Texte intégral
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Après les inondations de l'automne, qui avaient si cruellement éprouvé nos compatriotes du grand Sud-Ouest et quelques semaines plus tard ceux de l'Outre-Mer, notre pays vient d'être frappé, coup sur coup, par une marée noire à l'ampleur inégalée, et par des tempêtes aux effets dévastateurs et meurtriers.
Vous ne serez donc pas surpris que mes premiers mots aillent vers les victimes de ces catastrophes et mes premières pensées vers leurs familles endeuillées.
Notre civilisation technologique, qui a pu triompher si facilement du fameux " bogue " de l'an 2000, a montré une grande fragilité face aux éléments naturels. C'est une dure, mais peut-être salutaire, leçon d'humilité et de prudence que nous inflige ainsi la nature.
Il m'est également impossible de dissimuler l'émotion que j'ai ressentie devant le magnifique élan de solidarité de l'immense armée des bénévoles et des élus locaux qui ont montré, aux côtés des services publics, que la fraternité, le troisième terme de la trilogie républicaine n'était pas un vain mot.
Ces circonstances exceptionnelles, qui ont prouvé que le maillage de notre territoire par de nombreuses collectivités locales constitue un filet de sécurité, suffiraient, à elles seules, à conférer à ce début d'année une signification particulière. Mais le caractère extraordinaire de cette nouvelle année découle surtout de la charge symbolique du millésime 2000.
Certes des esprits mathématiques, forts de leurs certitudes arithmétiques, nous disent que le 21ème siècle, et partant le troisième millénaire, ne commenceront que le 1er janvier 2001.
Mais quel crédit doit-on porter à ces repères chronologiques, statiques et conventionnels, qui figent le dynamisme de l'Histoire ?
Il est en effet concevable d'estimer que le 20ème siècle est né non pas le 1er janvier 1901, mais le 11 novembre 1918, au terme d'une boucherie héroïque, qui fut le sinistre aboutissement de la montée des nationalités tout au long du 19ème siècle.
De même, il est possible de considérer que le 20ème siècle s'est déjà achevé et qu'il s'est éteint en novembre 1989, lors de la chute du mur de Berlin qui a sonné le glas d'une certaine conception des idéologies totalitaires.
Quoi qu'il en soit, l'an 2000 constitue à l'évidence une passerelle entre deux époques, entre deux ères, entre deux âges.
D'un côté, le 20ème siècle, qui fût l'âge des extrêmes avec, d'une part, d'immenses progrès des connaissances scientifiques, de considérables exploits techniques et une fulgurante explosion des moyens de communication et, d'autre part, d'effroyables barbaries, souvent induites par les idéologies, et qui eurent pour nom Guernica, Auschwitz, Katyn, Hiroshima ou l'archipel du Goulag...
De l'autre côté du fleuve, que la passerelle de l'an 2000 va nous permettre de franchir, un 21ème siècle riche d'espoirs, de potentialités et de rêves pour l'humanité.
Le premier espoir que je forme est que ce 21ème siècle soit le siècle de la démocratie, le plus efficient des systèmes politiques. Ce résultat, indissociable de la généralisation de l'économie de marché, devrait être atteint par un double mouvement constitué, d'une part, par l'extension de cette technique du Gouvernement à l'ensemble des pays de la planète et, d'autre part, par l'approfondissement de cette valeur dans nos vieilles démocraties.
Vous comprendrez aisément, chers amis, que le Président du Sénat de la République Française soit attentif à ce processus et plus particulièrement à la vitalité du bicamérisme qui se traduit par une floraison de Sénats à la surface du globe.
En effet, les jeunes démocraties d'Europe centrale et orientale, d'Afrique ou d'Asie considèrent, pour des motifs divers, mais à juste titre, que le bicamérisme constitue un gage d'épanouissement et de perfectionnement, voire un point d'aboutissement, de la démocratie.
Aujourd'hui, il existe plus de 70 Sénats et j'ai pris l'initiative de les réunir, le 14 mars prochain, au Palais du Luxembourg, pour tenir le premier Forum des Sénats du monde.
En France, l'avènement d'un bicamérisme serein et apaisé implique que soit purgée, une fois pour toutes, la querelle en représentativité et donc en légitimité qui est instruite, de manière plus ou moins larvée, à l'encontre du Sénat.
A cet égard, je voudrais dire avec force que le Sénat est favorable à une meilleure représentation du milieu urbain au sein de son collège électoral ; mais ce rattrapage urbain ne doit pas s'effectuer au détriment des " petites moyennes villes " qui constituent les pôles structurants de l'aménagement de notre territoire.
L'harmonie de notre société passe aussi par une représentation équilibrée, et parfois pondérée, de toutes les composantes de notre territoire. Le Sénat, qui entend demeurer le Grand Conseil de toutes les collectivités territoriales de France, n'a pas vocation à devenir le petit Conseil des grandes villes.
Approfondir la démocratie, c'est également accentuer le contrôle démocratique que le Parlement doit exercer sur le Gouvernement et ses services.
D'une manière générale, le contrôle de l'action du Gouvernement et, surtout, l'évaluation des politiques publiques, qui représentent l'avenir du Parlement, doivent devenir une seconde nature pour le Sénat.
Faire la chasse aux dysfonctionnements de notre système constitue à l'évidence une ardente obligation, car la transparence est une exigence démocratique. Toutefois, traquer le pathologique, parfois au risque d'alimenter les fantasmes des extrémistes, ne doit pas nous faire oublier que la démocratie n'est pas le nouvel opium des peuples. La démocratie, c'est aussi, et surtout, une pédagogie.
C'est pourquoi, nous venons, le Président Laurent Fabius et moi-même, avec l'appui de nos Bureaux et de nos assemblées respectifs, de créer une chaîne parlementaire et civique, qui verra le jour à la mi mars 2000. Elle a pour vocation de faire mieux connaître les travaux des assemblées, le fonctionnement des institutions européennes et les initiatives des collectivités locales. Elle a également pour ambition de faire vivre les débats de société, d'expliquer le sens de l'évolution de notre monde et d'éclairer l'avenir de nos concitoyens.
Approfondir la démocratie, c'est, enfin, prolonger sa dimension économique et sociale.
La réalisation de cet objectif passe, à l'évidence, par un renouveau du dialogue social, une consécration du paritarisme et un regain de la participation, cette magnifique idée, que le développement de l'épargne salariale et l'essor de l'actionnariat salarié devraient contribuer à faire revivre.
A cet égard, je me félicite de la récente décision du Conseil Constitutionnel qui a conféré toute sa force juridique au contractuel social en faisant prévaloir des accords collectifs sur les dispositions contraires d'une loi pourtant postérieure.
Enfin, force est de constater qu'après l'ère des masses que fût le XXème siècle, le nouveau siècle sera, à l'évidence, celui de la mondialisation.
Ce phénomène, qui consacre l'avènement du marché global et du village planétaire, est un processus inéluctable, irréversible et irrépressible. Pour l'apprivoiser, car ce phénomène est porteur de craintes diffuses induites notamment par la peur justifiée d'une uniformisation des modes de vie, nous disposons de deux antidotes : la démocratie locale et l'Europe.
La démocratie locale, c'est l'expression politique de ce besoin d'enracinement amplifié par la mondialisation.
A ce besoin d'une citoyenneté locale, pleine et entière, il nous faudra répondre par une relance de la décentralisation, c'est-à-dire par de nouveaux transferts de compétences.
Mais, avant d'offrir aux collectivités locales de nouveaux territoires d'action, dont elles s'acquitteront sans doute mieux que l'Etat, en raison des effets bénéfiques de la gestion de proximité, il m'apparaît indispensable de rendre des raisons d'espérer aux élus locaux et en particulier aux maires, ces nouveaux hussards de la République.
En l'occurrence, il est urgent, sous peine de tarir les vocations, de circonscrire le champ de la responsabilité pénale pour des faits non intentionnels et de doter les élus locaux d'un statut enfin digne de ce nom.
La seconde boussole dont nous disposons pour nous repérer dans l'univers, pour l'instant incertain, de la mondialisation, c'est l'Europe.
A cet égard, permettez-moi, comme je l'ai fait le 4 janvier lors de la présentation des voeux à M. le Président de la République, d'exprimer une crainte et de formuler un espoir.
La crainte, c'est que l'identité européenne, conquise vaille que vaille et acquise non sans mal, ne se dilue dans un élargissement qui serait trop soudain, trop large et trop disparate.
L'espoir, c'est que la France mette à profit sa future présidence de l'Union européenne, à partir du 1er juillet 2000, pour réussir la conférence intergouvernementale, qui est le prélude institutionnel de l'élargissement, pour expérimenter des formules d'Europe à géométrie variable avec des groupes de pionniers, secteurs par secteurs, et pour rapprocher l'Europe des citoyens.
Prenons garde aux conséquences néfastes dans chaque pays de l'Union, d'une désillusion européenne. Il est indispensable de conférer à l'Europe une dimension spirituelle et de lui donner une âme.
Telles sont, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, les quelques observations, considérations et réflexions que m'inspire ce début d'année qui sera, sauf imprévu, un désert électoral.
Permettez-moi, à l'aube de cette nouvelle année, de vous adresser les voeux les plus chaleureux de réussite, de plénitude et de sérénité que je forme pour vous et ceux qui vous sont chers.
Bonne et heureuse année.
(source http://www.senat.fr, le 21 janvier 2000)
Après les inondations de l'automne, qui avaient si cruellement éprouvé nos compatriotes du grand Sud-Ouest et quelques semaines plus tard ceux de l'Outre-Mer, notre pays vient d'être frappé, coup sur coup, par une marée noire à l'ampleur inégalée, et par des tempêtes aux effets dévastateurs et meurtriers.
Vous ne serez donc pas surpris que mes premiers mots aillent vers les victimes de ces catastrophes et mes premières pensées vers leurs familles endeuillées.
Notre civilisation technologique, qui a pu triompher si facilement du fameux " bogue " de l'an 2000, a montré une grande fragilité face aux éléments naturels. C'est une dure, mais peut-être salutaire, leçon d'humilité et de prudence que nous inflige ainsi la nature.
Il m'est également impossible de dissimuler l'émotion que j'ai ressentie devant le magnifique élan de solidarité de l'immense armée des bénévoles et des élus locaux qui ont montré, aux côtés des services publics, que la fraternité, le troisième terme de la trilogie républicaine n'était pas un vain mot.
Ces circonstances exceptionnelles, qui ont prouvé que le maillage de notre territoire par de nombreuses collectivités locales constitue un filet de sécurité, suffiraient, à elles seules, à conférer à ce début d'année une signification particulière. Mais le caractère extraordinaire de cette nouvelle année découle surtout de la charge symbolique du millésime 2000.
Certes des esprits mathématiques, forts de leurs certitudes arithmétiques, nous disent que le 21ème siècle, et partant le troisième millénaire, ne commenceront que le 1er janvier 2001.
Mais quel crédit doit-on porter à ces repères chronologiques, statiques et conventionnels, qui figent le dynamisme de l'Histoire ?
Il est en effet concevable d'estimer que le 20ème siècle est né non pas le 1er janvier 1901, mais le 11 novembre 1918, au terme d'une boucherie héroïque, qui fut le sinistre aboutissement de la montée des nationalités tout au long du 19ème siècle.
De même, il est possible de considérer que le 20ème siècle s'est déjà achevé et qu'il s'est éteint en novembre 1989, lors de la chute du mur de Berlin qui a sonné le glas d'une certaine conception des idéologies totalitaires.
Quoi qu'il en soit, l'an 2000 constitue à l'évidence une passerelle entre deux époques, entre deux ères, entre deux âges.
D'un côté, le 20ème siècle, qui fût l'âge des extrêmes avec, d'une part, d'immenses progrès des connaissances scientifiques, de considérables exploits techniques et une fulgurante explosion des moyens de communication et, d'autre part, d'effroyables barbaries, souvent induites par les idéologies, et qui eurent pour nom Guernica, Auschwitz, Katyn, Hiroshima ou l'archipel du Goulag...
De l'autre côté du fleuve, que la passerelle de l'an 2000 va nous permettre de franchir, un 21ème siècle riche d'espoirs, de potentialités et de rêves pour l'humanité.
Le premier espoir que je forme est que ce 21ème siècle soit le siècle de la démocratie, le plus efficient des systèmes politiques. Ce résultat, indissociable de la généralisation de l'économie de marché, devrait être atteint par un double mouvement constitué, d'une part, par l'extension de cette technique du Gouvernement à l'ensemble des pays de la planète et, d'autre part, par l'approfondissement de cette valeur dans nos vieilles démocraties.
Vous comprendrez aisément, chers amis, que le Président du Sénat de la République Française soit attentif à ce processus et plus particulièrement à la vitalité du bicamérisme qui se traduit par une floraison de Sénats à la surface du globe.
En effet, les jeunes démocraties d'Europe centrale et orientale, d'Afrique ou d'Asie considèrent, pour des motifs divers, mais à juste titre, que le bicamérisme constitue un gage d'épanouissement et de perfectionnement, voire un point d'aboutissement, de la démocratie.
Aujourd'hui, il existe plus de 70 Sénats et j'ai pris l'initiative de les réunir, le 14 mars prochain, au Palais du Luxembourg, pour tenir le premier Forum des Sénats du monde.
En France, l'avènement d'un bicamérisme serein et apaisé implique que soit purgée, une fois pour toutes, la querelle en représentativité et donc en légitimité qui est instruite, de manière plus ou moins larvée, à l'encontre du Sénat.
A cet égard, je voudrais dire avec force que le Sénat est favorable à une meilleure représentation du milieu urbain au sein de son collège électoral ; mais ce rattrapage urbain ne doit pas s'effectuer au détriment des " petites moyennes villes " qui constituent les pôles structurants de l'aménagement de notre territoire.
L'harmonie de notre société passe aussi par une représentation équilibrée, et parfois pondérée, de toutes les composantes de notre territoire. Le Sénat, qui entend demeurer le Grand Conseil de toutes les collectivités territoriales de France, n'a pas vocation à devenir le petit Conseil des grandes villes.
Approfondir la démocratie, c'est également accentuer le contrôle démocratique que le Parlement doit exercer sur le Gouvernement et ses services.
D'une manière générale, le contrôle de l'action du Gouvernement et, surtout, l'évaluation des politiques publiques, qui représentent l'avenir du Parlement, doivent devenir une seconde nature pour le Sénat.
Faire la chasse aux dysfonctionnements de notre système constitue à l'évidence une ardente obligation, car la transparence est une exigence démocratique. Toutefois, traquer le pathologique, parfois au risque d'alimenter les fantasmes des extrémistes, ne doit pas nous faire oublier que la démocratie n'est pas le nouvel opium des peuples. La démocratie, c'est aussi, et surtout, une pédagogie.
C'est pourquoi, nous venons, le Président Laurent Fabius et moi-même, avec l'appui de nos Bureaux et de nos assemblées respectifs, de créer une chaîne parlementaire et civique, qui verra le jour à la mi mars 2000. Elle a pour vocation de faire mieux connaître les travaux des assemblées, le fonctionnement des institutions européennes et les initiatives des collectivités locales. Elle a également pour ambition de faire vivre les débats de société, d'expliquer le sens de l'évolution de notre monde et d'éclairer l'avenir de nos concitoyens.
Approfondir la démocratie, c'est, enfin, prolonger sa dimension économique et sociale.
La réalisation de cet objectif passe, à l'évidence, par un renouveau du dialogue social, une consécration du paritarisme et un regain de la participation, cette magnifique idée, que le développement de l'épargne salariale et l'essor de l'actionnariat salarié devraient contribuer à faire revivre.
A cet égard, je me félicite de la récente décision du Conseil Constitutionnel qui a conféré toute sa force juridique au contractuel social en faisant prévaloir des accords collectifs sur les dispositions contraires d'une loi pourtant postérieure.
Enfin, force est de constater qu'après l'ère des masses que fût le XXème siècle, le nouveau siècle sera, à l'évidence, celui de la mondialisation.
Ce phénomène, qui consacre l'avènement du marché global et du village planétaire, est un processus inéluctable, irréversible et irrépressible. Pour l'apprivoiser, car ce phénomène est porteur de craintes diffuses induites notamment par la peur justifiée d'une uniformisation des modes de vie, nous disposons de deux antidotes : la démocratie locale et l'Europe.
La démocratie locale, c'est l'expression politique de ce besoin d'enracinement amplifié par la mondialisation.
A ce besoin d'une citoyenneté locale, pleine et entière, il nous faudra répondre par une relance de la décentralisation, c'est-à-dire par de nouveaux transferts de compétences.
Mais, avant d'offrir aux collectivités locales de nouveaux territoires d'action, dont elles s'acquitteront sans doute mieux que l'Etat, en raison des effets bénéfiques de la gestion de proximité, il m'apparaît indispensable de rendre des raisons d'espérer aux élus locaux et en particulier aux maires, ces nouveaux hussards de la République.
En l'occurrence, il est urgent, sous peine de tarir les vocations, de circonscrire le champ de la responsabilité pénale pour des faits non intentionnels et de doter les élus locaux d'un statut enfin digne de ce nom.
La seconde boussole dont nous disposons pour nous repérer dans l'univers, pour l'instant incertain, de la mondialisation, c'est l'Europe.
A cet égard, permettez-moi, comme je l'ai fait le 4 janvier lors de la présentation des voeux à M. le Président de la République, d'exprimer une crainte et de formuler un espoir.
La crainte, c'est que l'identité européenne, conquise vaille que vaille et acquise non sans mal, ne se dilue dans un élargissement qui serait trop soudain, trop large et trop disparate.
L'espoir, c'est que la France mette à profit sa future présidence de l'Union européenne, à partir du 1er juillet 2000, pour réussir la conférence intergouvernementale, qui est le prélude institutionnel de l'élargissement, pour expérimenter des formules d'Europe à géométrie variable avec des groupes de pionniers, secteurs par secteurs, et pour rapprocher l'Europe des citoyens.
Prenons garde aux conséquences néfastes dans chaque pays de l'Union, d'une désillusion européenne. Il est indispensable de conférer à l'Europe une dimension spirituelle et de lui donner une âme.
Telles sont, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, les quelques observations, considérations et réflexions que m'inspire ce début d'année qui sera, sauf imprévu, un désert électoral.
Permettez-moi, à l'aube de cette nouvelle année, de vous adresser les voeux les plus chaleureux de réussite, de plénitude et de sérénité que je forme pour vous et ceux qui vous sont chers.
Bonne et heureuse année.
(source http://www.senat.fr, le 21 janvier 2000)