Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur les sinistres, leurs conséquences et les enseignements susceptibles d'en être tirés et notamment sur le rôle des élus locaux, Paris, janvier 2000.

Prononcé le 1er janvier 2000

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Circonstance : Marée noire après le naufrage du pétrolier Erika au large des côtes bretonnes le 12 décembre 1999 et tempêtes sur la France les 26 et 27 décembre

Texte intégral

Mes chers collègues,
Après les intempéries de l'automne, qui avaient si durement éprouvé nos compatriotes du grand Sud-Ouest, et quelques semaines plus tard ceux de l'Outre-mer, la France vient d'être frappée coup sur coup par une marée noire, à l'ampleur inégalée, et par des tempêtes aux effets dévastateurs et meurtriers.
Notre civilisation technologique, qui a pu triompher si facilement du fameux " bogue " de l'an 2000, a montré une grande fragilité face aux éléments naturels. C'est une dure, mais peut-être salutaire, leçon d'humilité et de prudence que nous inflige ainsi la nature.
Plusieurs années, voire des décennies, seront nécessaires pour réparer des dégâts qui se montent, pour notre seul pays, à plusieurs dizaines de milliards de francs.
Nos premières pensées seront pour les familles endeuillées : plus de cent victimes ! A ceux qui ont perdu l'un des leurs, parfois dans l'exercice de son devoir, le Sénat adresse ses plus vives condoléances. A ceux, blessés, qui ont été meurtris dans leur chair, nous exprimons nos voeux de prompt et complet rétablissement.
Comment, enfin, ne pas être accablé par les images de ces fleurons de notre patrimoine tristement endommagés, de ces millions d'arbres déracinés, couchés ou cassés, de ces pylônes électriques renversés et broyés par le vent, de ces côtes souillées par les nappes de pétrole, de ces oiseaux, venus trouver refuge sur nos côtes pour l'hiver et condamnés à une mort certaine par le déversement de tonnes de mazout ?
Sans même évoquer les forêts vosgiennes qui me sont chères, vous me permettrez de dire un mot du Jardin du Luxembourg, durement touché, où il a fallu procéder à l'abattage de plus de 150 arbres. Nous devons être reconnaissants à nos services qui ont permis la réouverture du parc le plus rapidement possible et dans des conditions de sécurité optimales pour les promeneurs.
Notre sympathie ira bien évidemment aussi à ceux qui, en dépit des efforts des collectivités publiques, d'EDF ou de France Télécom, sont longtemps restés privés d'eau, d'électricité, de téléphone, voire d'un toit.
Saluons ici l'action exemplaire des agents des services publics civils et militaires, des employés des entreprises publiques, des agents de l'office national des forêts, des artisans, des simples citoyens qui n'ont pas ménagé leurs efforts au cours de ces heures difficiles, notamment entre Noël et le Jour de l'An.
Ce superbe élan de solidarité et de générosité est la plus belle réponse que les Français pouvaient apporter à ceux qui dénoncent la frilosité et l'égoïsme de nos compatriotes.
Je n'aurai garde d'oublier nos amis d'Europe, d'Amérique et d'Afrique qui nous ont apporté un appui décisif.
A l'heure des bilans, il est clair que nos grandes infrastructures ont terriblement souffert : il faudra plusieurs années avant que la qualité des réseaux électriques et téléphoniques soit pleinement rétablie. L'exploitation forestière apparaît sinistrée pour un long moment dans nombre de départements.
Le nettoyage de nos plages, la reconstruction des zones sinistrées, le nécessaire soutien aux activités les plus touchées, comme l'agriculture en général, la pêche et la filière bois en particulier, constituent une grande cause nationale qui appelle de la part du Gouvernement des réponses audacieuses.
Le Premier ministre a annoncé, mercredi dernier, un train de mesures sur lesquelles il semble prématuré de porter un jugement.
Pour l'heure, l'essentiel me paraît être que les conséquences pratiques des déclarations gouvernementales se fassent sentir immédiatement dans nos communes et nos départements et que les fonds promis soient débloqués dans les meilleurs délais. Le plus difficile sera de repérer les situations de détresse pour les traiter en priorité.
Dans les semaines à venir, le Sénat devra être informé des conditions de mise en uvre de ces mesures. Il nous faudra, avec le ministre des relations avec le Parlement, consacrer une séance à une déclaration du Gouvernement suivie d'un débat.
Il est également impératif que les compagnies d'assurance assument toutes leurs responsabilités. L'Etat doit y veiller.
A plus long terme, ma conviction est que nous ne pourrons pas éluder plus longtemps les questions posées par la multiplication des phénomènes naturels qui affectent notre pays et, par-delà la France, notre planète. Trop d'écoles flambant neuves ont été emportées par la tempête, trop de pylônes électriques se sont effondrés comme des châteaux de cartes. Quant à la marée noire, une catastrophe de l'ampleur de " l'Erika " aurait sans doute pu être évitée.
Au-delà des moments d'intense émotion que nous venons de vivre et une fois les premiers dégâts réparés, le temps viendra pour nous d'engager une réflexion approfondie sur les conditions de circulation des bateaux de commerce dans l'Atlantique nord, les modalités de déclenchement des plans POLMAR et ORSEC et la coordination des moyens d'intervention. Avec les présidents de groupes et des commissions intéressées, nous étudierons les meilleurs moyens d'investigation ou d'études que nous pourrions mettre en uvre au Sénat pour rechercher les lacunes dans les contrôles de sécurité des navires de commerce et surtout faire des propositions en vue d'éviter une nouvelle pollution accidentelle de nos côtes.
Plus jamais ça ! Il n'y a pas de fatalité de la marée noire.
Que penser aussi de notre dispositif de réaction aux situations d'urgence ? Est-il suffisant ? Faut-il le renforcer ?
En conclusion, force nous est de faire un constat : les premiers présents sur le terrain ont été les élus locaux et tout particulièrement les maires qui ont pris en mains les opérations de secours aux sinistrés ou de nettoyage des plages.
Les élus de proximité ont su montrer leur capacité à faire face à des circonstances exceptionnelles et à prendre les initiatives nécessaires pour organiser la solidarité, canaliser les bonnes volontés et mobiliser les énergies. Avec des moyens de fortune, ils ont su faire merveille.
Maillages de notre territoire, les collectivités locales ont constitué, face aux intempéries, un formidable filet de sécurité. Une fois de plus, les élus ont confirmé leur rôle irremplaçable au service des populations. La décentralisation, c'est bien le service public de proximité.
Plus que jamais, il apparaît urgent, pour enrayer l'hémorragie des vocations municipales, de consolider le socle humain de la décentralisation en élaborant un statut de l'élu local enfin digne de ce nom et en redéfinissant les contours de la responsabilité pénale pour les fautes non intentionnelles.
Pour l'heure, le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, se doit de rendre un hommage solennel aux élus locaux. Pour manifester notre reconnaissance, je vous propose de suspendre notre séance pour quelques instants et, si vous en êtes d'accord, j'adresserai, en votre nom à tous, aux élus des communes et des départements sinistrés, l'extrait du Journal officiel relatant notre hommage.

(source http://www.senat.fr, le 31 janvier 2000)