'a pas marché pendant la canicule parce qu'il n'y avait pas vent. Développer le solaire, c'est une situation, une énergie coûteuse, certes, mais qui mérite d'être développée. Effectivement, il nous faut tirer les leçons de cela. Mais cela ne met pas en cause une énergie qui constitue la base de la fourniture électrique française, et qui, en tout cas, a l'énorme avantage de ne pas émettre de gaz à effet de serre."
On continue à tirer les leçons de cet été 2003, quand même très particulier, parce que l'environnement a beaucoup souffert pour diverses raisons, on va parler des incendies avec une question d'un auditeur. Je voudrais terminer sur la pollution à l'ozone, parce qu'on a battu tous les records dans ce domaine, là aussI. Que comptez-vous faire ?
- "J'ai déjà anticipé la transposition des directives européennes qui font que, l'obligation de réduction de vitesse n'apparaîtra plus à 360 microgrammes mais à un taux de 240 microgrammes par m3. Jusque-là, c'était une démarche volontaire..."
Donc les niveaux d'alerte vont être baissés ?
- "Les niveaux d'alerte ont déjà baissé, puisque j'ai anticipé la législation européenne et j'ai rendu obligatoire une préconisation qui n'était que volontaire. Mais l'ozone, la lutte contre l'ozone, est une lutte qui doit être faite de manière continue. Parce que, ce qui provoque la transformation en oxygène triatomique, est dû à des pollutions qui existent toute l'année et qui sont évidemment révélées par les pics de chaleur. Mais c'est parce que nous émettons des précurseurs de l'ozone toute l'année, c'est-à-dire des oxydes d'azote, des oxydes de souffre, des composés organiques volatiles, que sous l'effet de la chaleur, évidemment la production d'ozone se fait. Donc, il ne faudrait pas considérer que la lutte contre l'ozone se fait uniquement en ville et se fait uniquement lors des pics de chaleur. Les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement se sont attelées à faire baisser la production de ces composés auprès des 250 sites les plus importants, ils ont obtenu une baisse de 20 %. Nous sommes en train de mettre en oeuvre les normes européennes qui vont exister dès 2005 auprès des véhicules neufs. Je suis en train de travailler avec mon collègue allemand, J. Trittin, sur des nouvelles normes, encore plus dures, qui vont s'appliquer, elles, à partir de 2010. Et dès fin juin, nous avons lancé un programme de réduction de ces précurseurs de l'ozone qui, dans les quelques années à venir, amèneront à une baisse de ces précurseurs de 40 %."
On prend la question d'un auditeur sur les incendies et leurs conséquences cet été.
Jacques, un auditeur : "Bien entendu, ce n'est pas ni le Gouvernement, ni Mme Bachelot, qui sont responsables de ce qui s'est produit. Mais entre temps, Madame Bachelot est intervenue au début, sur la violence et "les extrémistes", "les fanatiques", elle a prononcé ces mots. Que pense-t-elle des sadiques pervers qui se réunissent - on appelle cela "des corridas" ! - pour torturer un taureau ? Seconde question : Mme Bachelot n'est pas responsable de tout, mais on a parlé de la haine, de la violence de la planète...
O. Truchot : Très très vite, R. Bachelot, les corridas, vous en pensez quoi ?
- "Elles font partie de la culture de tout un élément... de toutes une zone de notre pays. Et en tant que tel, cela doit être respecté."
Seconde question de Jacques : Je ne me satisfais pas de la première réponse. Est-ce qu'elle va elle-même voir les corridas ? Parce que, dans notre époque de violence, de haine et de fanatisme, ses termes... Deuxième chose : je suis en même temps le délégué et porte-parole des amis de la Nature et des Animaux, que va faire le Gouvernement et plus particulièrement le ministère de l'Environnement pour la reconstruction de la forêt, la faune et la flore ? Est-ce bien raisonnable de donner des autorisations, quand on sait comme la faune a souffert, il n'y a pratiquement plus de faune dans les endroits brûlés et dans les alentours, de donner l'autorisation aux chasseurs de massacrer les derniers animaux qui restent ?!
O. Truchot : R. Bachelot, est-ce que vous pouvez rester quelques minutes après les infos, pour répondre à la seconde question de Jacques ? 45 000 ha ont effectivement partis en fumée cet été, c'est le chiffre que nous donnons à RMC-Info, après avoir mené l'enquête. Un chiffre que vous confirmez ?
- "Oui, c'est un chiffre que je confirme. Et attention, nous ne sommes pas à la fin de la saison des incendies, si j'ose dire, qui se poursuit tout le mois d'août et tout le mois de septembre. Donc, nous avons un risque non négligeable de voir battu le catastrophique record de la fin des années 80, qui avaient vu brûler près de 70 000 ha de forêts françaises."
La réponse à la question de notre auditeur, tout à l'heure : qu'allez-vous décider pour reconstruire la faune et la flore ?
- "Dès le début du mois d'août, je me suis rendue sur place, dans le Var, parce qu'il faut savoir que la moitié des forêts concernées, calcinées se trouve dans ce département, mais bien entendu, les préconisations valent pour l'ensemble de la forêt française brûlée. La perturbation écologique est très importante. Nous allons accompagner cette reconstruction de la forêt d'un plan de restauration. Il faut à la fois aller vite pour prendre des mesures conservatoires pour les sols, parce que les pluies torrentielles qui ne vont pas manquer d'arriver risquent d'entraîner une érosion qui empêchera la reforestation du massif. Et pour autant, il faut faire les évaluations nécessaires. Il y a des endroits où les communautés végétales peuvent se reconstituer d'elles-mêmes, à certains endroits, des reboisements manuels sont indispensables. Effectivement, il y a, comme le disait votre auditeur, des lieux où les biotopes, où la faune et la flore sont extrêmement menacés. Certaines espèces comme la tortue Ederman, ou certains biotopes, comme les mares temporaires méditerranéennes, qui ont disparu. Il faut se poser la question, par exemple, d'une réintroduction de certaines espèces. Donc, il y a des mesures d'urgence à prendre. Ce que je remarque, c'est que je me suis rendue sur le terrain pour mobiliser les services de l'Etat, des collectivités territoriales, des associations naturalistes. Et puisqu'on parlait des chasseurs, par exemple, sur proposition de la Fédération des chasseurs du Var, ce sont les chasseurs eux-mêmes qui l'ont proposé, le préfet va suspendre la chasse pour les zones calcinées et les zones-refuges. Tout cela évidemment va coûter très cher, l'ensemble des mesures n'est pas encore chiffré. Mais nous savons, par exemple, que la protection des sols contre l'érosion dans le Var, coûtera plus de 2 millions d'euros. Alors, tout cela doit s'accompagner, bien sûr, de mesures beaucoup plus globales. On voit, par exemple, que l'absence de coupures agricoles ou viticoles est un facteur de majoration des incendies. Il y aura donc trois niveaux d'intervention : l'urgence, lutter contre l'érosion ; ensuite, reforester le massif, avec une vision écologique ; et puis, y maintenir de l'activité, car c'est encore une activité humaine raisonnée et non pas une urbanisation désordonnée, comme celle qui a eu lieu, qui permet de combattre ces incendies."
Et faire en sorte que cela ne se reproduise pas ?
- "Voilà."
Il n'y a pas de fatalité aux incendies l'été ?
- "Il n'y a surtout pas de fatalité à des incendies aussi importants que ceux que nous risquons de vivre cette année. Chaque année, il y a environ 20 000 ha de forêts françaises qui brûlent. On pourrait d'ailleurs faire moins, mais nous faisons d'ores et déjà mieux quand 20 000 ha brûlent, nous faisons mieux que la plupart des pays méditerranéens. Peut-être d'ailleurs, nous sommes-nous endormis sur nos lauriers dans ce domaine. Mais 70 000 ha, comme en 89, et comme cela risque d'arriver cette année, c'est évidemment totalement impossible."
[...]
(source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 20 août 2003)