Entretien de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, avec "La Revue du Marché commun et de l'Union européenne", sur les résultats du Conseil d'Helsinki notamment à propos de l'agenda de la conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions communautaires, de la défense européeenne, de l'ouverture à de nouveaux pays des négociations pour l'élargissement et sur la Charte des droits fondamentaux, Paris le 1er janvier 2000.

Prononcé le 1er janvier 2000

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Média : La Revue du Marché commun et de l'Union européenne - Revue du Marché commun et de l'Union européenne

Texte intégral

APRÈS LE CONSEIL EUROPÉEN D'HELSINKI
Sur la CIG
Q - L'ordre du jour de celle-ci va-t-il être large ou limité aux trois questions non tranchées à Amsterdam, avec tout au plus quelques questions connexes ? Avantages et inconvénients des deux méthodes; implications des orientations d'Helsinki.
R - Nous sommes parvenus à un accord à Helsinki. Comme nous le souhaitions, la CIG devra examiner prioritairement la taille et la composition de la Commission, l'extension du vote à la majorité qualifiée, la pondération des voix au sein du Conseil, ainsi que les autres modifications qui pourraient être apportées aux traités, en relation directe avec ces trois questions.
Nous verrons aussi, sous présidence portugaise, si, sans charger la barque et en respectant le calendrier, qui prévoit un achèvement des travaux en décembre 2000 - à la fin de la présidence française - il est possible d'examiner d'autres sujets. Je pense en particulier à l'idée de rendre plus aisé le recours au mécanisme de " coopération renforcée " entre quelques Etats, inscrit dans le traité.
Vous le savez, il est indispensable que les institutions européennes soient réformées avant que nous rejoignent les premiers candidats des pays d'Europe centrale et orientale. La France le dit depuis l'échec du Traité d'Amsterdam sur ce point. Pour que cette réforme, qui permettra à l'Europe de mieux fonctionner, avec plus d'efficacité, puisse aboutir dans les délais prévus, qui sont très courts, et qu'elle ne retarde pas ainsi l'élargissement, il est nécessaire de s'en tenir à un agenda raisonnable.
En ce sens, les conclusions d'Helsinki me paraissent tout à fait satisfaisantes.
Q - Des adaptations institutionnelles seront-elles nécessaires pour réaliser une politique efficace dans le domaine de la défense ?
R - Le Conseil européen a effectivement pris des décisions d'une grande importance en matière de défense européenne. Dans la lignée des réflexions menées, notamment, par la France, la Grande-Bretagne puis l'Allemagne, il a été décidé de doter l'Europe d'une véritable capacité autonome de défense, avec l'objectif de pouvoir mobiliser rapidement une force de 50 à 60.000 personnes pour répondre à une crise internationale. Il s'agit d'une avancée d'une importance capitale pour l'avenir de l'Europe et la stabilité du continent.
Pour cela, il ne sera pas forcément nécessaire de modifier le Traité. L'ensemble des dispositions nécessaires viendront prendre place dans le cadre institutionnel actuel. Il en sera ainsi de nouveaux organes politiques et militaires nécessaires à la mise en place de cette politique, qui seront créés au sein du Conseil : le Comité politique et de sécurité permanent, le Comité militaire et l'Etat-major. Je rappelle que l'objectif est que tout soit en place d'ici 2003 au plus tard.
Sur l'élargissement
Q - L'ouverture en parallèle de négociations d'adhésion avec une douzaine - voire plus - de candidats ne risque-t-elle pas d'entraîner la confusion des travaux et finalement de les ralentir ?
R - Au contraire, je crois qu'il est préférable que tous les pays candidats soient désormais placés sur un pied d'égalité. Je crois que l'ensemble de la procédure d'élargissement va y gagner en clarté. De ce point de vue, le Conseil européen d'Helsinki vient d'adresser un message politique très fort. Il s'agit maintenant d'ouvrir les négociations avec les six autres candidats - le cas de la Turquie étant évidemment différent - et de les conduire, comme avec les six autres, pour lesquels les négociations ont été engagées en 1998, avec sérieux et détermination.
Q - Quelle est l'étendue de l'assimilation de la candidature turque à celle des PECOs et des Méditerranéens ? Y a-t-il un infléchissement des critères de Copenhague ?
R - Comme vous le savez, la vocation de la Turquie à faire partie de la Communauté européenne a été reconnue dès 1963. Nous avons estimé qu'il était aujourd'hui possible, et même nécessaire, de mettre fin à une certaine ambiguïté en reconnaissant officiellement la Turquie comme pays candidat, ayant vocation à rejoindre un jour, selon les mêmes critères que les autres candidats, ses partenaires de l'Union.
Cela étant, les négociations d'adhésion proprement dites ne pourront démarrer que le jour où la Turquie satisfera aux critères fixés lors du Conseil européen de Copenhague, notamment en ce qui concerne l'Etat de droit, la démocratie, les Droits de l'Homme. Il n'y a donc aucun infléchissement de la doctrine européenne, au contraire, puisque l'Union aura désormais les moyens de contrôler, à travers la stratégie dite de pré-adhésion, les progrès de la Turquie dans cette voie.
Le statut de candidat de la Turquie doit donc favoriser, nous l'espérons bien, l'évolution politique du régime. Il va également lui permettre de participer à des programmes communautaires et, d'une façon générale, d'intensifier sa coopération avec l'Union européenne, ce dont nous pourrons tous bénéficier.
Sur l'élaboration d'une Charte des droits fondamentaux
Q - L'établissement d'un catalogue de tels droits ne risque-t-il pas de faire double emploi avec les instruments internationaux qui lient déjà les Etats membres ?
R - La Charte des droits civiques et sociaux européens, dont l'élaboration a été décidée lors du Conseil européen de Cologne en juin dernier, est un projet auquel la France - qui en est, avec l'Allemagne, à l'origine - accorde une importance toute particulière.
Cinquante ans après le début de la construction européenne, il nous parait en effet essentiel de se diriger désormais vers une Europe plus proche des préoccupations des citoyens, une Europe dont les Européens se sentent plus acteurs.
Dans cette optique, il nous a paru important qu'un texte vienne consacrer cette nouvelle orientation. L'ambition de la Charte est, d'une part, de consacrer les droits fondamentaux qui fondent nos démocraties, ensuite, d'expliciter et de développer les droits attachés à la citoyenneté européenne et, enfin, de fonder de nouveaux droits économiques et sociaux, comme le droit à la santé, le droit à la protection sociale, le droit syndical, etc...
Notre ambition est bien que ce texte puisse donner une plus grande visibilité démocratique à l'Europe et renforce ainsi l'adhésion des citoyens. Il sera d'une autre dimension que les dispositions existant actuellement, ou dans le droit des Quinze, ou au Conseil de l'Europe.
Sur les questions fiscales
Q - Quelles sont, à la lumière des travaux d'Helsinki, les perspectives d'une harmonisation fiscale ?
R - Sur ce point, il est clair que le Conseil européen d'Helsinki n'a pas permis d'aboutir à un accord, en raison, notamment, de l'opposition persistance de certains partenaires, donc la Grande-Bretagne. Je le regrette personnellement car je reste persuadé qu'un rapprochement des fiscalités reste indispensable au bon fonctionnement du marché unique.
Néanmoins, nous devons maintenant remettre l'ouvrage sur le métier, afin d'aboutir lors du premier semestre prochain. J'espère que tous nos partenaires sauront faire preuve d'esprit d'ouverture et de compromis pour faire avancer ce dossier.
Sur les négociations multilatérales
Q - Sur les négociations multilatérales, le Conseil européen a- t- il évoqué les perspectives d'une reprise des travaux ?
R - Le Conseil européen a regretté l'échec de la réunion de Seattle et a réaffirmé son attachement au système commercial multilatéral. Comme l'a dit le Premier ministre, l'échec de la réunion de Seattle vaut mieux qu'un mauvais accord, qui aurait fait démarrer le nouveau cycle de négociations sur des bases instables et défavorables à notre conception des échanges internationaux.
Là encore, l'essentiel est de maintenir la cohésion de l'Union européenne autour du mandat fixé à la Commission avant Seattle et de préparer avec soin et sérénité le prochain rendez-vous, à Genève, au début de l'année prochaine.
Nous continuons de souhaiter la régulation multilatérale du commerce mondial, dans la préservation de nos intérêts et des principes qui fondent notre modèle de société, notamment en ce qui concerne les normes sociales, la diversité culturelle et la protection de l'environnement et de la santé.
Sur l'Espace de Liberté, sécurité
Q - Y a-t-il eu une avancée significative d'un espace de sécurité et de liberté ?
R - Comme vous le savez, ces sujets ont fait l'objet du Conseil européen extraordinaire qui s'est tenu à Tampere en octobre dernier et qui a abouti à des résultats très positifs et encourageants. La création d'un espace européen de sécurité et de justice est un aspect essentiel de 1'Europe citoyenne dont nous avons l'ambition.
Sur le Conseil européen et ses travaux en général
Q - Le Conseil européen d'Helsinki a-t-il connu une réaffirmation du couple franco-allemand, épaulé par le Royaume-Uni, notamment en matière de défense et de sécurité ?
R - Comme je l'ai dit, les avancées d'Helsinki en matière de défense européenne sont tout à fait considérables. Elles représentent une mutation essentielle et très positive de l'Europe.
Cela n'aurait pas été possible sans le rôle moteur de la France et de l'Allemagne, qui ont franchi, il y a plusieurs années, des premiers pas dans le rapprochement de leurs systèmes nationaux de défense et qui ont plaidé en faveur d'une capacité européenne autonome de "projection". Et il est tout aussi exact que rien n'aurait été possible non plus sans la contribution décisive du gouvernement de Tony Blair, qui a impulsé une évolution radicale des positions traditionnelles du Royaume-Uni en matière de défense européenne, concrétisée par la déclaration britannique de Saint-Malo, en décembre 1998./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 janvier 2000)